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L’image de la femme et les violences symboliques à son égard au Maroc


Maghrebines entre violences symboliques et violences physiques :
Algerie, Maroc, Tunisie
Rapport annuel 1998-1999...

L’image de la femme et les violences symboliques à son égard au Maroc

I. Introduction
L’image de la femme au Maroc est similaire à celle des femmes vivant dans une société où prèdomine l’idéologie patriarcale et où l’éducation traditionnelle joue un role majeur dans la pérennité et la reproduction de pratiques sociales discriminatoires et dévalorisantes. L’interactìon entre ces deux paramètres se traduit par l’omniprésence et l’enracinement des canons et des valeurs du patriarcat glorifiant et institutionnalisant la suprématie de l’homme. La femme est confinée dans un statut d’étre inférieur, image fortement ancrée dans la conscience collective, car légitimée par la norme juridique régissant les relations entre les deux sexes dans les espaces public et privé.
Depuis quelques temps, de nouveaux terrains sont explorés pour appréhender d’autres aspects de la domination masculine qu’hommes et femmes intériorisent comme normes culturelles. Et mème si le discours ambiant, notamment chez les élites, développe la rhétorique de l’égalité entre les sexes et met en avant la citoyenneté comme mécanisme d’équité, en réalité, souvent, le recours à l’exaltation publique de ces concepts vise essentiellement à juguler les manifestations de la différence provenant du dominé, autrement dit la femme.
Aujourd’hui, les femmes se retrouvent aux prises avec une autre forme de domination exercée au nom d’un principe symbolique reconnu par le dominant et le dominé, qui pourrait etre un produit linguistique, une tradition orale comme les proverbes, un rite, une coutume mais aussi l’éducation traditionnelle... Ces éléments permettent à l’ordre établi de maintenir sa prééminence par le recours à une violence
insidieuse, invisible et, finalement, "tellement ancrée dans les inconscients que nous ne l’apercevons pas, tellement accordée à nos attentes que nous avons du mal à la remettre en question (1) ".
Comme la violence directe, cette violence dite symbolique entretient la différenciation des sexes en associant aux mécanismes déjà existants d’autres mécanismes considérés comme des évidences agissant sur les rapports sociaux, car intériorisés comme ce qui va de soi. Leur manipulation est faite de manière à rendre acceptable cette violence symbolique, et à l’imprimer insidieusement dans les attitudes et les comportements.

L’idéologie patriarcale a trouvé dans ces produits une source inépuisable pour continuer à assurer la prédominance du male et enraciner les croyances selon lesquelles les hommes sont des etres supérieurs aux femmes. Ainsi, outre les textes écrits, d’autres sources sont utilisées comme le langage pour maintenir le statu quo fait de clichés selon lesquels les hommes sont plus forts, plus intelligents; les femmes rusées et craintives. Les rapports genre sont basés sur des jugements de valeurs pour décrire des différences.
C’est dans cet univers qu’hommes et femmes évoluent. Le ròle des uns et des autres est fixé dès l’enfance. Ils grandissent imbus d’une culture qui correspond au schéma préétabli. Les mariages, les fétes traditionnelles, les rencontres familiales constituent des occasions pour construire et consolider les distinctions entre eux, en tant que sexes, par les rites ou les autres instruments de la culture dite populaire comme les contes, les proverbes... C’est de là que la violence symbolique puise son énergie.

II. Le ròle des médias dans la propagation de la violence symbolique à l’égard des femmes

D’autres moyens sont entrés en ligne de compte, pretant main forte à ces référentiels socioculturels. Il s’agit des médias — notamment la télévision — et de l’école, considérés comme vecteurs importants de la violence symbolique à l’égard de la femme. Ce sont les nouveaux modes de transmission des stéréotypes et leur caisse de résonance, destinés, a priori, à aider les mentalités à s’inscrire dans le processus de la modernité, ils participent, tout au contraire, à chosifier (spots publicitaires), dénigrer et humilier la femme (émissions télévisées et manuels scolaires).
Médias et institution scolaire constituent donc un véritable vivier pour reproduire des règles de conduite dictées par les normes sociales et I’éducation traditionnelle et transmettre les valeurs rétrogrades. Ces dernières ne tiennent compte ni de l’évolution de la société et des avancées réalisées par les femmes, ni des rendez-vous décisifs. auxquels l’humanité se prépare pour entrer de plain-pied dans le troisième millénaire.
Le ròle de l’Etat est déterminant pour relever ce défi, car jusqu’à présent, l’école, la radio et la télévision ont été instrumentalisées pour le maintien de cet état de choses. C’est au sein de ces instances que la violence symbolique à l’égard des femmes a élu domicile. Pernicieuse, elle reproduit des messages qui contribuent ainsi à accentuer les contradictions et maintenir les résistances principalement chez les générations futures, censées devenir les forces du renouveau. La situation est d’autant plus alarmante qu’aussi bien la télévision que l’école touchent des millions d’individus et influent d’une manière déterminante sur les opinions et les comportements (2).
Le choix du thème du présent rapport s’explique donc par la nécessité de sensibiliser les différentes parties concernées sur cette forme de violence, jusque-là négligée, le débat s’étant longtemps focalisé sur la violence directe. Les tueries, les scènes de sang, de torture relevant de l’actualité ou de la fiction sont les plus dénoncées pour ce qui est de la télévision et la violence physique, psychologique et domestique pour ce qui concerne la femme. Ainsi, la violence inhérente au média lui-meme pris en tant qu’instrument de pouvoir et de domination est occultée. C’est une violence symbolique exercée par les média à l’encontre des individus, dos groupes sociaux par le bìais de visions péjoratives à travers des images dépréciatives, des commentaires ou des dispositifs caricaturaux. Or, ce sont les femmes qui en souffrent le plus du fait des représentations négatives et des stéréotypes sournoisement instillées.

Or, aussi bien la télévision que l’école agissent sur une réalité en construisant des imaginaires collectifs, en orientant les représentations et les comportementS sociaux. Elles font ainsi écho aux clichés véhiculés par la culture orale, les traditions et l’idéologie patriarcale sous ses différents aspects.
L’image de la femme mère, épouse et de la femme objet y est glorifiée. La femme seule, la femme stérile, la divorcée sont pénalisées à travers leur non reconnaissance en tant qu’individus ou par des réflexions et autres sous-entendus déplacés et culpabilisants.
Le paradoxe, c’est que la télévision et l’école sont censées constituer les moyens les mieux indiqués pour vaincre la persistance des mythes, l’impact des préjugés sociaux et des référentiels culturels, les tabous... Au lieu de cela, elles sont instrumentalisées de manière à les renforcer, à leur conférer une certaine légitimité.
Ainsi, ce qui aurait pu etre un instrument de démocratie directe s’est converti en instrument d’oppression symbolique, utilisé pour maintenir insidieusement des permanence articulées autour de la suprématie d’un genre sur l’autre et ce, quel que soit le statut social de la femme. Car, à titre d’exemple, la télévision et l’école reproduisent la division sexuelle du travail sans tenir compte des changements intervenus dans la condition des femmes. Alors que leur mission, en tant que service public, est de contribuer à informer, former et éduquer, elles participent, à l’opposé, à alimenter et nourrir les visions et les courants les plus médiocres et les plus rétrogrades.
C’est pourquoi le présent rapport aborde la violence symbolique faite à la femme à travers la télévision et l’école; l’objectif étant d’attirer l’attention des décideurs sur les conséquences de la manipulation sexiste de ces instruments, dont ils assument l’orientation, sur la femme et sur le devenir de toute la société et, au-delà, sur le développement d’un pays qui aspire à mettre en place les jalons d’une bonne gouvernance et asseoir les conditions d’un développement durable. Il va sans dire que la responsabilité de l’Etat est évidente dans la mesure où l’école et la télévision sont autant d’outils mobilisés pour véhiculer les principes de l’infériorisation de la femme et la hiérarchisation des sexes.
Mais la responsabilité d’autres corps constitués est aussi engagée. C’est ce que ce rapport s’appliquera à démontrer sans omettre, bien entendu, les alternatives mobilisées par les ONG. En effet, bon nombre de ces organisations mène des actions, qui tentent de faire évoluer les mentalités en mettant particulièrement l’accent sur la sensibilisation des différentes composantes de la société à l’égalité par l’éducation.

1. La télévision comme vecteur de la violence symbolique à l’égard des femmes
C’est un lieu cornmun que de rappeler l’importance des mass-médias, tout particulièrement la télévision, et le ròle décisif qu’ils jouent dans l’évolution des mentalités et dans la modification des comportements sociaux. Ce qui compte, disait MacLuhan, ce qui conditionne tout le reste, se sont les communications de masse et, parmi elles, plus que les autres, la télévision, facteur déterminant comme l’était l’imprimerie dans la phase précédente.
La télévision construit la mémoire collective, la forme ou la déforme, selon l’objectif qui lui a été assigné. Au Maroc, la télévision continue à reproduire et à transmettre les clichés afférents à une culture tutélaire, paternaliste et inégalitaire et à conforter le système établi dans sa vision de la femme par le recours à un discours aux relents misogynes. Emissions, spots publicitaires, pièces de théatre rivalisent en concepts, langages et autres messages dévalorisant la femme en la présentant sous une image en inadéquation avec la réalité et, bien plus grave, une image aux antipodes du discours officiel et des objectifs affichés par les pouvoirs publics.

2. Les spots publicitaires ou l’ancrage de la femme-objet par l’image
La femme-objet est exaltée à longueur de journée sur les deux chaines marocaines. Des images de femmes de tous les àges et de tous les milieux surgissent sur le petit écran à tout instant brandissant toutes sortes de produits en débitant maladroitement et sans grande conviction des phrases vantant les mérites de telle ou telle marque d’huile, de détergent, boissons, aliments, serviette hygiénique...
Les femmes évoluent généralement dans deux espaces qui leur ont été définitivement assignés. L’espace domestique est l’endroit de prédilection pour la préparation des repas et pour mettre en valeur les qualités d’un bouillon (maggi, jambo...) ou encore pour en frotter le parterre et vanter les qualités aseptisantes d’un savon de lessive ou d’un détergeant. Sinon, elle est assise dans un salon, débitant un discours sur l’efficacité de produits contraceptifs destinés exclusivement à la femme: pilule et stérilet notamment.
Dans l’un des spots publicitaires sur la pilule dénommée "Kinat el hilal", un homme apparait, bien en chair, heureux comme un pinson et qui explique que sa bonheur, il le doit à l’espacement des naissances non pas parce qu’il utilise un préservatif, mais grace à Kinat el hilal que prend sa femme bien entendu, alors que lui ne semble nullement concerné par la question.
Dans une autre publicité destinée à sensibiliser à l’usage du stérilet "Al hilal", après la litanie sur son efficience, une femme est montrée au téléspectateur, en gros plan, justifiant son recours à cette méthode de contraception par le fait quelle lui permet de concilier à la fois travail domestique et travail à l’extérieur. "L’emploi du stérilet Al hilal me permet de rendre heureux mon mari et mon enfant ", soutient-elle à la fin du spot.

En effet, la distribution traditionnelle des roles est perpétuée par l’essence rneme de ces spots à la femme procréatrice succède l’image de la jeune fille qui est arrivée à l’age où "les fiancés vont frapper à la porte" ; et bien sùr, la mère est là pour lui prodiguer des conseils sur la facon de réussir son ròle de future épouse par l’utilisation du bouillon Maggi.
Dans les spots publicitaires des télévisions marocaines, la femme au foyer est dévalorisée, elle est réduite à une ménagère ; mais la femme moderne, au moins en apparence et au niveau du langage utilisé, n’est pas mieux lotie. Dans la publicité destinée à sensibiliser les téléspectateurs aux dangers de la route, c’est la femme, habillée en tailleur, maquillée, bien coiffée et faisant usage d’un vocabulaire qui laisse
supposer un certain degré d’instruction... qui incite son mari à conduire beaucoup plus vite; le mari refuse et fait son speech moralisateur sur les dangers de la vitesse. La scène s’achève par un gros plan de l’enfant qui, s’adressant à son géniteur, prie Dieu de le lui préserver, car son papa pense à sa sécurité. Que dire? Sinon que la femme incarne la précipitation. l’immaturité, et l’homme la sagesse et la clairvoyance.

L’image que véhicule la TV marocaine de la femme, est aux antipodes des objectifs affichés par les pouvoirs publics pour promouvoir la condition de la femme dans les domaines de la lutte contre l’analphabétisme et de la planification familiale, pour ne citer que ces deux questions. C’est l’affairisme qui semble guider les concepteurs de ces messages, élaborés sans faire cas de la moindre disposition civique.
C’est le cas d’un spot publicitaire pour une marque de savon de lessive. Une jeune femme qui annonce allègrement qu’elle s’est mariée à l’age de 17 ans! Et qu’elle en est tout à fait heureuse, une partie de son bonheur, elle la doit à Tide. Car son mari, paysan de son état, est toujours propre et en est satisfait, elle aussi car "lorsque la femme s’occupe des charges domestiques et l’homme de son travail à l’extérieur, ils vivent très heureux"

D’ailleurs, la plupart des publicités liées aux détergents s’appuie sur la ségrégation sexuelle pour faire valoir l’efficacité du produit. A relever, dans cet ordre d’idées, que pratiquement dans tous les spots faisant l’apologie du pouvoir quasi magique des détergents, ce sont toujours les hommes, au travail, ou les garsons, en jouant, qui salissent les vetements, et ce sont toujours les filles ou les femmes qui les lavent.
Sur un autre registre, depuis le début du mois de novembre 1998, les deux chaines TVM et 2M se sont mises à diffuser à des heures de grande audience une publicité sur le nouveau bouquet de la chaine arabe installée en Italie ART, pour inciter les téléspectateurs à s’abonner. Pour mettre en valeur la diversité du bouquet, une famille marocaine moderne de la classe moyenne est représentée. Si le mari préfère la chaine de la culture et les informations, les enfants celle des documentaires et du sport, la préférence de la femme va à la chaine des "feuilletons arabes dont elle ne rate aucun épisode" et à celle "des chansons et vidéo clips arabes". Apparemment, la culture n’est pas "un truc de femmes"
S’agissant des spots vantant les mérites des produits oléagineux, en général, la femme prépare les repas et se contente de regarder les autres manger. Dans une publicité de la marque d’huile Cristal, le commentateur laisse entendre que les femmes existent pour assurer le bonheur des hommes et veiller sur leur quiétude "Vous ne pouvez imaginer tout ce qu’elles font pour nous ", c’est pour cela que les femmes qui se soucient du bien etre de leur famille optent pour Cristal affirme-t-il.

Dans l’ensemble, d’après le message univoque de ces "oeuvres", il est sous-entendu que si la famille est malheureuse, le mari déstabilisé, la responsabilité en incombe à la femme qui n’a pas su choisir le meilleur produit pour les satisfaire. Ainsi, la femme et le produit sont placés sur le meme pied d’égalité. Sa mission dans la vie, si l’on se réfère aux spots publicitaires, ne dépasse pas la cuisine, sa raison d’etre : le sourire de son mari, son passe temps favori: laver le linge et mijoter des petits plats que tout le monde prend le temps de savourer, sauf elle.
La mièvrerie des spots ne se limite pas à ce genre de message dtasservissement de la femme, d’autres font d’elle le parangon de la stupidité tel ce spot sur Ariel, qui lui fait comprendre que pour réussir une bonne lessive, elle n’a qu’à acquérir la marque du détergent précité. L’image et le commentaire de la publicité laissent entendre qu’en l’utilisant, il n’y aurait plus de différence: une bassine ordinaire en plastique fonctionnera comme une machine à laver.
Par ailleurs, toutes les publicités destinées à vanter les savons de lessive opèrent le méme choix quant au profil des femmes qui "jouent" dans ces spots et à travers les quelles est ciblée la femme ménagère. Ces femmes n’ont effectivement rien à envier à celles qui vantent les mérites des shampooings et des produits de beauté (toutes belles et bien faites). Cette inégalité par l’image est une insulte à l’intelligence de la femme.

Mais ce ne sont pas uniquement les messages des spots publicitaires qui sont mis en cause. La télévision renvoie, d’une manière générale, au téléspectateur une image étriquée de la femme, une image conforme au discours et aux modèles de représentation dominants. Y contribuent des émissions "sérieuses’ ou ludiques, des feuilletons et des pièces de théàtre.

3. Emissions et pièces de théàtre aussi
La civilisation des loisirs se réduit, pour l’écrasante majorité des Marocains, à la seule télévision qui comble plusieurs lacunes au niveau éducatif et de divertissement. Les grilles des programmes des deux chaines se veulent diversifiées en ce sens qu’elles prévoient outre les jeux et les informations, des pièces de théatre, des séries et des films marocains; autrement dit une production nationale variée destinée au public marocain dans sa diversité et ses préférences.
Les téléspectatrices ont droit à deux émissions qui leur sont proprement destinées Fadae Al Maraa (l‘Espace de la femme) sur la première chaine et Arij sur la deuxième chaine. Leur contenu est fait de séquences "attrape-nigaude" étant donné que la thématique reste largement dominée par les conseils et autres astuces permettant à la femme d’avoir soit des mains ne révélant pas son age ou un maquillage parfait; de réussir sa manucure ou pédicure ou encore, lui prodiguer une liste de produits lui permettant d’éliminer aux moindres frais les taches sur fauteuils et tapis. Aucune rubrique permanente n’est prévue pour guider la Marocaine vers une auto-perception plus valorisante autre que celle qui lui a été définie par l’éducation traditionnelle et par la norme sociale.
Les émissions en question n’abordent guère les rapports de genre au sein de la société marocaine ni la question des droits de la femme pas plus qu’elles n’informent sur les conditions réelles et les difficultés quotidiennes des femmes.
Malheureusement, loin d’accomplir son ròle pédagogique, eu égard au degré d’instruction de la cible, ce média à l’impact certain contribue à l’enfermement symbolique ou effectif de la femme au sein de stéréotypes et autres poncifs éculés.

La production dite nationale est riche en exemples en ce sens. Le discours et le langage sur les femmes, faits de concepts et autres superlatifs implicitement ou explicitement misogynes, constituent dans certains programmes et émissions, au-delà de la violence qu’ils propagent, une réelle agression. L’impact est d’autant plus sensible quand ce genre de discours est servi à travers le genre le plus prisé par le public, à savoir la comédie sociale ou ce qui est communément appelé: le sitcom. Les téléspectateurs avalent la pilule sans se poser de questions, le message est sournoisement instillé, et qui plus est, dans l’allégresse et les éclats de rires. Ne s’agit-il pas de simples gags ?
Deux séries de ce genre ont marqué l’introduction du sitcom, pur produit local, dans le paysage télévisuel marocain. La première série a été présentée au public du 14 au 29 janvier 1998 à raison d’un épisode par jour durant le mois du Ramadan. Elle s’intitule "Moi, mon frère et sa femme" (Ana Oukhouya Oumratou). La seconde, du 26 juin au 2 aoùt de la meme année, porte le titre "Moi, ma femme et mes beaux-parents".
Le succès populaire des deux produits serait resté certainement dans les annales de la première chaine marocaine si une instance chargée de mesurer le taux d’audience existait. Et c’est là où réside le danger, car les différents épisodes véhiculent toutes sortes d’humiliations des femmes. D’abord par le dialogue mais aussi le nombre d’adages et citations méprisantes et à forte connotation sexiste et tout cela sous forme d’effets comiques. Les seules images qu’il a été donné aux téléspectateurs de voir sont celles de l’héroine de la série Hamarna, femme frivole, crédule, malléable à souhait soit par ses parents soit par son mari. Et celles de la femme arriviste, artificielle, acariàtre, qui croit au seul pouvoir de l’argent, sans aucun respect pour son mari, image véhiculée par la belle-mère Sonia, mère de Hamama. Tout au long du passage sur antenne des deux Sitcom, leur auteur s’est évertué à ridiculiser les femmes en caressant dans le sens du poil les sensibilités sexistes et patriarcales de la société et un public imbu d’une culture réductrice de l’image de la femme.

L’autre série qui retient l’attention pour sa bétise est la série "dramatique" Mir Dar Ldar qui a également fait, du 16 juillet au 3 septembre 1998, le bonheur des téléspectateurs qui l’attendaient avec impatience chaque lundi soir. Le thème général de la série est celui des "bonnes". Le scénariste et le réalisateur ont rivalisé en clichés, poncifs, procès d’intention pour humilier, rabaisser, mortifier cette catégorie déjà lésée dans ses droits et exploitée parfois dans des conditions dignes de la période esclavagiste.
Le concept est simple dans chaque épisode, l’action tourne autour d’un méfait commis par "une bonne" au sein d’une famille, et cet impair peut etre une étourderie, un vol ou... un crime. Tout a été concu pour ternir leur image, plus encore pour les condamner à jamais, car c’est un véritable procès qu’on leur a intenté à travers différents épisodes de ce programme. On les a jugées impitoyablement sans leur avoir donné la moindre chance de se défendre. Mais dans cette affaire, les femmes employeuses sont également diabolisées, et présentées comme des commères, de vraies mégères, vulgaires, avec l’intention de faire passer le message suivant: la pire ennemie de la femme est la femme.

Les "bonnes" ne sont pas les seules femmes malmenées dans cette série; d’autres femmes le sont aussi, comme cela a été le cas dans l’épisode du 6 aoùt 1998. Widad est une fille qui se réveille toujours tard, peu soucieuse de ses études, elle passe ses soirées dans les boites de nuit. Son comportement ne dérange nullement sa mère qui la soutient contre son frère pour qui "elle est la honte de la famille et porte atteinte à sa réputation". L’autre femme de l’épisode est la voisine dont le fils, un émigré, est en visite dans son pays. En évoquant dans une conversation le pays d’accueil qui est l’Italie, elle n’a pas hésité à utiliser des mots vulgaires et à qualifier de tous les noms ses habitants avant de conclure avec un "Allah maudit leurs ancetres" (Allah yalaan bouhoum). De meme, dans cet épisode, les garcons ouvrent pour réaliser des projets productifs tandis que le seul souci des filles est le mariage, y compris celles qui disposent d’un diplome d’études supérieures.
Dans un des épisodes, l’image idéale de la future bru d’une femme qui veut marier son fils est celle représentée par une jeune fille qui "a refusé d’accompagner le garcon dans sa voiture" (mème s’il s’agit de son voisin), qui "ne sort que pour se rendre à la faculté et rentre chez elle directement une fois les cours achevés ", qui rougit quand quelqu’un lui adresse la parole. "La fille qui danse est une femme mauvaise ", elle "n’est pas faite pour le mariage". Ce sont quelques-uns des messages édifiants véhiculés par cette série à propos des femmes.

Les enfants disposent aussi d’émissions dominicales sur les deux chaines. Bonjour les enfants sur la 2e chaine, et Al Canat Assaghira, sur la première. La dernière reste la plus suivie pour deux raisons: elle est entièrement en langue arabe et touche un plus grand nombre d’enfants du fait que la première chaine couvre la totalité du territoire national, contrairement à la deuxième, recue uniquement dans quelques grandes villes. Les rubriques, parmi lesquelles Al Mouslirnou Assaghir (le petit musulman) et Al Matbakhou Assaghir (la petite cuisine), et présentée exclusivement par des fillettes, sont conformes aux schèmes et représentations qu’on retrouve dans les autres émissions à l’exception que les présentateurs soient des enfants àgés de 7 à 14 ans. L’ensemble des rubriques semble etre conqu par des adultes, car le téléspectateur s’apercoit rapidement, qu’il s’agisse d’un "reportage" ou d’un commentaire ou tout simplement d’un dialogue, que les enfants récitent des textes appris par coeur.

Dans la série Min daar L’dar, les enfants font les frais de la violence institutionnalisée par la télévision qui atteint les limites de l’inacceptable dans l’épisode du jeudi 3 septembre 1998. L’épisode raconte les agissements d’une bonne qui s’est échappée de l’hopital psychiatrique et qui, dans l’avant-dernière scène, menace ses employeurs en brandissant, d’une main, un grand couteau et tenant, de l’autre, Chaymae, la petite fille de ceux-ci. Une véritable scène d’épouvante qui a duré de longues minutes paraissant des heures pour tout téléspectateur doué de bon sens. La petite actrice qui a campé le ròle risque d’ètre marquée pour la vie. Ce soir là, sur la 1ere chaine, la violence dans tous les sens du terme fut l’héroìne de l’épisode.

Dans le volet théàtre, la première chaine tient en fait une espèce de monopole dans le passage des pièces de théatre version locale, comme c’est le cas, d’ailleurs, pour la production cinématographique nationale.
Parmi les pièces que le téléspectateur a pu suivre avec attention et beaucoup de satisfaction figurent Ch’mkara oua lakine (Vagabonds mais...) et H’ssi, M’ssi’ (Ni vu, ni connu). L’éclatant succès remporté par les deux pièces est dù, en grande partie, davantage au discours plus qu’humiliant colporté sur les femmes qu’à la qualité de l’oeuvre elle-meme. Dans Ch’mkara oua lakine, programmée le soir du 17 juillet 1998, la femme est un simple sexe, preuve en est l’échange de propos de trois hommes, des vagabonds sans domicile fixe (Ch’mkara) autour du corps d’une femme victime d’un accident de la route. Après la découverte du corps à l’endroit où ils ont l’habitude de se retrouver, les vagabonds, au lieu de s’enquérir de son état et lui porter secours, se sont lancés dans une diatribe à propos de qui s’approprierait la femme et ce, après s’étre rendu compte qu’elle était toujours en vie. La question posée consistait à se demander comment ils pouvaient s’y prendre pour que chacun des trois hommes y trouve son compte. L’un d’eux a proposé qu’ils l’épousent à tour de ròle chacun une semaine et la répudient ensuite.

H’ssi M’ssi. a eu droit à deux passages, la dernière rediffusion de la pièce remonte au 23 mai 1998. Le thème tournait autour du chòmage. Dans une des scènes de la pièce, des hommes et des femmes, postulant un emploi, attendent en file indienne devant une usine. Un homme de l’assistance fait la réflexion suivante "Si c’est me fille, belle de surcroit, pas de problèmes, elle aura son emploi meme sans carte, mais si c’est un homme meme avec la carte il n’aura jamais de travail." Toutes les tournures qui ponctuent les dialogues des deux pièces concernant la femme sont ostensiblement grivoises, pour ne pas dire plus.
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1.Domination masculine, Pierre Bourdieu, le Monde diplomatique, aoùt 1998.
2. L’enquète nationale de la famille (1995) a révélé que 65 % des ménages disposent d’un téléviseur 36% en milieu rural contre 87,2 % en milieu urbain.
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