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Origine : Revue Esprit Critique Vol.04 No.02 - Février 2002
http://www.espritcritique.org/0402/article2.html
Gilbert Durand.
Né le 1er mai 1921, un jour de Beltaine, la fête du
feu chez les celtes, fête de l'été et de la
lumière, fête sacerdotale par excellence, Gilbert Durand,
est incontestablement un des anthropologues les plus importants
du 20ème siècle, un découvreur au sens premier,
inventeur de voies d'autant plus nouvelles que paradoxalement elles
sont plus anciennes, fondamentales, dans la mémoire de l'humanité.
C'est d'ailleurs sous le signe du paradoxe que son oeuvre est entièrement
bâtie, oeuvre considérable où il porte à
un degré systématique comme le faisaient remarquer
Tacussel et Pelletier[1], une logique pluraliste du contradictoriel,
et construit une sociologie de l'ambivalence. Il est en cela fidèle
à son maître Gaston Bachelard qui écrivait que
"les images les plus belles sont foyers d'ambivalence[2]."
Anthropologue, il l'est assurément, adonné depuis
plus d'un demi siècle à étudier le comportement
de l'homme (homo sapiens) en communauté. En scrutant les
représentations que les hommes se sont forgés d'eux-mêmes
en réponse à leurs désirs, il retrouve les
figures de l'homme traditionnel - soit une conception unitaire du
savoir s'opposant au dualisme, à l'intolérance de
sociétés vouées, comme il l'a écrit,
au culte hyperbolique de la mystification.
Il s'en expliquait au Colloque de Beaubourg en 1988: "L'imaginaire
sous ses deux formes produit du langage et de la fantaisie, il est
attaché au sapiens, à la configuration anatomo-physiologique
de l'homme. Dans la chaîne des hominiens, il existe une différence
soudaine, une usine de l'Imaginaire, la faculté de reproduction
incontrôlée anatomo-physio-psychologique. Dans l'apparition
des hominiens, on produit des images, tout de suite, les nôtres,
les formes que nous utilisons. Les Dieux sont là, l'archétype
est la forme la plus creuse, la plus vide, la plus manifestée
de l'Imaginaire."[3]
De fait, l'entreprise de restauration de l'imaginaire qu'il partage
avec d'autres (Eliade, Lupasco) est arrivée au moment où
notre société s'est vue ébranlée à
l'endroit même où elle semblait triompher: idéal
économique, conception bourgeoise du bonheur, idéologie
du progrès[4]. Pour lui, l'imagination est bien le propre
de l'homme. Elle se manifeste le mieux, dans les Arts et les Dieux.
Dans son anthropologie de l'imaginaire énoncée dès
1969[5], oeuvre aussi importante de notre point de vue que celle
d'un Freud ou d'un Lévi-Strauss, Gilbert Durand récuse
les schémas linéaires culturalistes et positivistes
ou psychologisant pour déceler, à travers les manifestations
humaines de l'imagination, les constellations où viennent
converger les images autour de noyaux organisateurs. Il jette ainsi
les bases d'une archétypologie générale et
d'une mise en perspective nouvelle et originale de la culture, éclairant
d'un jour nouveau nos fonctionnements individuels et sociaux.
Dans ce sens, le minimum de convenance est exigé entre l'environnement
culturel et la dominante réflexe qu'il emprunte à
l'école de réflexologie de Léningrad. C'est
ce qui fonde le trajet anthropologique du symbole "produit
des impératifs bio-psychiques par les intimations du milieu"[6],
trajet réversible, "le milieu étant révélateur
de l'attitude" et "la pulsion individuelle a toujours
un lit social" et "c'est bien en cette rencontre que se
forment les complexes de culture que viennent relayer les complexes
psycho-analytiques".
Avec les physiologues, observant que l'homo sapiens sapiens est
placé dans une situation unique par rapport aux animaux du
fait de l'usage de son gros cerveau, le néo-encéphale
ou cerveau noétique, il en infère que le sapiens utilise
constamment sa capacité à dépasser les simples
liaisons symboliques de l'animal par la richesse spontanée
des articulations symboliques complexes et que toute pensée
du sapiens est re-présentation, la présentation d'une
image symbolique étant toujours d'emblée entourée
d'un cortège des possibilités d'articulation symbolique[7].
Cette rencontre des possibilités diversifiées de
l'Imaginaire l'amène à rechercher à repérer
"de vastes constellations d'images qui semblent structurées
par des symboles convergents".
Gilbert Durand articule la tripartition réflexologique,
(côté pulsion individuelle, imaginaire radical dirait
Castoriadis) déclinée en posturale: redressement,
phallique, digestive, orale, intime, rythmique, copulative et sociologique
(diurne et nocturne). On voit déjà poindre ici l'absolue
nécessité d'une transdisciplinarité, pour,
au carrefour de ces régimes, mieux saisir la portée
et l'amplitude des champs de l'imaginaire.
Les structures diurnes de l'imaginaire.
Cela l'amène à envisager trois régimes de
l'imaginaire, véritables clefs de lecture du donné
mondain à tous les niveaux: les structures diurnes de l'imaginaire,
qu'il classe en symboles regroupés autour des visages du
temps, systèmes d'images polarisés autour de l'antithèse
Lumière / Ténèbres. Ils sont: thériomorphes,
symboles animaux comme ceux qui fondent le totémisme, nyctomorphes,
symbolisme temporel des ténèbres, catamorphes, symboles
de la chute. Polarisés, autour des symboles: ascensionnels
(la verticalité, l'aile, le chef), spectaculaires, (la lumière,
l'oeil), diairétiques (ce qui tranche et purifie, les armes),
ils expriment la fuite devant le Temps, la victoire sur la Mort.
Régime diurne et structures schizomorphes sont marqués
par la géométrie, l'antithèse, l'historicité,
le pragmatisme. Appartient à ce régime la science
positive fondée sur le régime diurne de la conscience
et la rationalité, elle même mode de la vie imaginaire,
structure polarisante du champ des images, dominante certes, dans
nos sociétés mais relative si on la met en perspective.
Ils déterminent des attitudes sociales qui sont la perte
de contact avec la réalité dans la faculté
de recul, l'attitude abstractive, marque de l'homme réfléchissant
en marge du monde, un souci obsessionnel de la distinction, ou "géométrisme
morbide", l'exacerbation des dualismes.
Les structures mystiques de l'Imaginaire.
Elles appartiennent au régime nocturne des images et conjuguent
volonté d'union et goût de l'intimité, inversion
qui se déclinent en quatre schèmes:
redoublement, euphémisation: persévération
> patho: épilepsie: persévération perceptive,
soit;
Structures de l'emboîtement, ex. mer > poisson, avaleur
> avalé, ex. Terre > caverne > maison > berceau>
tombeau.
Confusion du contenant et du contenu, ex. refus de sortir des images
familiales et douillettes.
Viscosité du thème, il est repérable dans
l'emploi des verbes, lier, attacher, accoler etc.
Adhésivité. Sur le plan social, c'est un régime
affectif, perceptif. Ex: Van Gogh a peint de multiples ponts qui
ont toujours le même caractère. Son monde pictural:
le règne du visqueux. On l'identifie encore comme une structure
agglutinante, ayant pour vocation de lier, d'atténuer les
différences.
Réalisme sensoriel. La vivacité des images détermine
ce schème avec: un taux de réponses kinésiques
élevé (couleur). Le fait de vivre dans le concret,
ne pas s'en détacher, de sentir de très près
les êtres et les choses. C'est la représentation du
schème dynamique du geste chez Van Gogh, l'emploi du tourbillon,
des couleurs, de l'exaspération chromatique. Une profondeur
mystique: la substance du cri prométhéen.
Mise en miniature: gullivérisation. C'est le prix accordé
à la minutie, au détail, lorsque la valeur est attribuée
au dernier des éléments. C'est la petite étincelle
qui donne son sens aux divers contenants et atteint les dimensions
de l'Univers, le renversement complet des valeurs, où ce
qui est inférieur prend la place du supérieur. Ex
chez Van Gogh, les petits sujets: natures mortes, fleurs ou encore
les jardins miniatures orientaux.
Ces quatre structures marquent la fidélité dans la
persévération, avec l'emploi réitéré
des schèmes de redoublement, d'emboîtement, la viscosité
euphémisante, l'attachement à l'aspect concret. Elles
se trouvent présentes en résumé dans le récit
Lilliputien, et magnifiées dan les récits de la Quête
du Graal mêlant images de fécondité, de nature
et de contenant, à la fois chaudron d'abondance et de régénération
des celtes et vase de communion mystique. Là, l'imagination
est entraînée à la dramatisation cyclique.
Ces structures mystiques ou antiphrasiques développent des
représentations homogénéisantes, les principes
d'analogie, de similitude, une dominante digestive. Verbes: confondre,
relier, attacher...
Les structures synthétiques de l'imaginaire.
Elles "intègrent en une suite continue toutes les autres
intentions de l'imaginaire[8]". Ce sont les structures d'harmonisation
des contraires, d'agencement convenable des différences et
des contraires. Leur caractère est dialectique ou contrastant:
il valorise les antithèses, la synthèse, laquelle
n'est pas unification mais vise à la cohérence en
sauvegardant les distinctions, les oppositions. C'est ce qui constitue
l'ossature de la musique, du drame théâtral, de l'art
roman et du cinéma. Un contraste qui n'est pas dichotomie
mais veut maîtriser le temps entre deux personnages, l'un
qui est désir de vie et l'autre entravant la quête
du premier (destin).
Cette structure est historienne, son mode est le présent
de narration et son contenu l'hypotypose du passé; la compréhension
veut que les contradictoires soient pensés en même
temps et sous le même rapport. C'est un effort synthétique
pour maintenir en temps dans la conscience des termes antithétiques.
Elle oscille entre dynamisation messianique et éternel retour.
Ce régime est encore orienté, comme synthèse,
vers le futur. Le futur y est présentifié, l'avenir
maîtrisé par l'imagination. Il s'agit d'accélérer
le temps. C'est une structure progressiste ou complexe fondée
sur le mythe de Jessé qui se réalise au 13ème
siècle dans l'oeuvre de Joachim de Flore, moine calabrais,
prédisant le règne de l'Esprit (temps des lys) après
ceux du Père (temps des épines) et du Fils (temps
des roses), un Troisième Âge privilégiant le
présent sur la passé et surtout le futur paraclétique
sur le présent. Ce mythe de Jessé est pour Durand
l'origine de tous les mythes optimistes et progressistes de l'Occident,
le tuteur de la pensée occidentale, exaltant un profil unidimensionnel
et linéaire de l'histoire valorisant le fait positif. On
peut en trouver la postérité dans les trois états
d'Auguste Comte (ils devraient être cités puisque les
3 phases de Marx le sont), les trois phases de Marx: capitalisme
- socialisme - communisme et jusqu'aux rêveries du Nouvel
Âge établissant une coupure entre un passé périmé
et les lendemains qui chantent[9]. Il ne cesse d'être actualisé.
La synthèse en effet, souligne (supprimer puisque le parti
a été pris plus haut de ne donner que le nom) Durand
ne se pense que relativement à un devenir dans la volonté
d'accélérer le temps et de s'en rendre maître.
Ainsi le mythe du Fils est toujours une traduction temporelle de
la synthèse des contraires et lui sont isomorphes les cérémonies
initiatiques, répétitions du drame temporel et sacré,
du temps maîtrisé par le rythme de la répétition.
L'initiation est là transmutation d'un destin. cf: l'exemple
égyptien de la légende d'Osiris, à la base
des initiations sacerdotales ou encore les rituels des sacrifices,
instant dialectique ou le sacrifice devient bénéfique[10].
Le trajet anthropologique, des impératifs subjectifs
aux intimations du milieu.
Les structures de l'Imaginaire ne sont pas figées, immuables,
elles participent de notre expérience quotidienne, entre
nos propres racines psychiques d'une part, les sociétés
et leurs cultures de l'autre. D'où la nécessité
de reconnaître un chemin, un trajet entre ce qui nous vient
de notre profondeur bio-psychique (pulsions) et ce que nous devons
sacrifier aux réalités sociales et naturelles (intimations).
Les conduites symboliques: éducatives, artistiques, les
métiers et les moeurs s'établissant par assimilation
de ces deux catégories d'impératifs qui se trouvent
en quelque sorte jetées ensemble en tant que signifiants
sociaux et culturels.
A l'une des extrémités de la chaîne symbolique,
il convient de se tourner vers les psychologues pour mieux entrevoir
notre profondeur.
Imaginaire radical (celui qui tient aux racines) ou Imaginaire
et sujet, la perspective personnelle.
Sigmund Freud a le premier traité de l'imaginaire comme
objet, pour lui essentiellement assimilable aux pulsions; il évolue
ainsi de l'acceptation naïve d'une réalité prétendue
de la séduction hystérique à une interprétation
critique en tant que fantasme du désir. C'est l'hypothèse
d'une dimension psychique inconsciente, soustraite à l'espace
des manifestations conscientes qui fonde sa métapsychologie
qu'il appelle encore psychologie des profondeurs. Dans la science
des rêves, l'inconscient est circonscrit tel un système
radicalement séparé par l'instance de la première
censure du système préconscient, lui-même clivé
du système conscient par la seconde censure.
Il rompt ainsi avec "huit siècles de refoulement et
de coercition de l'imaginaire". C'est le grand mérite
de Freud que d'avoir ainsi redonné droit de cité aux
images. La pulsion détournée s'investit en effet chez
Freud dans des images qui gardent la marque de l'évolution
libidineuse de l'enfant "la pulsion s'aliène en se travestissant
en images".
Le symbole est ainsi reconduit par Freud à la sexualité
en dernier ressort, toutes les images, fantasmes, se réduisant
à des symboles sexuels et l'image étant le miroir
d'une sexualité mutilée[11]. Et Durand d'insister
sur le caractère causal de l'imaginaire freudien, et son
parti pris réducteur.
Jacques Lacan développera la théorie freudienne de
l'imaginaire en l'enrichissant. Pour lui, l'imaginaire est une modalité
qui sert à fonder le problème phallique. L'imaginaire
objet a se caractérise par la béance originaire de
l'individu et se développe en 3 stades définis par
la théorie du miroir: miroir, interprétation du fantasme,
topique borroméenne situant le réel dans le statut
de l'impossible. Au stade du miroir, le sujet poussé vers
l'insuffisance de l'anticipation, pris au leurre des identifications
spatiales, machine les fantasmes qui se succèdent en passant
d'une image morcelée du corps à une forme totale.
On assiste au passage de l'imaginaire comme irréalité
de l'objet à l'imaginaire comme représentant de l'incomplétude
du sujet.
Chez Carl Gustav Jung, (1875 - 1961) dauphin de Freud, premier
président de l'association psychanalytique internationale,
ce qui apparaît dans la schizophrénie, ce n'est pas
l'intensification de la sexualité, mais un monde imaginaire
portant des traits archaïques évidents. Un système
archaïque se substituant à un système vivant,
la perte des dernières acquisitions de la fonction du réel,
(ou adaptation) est compensée par un mode d'adaptation plus
ancien.
C'est aussi vrai dans la névrose (réanimation progressive
de l'imago parentale) où le produit de remplacement est une
fantaisie de provenance et de portée individuelles, une altération
de la réalité et non une perte de la fonction du réel.
"Les malades remplacent la réalité par des fantaisies
analogues aux conceptions du passé mais qui ont eu jadis
le sens d'une fonction du réel... Les vieilles superstitions
étaient des symboles qui tentaient d'exprimer de façon
adéquate l'inconnu du monde et de l'âme. La compréhension
rend possible une préhension des choses, un concept, ce qui
traduit une perte de possession."[12]
Jung est l'auteur de Métamorphoses et symboles de la libido
en 1912, dans laquelle il définit la libido comme l'énergie
vitale. Rompant avec Freud en 1913, il crée la psychologie
analytique qu'il construit autour du concept d'inconscient collectif,
lequel est: archaïque car primitif dans ses manifestations,
collectif car conservant les caractères généraux
de l'espèce.
Jung définit, en 1920, le contenu de cet inconscient collectif,
soit les types psychologiques comme accumulation des expériences
millénaires de l'humanité et les nomme archétypes,
ou images primordiales, en trouvant les formes manifestées
dans les rêves et les mythes. Sa thérapie consistera
à aider ses patients à renouer avec ces racines de
l'inconscient collectif. Il ne peut le faire sans s'aider de l'image,
voie une et multiple par laquelle l'homme pénètre
progressivement dans les cercles qui le mènent vers le centre
de son être intérieur. Les archétypes, plutôt
que des structures préformées, sont des dynamismes
qui contiennent une charge émotionnelle énorme, dépassant
l'homme (le numineux, expérience affective du sacré)
et qui aimantent la vie de tout homme. Ils se manifestent dans la
psyché mais aussi dans les situations de la vie.
Les plus puissants d'entre eux sont les parents, significations
des archétypes invisibles, en fait pas des personnalités
concrètes comme le pensait Freud mais des images puissantes.
Ainsi, l'animus et l'anima introduisent l'image du sexe opposé
dans la psyché au fur et à mesure que l'homme se détache
de ses parents; l'anima arrache l'homme à son univers rationnel,
peu à peu l'harmonie émerge du chaos, et l'anima montre
son visage d'initiatrice. C'est la femme que nous portons en nous
alors que l'animus tient des jugements raisonnables, c'est un canon,
un code de vérités banales, de raisons et de choses,
le bon sens.
Dépassant ces formes et s'appuyant sur elles, l'homme en
les reconnaissant s'individue, souvent au prix d'un voyage fertile
en péripéties (on retrouve le thème de la Quête),
accède au centre du Soi, et transforme son regard et son
être.
René Barbier: l'approche transversale, l'écoute
sensible en sciences humaines.[13]
Professeur des Universités, connu pour un livre qui, dès
sa publication en 1977, faisait autorité: "La recherche
action dans l'institution éducative", sociologue reconnu,
René Barbier, a fait le choix de travailler en Sciences de
l'Education, s'est tourné, depuis un quart de siècle,
vers des modèles épistémologiques complexes,
vers des positions carrefours. Il en assume et les ambiguïtés
et les richesses et l'a manifesté notamment en créant
le premier laboratoire de recherches sur l'Imaginaire en Sciences
de l'Education (le CRISE).
Il a mis en place une posture méthodologique qui touche
au statut scientifique de l'Imaginaire, défini à partir
de trois pôles: imaginaire pulsionnel, imaginaire social et
imaginaire sacral et propose ainsi une véritable théorie
tridimensionnelle de l'Imaginaire, dans une confrontation des apports
de la psychologie psychanalytique, des théories de l'analyse
institutionnelle et des philosophies orientales, ceci le conduit
à nous proposer des modèles opératoires en
sciences humaines et particulièrement en éducation
qui fonctionnent sur les paradigmes de la reliance et du métissage,
seuls à même de prendre en compte les paradoxes de
la confrontation entre réel et imaginaire. Nous ne sommes
pas éloignés, dans cette perspective du trajet anthropologique
cher à Gilbert Durand ni du nomadisme et de l'errance dans
lesquels Michel Maffesoli voit des conduites les plus socialement
partagées à l'époque post-moderne que nous
vivons. Il s'agit véritablement d'une anthropo-logique, comme
le souhaite également Georges Balandier, ce que Barbier nomme
avec Jean-Louis Legrand une implexité, soit une confrontation
armée entre les postures de l'implication et les données
de la complexité.
Ancrée résolument dans un processus "aux frontières",
la dynamique éducative et de recherche préconisée
par Barbier va revêtir là deux formes majeures:
l'écoute mythopoïétique, dont il propose d'explorer
les applications en psychothérapie, en ethnopsychanalyse,
en Education, effort particulier pour lire les mythes et symboles
comme producteurs de double sens dans les situations rencontrées;
la recherche-action existentielle, soit produire des connaissances
et transformer la réalité, et Barbier insiste à
juste titre sur la rigueur nécessaire et très actuelle
d'une démarche dont quiconque a fréquenté un
tant soit peu les milieux professionnels du travail social, de la
culture, de la formation et de l'éducation, peut reconnaître
l'utilité sociale. Durkheim ne disait-il pas lui-même
que la sociologie ne vaudrait pas une heure de travail ni d'effort
si elle ne trouvait pas cette utilité?
Ceci l'amène enfin à définir une exigence
pour le chercheur en sciences humaines et sociales: celle de sensibilité.
Non, et Barbier nous y conduit fort à propos, l'homme, les
sociétés qui l'habitent ne sont pas des choses, pas
plus que des machines à produire, par exemple, des images
médiatiques, ils justifient, si l'on veut les comprendre
et peut-être les aider, d'une approche différenciée,
cette sensibilité que Barbier définit comme "une
empathie généralisée à tout ce qui vit
et à tout ce qui est"(p.289). Et l'auteur de rappeler
justement "qu'il est temps de redonner vie au mot amour en
sciences humaines (...) mais à condition de laisser interférer
la sensibilité spirituelle des autres civilisations".
Ceci le conduit à reconsidérer les perspectives de
l'interprétation elle-même, et, à l'inverse
des idéologues, à prendre partie pour une recherche
qu'il montre irréductible à des modèles car
"tout ce qui peut se ramener au même à l'Invariant,
à la Structure est illusoire"(p.295).
Dans cette perspective de reliance et de sensibilité accomplie,
l'ouvrage se termine sur de magnifiques pages pleines de poésie
et d'humanité dans lesquelles l'auteur nous fait partager
son expérience de ce qu'il nomme "une infinie tendresse"
appliquée ici à l'écoute des vivants en fin
de vie.
Pour aller dans quelle direction? assurément celle d'un
ailleurs, celui de la post-modernité alors même que
les milieux catholiques avaient, à travers la pratique de
l'hagiographie, opté pour une vision trinitaire de la divinité.
Comment? En mettant en oeuvre une Université pour la pluridisciplinarité,
soit tendre à l'éclatement des disciplines, contre
la surspécialisation (le "bocalisme" universitaire)
qui ne pouvait produire que des effets paranoïaques alors même
que les milieux des sciences dures tendaient à la perversion
totale du temps newtonien.
Contre le rationalisme classique, le monothéisme de la Méthode,
sa destruction par d'autres paradigmes, soit une théorie
et un ensemble de méthodes qui englobent le rationalisme
pour promouvoir un hyper rationalisme et font advenir le sujet.
Imaginaire social.
"Nous sommes des nains juchés sur les épaules
de géants", écrivait au 12ème siècle
Bernard de Chartres, se référant aux antiques; à
considérer, par exemple un parcours éducatif, nous
en prenons une conscience encore plus avivée plus que ces
épaules que nous ont prêtées nos maîtres,
à diverses époques, sont à chaque fois, pour
nous, l'occasion d'élargir le champ de nos perceptions et
de nos interrogations, parfois même de nous risquer à
certaines transgressions, dans l'ordre précisément
du symbolique.
La question de l'Imaginaire est encore aujourd'hui, dans le microcosme
universitaire, une de ces transgressions majeures à laquelle
peu d'entre les enseignants et chercheurs ont eu le courage de se
livrer. Elle cadre mal avec les catégories de la Modernité
qui, le notait Balandier, "semble l'avoir aboli et même
en bouleverse les paysages", elle reste rappelons-nous, pour
nombre d'entre eux "la maîtresse d'erreur et de fausseté"
(Descartes), "la folle du logis" (Pascal).
Et pourtant, un marxiste positiviste aussi peu suspect de sympathie
pour l'irrationnel que Régis Debray n'écrivait-il
pas, en 1954, dans Libération: "nos circonscriptions
flottent, l'appétence à l'inscription grandit. Il
y a un rapport nécessaire entre l'effacement des méridiens
et la remontée des mythes d'origine".
L'un comme l'autre, observons-le au passage, placent délibérément
la question des rapports entre "Imaginaire et Modernité"
ou entre "Mythe et Science" sur un plan spatial. Cette
question d'un cadastrage du réel, des topologies ou des topos
de l'Imaginaire, nous amène à la nécessité
de réviser nos catégories de l'inscription et sont
au coeur de la problématique éducative et culturelle
justement parce que nous sommes dans une situation où les
repères s'effacent, où les paradigmes scientifiques
évoluent d'un Imaginaire aménageur instrumentalisé
au profit d'une remontée en force des catégories de
la Temporalité. Entre ces deux lignes de force, la question
de l'imaginaire nous en fournit un lieu d'intégration possible.
Pour le dire autrement, avec Herbert Marcuse, science et technoscience
ayant remis en question l'idée radicale de l'Humanisme, par
l'exclusion d'une autre alternative, celle du travail, n'ont-elles
pas contribué à fermer le social? et, ayant dépassé
la fausse conscience du Progrès et de la Modernité,
notre capacité à imaginer, à mythifier et à
mythologiser, l'une et l'autre de ces catégories "comme
idéologies" (Habermass) ne restituent-elles pas la possibilité
de restaurer un autre humanisme?
Cornélius Castoriadis[14] distingue ainsi imaginaire radical
(ce qui dans la psyché sôma tient aux racines) et Imaginaire
social (essentiellement créateur) lequel produit le neuf
dans les sociétés par production incessante de significations
imaginaires sociales, qui instituent en interrogeant le social de
façon incessante et sont produites par le magma, ou noyau
de significations.
C'est dans la réflexion sur la crise actuelle de l'imaginaire
et de l'imagination dans les sociétés actuelles que
s'origine la démarche de Castoriadis (cf Les figures du pensable)
et sa méditation sur la démocratie. Il est proche
des analyses de Michel Maffesoli quand il interroge chez l'Homme
le sens de la tragédie et son autolimitation.
Mais, prévient-il, l'excès (l'hubris) est toujours
possible - et l'on reconnaît là la figure de l'ombre
de Dionysos - lequel provient du sans-fond de l'être, l'abîme
qui est derrière tout existant mais qui est aussi cosmos,
création de formes.
Ceci amène Castoriadis à interroger les liens du
social avec l'imagination radicale - soit la psyché en tant
que chaos qui crée un cosmos ou vis formandi car "la
forme, nous enseigne Michel Maffesoli, nous incite à penser
à partir du paroxysme et de l'excès" et cet auteur
d'interroger la raison sensible comme dynamisme et comme flux, qu'il
nomme ratio-vitalisme enthousiaste, lequel met en oeuvre "une
force instituante dont on peut souligner le caractère démoniaque"
(Eloge, p. 67).
Evoquant ce trait humain qui fait que l'homme remplace le plaisir
d'organe par celui de la représentation en fournissant à
la psyché (plurielle chez Gilbert Durand) - c'est le rôle
des symboles et des mythes - une autre source de sens: la signification
imaginaire sociale, telle l'institution, laquelle socialise le sens
en fournissant aux individus en société cette source
de création au niveau collectif et réel qui s'origine
dans la psyché. La démarche de Gilbert Durand originant
ses travaux sur l'Imaginaire dans la psychologie des réflexes
de l'école de Leningrad procède de ce même ...
Méthode et spécificité de cette approche:
un travail transdisciplinaire.
Cet effort de travail repose sur plusieurs champs d'application
et théories comme "machines à produire du sens"
(Barbier). Il nous a ainsi conduit à travailler par aires
culturelles, à en reconnaître les singularités,
puis non pas tant à produire des classements, même
si le travail sociologique nous conduit inévitablement à
dresser des typologies, qu'à examiner les conditions de production
des récits littéraires ou sociaux, leurs véhicules,
et celles de leur réception, dans une perspective interactive
et systémique.
Et nous avons reconnu là, la nécessité d'une
approche transversale, laquelle s'éloigne de plus en plus
de la juxtaposition des disciplines sollicitées, l'implication
nous y obligeant, pour saisir l'effervescence du vivant, sauf à
confondre réel et imaginaire.
Le chercheur, comme intellectuel, doit dire son temps à
sa manière, pour donner à penser et non déterminer
théoriquement ce qui doit être, et nous prenons partie
résolument contre ce que Jacques Ardoino dénonçait
comme le fantasme de l'ingénieur/prince lequel tend à
produire des sociétés de la transparence, fondée
sur le fantasme de sociétés inertes et unifiées.
Fantasme qui habite toujours nos modernes CNU et autres officines
du savoir officiel.
C'est peut-être un des avantages et la chance épistémologique
du praticien chercheur en Sciences de l'éducation que de
pouvoir enseigner ce qui est dans le temps. Comme praticien, nous
avons ainsi appris que la vie en société se constitue
dans le champ du symbolique, (la qualité de l'être-ensemble
est à ce prix). La découverte des problématiques
de l'imaginaire conduit à notre sens le chercheur praticien
à interroger divers courants théoriques, partant de
l'imaginaire:
d'abord groupal (psychosociologie) quand l'imaginaire des groupes
travaille en creux les représentations et l'interaction des
équipes de travail ou d'apprenants, les cultures populaires
ou savantes, la littérature comme porteuses de savoirs sociaux,
l'écoute mythopoïétique, et encore le Surréalisme,
le Collège de Sociologie et Georges Bataille, l'histoire
des religions, la mythologie...
Entre ces approches, dans la confrontation au terrain, un lien
se forme vite, facteur d'agrégation, porté par le
mythe qui produit de la cristallisation (Breton), puisqu'il est
à la fois du rêve et de la vie. En ce sens, les situations
du quotidien donnent à voir ce qui les dépasse, "au
creux des apparences" pour reprendre la belle image de Michel
Maffesoli.
Puis proprement social: l'école de l'Analyse institutionnelle
nous sensibilise à la question du collectif, de son action,
des dynamismes à l'oeuvre, des dialectiques (entre instituant
et institué, subjectif et objectif, rationnel et irrationnel).
Et nous savons que le rationnel engendre toujours sa zone d'ombre,
produit de la dérivation, engendre du symbolisme, au prix
de cette dialogique, il débouche sur la reconnaissance du
politique, de l'institutionnel, quand l'inconscient social c'est
l'institution comme réseau croisé de significations.
La reconnaissance du pluriel induit notre position, aux confins
de l'éducatif, du culturel et du développement social,
elle nous amène aujourd'hui à revenir au religieux,
non pas dans une démarche de foi ou de croyance, ce qui n'est
pas le problème ici, mais parce que nous discernons dans
l'ensemble du corps social, une atmosphère de sacré
flottant.
Le sacré.
Pour nombre de nos contemporains, le sacré, devenu sans
doute moins transcendant que médiant (c'était le projet
gnostique), se vit au pluriel, (cf le New Âge) par bricolage
fait d'adhésions individuelles, d'assemblages empruntant
leurs éléments à diverses aires culturelles.
Tout se passe comme si les gens avaient compris que la culture universelle,
qui naît sous nos yeux, sera faite à la fois de refus
de positions dogmatiques, dont on a vu à qui elles profitaient
et de recours à un sacré horizontal, manière
congruente de répondre aux questions de l'environnement et
d'agir sur lui. Après les événements du 11
septembre 2001 où le discours de God Bless America répondait
aux injonctions meurtrières des Fous d'Allah, nul ne saurait
en effet sérieusement prétendre que le sacré
n'a rien à voir avec nos sociétés contemporaines.
C'est un raccourci périlleux en termes d'argumentaires...
Celles-ci font encore l'expérience de l'organique, et ceci
constitue sans doute une culture dans la mesure où l'individu
ne peut être compris que dans la reliance à son environnement.
Jung comme Durkheim l'avaient vu: ce qui crée la cohésion
des groupes sociaux, ce sont les formes spirituelles ou les comportements
archétypiques. Ce qui est unifié chez l'homme, ce
sont ses contenus psychiques, et l'unité profonde des êtres
humains réside sans doute dans cette expérience du
sacré, expérience du tout autre, à la fois
fascinante, attirante et repoussante. Expérience, au fond,
poétique, car les procédés logiques, écrivait
Breton, ne s'appliquent qu'à la résolution de problèmes
d'intérêt secondaire et l'attitude réaliste
n'était faite, pour lui, que de plate suffisance. Il la voyait
même hostile à tout essor intellectuel et moral.
Sur les chemins de l'Imaginaire, à la découverte
d'images d'autant plus fortes qu'elles procèdent de la rencontre
de réalités plus éloignées, on ne peut
faire l'économie de l'approche du sacré. C'était
d'ailleurs le projet du Collège de Sociologie que cette étude
de toutes les manifestations où se fait jour la présence
active du sacré, (ce qui nous distingue de l'école
plus classique et classificatoire de sociologie des religions) car,
le sacré c'est "Ce qui donne la vie et ce qui la ravit"
(Caillois). Il se situe "entre puissance et parole" (Ricoeur),
il est au fondement des religions, materia prima commune, chose
éminemment collective comme disait Durkheim, expérience
des sentiments sociaux et pour Mauss, créateur d'une énergie
spécifique, d'une force sociale.
Le complexe.
Ici, les travaux d'Edgar Morin sur le complexe, nous sont utiles
sur un plan morphologique, comme méthode d'exposition lorsqu'il
s'agit de décrire les situations rencontrées, et la
culture comme système dialectisant une expérience
vécue et un savoir constitué via les médiateurs
que sont codes et patterns. Il laisse en friche ce qu'il appelle
une zone obscure anthropo-cosmique à laquelle nous avons
affaire en travaillant sur le mythe et le symbole.
D'où le recours aux catégories de l'anthropologie
"symbologique" et à celles de l'Analyse institutionnelle,
constituant ainsi avec un système interprétatif à
trois étages: synchronique avec Morin, dialectique avec l'analyse
institutionnelle, culturel avec Gilbert Durand et l'école
de l'anthropologie de l'Imaginaire, quand nous mettons le cap sur
la Culture comme modèle social, comme modèle heuristique
de la recherche, comme modèle sociétal avec le retour
des communautés.
L'Imaginaire comme méthode.
La profondeur mythique chez Gilbert Durand est ainsi à la
fois refoulement et actualisation, amalgame de contradictions.
L'Imaginaire social ou institution première de la société
est le fait "que la société se crée elle-même
comme société" et cette institution première
s'articule et s'instrumente dans des institutions secondes dont
certaines sont trans-historiques - les mythes en font partie.
Pour Durand, le social et le mythique comme langage de celui-ci
décrivent cette dialectique entre imaginaire radical et social
dans la définition qu'il donne du contrat social comme amalgame
de contradictions. Chez lui, cette articulation se joue entre trois
étages: le moi social (drama) qui intéresse la persona
et l'agit, (le teukhein de Castoriadis); le conscient social (logos)
qui le met en représentation, énoncés codificateurs
et langages techniques, (le legein teukhein de Castoriadis); le
pré sémiotique (mythos), grandes images et grandes
questions ou thesaurus de la mémoire de l'espèce,
qui forment l'inconscient social.
Et Michel Maffesoli d'opposer: le dramatique, lié au progrés
linéaire, à l'historicité et à la modernité,
au tragique dont il décrit le retour dans sa double dimension
sacrificielle, chaotique orgiastique, violente, et comme sentiment
paroxystique à notre époque du destin en tentant de
suspendre le temps.
Structures anthropologiques et jeu des correspondances: cnvertir
l'obstacle en objet d'analyse.
Le mythe écrit le récit des grandes images par assemblage
accordé aux conditions de leur émergence dans des
contextes spatio-temporels. Ces correspondances mythémiques
co-existent en fait dès que l'on dépasse une analyse
monopolaire, le mythe est en effet toujours support à la
fois d'antagonisme et de dynamique contradictoire.
Le psychologue Yves Durand a ainsi montré que l'on pouvait
y lire, par exemple une polarité héroïque actualisée
et une polarité mystique potentialisée, ce que nous
avons bien discerné dans les images du mythe de Pentecôte[15],
en même temps orientées vers le Zénith (attente
de l'esprit oiseau) et lié, dans ses manifestations, aux
catyclysmos grec, aux cultes de fécondité et aux sources
et fontaines.
Dans tout mythe, co-existent deux polarités en infra et
en supra (ex: dans les romans médiévaux, Lancelot
est le lancier, son archétype est la lance mais son enfance
en fait un ondin, voué au régime nocturne du palais
subaquatique de la Dame du lac).
Le rapport homogénéité/hétérogénéité
est ainsi vécu sur un mode antagoniste et euphémisant,
en fait s'adapte en circonstances.
Ceci s'applique aux sociétés et Gilbert Durand a
montré comment les grandes périodes, vouées
au mythe du progrès, voyaient fleurir en arrière plan,
son contraire.
Ainsi, le mythe du patrimoine est, sous la cinquième République,
attaché à la Nation conquérante en même
temps que se préparent dans l'ombre les mythes du retour
à la nature maternante et communautaire selon que passions
et préjugés idéologiques ou individuels orientent
et déforment la représentation que les gens se font
du social.
Forme et histoire, du morphologique au dynamique.
Les mythes constituent en effet des formes sociales, des totalités
exprimées en leur parties et nous avons repéré
que ces formes expriment, mettent en représentation le rapport
que nous entretenons au temps. Chaque époque incarne les
principes de son fonctionnement social dans ses mythes, ce qui intéresse
bien entendu la sociologie du développement, la santé,
les politiques, etc.
Ainsi, Lucien Sfez après avoir décrit les sociétés
post 68 comme obsédées par le mythe de la communication
en voit aujourd'hui surgir un autre, celui de la Grande Santé.
Ces grands courants entraînent les hommes et se révèlent
à nous, comme l'a établi Pareto, par les conceptions
et les opinions qui dominent à une époque donnée,
par l'état d'esprit et les actions de ces hommes.
Ils se succèdent selon des cycles ou lois générales
qui en gouvernent les rythmes et tous les phénomènes
sociaux y sont soumis, selon une courbe diluée avec les retards.
Gérard Mendel et David Riesman ont distingué les
sociétés:
d'avant l'histoire - magie, mystique (système trifonctionnel
- Merlin ou Oedipe);
de l'histoire - rationalité (progrès, hiérarchisation
des tâches et des classes fondées sur l'individu: le
monarque). Thanatos gouverne les sociétés du progrès
linéaire fondées sur des solidarités mécaniques;
de renversement des alliances (la tribu, le clan, la communauté),
Eros, Dionysos et Nouvelle Alliance.
Ces trois postures chargées de leurs propres mythes définissent
un triple rapport au temps, à la fois immobile et cyclique
pour les sociétés de la Tradition, linéaire
et progressiste pour les sociétés modernes et spiralique
et récurrent dans "l'instant éternel" pour
les nôtres.
Puissance des mythes sociaux et leur dérivation.
"Si on veut connaître le fonctionnement des sociétés,
écrit Bernard Valade, il faut analyser les mythes sociaux",
il rappelle que Pareto étudiant, dans Mythes et idéologies
de la politique, la succession des élites a considéré
le Jacobinisme comme nouvelle religion politique et pour Michel
Maffesoli, les figures mythologiques sont liées à
un territoire, à un lieu, sont des idées localisées.
C'est ainsi qu'une méthodologie inspirée par l'anthropologie
de l'Imaginaire aura à coeur, à partir des localisations
que nous repérons, d'identifier des figures mythiques dans
les champs du quotidien, de la santé, du sacré, etc.
Bruno Duborgel[16], ainsi, à travers le conte, l'écriture
enfantine, la pédagogie de l'imagination plastique, explore
les voies d'une pédagogie de l'Imaginaire débouchant
sur une éducation de l'Imagination - condition, pour lui
à l'instauration d'un Nouvel Esprit pédagogique visant
à la restauration de l'homo symbolicus trop négligé
par nos pédagogies technicistes et consuméristes.
C'est bien, comme Gilbert Durand l'a souligné, à
partir de réceptions historiques et géographiques,
(le fait minuscule maffesolien) remplies à plein bord, gorgées
de polysémie, que l'on peut remonter aux sources schématiques
du fonctionnement cognitif, et accomplir la reconnaissance du processus
de symbolisation.
"L'enracinement écrivait-il est bouture, ou semis de
quelque chose qui le nourrit, l'exalte, il est nécessaire".
Nous avons nous même, depuis trente ans, mis en oeuvre cette
méthode aux divers champs d'enquête de terrain qui
étaient les nôtres et dont rendent compte ouvrages,
articles et colloques:
St Fraimbault Lancelot du lac figure du médiateur,
Le paradis perdu (les Marches) et le Nouvel Age,
La quête du Graal et les figures du désir,
La Fêtes, telle la Pentecôte et les groupes de transe,
Le Patrimoine les figures du temps,
La culture celtique et les druides maîtres du temps,
Les Apparitions comme ré émergence du sacré
sauvage, manque ou creux d'un Monde désenchanté,
Le localisme et les figures du développement local.
Ces images sociales, fondement de notre être-ensemble, formes
informantes, nous renvoient à des réalités
spirituelles dont les autres sont dérivées. Elles
intègrent en même temps qu'elles disent la force de
la puissance populaire, dans son étrangeté fondatrice.
Le sentiment vitaliste, écrit Maffesoli, est "conjonction
de la joie du monde et monde de la joie".
Le propos d'une éducation à l'imaginaire sera dès
lors de mettre l'accent sur les significations imaginaires sociales.
Le mythe y est passeur de sens, il garantit notre relation à
l'arkhé et force productrice de sens tant l'Imaginaire social
s'étaye sur le donné naturel qui s'offre à
lui et en même temps force de décentrement, expression
de cultures minoritaires étouffées, dans les pratiques
culturelles des bocages aux pélerins des sites d'apparitions,
en passant, comme le suggère Jacques Ardoino, "du continu
au discret".
Au fond, on peut se demander si les situations que nous étudions:
fêtes, processions, groupes pentecostaux, pèlerinages
aux lieux d'apparitions, engouement populaire pour le Patrimoine
ou les romans de la quête, mise en oeuvre des politiques du
développement local n'accomplissent pas dans le social ce
que Jacques Ardoino avait repéré dans sa pratique
du psychodrame. Comme le psychodrame, elles rendent possibles, pour
nos publics, la situation de passage à l'acte, en jouant
sur la scène sociale (un film en cours le montrera pour les
apparitions) l'expérience vécue et des déterminismes
sociaux et de la liberté, de la duplicité dirait Maffesoli
qui se joue sur ces théâtres bien réels.
Les espaces du localisme sont à interroger en dehors des
cadres rationnels où nos modernes technocrates voudraient
bien les enfermer, non seulement dans l'ordre de l'adaptation à
la règle instituée, mais encore comme lieux de rencontre
avec l'imaginaire, en fait entre le vertical des politiques et l'horizontal
des expériences vécues.
Ils sont bien le cadre et le chemin obligé de situations
initiatiques, chaudes, actualisant dans le jeu, simulation et fiction
renforcée par les grandes images qui s'y déploient.
Quand la réalité est décevante, on feint, on
simule, nous apprend encore Ardoino, on élargit le champ,
on fait appel aux dieux dans des figures socialement acceptables,
comme le psychodramatiste convoque sur la scène des persona
qui sont d'autres lui-même.
Sur nos scènes du social, véritables miroirs plans
(Durand), les oeuvres produites mirent le cosmos et le cosmos reflète
désirs et passions des groupes humains, assure le renouvellement
de l'inspiration qui préside à la régénérescence
de nos sociétés. Les situations que nous étudions
n'ont pas d'autre but socialement affirmé et le temps vécu
prend ici toute sa valeur tragique dans l'activation de la dialectique
sacré/profane.
En 1979, le Colloque de Cordoue proposait une autre lecture de
l'Univers. Partant du constat que les sciences qui fabriquent la
technologie n'utilisent pas les logiques du rationalisme classique,
il s'agissait d'imposer un front anthropologique contre le racisme
épistémologique et les formes qu'il revêt. Cette
émergence de la méthode anthropologique peut se définir
essentiellement par la faculté qui nous est désormais
donnée de regarder ailleurs; en ce sens, nous sommes tous
des comparatistes.
Opter pour une méthodologie de l'Imaginaire, c'est en assumant
ces constats, ce n'est pas tant appliquer des concepts que repérer
dans l'effervescence du vivant ce qui ressortit des imaginaires
là où ils se manifestent, quand la cheminée
obstruée du volcan social cède sous la poussée
de l'instituant des significations, et en même temps assumer
des permanences (mythes, structures), qui font du fleuve jamais
asséché des symboles des structures s'organisant en
récit.
Car c'est bien le but avoué de toute anthropologie culturelle
ou sociale que de scruter les représentations que les hommes
se sont forgées d'eux-mêmes en réponse à
leur désir de paraître. Parmi celles-ci, nos méthodes,
à la recherche de l'homme traditionnel, ne sont certes pas
régressives mais visent à restaurer une conception
du savoir qui donne la primauté à l'humain.
La méthode herméneutique aura donc à résoudre
ce paradoxe qui tend, par la reconnaissance des images médiatrices,
à concilier pluralité et validité pour atteindre
la complexité.
Georges Bertin
Notes:
1.- In La Galaxie de l'Imaginaire, Berg, 1980, p.22.
2.- in Terre et volonté. p 10
3.- notes de G Bertin.
4.- Ibidem,
5.- Les structures anthropologiques de l'Imaginaire.
6.- Ibidem p.39
7.- Durand Gilbert, Champs de l'imaginaire, Grenoble, Ellug, 1996
, p.220
8.- Les structures p. 399.
9.- Durand G. Beaux Arts et Archètypes, Paris, PUF, 1989, p
11-12.
10.- Durand G. Les structures... op. cit.. p.353 sq
11.- Durand G. L'imagination symbolique, Paris, PUF, 1964, p.45 sq.
12.- Jung CG, L'âme et ses symboles, Georg et Cie, p. 248.
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15.- Bertin G (dir) Pentecôte, de l'intime au social, Laval,
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