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Origine : La dysmorphophobie : la maladie du triple regard (étude
sociologique) Session : Septembre 1999 Daniela Jacomme IONESCU
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« Dans nos sociétés occidentales, il y a un
impératif d'apparence idéale, de jeunesse et de séduction,
encouragé par les médias et la publicité. L'extension
de ce « souci de soi »,qui prend parfois des proportions
inquiétantes, date de la fin des années `70. Avec
la crise du sens des valeurs et du lien social, l'apparence est
devenue la seule manière d'exister. Le plus profond est la
surface, la peau et les formes du corps sont la seule manière
dont on va exister aux yeux des autres. Dans une société
sans boussole, notre place dans le monde devient problématique.
Ce manque d'investissement de soi par la société est
intériorisé. En plus, la société de
consommation nous pousse à nous dévaloriser pour consommer
davantage. C'est un cercle vicieux et destructeur. » Ces mots
écrits par l'anthropologue David le Breton illustrent très
bien le sujet dont je parle dans mon mémoire.
J'ai choisi comme thème une maladie qui touche de toute
évidence la société occidentale, et qui s'appelle
la dysmorphophobie. Une maladie qui est liée directement
l'image qu'on porte chacun d'entre nous sur son propre corps, et
qui souffre de plus en plus, d'après les opinions des spécialistes,
d'une profonde distorsion. Trop exigeant envers nous-mêmes,
trop occupés à atteindre la perfection en tout, nous
sommes devenus d'un coup les proies faciles de nos propres obsessions.
Incapables de voir la réalité telle qu'elle est, avec
ses limites et ses défauts inhérents, les gens se
proposent des buts théoriquement réalisables mais
qui s'avèrent après tout purement et simplement surréalistes!
« Etre le meilleur » - voilà l'idéal de
chacun de nous dans une société de toute façon
imparfaite ...
La nouvelle relation individu/société, à
l’aube du XXIe siècle
La première analyse dans le cadre de mon travail va se concentrer
autour des changements qui sont intervenus au niveau de la relation
établie entre l’individu et la société
dont il fait partie, dans une perspective postmoderne. . Il y a
tout au long de l’histoire sociale des « moments charnières
» liés à des transformations irréversibles.
Le dernier, pris en compte en tant que tel par, pratiquement tous
les travaux sociologiques, est celui des années ‘68.
Plein de significations sociales, ce moment représente, avant
tout, le début des changements opérés au niveau
des moeurs et des attitudes. On le lie invariablement à la
notion de « liberté » et surtout de « libération
». A partir de ce moment, l’histoire de l’individu
et celle de la société, ont commencées à
être transcrites dans de nouveaux termes. En fait, il s’agit
d’anciens termes, déjà présents dans
l’imaginaire collectif, mais qui changent progressivement
de sens. Je pense, ainsi, à la notion de « famille
» dont le sens traditionnel s’est vu petit à
petit incorporé dans celui de « couple ». Le
terme reste toujours d’actualité, mais il a changé
en grande partie de signification.
La période des années 68 a eu différentes
connotations à travers le monde. Une signification dans les
pays occidentaux, une autre dans les pays du Bloc de l’Est.
Moi, je me rappelle plutôt du Printemps du Prague, avec ses
espoirs liés à la mise en place d’un socialisme
qui rompait une fois pour tout avec la rigueur et l’inertie
stalinienne du communisme importé de l’ex-URSS. Mais
ce qui est intéressant à retenir c’est la façon
dont les mots étaient choisi pour refléter les revendications
(sociales, après tout). Si à Prague on entendait crié
le mot « liberté » (avec son cortège de
significations), de l’autre côté du « Rideau
» celui-ci se voyait changer de sens, en devenant plutôt
« libération ». Le moment 68 est resté
aussi important pour l’Ouest que pour l’Est, mais le
message reste quand même différent.
Je vais garder cette période des années ‘68
comme simple décor pour l’arrière-plan parce
que je la crois devancée par une autre, la période
des années ‘80. Une période qui, apparemment
sans faire trop de bruits, s’est attaquée à
quelque chose de beaucoup plus intime : la vision que l’individu
avait de lui-même. Si jusque là on avait assisté
aux changements des attitudes collectives vis-à-vis de différents
systèmes : social, politique ou bien économique, les
années ‘80 touchent l’individu dans ce qu’il
a de plus profond : son attitude vis-à-vis de lui-même.
Ainsi, une fois le goût de défier le système,
passé, et la sensation de vivre « libéré
» vécue, l’individu cherche à contourner
l’état d’inertie, dont il a horreur, et trouve
comme échappatoire sa propre personne avec une double perspective
: corps et imaginaire. Et le défi est relevé : on
commence à défier ses propres limites physiques, intellectuelles,
sentimentales. Et c’est justement ce moment-là qui
m’intéresse. Je trouve que l’individu «
incertain » et fatigué qu’on connaît aujourd’hui,
représente entièrement son chef-d’œuvre.
Et comme la dysmorphophobie, en tant que maladie psychique, a aussi
une origine sociale, je la lie à l’existence d’un
individu de plus en plus fragilisé, vivant à l’intérieur
d’une société en manque de repères. Je
vais, ainsi, commencer mon travail par la caractériser en
quelques lignes.
Le charme postmoderne d’une société
incertaine
Umberto Eco, dans son livre « Au nom de la rose »,
réussit à donner une définition plus que pittoresque
à « l’attitude » postmoderne. « La
réponse post-moderne au moderne consiste à reconnaître
que le passé, étant donné qu’il ne peut
être détruit parce que sa destruction conduit au silence,
doit être revisité : avec ironie, d’une façon
non innocente. Je pense à l’attitude postmoderne comme
à l’attitude de celui qui aimerait une femme très
cultivée et qui saurait qu’il ne peut lui dire : «
je t’aime désespérément » parce
qu’il sait qu’elle sait (et elle sait qu’il sait)
que ces phrases, Barbara Cartland les a déjà écrites.
Pourtant, il y a une solution. Il pourra dire : « Comme dirait
Barbara Cartland, je t’aime désespérément
». Alors en ayant évité la fausse innocence,
en ayant dit clairement qu’on ne peut pas parler de façon
innocente, celui-ci aura pourtant dit à cette femme ce qu’il
voulait lui dire : qu’il l’aime et qu’il l’aime
à une époque d’innocence perdue. Si la femme
joue le jeu, elle aura reçu une déclaration d’amour.
Aucun des deux interlocuteurs ne se sentira innocent, tous deux
auront accepté le défi du passé, du déjà
dit que l’on ne peut éliminer, tous deux joueront consciemment
et avec plaisir au jeu de l’ironie ... mais tous deux auront
réussi encore une fois à parler d’amour »1
Réanalyser la modernité, armés d’une
nouvelle mentalité, complètement différente,
nous permet ainsi de surprendre l’originalité de l’époque
post-moderne. Toutes les valeurs traditionnelles, attachées
à la modernité, vont changer de sens, dans un processus
de renouvellement. D’autres valeurs traditionnelles vont passer
pour anachroniques mais elles ne seront jamais oubliées.
Ainsi, Nicolas Riou, fait un inventaire parallèle des valeurs
modernes et postmodernes. Comme valeurs modernes il cite : la raison,
le progrès, la science (empirisme/technologie), l’universalisme,
le travail, la réalité, l’épargne, l’effort,
la liberté, la nation, le devoir, la morale et le désintéressement.
Les valeurs postmodernes seraient : le pluralisme, l’hétérogénéité,
la fragmentation, le globalisme, le multi-culturalisme, l’image,
la juxtaposition, le mélange, la tolérance, la non-hiérarchisation,
le ludisme et le popularisme. 2
Quant au philosophe Jean-François Lyotard, il conçoit
le postmodernisme en tant que « incrédulité
à l’égard des métarécits. celle-ci
est sans doute un effet du progrès des sciences mais ce progrès
à son tour la suppose. A la désuétude du dispositif
métanarratif de légitimation correspond notamment
la crise de la philosophie métaphysique, et celle de l’institution
universitaire qui dépendait d’elle. La fonction narrative
perd ses foncteurs, le grand héros, les grands périls,
les grands périples et le grand but. Elle se disperse en
nuages d’éléments langagiers narratifs, mais
aussi dénotatifs, prescriptifs, descriptifs etc., chacun
véhiculant avec soi des valences pragmatiques « sui
generis »3
En même temps « les universitaires américains
Firat et Venkatesh estiment que le marketing est devenu un nouveau
« métarécit » de nos sociétés
occidentales. Pour eux, le marketing est postmoderne par essence,
autrement dit, il tend à installer les conditions de la postmodernité.
Il privilégie le règne de l’image sur la réalité,
il développe la fragmentation, l’indifférence,
l’érosion des barrières modernistes. Mais, aussi,
il prend à contre-pied le modèle moderniste qui fixait
des contraintes, édictait des règles. Le marketing
n’impose rien, il n’est préoccupé que
par le marché, en voie de devenir l’instance de régulation
suprême »4
Cette « crise de légitimation » explique pourquoi
aujourd’hui les valeurs traditionnelles passent pour quelque
chose qui a prouvé une fois pour toute sa validité
et qui doit faire place à d’autres. Mais, à
mon avis, le problème est justement là. Apparemment
l’individu est incapable, pour le moment, de trouver un nouveau
système de valeurs, aussi viables que les anciennes. Tout
ce qu’il a pu faire, c’est créer, autour de lui-même,
un empire de l’éphémère ! Cette crise
durera encore quelque temps tout en gardant comme règle du
jeu le « politiquement correct ». « Quand le modèle
social unique éclate, quand la morale et les valeurs ne parviennent
plus à s’imposer pour contrôler les comportements
individuels, le « politiquement correct » devient le
nouveau garde-fou », affirme Nicolas Riou5.
L’individu, de plus en plus libre dans ses choix de comportement,
de vie, de sentiments, apprend à tout permettre si cela ne
touche pas à son petit univers. Ainsi, toutes les barrières
tombent les unes après les autres. Tout devient normal, tout
est possible. Celui qui risque de contrarier, par sa position, le
« politiquement correct », aussi bien que celui qui
a encore recourt à des valeurs anciennes pour guider sa vie,
va être, dans le meilleur des cas, toléré au
sein de la société. A mon avis, cette tolérance
exhibée comme la dernière grande acquisition de la
société occidentale, sert comme accusation virulente
contre tous ceux qui restent encore fidèles aux valeurs traditionnelles.
« La culture postmoderne c’est l’émiettement
des valeurs qui facilite la perte des repères, le flou généralisé
dans lequelle nos sociétés cherchent leur voie. C’est
aussi le manque de foi à l’égard des normes
et des valeurs traditionnelles, qui engendre le pluralisme, l’éclectisme,
et favorise l’émergence de nouveaux comportements.
(...) Elle favorise l’émergence d’un nouveau
type d’individu, à géométrie variable,
changeant ses comportements de consommation en fonction des aspirations
du moment, des envies » 6
Pour mieux décrire les traits principaux de la postmodernité,
je vais m’appuyer sur le livre de Nicolas Riou, le seul document
qui, à mon avis, réussit à ordonner d’une
façon logique toutes les informations concernant cette époque.
La culture médiatique se substitue à la culture
classique
« La culture des médias comprend tout ce qui participe
à la nouvelle culture du spectacle et est amplement relayée
par les médias internationaux. C’est l’amalgame
de personnalités et d’événements disparates,
appartenant à des disciplines différentes. Leur point
commun : avoir été crées par les médias.
Ces derniers leur portent un intérêt tel qu’ils
en deviennent essentiels à leur époque. Apparaissant
comme les nouveaux fondements de l’imagination collective,
leur dimension est désormais universelle. (...) Cette culture
est éclectique. (...) Un assemblage de personnalités
disparates, qui illustrent la pluralité de l’époque
et finissent par s’imposer comme les nouveaux ambassadeurs
de la culture médiatique. (...) Peu importe leur origine
ou leur domaine d’activité, les nouveaux ambassadeurs
de la culture médiatique sont avant tout choisis selon leur
aptitude à passer auprès des médias. (...)
Leur point commun est leur pouvoir de séduction. (...) La
culture médiatique est hétérogène, éphémère
et s’oriente là où l’actualité
médiatique l’appelle, sans craindre la superficialité
»7
Ce premier trait de la postmodernité est très important
parce qu’il joue un immense rôle dans les changements
opérés au niveau de l’imaginaire humain. On
doit comprendre le fait que, en perfusant continuellement, pendant
des années, des images véhiculant la performance professionnelle
et la perfection physique, et cela dans une société
en manque de repères, on ne fait qu’aider l’individu
(replié déjà sur lui même) à développer
un état, même diffus, de mécontentement vis-à-vis
de lui-même. Cet état peut avoir comme conséquence
une mobilisation de l’individu pour « franchir »
des barrières (après tout, tout est possible!), mais
il peut aussi augmenter son angoisse et le pousser vers la dépression.
C’est uniquement, une question de temps. Et, même si
maintenant la nouvelle génération sait développer
un esprit critique vis-à-vis du message véhiculé,
les résultats de la cure médiatique déroulée
tout au long des années ‘80, commencent à être
visibles uniquement aujourd’hui. Je pense surtout aux pourcentages
des américains, hommes et femmes, ayant « une image
de soi négative ». Mais, il s’agit uniquement
d’une hypothèse.
La fragmentation de la société en tribus,
et l’accroissement de l’indifférence
« La société postmoderne se fragmente en de
multiples sous-groupes. (...) L’ère moderne proposait
une vision universelle de la société et un système
de valeurs qui opérait comme un fort ciment social. Les clivages
sociaux étaient donc plutôt liés à la
classique division capitaliste de la société en classes
sociales qu’à des systèmes de valeurs différenciés.
A ces logiques de clivages verticaux succèdent de nouvelles
logiques horizontales. (...) Les tribus d’aujourd’hui
présentent une spécificité forte par rapport
aux mouvements des années ‘70. C’est leur aspect
évanescent, éphémère. (...) Aujourd’hui,
l’adhésion à une tribu reste ponctuelle. (...)
c’est le mélange d’appartenances variées
à différentes tribus, en fonction des moments, qui
conduit à la culture plurielle de la société
postmoderne »8
De toute évidence, la recherche de nouveaux liens sociaux
est plus qu’évidente. Tout seul dans sa petite coquille,
l’individu commence à se rendre compte que, même
le plus grand confort ne réussit pas à épargner
le vide qui le ronge à l’intérieur. En coupant
tous les ponts avec le monde traditionnel (évolution oblige
!), il s’est retrouvé seul et ... performant ! En arborant
l’attitude discrète comme condition des relations civilisées,
il réalise qu’il s’efface petit à petit,
dans un monde aussi effacé que lui. Ces tribus peuvent représenter,
même si elles sont ponctuelles et éphémères,
un début de retour à la normalité, à
un style de vie basé sur des liens forts et sur la communication
interhumaine.
En même temps « chaque entité culturelle, chaque
mode de vie développe ses propres codes, ses propres systèmes
de valeurs et de références. En conséquence,
les valeurs se fragmentent. A un système homogène
orientant la société tout entière, s’est
substituée une multitude de valeurs disparates, correspondant
à chacun des micro-groupes sociaux. (...) Toute identité
personnelle ou collective devient légitime et respectable.
Les anciennes hiérarchies, qui structuraient la société,
s’effacent progressivement. Cette atomisation s’accompagne
d’un repli sur soi ou sur son groupe. Plutôt que de
s’intéresser aux modes de vie et de pensée des
autres, on renforce le lien à l’intérieur de
son propre groupe. (...) Cette situation pourrait rapidement menacer
la cohésion sociale. Si elle est viable, c’est parce
qu’un nouveau ciment a fait son apparition : un respect qui
s’apparente à de l’indifférence. A une
nation unie autour d’un système de valeurs, et résultant
du choix positif de chacun de ses membres d’aller dans la
même direction, se substitue une nation à géométrie
variable »9
La carte du « mélange » jouée
à la fois dans l’espace social et dans le domaine culturel
« Le champ du social est le théâtre d’un
recul des hiérarchies héréditaires, des anciennes
distinctions qui structuraient la société moderne.
Tout devient acceptable en l’absence de modèle dominant
»10
L’auteur donne comme exemples illustratifs : le rapprochement
des comportements des différentes classes d’âge;
l’effacement du modèle patriarcal; l’effacement
de la distinction entre sexes; tendance de confusion entre l’espace
privé et professionnel.
Ainsi, dans le premier cas il s’agit d’abord de la
disparition du « rite de passage » entre l’adolescence
et la vie adulte (l’armée pour les jeunes garçons,
le mariage pour les jeunes filles). Mais, on constate le même
phénomène entre les adultes et leurs aînés,
surtout, je crois, à cause du rejet de l’imaginaire
social, du vieillissement en tant que preuve incontestable de notre
défaite face au temps. Dans le cas de l’effacement
du modèle patriarcal, ce qui est remis en discussion c’est
le mariage traditionnel mettant en place le couple « père-mère
», et autour d’eux, les enfants. « La sociologue
Irène Théry déclarait au Nouvel Observateur
que « près de 5 millions de personnes vivent en union
libre, 40% des enfants naissent de parents non mariés »
11.
Quant à la confusion des rôles homme/femme dans la
société contemporaine, tout est lié, dans la
plupart des cas, au fait que, dans un couple de nos jours, les deux
partenaires travaillent mais, en plus, le père commence de
plus en plus à remplir des tâches domestiques, comme
celle de s’occuper des enfants, des tâches autrefois
destinées exclusivement à la mère. Pour le
dernier exemple, Riou choisit de présenter l’impact
de la nouvelle technologie sur la manière d’envisager
le travail. fax, portable, ordinateur, tout concoure à brouiller
la limite entre l’espace professionnel et privé.
En ce qui concerne la disparition des hiérarchies dans la
culture contemporaine, d’après l’auteur celle-ci
devient « un immense puzzle où l’on assemble
des parties hétérogènes, voire contradictoires.
Ainsi du nouveau tour que prend l’information. (...) Sous
le règne du marché, l’information fait place
à « l’infotainement », mélange d’information
et de divertissement. (...) L’amalgame entre la culture élitaire
et la culture populaire témoigne aussi de cet effacement
des vieilles distinctions. (...) La culture postmoderne est cool,
cosmopolite et décomplexée. Sous l’impulsion
du marché, elle balaye les vieilles oppositions. Chacune
des principales facettes de la création culturelle est gagnée
par une envie de faire cohabiter les contraires, de réconcilier
les anciens antagonismes »12.
Le pouvoir de l’image
« La plupart des nouveaux moyens de communication privilégient
l’image sur le discours, la forme sur le fond. Nous entrons
dans l’ère de ce que les chercheurs et sociologues
appellent « hyperréalité », qui signifie
la prise du pouvoir par l’image. Ce qui était initialement
du domaine de la simulation ou de l’image devient réel.
(...) Les images se substituent au réel ! (...) La consécration
de Lara Croft au rang de première star virtuelle est un signe
des temps. L’héroïne du jeu vidéo «
Tomb Raider », immense succès mondial avec plus de
trois millions d’exemplaires vendus dans le monde, tient désormais
sa place dans le top 5 des stars de la culture jeune. Accédant
à une notoriété mondiale, elle fait la couverture
des magazines, du journal anglais « The Face » à
« Libération » en France. Le plus surprenant
est que cette créature purement immatérielle réussit
à créer des phénomènes d’identification
de la part des jeunes, comme une vraie star du cinéma. Et
que pour la première fois, le réel part d’un
point de départ virtuel : les stylistes musiciens et designers,
s’emparent de cette créature d’image et en dérivent
des produits bien réels. Les technologies sont prêtes
à peupler notre imaginaire de créatures semblables.
Et, comme l’écrivait O. Séguret dans «
Libération », le 27 juillet 1997, on peut se demander
si Lara n’est pas « une sentinelle avancée d’un
peuple virtuel encore à nos portes ». Mais le phénomène
ne concerne pas que le futur, il prétend nous offrir une
révision virtuelle de l’histoire. (...) Le mode revival
du Che célébrant le 20e anniversaire de sa mort en
1997, illustre la mécanique de « déréalisation
» de l’histoire. Le personnage a été mythifié
par les médias comme incarnant une certaine image du romantisme
(vivre vite et mourir jeune), à l’égal de Rimbaud
ou James dean. Le marché s’est vite emparé du
mythe et, les documentaires, les CD, les merchandising se sont développés,
véhiculant une image soft de l’ancien leader castriste
»13
J’ai préféré de rendre cette citation
dans sa quasi intégralité à cause de son extrême
importance dans mon analyse. C’est probablement le plus important
aspect de la culture postmoderne. L’individu, depuis quelques
décennies, se trouve totalement sous l’emprise de l’image.
Et s’il était habitué avec celle en deux dimensions,
maintenant il commence à pénétrer de plus en
plus dans l’espace fabuleux du 3D. Il connaît ainsi
un autre univers, beaucoup plus fascinant que la réalité
quotidienne. Les jeux vidéo s’adressent à toutes
les tranches d’âge, en ouvrant pratiquement un monde
parallèle. Et, une fois entré, on est pris au piège.
Des heures et des heures collé devant la télé,
on se laisse entraîner dans la logique diabolique du jeu en
oubliant tout ce qui se passe autour de soi, en s’oubliant
soi-même.
Si la télé représentait autrefois «
la boîte à malheur », elle se retrouve aujourd’hui
remplacée par la console vidéo. Et comme il s’agit
de l’intéractivité, l’individu arrive
presque à se confondre avec le personnage du jeu. Lara Croft,
personnage d’un jeu d’aventure, représente le
cas le plus concluant. Prototype de la femme de notre fin siècle,
capable de surmonter, toute seule, n’importe quelle difficulté,
d’un look respectant la condition d’un corps soigné
et maintenu dans sa meilleure forme, cette héroïne aide,
en fait, les gens de se dépasser eux mêmes, de se prouver
qu’il n’y a pas d’obstacle infranchissable. La
sensation éprouvée, après avoir fini un niveau,
est voisine à l’euphorie. On a l’impression d’avoir
accompli quelque chose d’extraordinaire, comme si la réalité
serait là, dans le jeu, et pas autour de soi. Quant au succès
de cette « femme virtuelle », en dehors de l’espace
vidéo, cela dit beaucoup si l’on pense que, jusqu’à
aujourd’hui, les stylistes avaient comme poupée-fétiche,
la célèbre Barbie. On change d’époque,
on change de modèles.
Voilà le court rappel des traits de la société
postmoderne. Au milieu de ses transformations se trouve l’individu,
capable ou pas de s’adapter. Liée à ce phénomène
d’adaptation, « l’image de soi » peut tourner
vers le côté négatif, dans le cas d’une
personne fragile psychiquement. Mais avant d’analyser le concept
« d’image de soi », on doit insister un peu sur
l’individu de nos jours et sur son univers ... postmoderne
!
L’individu face à lui même
« Directement issu de la pensée des Lumières,
l’individu de l’ère moderne obéissait
à une logique de l’identité. Autrement dit,
il ne pouvait avoir qu’une seule identité sexuelle,
idéologique, professionnelle. (...) L’individu postmoderne
présente, en revanche, des contours indéfinis. Obéissant
au principe des sincérités successives, il est en
état de vagabondage affectif, idéologique et professionnel.
L’individu d’aujourd’hui est devenu fluide, éparpillé.
Il n’hésite pas à virevolter d’une tribu
à l’autre, et ses attitudes se fragmentent en fonction
de ses aspirations, de ses émotions du moment. Guidé
par la revendication du droit d’être absolument soi-même,
il multiplie des comportements qui pouvaient auparavant sembler
contradictoires : banquier le jour, raver le soir ! »14
« Etre absolument soi-même », « compter
exclusivement sur soi-même », « s’aimer
soi-même », toute une panoplie de nouveaux comportements
à l’intérieur de la postmodérnité.
L’ère du « Soi-même » ! Plus que
jamais, l’individu se fie à la solitude pour se sentir
épanouit. Comme si, le fait de faire confiance à Autrui,
serait équivalent à l’écrasement de sa
propre personnalité. On s’en sert d’une séduction
contrefaite pour mieux cacher la peur d’aller à l’encontre
de l’autre, on garde une attitude réservée pour
pouvoir toujours conserver un espace qui peut servir comme une échappatoire.
En même temps on se met à l’abri de ceux qui
oseraient briser notre solitude protectrice. « Chacun pour
soi », résume bien ce que vivent la plupart des gens
aujourd’hui. Et on n’appelle pas ça de l’égoïsme,
mais de la mise en garde pour ne pas être blessé, parce
que la solitude rend l’individu fragile. Le manque de communication
le rend susceptible, angoissé, mécontent, critique,
et le repli exclusivement sur lui-même.
« Aujourd’hui, chacun, d’où qu’il
vienne, doit faire l’exploit de devenir quelqu’un en
se singularisant. Cette exigence implique non de s’identifier
à un modèle supérieur établi à
priori, mais, (...) de forger son propre modèle : réussir
à être quelqu’un, c’est entreprendre de
devenir soi-même. Nous sommes donc entrés dans l’âge
de l’individu quelconque, c’est-à-dire un âge
où n’importe qui doit s’exposer dans l’action
personnelle afin de produire et montrer sa propre existence au lieu
de se reposer sur des institutions qui agissent à sa place
et parlent en son nom »15
Pour analyser les transformations intervenues dans la conduite
de l’individu produit de la postmodernité, j’ai
choisi d’employer des termes génériques. Ainsi,
il s’agit du processus de personnalisation, avec son double
enjeu : l’émergence du Moi et du néo-narcissisme,
et la dépression en tant que réponse directe à
la généralité du phénomène de
compétition.
Le Moi, la nouvelle identité de l’individu
postmoderne
« Un nouveau stade de l’individualisme se met en place
: le narcissisme désigne le surgissement d’un profil
inédit de l’individu dans ses rapports avec lui-même
et son corps, avec Autrui, le monde et le temps, au moment où
le capitalisme autoritaire cède le pas à un capitalisme
hédoniste et permissif. (...) En canalisant les passions
sur le Moi, promu ainsi au rang de nombril du monde, la thérapie
psy, (...) génère une figure inédite de Narcisse,
identifié désormais à « homo psychologicus
». (...) Dans ce dispositif psy, l’inconscient et le
refoulement occupent une position stratégique. Ils sont des
opérateurs cruciaux du néo-narcissisme : poser le
leurre du désir et la barre du refoulement est une provocation
qui déclenche une irrésistible tendance à la
reconquête du Moi : « Là où ça
était je dois advenir »16
Lipovetsky réduit tout à la dimension psychologique
des choses. Pour lui, l’émergence du Moi dans la société
postmoderne est liée à une sorte de mutation anthropologique,
c’est-à-dire l’apparition de « l’homo
psychologicus ». Entre outre, il considère la postmodernité
comme la phase ultime de « l’homo aequalis ».
De la même façon que dans un étude de psychanalyse,
l’inconscient joue un rôle capital. Quant au narcissisme,
doué d’une capacité d’auto-absorption,
c’est lui qui permettrait à l’individu de s’adapter
fonctionnellement à l’isolation sociale et de transformer
le Moi en cible de tous les investissements. Dans l’ordre
logique des choses, une fois le Moi devenu centre de toutes les
références, la relation avec Autrui sera, par conséquent,
détruite. La dépendance de l’individu envers
les autres ne fait que diminuer. En même temps l’état
d’incertitude de l’individu augmente. « Comme
l’espace public se vide émotionnellement par excès
d’informations, de sollicitations et d’animations, le
Moi perd ses repères, son unité, par excès
d’attention : le Moi est devenu un ensemble flou. Partout
c’est la disparition du réel lourd, c’est la
désubstantialisation, ultime figure de la déterritorialisation,
qui commande la postmodernité »17
La dissolution du Moi conduit à l’instauration d’une
éthique permissive et hédoniste et d’un état
d’indifférence pure, source d’un social atone.
Mais, en même temps, en éliminant « les résistances
et les stéréotypes » il s’ouvre à
« l’assimilation de modèles de comportement »,
on assiste à la naissance d’un « esprit plié
à la formation permanente » et à l’expérimentation.
Le Moi dissout explique la disparition des rôles sociaux,
« jadis strictement définis », en instaurant
une « identité entre les individus ». L’Autre
se retrouve ainsi écarté de la scène sociale,
et une nouvelle division se met en place : entre conscient et inconscient.
« Je est un Autre -amorce le procès narcissique, la
naissance d’une nouvelle altérité, la fin de
la familiarité du Soi avec Soi, quand mon vis-à-vis
cesse d’être un absolument Autre : l’identité
du Moi vacille quand l’identité entre les individus
est accomplie, quand tout être devient un « semblable
»18
Dans la vision de Lipovetsky, le processus de personnalisation
ne fait que dégeler les codes sociaux et en inventer d’autres
dans le but déclaré de produire une personne pacifiée.
Son comportement, pour être authentique, doit être cool,
chaleureux et communicatif, loin des manifestations trop exubérantes.
L’authenticité doit se manifester dans un « cadre
préétabli », suivant de nouvelles normes. On
prend la discrétion pour la forme moderne de la dignité,
comme la marque du self-control. La sentimentalité ne peut
que gêner mais, en la déclarant « sentiment interdit
», la personnalisation contribue à « l’éradication
des signes rituels et ostentatoires du sentiment ». On parle
de pudeur sentimentale, d’une fuite devant les signes de la
sentimentalité. Mais cette attitude ne fait que rendre de
plus en plus difficile la possibilité d’établir
de vraies relations d’amitié ou d’amour. Parce
que rester continuellement dans une position d’attente ne
fait que diminuer « le miracle fusionnel ». «
Désolation de Narcisse, trop bien programmé dans son
absorption en lui-même pour pouvoir être par l’Autre,
pour sortir de lui-même, et cependant insuffisamment programmé
puisque encore désireux d’un relationnel affectif.
»19
Deuxièmement, la personnalisation conduit au « désinvestissement
du conflit » et à la détente, ainsi l’individu
est moins désireux d’être admiré par les
autres, mais aussi moins envieux d’eux. Par conséquent
l’Autre perd le rôle de pôle de référence,
l’individu ne se préoccupant que d’être
« soi » absolument. « L’homo psychologicus
aspire moins à se hisser au-dessus des autres qu’à
vivre dans un environnement détendu et communicationnel,
dans les milieux « sympa », sans hauteur, sans prétention
excessive. (...) Le désir de reconnaissance a été
colonisé par la logique narcissique, il se transistorise,
devenant de moins en moins compétitif, de plus en plus esthétique,
érotique, affectif. »20
La vision que Lipovetsky a sur le processus de personnalisation
semble plutôt optimiste. Il donne l’impression de ne
regarder que le bon côté des choses. Pour lui, le narcissisme
remplit une sorte de fonction thérapeutique en aidant l’individu
à devenir ce qu’il appelle « une personne pacifiée
». Mais si ce pacifisme est bâti sur le repli exagéré
sur soi, sur l’absence totale d’intérêt
pour l’Autre et sur la destruction des relations interhumaines,
je ne sais pourquoi, mais il n’y a aucune différence
avec l’inertie de la mort !
Elisabeth Badinter choisit d’approfondir le sujet du manque
de lien dans le cas du couple contemporain. Et elle réussit
ainsi à mieux expliquer l’indifférence qui suit
le processus de personnalisation. Dans sa vision « Nous voilà
confrontés à un triple défi : concilier l’amour
de soi et l’amour de l’autre; négocier nos deux
désirs de liberté et de symbiose; adapter enfin notre
dualité à celle de notre partenaire, en tentant d’ajuster
constamment nos évolutions réciproques ».21
L’auteur met en avant le rapprochement actuel des sexes et
la dualité qui se manifeste de plus en plus fort en chacun
des nous. Elle nous appelle « des androgynes imparfaits »
qui recherchent à la fois l’autosuffisance et la relation
fusionnelle.
« L’émergence de notre nature androgynale multiplie
nos exigences et nos désirs. Nous voulons tout parce que
nous éprouvons nous-mêmes comme une totalité
en soi. Nous avons le sentiment plus ou moins prononcé d’être
un exemplaire représentatif de toute l’humanité.
Un succédané de la totalité divine. Nous nous
voulons complets et autosuffisants, mais l’altérité
intériorisée enlève de l’urgence et du
piquant à sa recherche. A présent, l’Autre a
un prix à ne pas dépasser. Il est désiré
s’il enrichit notre être, rejeté s’il lui
demande des sacrifices. (...) Si c’est l’Autre qui est
cause de notre insatisfaction, nous le quittons. Mieux vaut cultiver
son Moi qu’étouffer un aspect de sa personnalité.
Si nous ne savons pas nous faire aimer tels que nous sommes, en
revanche nous sommes toujours prêts à nous aimer avec
passion ».22
Dans la vision de Badinter, le Moi a été promu au
rang de « bien le plus précieux », doté
d’une valeur esthétique, économique et morale.
Sa valeur absolue va de pair avec la valeur relative reconnue à
l’Autre. On est prêt à tout miser sur lui en
le transformant en un vrai objet de culte et de culture. Sa dévalorisation
est similaire au pire des échecs (traduit par des réactions
désespérées comme le suicide ou la drogue).
Il est lié directement à l’existence du narcissisme,
poussant l’individu à s’aimer soi-même
plus que tout. L’amour de soi est devenu une éthique.
Et, évidemment, « tout cela influe directement sur
notre façon d’aimer. L’amour oblatif - qui a
longtemps le modèle de l’amour - a des sérieuses
limites, ainsi qu’on l’observe dans la relation conjugale
et même maternelle. (...) D’abord on procrée
pour satisfaire en priorité un désir personnel et
l’on répugne à avoir un enfant dont on n’a
pas envie, dans le seul but de faire plaisir à l’Autre.
Encore moins pour que survive l’espèce, ou autre nécessité
socio-économique. (...) L’amour oblatif est encore
plus limité dans la relation conjugale, notamment parce que
l’Autre n’est pas une partie de Soi au même titre
que l’enfant. L’altruisme est contrebalancé par
l’impératif de la réciprocité. Consciemment
ou non, nous procédons à une stricte évaluation
des pertes et profits du Moi. Donner pour recevoir, telle est la
condition du couple »23
Peut-être ses considérations portées sur la
manière dont une famille est conçue aujourd’hui,
semblent trop excessives. Mais la réalité est là,
à côté de chacun de nous. On aime bien réfléchir
avant de faire le pas. Je traduirais cette attitude par un manque
totale de confiance à la fois en soi et en l’autre.
On ne veut pas risquer. Peur d’être blessé et
de souffrir ? Ou l’horreur devant la perspective d’avoir
perdu du temps en faisant un mauvais investissement ? Ou simplement
de l’égoïsme ? De toute façon, la notion
de « famille » telle qu’on la connaissait autrefois,
a beaucoup changé. Réduite à l’état
de « pacte », elle montre clairement l’hésitation
de l’individu à assumer tout seul et non pas poussé
par la société, des responsabilités. Le contrat
de mariage impliquait automatiquement la « clause »
de fidélité des deux partenaires. Le pacte ne pose
pas de questions là-dessus. Une fois de plus, l’individu
essaie de repousser tout ce qui peut entraver sa liberté.
Plus que s’aimer soi-même, on aime se sentir libre de
tout faire, de tout essayer. Une preuve de plus qui témoigne
d’un égocentrisme sans mesure. On résume tout
à soi en tant que seul point de référence et,
par conséquent, on élimine tout ce qui ne va pas avec.
Une règle simple et efficiente qui ne peut que nous réconforter
dans notre univers où Moi est le centre !
« A tout prendre, les jeunes générations choisissent
de plus en plus aisément les risques de la solitude à
l’union tensionnelle de moins en moins supportée. Trois
mots expliquent ce changement d’attitude : liberté,
complétude, et apathie, avec ses connotations positives et
négatives. (...) En vérité, le couple, loin
d’être un remède contre la solitude, en sécrète
souvent les aspects les plus détestables. (...) En nous faisant
abdiquer notre liberté et notre indépendance, il nous
rend plus fragiles encore, en cas de rupture ou de disparition de
l’Autre. (...) Pour lutter contre cette solitude-là
- la pire des aliénations -, on apprend, non sans plaisir,
à vivre pour soi et de cultiver son Moi. Nul doute que nous
y sommes puissamment aidés par notre narcissisme exacerbé
et l’idéal de la complétude qui est devenu le
nôtre. Protéger son Moi des risques d’une souffrance
venue de l’Autre est devenu un impératif catégorique.
»24
Badinter étend son analyse du couple aux sentiments mêmes
qui le fondent. Et elle observe le manque de vraies passions et
de désir, faute de l’importance accrue du modèle
de la ressemblance qui lui sert comme fondement. Ce modèle
remplace de plus en plus celui de la complémentarité
qui était d’actualité autrefois. Le but même
de l’union a changé, c’est de retrouver en l’Autre
notre jumeau plutôt que notre complément. En outre,
la relation amoureuse commence de plus à plus à s’inspirer
du modèle de l’amitié et pas de celui de la
passion. Les passions impliquent parfois des déchirements
et de la souffrance. On les oublie comme on oublie de la même
manière la perspective de devenir dépendent de l’Autre,
en choisissant la sérénité, la transparence
et la confiance. « Aujourd’hui, l’Amour-Tendresse
est au rendez-vous du mariage; on reste marié tant que l’on
en éprouve de la satisfaction. (...) L’amour se veut
intense mais non passionnel, la relation paisible et non guerrière.
L’union des coeurs se nourrit de la transparence propre à
l’amitié. Aujourd’hui on attend du couple une
réussite parfaite dans tous les domaines : affectif, sexuel,
intellectuel, matériel. Rien ne sera fait pour sauver une
union branlante. Au nom de l’authenticité, on se sépare.
C’est le salut ou l’enfer. »25
Dans la société d’aujourd’hui, le couple
ne représente plus la seule variante qui assure l’intégration
de l’individu. Un fort nombre de personnes vivent seules,
soit par la force des choses, soit parce qu’elles ont choisit
la solitude comme mode de vie. Et, il y a de plus en plus de gens
qui font ce choix aujourd’hui. La solitude dévient
ainsi une « expérience banalisée » et
elle progresse dans le groupe des moins de 30 ans et des divorcés.
La personne célibataire n’a plus une connotation négative,
elle n’est plus jugée par la société
comme étant suspecte et dangereuse. Le célibat constitue
aujourd’hui un choix surtout pour ceux qui habitent en-haut
de l’échelle sociale. « L’ambition féminine
et les carrières valorisantes sont des puissants facteurs
de solitude ou d’appartements séparés ».26
Choisie ou forcée, transitoire ou définitive, la solitude
est de plus en plus préférée au lien forcé.
A travers les quelques paragraphes du livre d’Elisabeth Badinter,
on a eu l’occasion de mieux se rendre compte en quoi consiste
aujourd’hui, en pleine postmodernité, la relation Moi-Autre,
surtout dans le cas particulier du couple. On a pu constater comment
des valeurs traditionnelles sont en train de changer de contenu
tout en gardant la forme. C’est le cas de la « famille
» qui reste de plus en plus considérée comme
une simple choix et non pas comme une obligation fondamentale. Le
couple postmoderne n’a presque rien à voir avec la
famille connu par nos grands-parents. Les règles qui lui
servent comme base sont dictées surtout par une longue réflexion,
accompagnée d’un amour de soi plus grand que jamais.
Signe d’évolution ou de perte de repères ? Cela
reste à voir. Ce qui est important, c’est que, une
fois de plus, l’individu préfère au rapport
à l’Autre, le repli sur Soi, son univers meublé
des incertitudes et des défis à relever, ayant comme
centre le Moi !
La dépression ou le coût de la personnalisation
Le processus de personnalisation a transformé profondément
l’individu postmoderne. « Etre soi-même »
est devenue équivalent à « être performant
» coûte que coûte. La vie s’est transformée
dans une course en solitaire vers des buts qui ne peuvent être
atteints que dans le domaine de l’imaginaire. Parce que l’état
de performance demande de la part de chacun d’être jeune
et dynamique tout au long de sa vie, si cela est possible. On a
le droit de montrer aucun signe de faiblesse, que ce soit physique
ou moral. Dépasser l’âge (biologique) de la jeunesse
signifie être mis hors compétition et donc mis à
l’écart de la vie sociale. Par conséquent, on
doit tout faire pour « tromper l’œil » et,
plus encore, se tromper soi-même. Un environnement à
l’allure de simulacre, ne peut engendrer qu’un comportement
artificiel. Se mentir à soi-même dans le but déclaré
de se faire passer pour l’authenticité même,
c’est l’effort quotidien de l’individu postmoderne.
Et, d’après le constat d’Alain Ehrenberg, cela
coûte assez cher. Pour rester celui qu’on n’est
pas, on le paie avec un état de dépression, qui devient
de plus en plus courant, de plus en plus banal. Parce que, pour
dépasser cet état et rester dans la course de la performance,
on a cherché des remèdes. « On annonce des molécules
pour chaque type de récepteur sérotoninergique (une
quinzaine ont été découverts) et noradrénergique.
« A déprimés divers, antidépresseurs
différents », titre une revue médicale française
en 1996. (...) Au total, nous disposerions aujourd’hui de
produits apparemment anodins et efficaces dans les divers symptômes
de la dépression. « Ecarter la dépression devient
aussi simple que d’éviter la grossesse : prenez votre
pilule et soyez heureux », écrit-on dans le «
Lancet » en 1990. (...) Une économie de la sérotonine
s’est développé depuis une dizaine d’années.
»27
L’analyse effectuée par Alain Ehrenberg sur le rôle
joué par les antidépresseurs dans cette société
de fin de siècle, me semble la plus pertinente. Et la plus
réelle aussi. Elle s’oppose encore plus à la
vision optimiste qu ’à Lipovetsky sur le processus
de personnalisation. Dans les trois livres qui étudient l’individu
de nos jours (Le culte de la performance, 1991; L’individu
incertain, 1995; La fatigue d’être soi, 1998) il réussit
très bien à caractériser la société
en crise des années ‘80-’90. En utilisant ses
recherches, on peut très bien argumenter l’origine
sociale d’une maladie comme la dysmorphophobie. Une maladie
qui risque se développer de plus en plus, grâce à
la fragilisation continue de l’individu.
La péiode des années ‘80 est très importante
dans la vision d’Ehrenberg, pour argumenter les transformations
opérées au niveau de la personnalité. Ainsi,
« dans les années ‘80, une chose changea dans
la représentation de l’individu hédoniste :
son épanouissement, il n’allait le devoir qu’à
lui-même. (...) L’individu conquérant de la mythologie
hexagonale était l’analogue du self-made-man américain,
un des traits du mode de vie de la culture politique des Etats-Unis.
(...) La rapide montée en puissance du thème de l’individualisme
au cours des années ‘80 s’est construite à
la fois comme le symbole de la valorisation des initiatives de la
société civile et la crise de la représentation
politique. Ce que la politique ne pouvait plus faire, l’économique
allait s’en occuper : l’entreprise, nouvelle solution
miracle, devenait citoyenne. »28
Le seul responsable du phénomène d’individualisation
excessive, c’est, d’après Ehrenberg, la crise
du politique, la diminution de l’importance de l’Etat-Providence,
celui qui avait essayé, pendant des décennies, de
protéger les intérêts des individus. L’individualisme
représenterait « l’aspect le plus visible d’un
changement global de la relation à l’égalité
», comportant trois déplacements dans les représentations
que la société se donne d’elle-même :
l’effondrement de la représentation sociale en termes
de classes; le recul de l’assujettissement disciplinaire de
l’individu; et l’effondrement des diverses politiques
de l’émancipation collective29. L’auteur parle
d’un individu-trajectoire et de son aventure entrepreneuriale
des années ‘80 (équivalente à l’épanouissement
personnel), aventure qui transforme complètement les rapports
entre le publique et le privée. La rhétorique de la
comparaison « analogue à la compétition sportive
», contraint l’individu de se penser à la fois
« unique et semblable », et représente «
le modèle généralisé d’autodestruction
», et l’expression même de « l’expérience
actuelle de l’égalité »30
Mais, « la mythologie entrepreneuriale amorce sa décrue
à la fin de la décennie quand l’on s’aperçoit
du degré de dégradation du tissu social et de l’inefficacité
des stratégies mises en oeuvre par l’action publique
: le culte de la performance ne garantit plus l’emploi. (...)
Nous entrons dans une société de frustrations car
l’imaginaire d’ascension sociale persiste dans un contexte
qui ne lui est plus favorable, et il n’est guère certain
qu’il sera davantage à l’avenir. (...) La rhétorique
concurrentielle des années ‘80 laissait entendre que
le premier venu pouvait réussir, celle d’aujourd’hui
laisse craindre que tout citoyen peut sombrer dans la déchéance.
(...) L’individualisme de masse a commencé sa carrière
en France sous l’emblème de l’aventure entrepreneuriale,
il la poursuivrait sous la menace de la dépression nerveuse.
(...) L’individu souffrant semble avoir supplanté l’individu
conquérant. Pourtant, l’un ne succède pas à
l’autre, ils sont deux facettes du gouvernement de soi, suscitées
par les styles de relations sociales et les modèles d’action
aujourd’hui dominants. »31
Et, nous voilà devant le phénomène d’individualisme
même, qui demande avant tout la capacité de prendre
soi-même des décisions, d’être son unique
responsable. Plus qu’un repli sur sa vie privée, il
s’agit de la montée de la norme d’autonomie :
décider et agir par soi-même, avec toutes les conséquences
qui en découlent. L’individualisme actuel signifie
deux choses à la fois : « le changement dans les normes
d’action », et « le changement dans les relations
entre le privé et le public » traduit par la modélisation
de la vie privée sur la vie publique, et l’aboutissement
à un espace communicationnel destiné à négocier
et pas à commander/obéir. « Privatisation de
la vie publique et publicisation de la vie privée sont le
double processus que ces changements recouvrent. L’individualisme
contemporain est le produit de leurs mutations parallèles
». 32
« Vouloir » et « devoir » être l’acteur
de sa propre vie, devient l’essence des rapports à
la société; « l’estime de soi »
se transforme en condition de l’action individuelle. Mais,
cette augmentation sans précédant de la responsabilité
de soi-même implique l’accroissement de la capacité
individuelle d’agir en fonction seulement de son « jugement
personnel » et de son « autorité privée
». L’individu devient ainsi de plus en plus vulnérable
« simultanément plus sollicité et plus avide
de reconnaissance ». On parle d’un individu «
incertain » marque d’une « société
de désinhibition », ayant comme unique but «
l’amélioration de soi ». Cette amélioration
se réalise dans deux registres complémentaires : «
la mise en scène de soi », à travers les moyens
médiatiques, et « la technique de soi » par le
biais des drogues. « Ingestion de substances psychotropes
et exposition télévisuelle sont utilisées ici
comme deux entrées sur la distance qui fait lien. La télévision
et la drogue sont approchées comme des mythologies de la
liberté : elles expriment les dilemmes de la liberté
qui accompagnent les mutations de l’imaginaire égalitaire,
elles nouent différemment des contradictions de la liberté
qui sont moins visibles ailleurs. »33
Les trois volets dédiés par Ehrenberg à l’individu
de nos jours traitent de la manière dont celui-ci doit être
« assisté » pour réussir à s’inscrire
dans ce qu’on appelle « normalité ». Il
est clair pour l’auteur que l’autonomie convoitée
par tous, reste impossible à atteindre et qu’en plus,
le prix qu’on doit lui payer en coupant les ponts vers Autrui,
vers le monde extérieure, coûte trop cher. Si cher
que maintenant on trouve plus la force nécessaire de s’intégrer
tout seul, on demande de l’aide. On demande de l’aide
pour communiquer, pour affronter la réalité, pour
trouver le fameux « bien-être » qui était
censé dépendre de l’unique mise en valeur du
Soi-même. En fait, le Moi s’est prouvé plus faible
qu’on l’imaginait, son seul exploit se résumant
à nous rendre seuls et angoissés. Par contre, dans
sa logique implacable, la société continue à
nous pousser vers l’acquisition d’une authenticité
vidée de tout contenu, et vers un Soi-même artificiel
et sans aucune valeur. Tout le monde le reconnaît, les médias
le clament, mais ce qui est pire encore, on s’est habitué
à vivre avec.
L’assistance d’un individu incapable de communiquer
mais qui, par contre, doit en faire preuve tous les jours, est assurée,
d’après Ehrenberg, par deux moyens: les médicaments
psychotropes et le terminal relationnel que sont la télévision
et les nouveaux moyens de communication (le new age électronique
le cyberspace). Dans le cadre des médicaments psychotropes,
son intérêt porte sur le Prozac, médicament
« miracle » de nos jours, dont on a déjà
dédié des livres (Petre D.Kramer, « Listening
to Prozac », mais aussi Peter and Ginger Brigin, « Talking
back to Prozac »). On doit savoir que le Prozac et la thérapie
comportementale et cognitive (TCC) restent les traitements les plus
efficaces en ce qui concerne la dysmorphophobie. C’est pour
cela que je vais utiliser quelques unes des considérations
d’Alain Ehrenberg sur l’essor fantastique des psychotropes
dans la société d’aujourd’hui.
Il est lié directement, d’après Ehrenberg,
à la « survie des individus placés dans une
concurrence sans dehors ». Ainsi, l’individu sous perfusion
est un aspect de l’entreprenarisation de la vie. L’obsession
de gagner, de réussir, d’être quelqu’un
et la consommation en masse de médicaments psychotropes sont
étroitement liées parce qu’une culture de la
conquête est nécessairement une culture de l’anxiété
qui est la face d’ombre. Les petites pilules du bonheur, c’est
le profil cocoon au coeur même du profil training, la réintroduction
du bien-être dans un style de vie où la prise de risque,
la mise en avant de la singularité individuelle et le self-control
définissent les normes de conduite de chacun. Profil cocoon
car ces médicaments se rattachent à l’univers
de la consommation par la recherche d’un confort ou d’un
bien-être psychologique qui n’était pas auparavant
globalement perçu comme une toxicomanie ou comme une ivresse
de type alcoolique. (...) Dérivés de l’opium,
alcool, cannabis, hallucinogènes, médicament psychotropes,
tous ces produits sont des moyens de multiplication de l’individualité.
(...) Les drogues sont des techniques employées par l’individu
qui cherche à devenir Dieu. (...) Car l’individu est
in abstracto le dieu de la société démocratique.
Il est sa transcendance, mais une transcendance mobile aux limites
indéterminées (il est à la fois tout-puissant
et impuissant. (...) Les drogues sont le mode d’action de
l’homme qui ne s’est pas encore conquis ou qui est perdu,
c’est-à-dire qui, incapable d’atteindre l’autonomie,
dérive vers une indépendance tant à l’égard
de lui-même que de la réalité sociale. Elles
sont une manière de se décharger du poids de cette
pesante liberté qu’est l’autonomie. »34
Les médicaments psychotropes passent pour des drogues «
d’intégration sociale et relationnelle », capables
de produire « des modifications d’états de conscience
» des individus. Leur rôle déclaré ? «
Renforcer les capacités corporelles et psychologiques afin
de mieux affronter la compétition ». « En effet,
les médicaments psychotropes expriment la recherche forcenée
de tenir le coup quand le rapport à Autrui, y compris les
formes de la solidarité, est de plus en plus envisagé
sous l’angle de la concurrence : ils permettent de se stimuler
ou de se calmer pour être compétitif et de se rendre
indépendant des contraintes sociales tout en restant socialisé.
Ils sont une auto-assistance. La difficulté à atteindre
l’autonomie est alors simultanément évacuée
par des moyens artificiels et masquée par le souci de fournir
l’image d’autonomie, du dynamisme ou de la maîtrise
de soi. Ils concernent, comme les stages de look destinés
aux cadres chômeurs, les formes que prend le rapport à
Autrui et à Soi quand l’apparence de l’individu
devient essentielle dans sa réussite professionnelle. »35
Cet effort amène l’individu, dans des conditions normales,
à un état d’épuisement physique et, surtout,
psychique. Et la réalité nous le montre clairement,
il y a une hausse très nette du syndrome dépressif
en Occident (surtout en ce qui concerne les dix dernières
années), les déprimés étant plus jeunes
et plus nombreux qu’auparavant (par exemple, en France, entre
le début des années ‘80 et celui des années
‘90, le taux de dépression augmente de 50%)36. «
L’insécurité identitaire et l’action déréglée
sont les deux faces des états dépressifs à
la fin du XXe siècle ».37
Mais Ehrenberg n’oublie pas de rappeler le lien qui existe
entre la prise des médicaments psychotropes et les modifications
« d’états de conscience » traduites par
« la multiplication artificielle des possibilités de
résistance physique et psychologique » de l’individu.
Il parle ainsi d’un véritable « psychic-building
» comme unique moyen d’intégration sociale et
d’accroissement de la performance. Plus l’insertion
sociale est bonne, moins élevé est la consommation
des psychotropes. Ils rendraient aux gens « la vraie personnalité
», celle traduite par une grande confiance en soi et une absence
totale d’inhibition. « Les antalgiques de l’humeur,
les drogues de fonctionnement, qui éliminent le risque de
destruction de soi et rendent dépendant au comportement,
addict à la normalité sociale, sont aujourd’hui
un des avenirs des psychotropes. Ils accompagnent le remplacement
de l’intériorisation des normes et l’adaptation
à un rôle par l’extériorisation de soi,
l’exigence qui fait que chacun est normal, non quand il est
conforme ou applique une règle, mais quand il « assure.
(...) L’individu sous perfusion psychotrope est aujourd’hui
une possibilité socialement envisageable, sous l’effet
des normes et des aspirations qui conduisent à augmenter
l’estime que l’on se porte et le souci que l’on
accorde à l’Autre, et techniquement réalisable,
par les antidépresseurs qui soignent des troubles dont il
importe de moins en moins de savoir s’ils sont des maladies
»38
L’état de « normalité » envisagé
aujourd’hui, demande non pas une identification à des
« modèles parentaux » ou à des «
rôles sociaux », mais une identité totale («
être semblable à soi »). En même temps,
il demande de la part de l’individu la capacité «
d’action individuelle ». « La question de l’identité
et celle de l’action se nouent de la manière suivante
: versant normatif, l’initiative individuelle s’ajoute
à la libération psychique; versant pathologique, la
difficulté à initier l’action s’associe
à l’insécurité identitaire. Le recul
de la régulation par la discipline conduit à faire
de l’agent individuel le responsable de son action. (...)
Commettre une faute à l’égard de la norme consiste
désormais moins à être désobéissant
qu’à être incapable d’agir. Il y a là
une autre conception de l’individualité. (...) L’insécurité
identitaire et l’action déréglée sont
les deux faces des états dépressifs à la fin
du XXe siècle »39
« Désinhiber l’action », voilà
l’urgence immédiate. Pour être accepté
et inséré au sein de la société on n’a
pas le droit de connaître l’inhibition. On doit être
désinvolte et capable d’entrer facilement en communication
avec les autres. On doit être capable d’agir. Mais,
depuis quelques temps, on ne peut plus le faire tout seul. On a
besoin d’aide. Et on a trouvé les antidépresseurs,
en ciblant aussi le point faible: le taux de sérotonine (neurotransmetteur,
considéré comme le vecteur neurochimique de l’équilibre
de la personne). Au cours des années ‘80, on assiste
au lancement d’ISRS (les inhibiteurs sélectifs de la
recapture de la sérotonine), mais en même temps on
n’est pas encore capables de dire si les variations de la
sérotonine sont vraiment responsables de l’action antidépressive
(?!) ou s’il s’agit simplement d’un marqueur de
mécanismes plus complexes. De toute façon, les ISRS
seraient proches de l’antidépresseur idéal,
cela veut dire, sans effets secondaire. On entre ainsi dans le merveilleux
monde du Prozac.
« Le Prozac est un antidépresseur dit de troisième
génération, qui modifie le taux d’un neurotransmetteur,
la sérotonine. Il fait l’objet de nombreux détournements
d’usage de la part de patients non déprimés
à cause de ses propriétés psychostimulantes.
Elles ne sont pas spécifiques au Prozac, pas plus qu’aux
autres sérotoninergiques, mais c’est investie sur lui
une telle demande de la part des gens « bien portants »
qu’il a fait l’objet d’intenses débats
publics dès 1990 aux Etats-Unis. Moralité : pour réussir
désormais dans la vie et être bien dans sa peau, il
est recommandé, psychologiquement, d’avoir un comportement
hyperthymique et, biologiquement, un fort taux de sérotonine.
La preuve? Des personnages dynamiques, comme le milliardaire Donald
Trump ou le téléévangeliste Jim Bakker, en
ont pris, en prennent ou en prendront, et ne le cachent pas. Si
les gagneurs sont saisis par la dépression, s’ils souffrent
de carence narcissique (version psychanalytique) ou d’insuffisante
estime pour eux-mêmes (version comportementaliste), les troubles
mentaux ne sont plus une faiblesse à cacher : ils relèvent
de la normalité »40
Il est toujours intéressant de voir en quoi consiste «
les troubles mentaux ». Apparemment, d’après
la dernière édition DSM III-R (Manuel Statistique
et Diagnostique des Troubles Mentaux), publié par l’Association
américaine de psychiatrie, les troubles mentaux passent pour
des « perturbations comportementales ». De cette façon
une souffrance psychique consiste en un trouble d’humeur qui
se manifeste par un simple « déficit d’énergie
». En même temps, l’évolution de la neurobiologie
du cerveau a permis la découverte d’une sorte de schéma
de fonctionnement des troubles mentaux. Tout est ainsi réduit
aux neuromédiateurs et à leurs cibles, les récepteurs
de type neuronal. Ce sont justement ces récepteurs qui permettent
la diversification de la gamme des antidépresseurs : «
des molécules de plus en plus précises quant aux récepteurs
qu’elles visent », ayant par ailleurs de moins en moins
d’effets secondaires. « En soignant des fonctions mentales,
des troubles de comportement, en s’orientant sur les variations
des neurotransmetteurs de mieux en mieux ciblées, on abandonne
des entités nosographiques spécifiant des maladies
pour se centrer uniquement sur les symptômes qui handicapent
le citoyen ordinaire dans son existence. L’utopie pharmacologique
de la modification chimique du moindre trait de caractère,
pour développer des comportements hyperthymiques, devient
une réalité. Le style des pratiques de recherche,
les progrès de la neurobiologie et les changements dans la
classification des maladies mentales conduisent à cette bizarre
pratique clinique qui offre la possibilité imaginaire de
bâtir à la demande une personnalité virtuelle
: le diagnostic consiste à repérer les troubles en
se référant à ce que « ressent »
le « malade » puis à les apaiser. Les troubles
de l’humeur n’ont plus l’encadrement normatif
de la nosographie et le médecin risque de devenir un régulateur
d’automédication, qui diminue un symptôme ou
développe une sensation choisie par le patient. (...) La
tendance à la « médicalisation de l’existentiel
», recouvre le délicat débat sur le statut de
la souffrance psychique ». (...) On est passé progressivement
du traitement des troubles psychiques à la médicalisation
systématique de la simple souffrance psychique existentielle
».41
Apparemment, le mythe de la performance a atteint aussi le domaine
de la recherche médicale. On se veut efficient et surtout
rapide dans la « guérison » de l’individu.
En réduisant la maladie psychique à un trouble d’humeur
qui peut être décrit d’une manière simple
: un neurotransmetteur et un récepteur neuronal, on gagne
en précision mais, surtout, on gagne du temps. Par ailleurs,
la découverte du Prozac, « la pilule de l’initiative
» a permis non seulement d’améliorer l’humeur
et de faciliter l’action, mais aussi d’influencer d’une
façon positive le comportement des gens (parfois pas véritablement
déprimés). Il les aident à assurer. Ce médicament
doué de précision, qui a un champ d’action large
(tous les troubles de comportement) et n’a pas d’effets
secondaires, devient « un modificateur de conscience qui transforme
la personnalité dans un sens socialisant sur le plan relationnel
», « il rend l’individu disponible à Autrui,
lui permet de faire face aux situations conflictuelles ou de supporter
les multiples frustrations de la vie ordinaire ». Il est à
la fois, un médicament et une drogue.42
Mais il n’y a pas de drogues parfaites. Leur consommation
comporte toujours des risques. Dans le cas des psychotropes, deux
me semblent les plus importantes. La première est liée
à la tendance de rendre pathologiques certaines traits de
personnalité lorsqu’elles ne correspondent pas au profil
demandé par la société. De cette façon,
une personnalité dépressive peut passer pour une maladie,
alors que l’hyperthymie serait considérée comme
un état de santé optimal.43 La deuxième semble
encore plus problématique. En administrant ces médicaments
« de confort » sans différencier la souffrance
psychique d’un simple malheur ordinaire, on risque de ne plus
pouvoir affronter les difficultés quotidiennes sans une «
assistance chimique ». On entre ainsi dans un phénomène
de dépendance, similaire à celui produit par les drogues
traditionnelles.
Par ailleurs, même si l’on a transformé la dépression
en une simple maladie de la « transmission neurochimique »
elle reste « récidivante » et « à
tendance chronique ».44 Ainsi, les dépressions ont
un caractère récurrent dans trois quarts des cas.
« De nombreux auteurs portent alors l’attention aux
traitements de maintenance - les traitements prophylactiques des
dépressions récurrentes. La plupart de ces patients
devraient bénéficier d’un tel traitement car
seule sa durée est sujette à discussions : pour certains,
le traitement peut être poursuivi une vie entière,
pour d’autres, la durée butoir est de cinq ans, mais
les critères relèvent plus de l’intuition clinique
que de résultats standardisés. On voit, en tout cas,
proposer un traitement à vie pour un seul épisode
dépressif si le patient a plus de 50 ans, pour deux épisodes
s’il a plus de 40 ans, pour plus de deux en dessous de 40
ans ».45 En outre, l’interruption du traitement avec
des antidépresseurs peut présenter un risque accru
de rechute dépressive. De toute évidence, même
si les effets positifs sont visibles, le traitement contre l’état
de dépression ne conduit pas à une guérison
complète.
Les antidépresseurs diminuent plus ou moins l’insécurité
identitaire d’une personne ressentant chroniquement son insuffisance,
ils favorisent la régulation de l’action aussi longtemps
qu’ils sont ingérés - du moins quand la dépression
ne résiste pas. L’accompagnement de longue durée
se substitue à la guérison, précisément
parce que les antidépresseurs sont aussi des médicaments
antinévrotiques : ils mettent les conflits à distance.
(...) Cette situation paradoxale, où le médicament
est investi de pouvoirs magiques alors que la pathologie se chronicise,
commande l’interrogation sur les limites de la maladie. On
comprend que la distinction entre normal et pathologique soit devenue
un problème d’ordre moral. »46
Mais les propos les plus intéressants sont ceux visant le
champ d’action individuelle dans le XXe siècle. Dans
la perspective de l’auteur on assiste à une demande
« institutionnelle » d’agir à tout prix,
en s’appuyant exclusivement sur Soi-même, à «
avoir de l’initiative » plutôt qu’à
« obéir », à s’interroger sur «
ce qu’il est possible de faire » et non plus sur «
ce qui est permis de faire ». L’homme contemporain vivrait
avec la certitude que « chacun devrait avoir la possibilité
de créer par lui-même sa propre histoire au lieu de
subir sa vie comme un destin ». Mais, plus il tend vers le
surhumain (« agir sur sa propre nature, se dépasser,
être plus que Soi »), plus il est fragile. « La
dépression est ainsi la mélancolie plus l’égalité,
la maladie par excellence de l’homme démocratique.
Elle est la contrepartie inexorable de l’homme qui est son
propre souverain. Non celui qui a mal agi, mais celui qui ne peut
pas agir. La dépression ne se pense pas dans les termes du
droit, mais dans ceux de la capacité. »47
En même temps, la dépression et la dépendance
aux médicaments (contre les troubles du comportement) représentent
les aspects de la pathologie de l’insuffisance (due à
l’inhibition). La dépression représenterait
« la pathologie d’une conscience qui n’est qu’elle-même
», alors que la dépendance serait « la pathologie
d’une conscience qui n’est jamais assez elle-même
».48 Et la remarque d’Ehrenberg semble plutôt
amère : « On me pardonnera peut-être cette bien
mauvaise nouvelle : la toute-puissance annoncée des antidépresseurs
est le cache-misère d’une maladie inguérissable,
comme nous allons le voir dès à présent. Tout
devient dépression parce que les antidépresseurs agissent
sur tout. Tout est soignable, mais on ne sait plus très bien
ce qui est guérissable. En même temps que le conflit
se perd de vue, la vie se transforme en maladie identitaire chronique.
Ce n’est pas nécessairement un mal, car nos individualités
sont parfaitement construites pour supporter cette « maladie
», mais il vaut mieux savoir ce que celle-ci recouvre. »49
Le discours d’Alain Ehrenberg sur l’individu contemporain
semble assez triste mais, certainement, il est beaucoup plus réaliste
que celui de Lipovetsky. Cette course après une authenticité
entièrement artificielle, cet effort au-dessus des limites,
pour être toujours en action, toujours ouvert aux autres,
toujours capable de prendre des initiatives, ne représentent
que le moyen sûr de sombrer dans l’angoisse et dans
la dépression. « Quel que soit le domaine envisagé
(entreprise, école, famille) le monde a changé de
règles. Elles ne sont plus obéissance, discipline,
conformité à la morale, mais flexibilité, changement,
rapidité de réaction etc. Maîtrise de soi, souplesse
psychique et affective, capacités d’action font que
chacun doit endurer la charge de s’adapter en permanence à
un monde qui perd précisément sa permanence, un monde
instable, provisoire, fait de flux et de trajectoires en dents de
scie. La lisibilité du jeu social et politique s’est
brouillé. Ces transformations institutionnelles donnent l’impression
que chacun, y compris le plus humble et le plus fragile, doit assumer
la tâche de tout choisir et de tout décider. »50
Cette émancipation individuelle en deux vagues : «
la conquête de l’identité personnelle »
et « la réussite sociale par l’initiative individuelle
», nous a amené à un point où «
on change sans avoir le sentiment de progresser ».51On sait
plus vers quel but concentrer les efforts, on a l’impression
d’être arrivé à un endroit où tout
ce qui reste à faire c’est attendre en bougeant continuellement
comme les molécules dans un mouvement brownien. Ces médicaments
psychotropes réussissent à nous maintenir dans un
état d’agitation avec des pertes énergétiques
mineures. Plus la société nous impose d’agir
pas nous-mêmes, moins nous en sommes capables. Plus elle nous
demande d’entrer en contact avec Autrui, plus nous le faisons
à travers une séduction froide et plus nous restons
coincés dans notre univers bâti autour du tout-puissant
Moi. Plus il est fort, plus l’individu est fragile.
Baudrillard caractérise très bien la séduction
dont la postmodernité se sert largement. Dans sa vision «
la séduction est ce qui ôte au discours son sens et
le détourne de sa vérité. (...) Toutes les
apparences se conjurent pour combattre le sens, pour déraciner
le sens intentionnel ou non et le reverser à un jeu, à
une autre règle du jeu, arbitraire celle-ci, à un
autre rituel insaisissable, plus aventureux, plus séduisant
que la ligne directrice du sens. »52 Il parle de la séduction
du discours mais aussi de celle de l’image où Narcisse
est plus que présent. « Car si toutes choses ont pour
vocation divine de trouver un sens, une structure où elles
fondent leurs sens, elles ont sans doute aussi pour nostalgie diabolique
de se perdre dans les apparences, dans la séduction de leur
image, c’est-à-dire de réunir ce qui doit être
séparé en un seul effet de mort et de séduction.
Narcisse. (...) Le miroir de l’eau n’est pas une surface
de réflexion mais une surface d’absorption. (...)Dans
le mythe narcissique il ne s’agit pas d’un miroir tendu
à Narcisse pour qu’il s’y retrouve idéalement
vivant, il s’agit du miroir comme absence de profondeur, comme
abîme superficiel, qui n’est séduisant et vertigineux
pour les autres que parce que chacun est le premier à s’y
abîmer. (...) I’II be your Mirror !, ne signifie pas
« Je serai votre reflet » mais « Je serai votre
leurre ». Séduire c’est mourir comme réalité
et se produire comme leurre. (...) La stratégie de la séduction
est celle du leurre. (...) La séduction ne produit que du
leurre et elle en obtient tous les pouvoirs, dont celui de renvoyer
la production et la réalité à son leurre fondamental.
Elle guette même l’inconscient et le désir, en
refaisant de ceux-ci un miroir de l’inconscient et du désir.
»53
Plus que jamais les gens ressemblent à ces leurres dont
parle Baudrillard. Plus que jamais on se laisse engloutir par l’artificiel
tout en essayant d’être authentique. Et le corps subi
le même traitement. Se sentir soi même lorsqu’on
est âgé signifie ne surtout pas montrer les signes
du vieillissement, rester jeune, aussi jeune que l’âme.
Etre soi-même se réduit justement à cacher tous
les petits détails qui donneraient la touche personnelle.
Il s’agit, en réalité d’un Soi-même
envisagé et mis au point par la société; pour
être ainsi on doit obéir à certaines règles
de comportement, de tenue vestimentaire ou de présence physique.
Le Soi-même, qui normalement devrait être inné,
devient quelque chose d’acquis qui demande de la part de l’individu
des efforts soutenus avec l’aide des psychotropes. On ne peut
pas être soi-même, c’est la plus grande illusion
de tous les temps. Dans une société où la séduction
froide et l’attitude réservée passent pour des
signes du comportement civilisé, le Soi-même ne ferrait
que nous mettre dans une situation embarrassante.
La société postmoderne est celle qui nous faire oublier
la vérité des choses en nous leurrant avec la perspective
du « tout est possible ». Peut-être, mais avec
quels efforts ? Tout ce qu’on a réussit à faire
c’est s’isoler et couper tous les ponts vers Autrui.
Une distance raisonnable à garder pour ne pas empiéter
sur son intimité, une attitude réservée et
la séduction vidée de tout contenu, voilà ce
qu’on utilise comme liens. Et, tout ce qu’on ressent
(en raison de l’absence d’une réelle communication),
c’est la peur du regard de l’Autre, la peur de la façon
dont il va nous analyser. Pour le contrecarrer on soigne les apparences,
on les rend les plus parfaites possibles. Et si, par malheur, cela
n’est pas possible, la peur se transforme en une sorte de
déception vis-à-vis de soi-même. Un mécontentement
qui peut nous accompagner tout au long de notre vie et qui, parfois,
peut se radicaliser sous la forme de troubles obsessionnels. La
dysmorphophobie en fait partie. Et son traitement est justement
basé sur les antidépresseurs décrits par Ehrenberg
dans ses livres sur l’individu « incertain ».
Les psychiatres ont essayé de trouver les causes génératrices
de cette maladie. Dans son livre, Katherine Phillips, avance comme
hypothèse l’existence de trois facteurs qui agissent
en même temps : biologique, psychologique et sociologique.
Le facteur biologique se réfère justement au taux
de sérotonine et confère des raisons pour l’utilisation
des ISRS; le facteur psychologique est lié à des antécedents
familiaux, quant au facteur sociologique, il reste encore à
analyser. Tout ce qu’on sait c’est que la culture médiatique,
par les images des corps parfaits qu’elle véhicule,
peut aggraver l’état de souffrance des malades. Mais,
en parcourant tout ce tableau avec les nouvelles données
sur la société et l’individu qu’elle construit,
je me rend compte que la problématique est encore plus complèxe
qu’à première vue.
Les gens atteints par la dysmorphophobie (la forme la plus sévère),
fuient la compagnie, quittent le milieu social même leur propre
famille, pour se replier complétement sur eux-mêmes.
Ils deviennent incapables de communiquer ou de simplement accepter
la présence de l’autre de peur que celui-ci ne fasse
pas attention aux défauts monstrueux qu’ils imaginent
avoir. En même temps, ils réfusent d’en discuter
ou ils ont honte de ce qui leur arrive. Ils trouvent que cette anormalité
pourrait être soignée par une intérvention chirurgicale,
mais une fois vu le résultat ils n’éprouvent
aucune satisfaction. Et, après de nombreux essais, soit ils
intérviennent d’eux-mêmes sur le défaut
à l’aide d’une chirurgie artisannale, soit ils
font des tentatives de suicide.
Le dysmorphophobique illustre le mieux l’angoisse qui assaille
l’individu contemporain face au regard de l’Autre. Les
gens les plus forts savent bien cacher cette peur sous l’apparence
d’une attitude résérvée, sous le masque
d’une politesse qui peut tenir l’Autre à l’écart,
d’une manière civilisée. En regardant les changements
opérés au niveau de la société entière,
on se rend compte qu’après avoir cassé toutes
les normes, après avoir renversé toutes les valeurs
traditionnelles, on passe, pour l’instant, par une période
de transition où les choses essaient de se remettre en place.
Cette remise en place demande toutefois, une règle à
suivre. Un système de valeurs autour duquel on peut établir
un nouvel ordre. Et ceci, pour le moment, n’existe pas. La
seule valeur viable pour l’individu, reste sa propre personne
entraînnée tous les jours dans le rythme agité
d’une vie linéaire. C’est une routine qui assure,
à première vue, un état de confort. On s’y
habitue et on trouve cela normal.
La plupart du temps on est confronté à l’Autre
et à l’angoisse qu’il nous provoque. Faute de
manque de communication, on le perçoit plus facilement comme
source potentielle de problèmes que comme un partenaire dans
notre existence quotidienne. Mais ce qui reste le plus triste est
le fait qu’on trouve cette attitude de défense, absolument
normale. On vit avec jusqu’à la dépression qui,
elle aussi devient « normale » dans de telles conditions.
La dysmorphophobie ne fait que montrer, d’une manière
extrême, ce qui nous arrive depuis quelques temps. La peur
de Soi-même, s’il n’est pas conforme aux attentes
de la société, s’ajoute à l’agoisse
vis-à-vis de l’Autre (qui reste le seul capable d’entrevoir,
si c’est le cas, la petite défaillance dans notre «
parfait » fonctionnement), et les individus ne font que s’habituer
avec. Et lorsque cette peur les dépasse, ce sont les troubles
« du comportement » qui les remplacent en tant que «
Moi » solitaire et inadapté. La dysmorphophobie c’est
la maladie de la peur de l’Autre lorsque Soi-même évite
de la regarder en face.
1 v. Umberto Eco, Au nom de la Rose. apud Nicolas Riou, Pub Fiction.
Société postmoderne et nouvelles tendances publicitaires,
Editions d’Organisation, 1999, p.11
2 v. Nicolas Riou, Pub Fiction. Société postmoderne
et nouvelles tendances publicitaires, Editions d’Organisation,
1999, p.9
3 v.Jean-François Lyotard, La condition postmoderne, les
Editions de Minuit, 1979, pp.7-8
4 v. Nicolas Riou, ibidem, p.74
5 v. op. cit., p.79
6 v. op. cit. , p.7
7 v. op. cit., pp. 13-16
8 v. op. cit., pp.43-49
9 v. op. cit., pp.67-68
10 v. op. cit. , p.93
11 v. op. cit., p.94
12 v. op. cit., pp.96-98
13 v. op. cit., pp.117-121
14 v. op. cit., p. 53
15 v. Alain Ehrenberg, Le culte de la performance, Calman-Lévy,
1991
16 v. Gilles Lipovetsky, L’ère du vide. Essais sur
l’individualisme contemporain, Editions Gallimard, 1983, p.56,
pp.60-61
17 ibidem, p.63
18 ibidem, p.67
19 ibidem, p.87
20 ibidem, p.79
21 v. Elisabeth Badinter, L’Un est l’Autre, Odile Jacob,
1986, p.320
22 ibidem, p.322
23 ibidem, pp.325-328
24 ibidem, pp.334-336
25 ibidem, p. 346
26 v. François de Sangly, « Mariage, dot scolaire
et position sociale », Economie et Statistiques, no.142, mars
1982. apud Elisabeth Badinter, L’Un est l’Autre,....,
p.351 « Plus la position est élevée dans l’échelle
sociale et plus le taux de célibat progresse : 10% chez les
ouvrières, il atteint 24% chez les femmes cadres supérieures.
(...) Près de 28% des femmes célibataires sont cadres
moyens ou supérieurs contre 8% des hommes célibataires;
14% des femmes mariées sont cadres contre 21% des hommes
mariés. »
27 v. Alain Ehrenberg, La fatigue d’être Soi, Odile
Jacob, 1998, p.195
28 idem, L’individu incertain, Calman-Lévy, 1995,
pp.15-16
29 idem, Le culte de la performance, Calman-Lévy, 1991,
pp.280-281
30 ibidem, p.282
31 idem, L’individu incertain, Calman-Lévy, pp.17-18
32 ibidem, pp.18-19
33 ibidem, pp.23-28
34 idem, Le culte de la performance, Calman-Lévy, pp.257-259
35 ibidem, p.260
36 idem, La fatigue d’être Soi. Dépression et
société, Odile Jacob, 1998 p.196
37 ibidem, p.182
38 idem, L’individu incertain, Calman-Lévy, 1995,
pp.149-150
39 idem, La fatigue d’être Soi. Dépression et
société, Odile Jacob, 1998, pp179-180
40 idem, L’individu incertain, Calman-Lévy, 1995,
p.142
41 ibidem, pp.143-147
42 ibidem, p.146
43 ibidem, p.150
44 idem, La fatigue d’être Soi. Dépression et
société, 1998, p.208
45 ibidem, p.211
46 ibidem, p.217
47 ibidem, pp.234-236
48 ibidem, p.238
49 ibidem, p.205
50 ibidem, p.200
51 ibidem, pp.199-201
52 v. Jean Baudrillard, De la séduction, Galilée,
1979, pp.77-79
53 ibidem, pp.95-99
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