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L'esclavage colonial: un phénomène à étudier au-delà de la culpabilité
Ibrahima Thioub
Par Laurent Ribadeau Dumas 
Publié le 10/05/2012 mis à jour le 15/11/2012

Origine : http://geopolis.francetvinfo.fr/lesclavage-colonial-un-phenomene-a-etudier-au-dela-de-la-culpabilite-5099

«Au début, je pensais naïvement qu’il fallait appliquer à l’esclavage les mêmes méthodes scientifiques que pour d’autres domaines de la recherche historique», explique l’historien Ibrahima Thioub, professeur à l’université de Dakar et docteur honoris causa de l’université de Nantes, interviewé en marge du colloque du musée du quai Branly...

Honte et culpabilité

«Par la suite, j’ai découvert la très forte chargé émotionnelle, la culpabilité et la honte qui, à tort, pèsent sur la question chez les descendants réels ou supposés des acteurs de cette expérience historique. Mais pour redonner à celle-ci sa dimension humaine, il faut l’étudier en tant que tel. Et donc ne pas se placer sur le terrain moral», poursuit l’universitaire.

Le silence des Européens

«J’explique le silence des Européens par le fondement idéologique de la colonisation au XIXe siècle. Ils affirmaient alors que s’ils colonisaient, c’était pour empêcher les Africains de pratiquer l’esclavage en Afrique même ! Dans ce contexte, ils parvenaient à faire oublier le 'pêché originel' de ce qui s’était passé du XVe au XIXe siècles : le fait qu’en partenariat avec certaines élites africaines, ils avaient soumis les peuples du continent à un pillage sans précédent avec la traite des esclaves, pour ensuite prétendre civiliser ceux qui pratiquaient l’esclavage. Ainsi, le silence s’est installé sur les faits antérieurs. Cela évitait d’expliquer le système des grandes compagnies pratiquant la traite, qui s’appuyaient sur les élites africaines, au détriment de leurs peuples».

Le cruel traitement esclaves aux Antilles gravure datant 1773

"Le cruel traitement des esclaves aux Antilles", gravure datant de 1773 © AFP - The Art Archive

Le monde européen n'est pas un tout

«Par la suite, les nationalistes africains ont rejeté la faute exclusivement sur les Européens, en occultant le rôle de certains souverains du continent. Ils ont pris l’affaire globalement en omettant de dire que le monde européen n’était pas un tout et que les intérêts pouvaient y être très divergents. Il y a ainsi eu les 'trente-six' mois, ceux qu’on appelait les 'indentured' dans les pays anglo-saxons, sortes de serfs travaillant en principe par contrats de 36 mois en Amérique avant la mise en esclavage des Africains. De la même manière, les sociétés africaines étaient tout aussi peu monolithiques».

L'émergence du capitalisme

«Il faut mettre en avant l’origine du phénomène : à savoir l’émergence du capitalisme mercantile européen. Voulant exploiter les richesses des Amériques, celui-ci avait besoin de main d’œuvre. Il s’est donc servi là où il y en avait au moindre coût. L’esclavage est donc un problème social, politique et économique qui se poursuit aujourd’hui.

Prenez l’exemple de l’exploitation de l’uranium au Niger par Areva qui fournit l’énergie à la France et laisse les populations du Niger avec l’énergie du Néolithique : le bois ou la bouse de vache. Les élites africaines agissent exactement comme leurs ancêtres : on leur verse des rentes qui leur permettent de s’enrichir  et d’acquérir des biens immobiliers en Europe. Elles laissent ainsi exsangues leurs peuples et particulièrement les jeunes qui se lancent à l’aventure de la mer et du désert, vers une Europe de moins en  moins accueillante, au péril de leur vie. Hier comme aujourd’hui, cette alliance entre élites africaines et monde la finance européenne continue de perpétrer un crime contre l’humanité !»