|
Origine : http://www.scienceshumaines.com/questions-reponses-sur-l-intelligence-de-l-enfant_fr_5224.html
Comment les enfants apprennent à compter ?
Le fait est désormais bien établi : certains animaux
(du rat au pigeon, de la pie au chimpanzé) possèdent
une capacité à discerner un nombre donné d'objets.
Par exemple, mis face à deux plateaux où sont placés
des carrés de chocolat (3 + 4 morceaux sur l'un et 5 + 1
sur l'autre), un chimpanzé n'hésite pas longtemps
: il choisit le premier plateau, là où les chocolats
sont les plus nombreux. Preuve qu'il discerne les nombres et même
qu'il effectue des calculs élémentaires. De son côté,
on sait depuis les travaux d'Elisabeth Spelke que le bébé
humain, à partir de 5 mois, réussit lui aussi des
épreuves numériques simples.
Faut-il en conclure que certains animaux, tout comme les petits
humains, sont naturellement mathématiciens ? Non. Certes
leur cerveau est « façonné » par l'évolution
pour appréhender spontanément des quantités
numériques élémentaires. C'est ce qui permet
notamment à un oiseau de compter ses petits... Mais ces aptitudes
ne préparent pas à résoudre des problèmes
de calcul plus complexes. Le passage du calcul élémentaire
au véritable calcul mental (par exemple effectuer des calculs
du genre 13 + 8 ou 12 - 3) suppose deux autres conditions. Tout
d'abord la possibilité de manipuler mentalement des nombres,
sous forme d'images mentales intériorisées. Seuls
les humains en sont capables une fois acquise la capacité
symbolique, apparaissant vers 2 ans. Et c'est même seulement
vers 6-7 ans que les enfants peuvent acquérir vraiment l'addition
et la soustraction.
La maîtrise du calcul suppose la combinaison de deux évolutions
:
* une évolution psychologique individuelle qui fait passer
des perceptions numériques élémentaires à
la capacité de se représenter les nombres sous forme
consciente et réflexive ;
* une évolution culturelle propre à chaque société,
qui doit transmettre par apprentissage les méthodes de calcul
qu'elle a inventées.
C'est le mariage de ces deux évolutions qui rend le calcul
possible.
Comment les enfants apprennent à parler ?
Le langage n'apparaît pas avec la parole et les premiers
mots (entre 12 et 20 mois selon les enfants). En fait, dès
le stade f?tal, le bébé commence déjà
à en acquérir les rudiments. Il apprend d'abord à
distinguer son environnement sonore : la voix de sa mère
qu'il distingue des autres voix, puis la prosodie typique de sa
langue maternelle. Des expériences ont montré que
si quelqu'un se met à parler une langue étrangère,
le c?ur du bébé s'accélère, manifestant
qu'il a ainsi repéré quelque chose d'anormal.
Après sa naissance, au cours des cinq premiers mois, il
va discerner les sons, les syllabes, les mots. Entre 7 et 10 mois,
l'enfant comprend certains mots : il bat des mains quand on lui
dit « bravo » et fait un signe d'adieu quand on lui
dit « au revoir ». Ces premiers mots sont acquis grâce
au « motherese », la formulation caractéristique
que les adultes adoptent lorsqu'ils parlent à des petits
(intonation aiguë, articulation très prononcée,
association entre le mot et le geste).
A 10 mois, il repère distinctement les mots au sein des
phrases. Et avant un an, il comprend des mots sans la présence
des objets associés : biberon, gâteau, maman, ballon,
voiture...
Parallèlement la parole se développe. Tout commence
par les « arheu » et « ague » vers 2 mois,
puis le contrôle progressif de la vocalisation et des sons.
Vers 7 mois apparaît le babillage, c'est-à-dire la
répétition de syllabes, « bababa », «
mamama ». L'âge d'apparition des premiers mots, «
gâteau », « papa », se situe entre 12 à
24 mois selon les enfants.
Il faut 6 mois environ pour que l'enfant acquière ses 50
premiers mots. Plus tard, ce sera une véritable « explosion
linguistique ». Un enfant entre 3 et 10 ans est capable d'intégrer
10 nouveaux mots par jour (« camembert », « parcourir
», « étonnant » et « épine
»...) ! En même temps, l'acquisition de la grammaire
s'effectue : entre 2 et 5 ans, on est passé des mots aux
phrases « tombé », puis « tombé
ballon » avant d'arriver à des phrases complexes, intégrant
les temps (présent, futur, passé), la négation,
l'interrogation.
Comparé aux performances de chimpanzés ayant appris
à utiliser le langage des signes, l'enfant humain se distingue
très vite par l'étendue de son vocabulaire, l'usage
des règles de grammaire, et surtout l'utilisation du langage
à d'autres fins que les simples demandes/réponses.
De l'ensemble des recherches, certains chercheurs ont acquis la
conviction que l'enfant n'apprend pas vraiment le langage, mais
le redécouvre. Son cerveau est naturellement équipé
pour apprendre à parler (même s'il doit apprendre les
mots et la grammaire de telle ou telle langue maternelle).
On admet aussi que le langage se déploie dans le cadre d'interactions
sociales (sourire, pointage du doigt, échange) et d'un dispositif
plus général de communication, qui comprend des compétences
sociales plus vastes que la seule compréhension des mots
ou de règles : par exemple la capacité à comprendre
les intentions d'autrui (c'est-à-dire avec une théorie
de l'esprit).
Les enfants sont-ils spontanément cartésiens ?
Un des piliers de la philosophie de René Descartes repose
sur la distinction entre l'âme et le corps, conçus
comme deux essences distinctes. L'être humain est ainsi composé
à la fois d'un corps matériel, qui répond aux
lois de la physique et de la biologie, et d'une « âme
» ou « esprit », soumis au règne de la
conscience, de la raison et de la volonté.
On peut donc se demander si le dualisme cartésien est vraiment
une invention de la philosophie occidentale, ou si elle n'est pas
profondément ancrée dans l'esprit humain : une sorte
de structure invariante de la pensée. Paul Bloom, professeur
de psychologie à l'université de Yale (Etats-Unis),
est l'un des tenants de la psychologie évolutionniste. Il
penche nettement en faveur de la seconde hypothèse. Pour
lui, il ne fait aucun doute que les gens sont naturellement «
dualistes ». Les bébés comprennent très
tôt que les objets (un jouet, une table, un arbre) obéissent
à des lois physiques : ils ne bougent pas tout seuls, ne
répondent pas aux sollicitations, ne parlent pas. Inversement,
ils attribuent très tôt aux humains (et aux animaux)
des intentions, des désirs, une volonté propre. En
d'autres termes, ils sont spontanément dualistes. Et, inversement,
R. Descartes n'aurait fait que formaliser sous forme philosophique
une distinction naturellement ancrée dans l'esprit humain.
Pourquoi les enfants aiment tant les histoires ?
Les enfants aiment les histoires, c'est une évidence. Mais
pourquoi ?
Pour le psychologue Jerome Bruner, les récits de toutes
sortes s'accordent spontanément à une structure narrative
de l'esprit humain qui conçoit la réalité sous
forme de séquences d'éléments successifs, de
représentations d'action et d'intentions. Cette attirance
spontanée pour la forme du récit n'est d'ailleurs
pas particulière à l'enfant. Les adultes aussi sont
attirés par les histoires.
Le Petit Poucet, Martine va à la ferme..., à travers
les histoires, dont les héros sont souvent des animaux ou
des enfants, les petits éprouvent et expérimentent
mentalement les situations de danger, les relations à autrui,
les effets possibles de telle ou telle action. Ecouter une histoire,
c'est une façon d'explorer le monde par la pensée.
L'imaginaire n'a donc pas forcément pour but de s'évader
du monde réel. Il sert peut-être au contraire à
s'initier au monde réel, de façon détournée,
par procuration en quelque sorte.
Telle est la thèse soutenue par Paul Harris : par le biais
de l'imaginaire ? jeux, rêves, histoires ?, l'enfant s'ouvre
au monde. L'imaginaire n'est pas qu'un jeu gratuit, une distraction
; il est une condition du développement.
Qu'est-ce que le syndrome de Williams ?
On sait que certains enfants autistes ? souffrant précisément
du syndrome d'Asperger ? manifestent des talents exceptionnels dans
certains domaines : le calcul ou le dessin. Le contraste entre le
retard intellectuel général et l'aisance dans ces
domaines intellectuels intéresse particulièrement
les psychologues spécialistes de l'intelligence. C'est ainsi
qu'on en est venu à étudier de près le cas
fascinant des enfants atteints du syndrome de Williams.
On dit qu'ils ressemblent aux elfes ou aux lutins. Ils semblent
en avoir toutes les caractéristiques. D'abord la morphologie
: petite taille due à un retard de croissance, front haut,
nez en trompette, grande bouche, iris étoilé. Ils
sont enjoués, extravertis, sociables ; ils aiment chanter
et raconter des histoires.
Tel est le profil des enfants atteint du syndrome de Williams,
une maladie génétique rare (1 pour 20 000) due à
l'absence d'un fragment de petite taille (microdélétion)
dans l'un des deux chromosomes 7. Souvent associée à
une malformation cardiaque, cette maladie a été décrite
pour la première fois en 1961 par le cardiologue néo-zélandais
Williams.
Du point de vue de leur personnalité, on les décrit
toujours comme des enfants très sociables, affectueux et
joyeux. De façon générale, ils n'ont pas de
méfiance ou de préjugés à l'égard
des inconnus. Ils sont très volubiles et s'expriment avec
beaucoup d'aisance. Demandez à un enfant de 5-6 ans de décrire
une girafe, il vous parlera « d'un animal avec un grand cou
et des tâches de partout, qui vit en Afrique... » L'enfant
atteint du syndrome de Williams, lui, se lancera dans un discours
sans fin : « C'est un très grand animal. J'en ai vu
au zoo quand j'y suis allé avec ma maman, l'an passé.
Il y avait tout une famille, des petits, des très grands
; sur leur tête, il avait des cornes avec une boule au bout.
La girafe, elle a des grands yeux et elle peut voir très
loin. Si son petit s'en va, elle peut le rattraper parce qu'elle
voit loin et elle à des grandes jambes. Je ne connais pas
d'animal plus grand, etc. » Imaginatif, intarissable, il emploie
même des expressions complexes et des formules sophistiquées,
ce qui contraste avec un retard mental, plus ou moins important.
Leur QI se situe généralement entre 50 et 80 (alors
que la moyenne est de 100).
Particulièrement sensibles aux bruits et à la musique,
ces enfants sont très perturbés par les bruits forts
(pétard, feu d'artifice, aspirateur). Ils ont, pour la plupart,
un sens musical très développé : certains ont
l'oreille absolue, d'autres déploient des dons musicaux exceptionnels.
De même, ils sont particulièrement doués pour
l'apprentissage des langues étrangères.
Comment émergent les capacités symboliques ?
Dans La Formation du symbole chez l'enfant (1945), Jean Piaget
(1896-1980) définissait la « fonction symbolique »
comme un stade essentiel du développement de la pensée.
Vers l'âge de 18-24 mois apparaissent en même temps
le langage, le jeu, le rêve, les images mentales, le dessin
et enfin l'imitation différée (c'est-à- dire
le « faire semblant »). Toutes ces activités
mentales ont en commun de représenter une chose en son absence
par le moyen d'un signe ou d'un symbole. Par exemple en jouant,
un petit garçon utilise un bâton pour figurer une épée
ou un pistolet. Avec la fonction symbolique, l'enfant sortirait
donc de la phase de l'intelligence qualifiée de sensori-motrice
(intelligence purement pratique et concrète) pour entrer
dans le monde des représentations mentales, de l'imaginaire
et des pensées intérieures.
Judy DeLoache a mené des recherches sur la compréhension
par l'enfant des représentations imagées comme outil
symbolique. Les enfants de 9 mois, placés devant des images
réalistes d'objets, ont tendance à confondre l'image
et l'objet réel. Ils tendent la main pour saisir l'image
d'un biberon comme ils le feraient avec un biberon réel.
Cette réaction serait universelle : les enfants de Côte-d'Ivoire
réagissent de la même façon que les petits Américains
ou Chinois. Cependant, s'ils ont le choix entre une image et un
objet réel, ils choisissent ce dernier, preuve qu'ils ont
bien compris tout de même que l'image n'est pas tout à
fait comme l'objet réel, même si elle lui ressemble
beaucoup. Il faudra attendre 18 mois pour que tous les enfants aient
parfaitement compris que l'image ne fait que représenter
l'objet.
|
|