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Origine : http://www.parutions.com/?pid=1&rid=1&srid=140&ida=3803
Bibliographie :
L, roman, Lattès, 2001
Hard Copy, théâtre, Actes Sud, 2001
La Prière de septembre, roman, Lattès, 2002
Le Coeur de l'ogre, roman, Lattès, 2003
A trente-trois ans, Isabelle Sorente a publié à la
rentrée son troisième roman, Le Cœur de l’ogre,
chez Lattès. Ce texte inspiré, étonnant, qui
traite de la question du mal et de la force vitale à travers
le personnage de Gilles de Rais, nous a donné envie d’en
savoir un peu plus sur son auteur…
Parutions.com : Qu’est-ce qui vous pousse à
écrire ? Poursuivez-vous un projet à travers vos livres
?
Isabelle Sorente : Oui, j’ai un projet philosophique, qui
serait d’explorer et de défendre une pensée
de la métamorphose. J’essaye de traduire par des histoires
les questions qui me travaillent. En même temps, l’écriture
est pour moi un mode de fonctionnement, un art de vivre, la façon
de « digérer » ce qui m’arrive. Il s’agit
d’abord de bien vivre avant de bien écrire.
Parutions.com : Dans vos deux premiers romans, on est face
à des personnages « inadaptés », immobiles
: Lucrèce agressée par la société dans
L, Pierre le glaçon dans La Prière de septembre. Dans
Le Cœur de l’ogre, en revanche, on sent davantage un
appel au mouvement, à l’élan vital au sens propre…
Isabelle Sorente : Je travaillais déjà sur Le Cœur
de l’ogre pendant que j’écrivais L et La prière.
Dans ces deux romans, il s’agit de montrer des personnages
qui ne bougent pas, coincés, enfermés dans les cases
impitoyablement restreintes d’une société entièrement
tournée vers la rentabilité. Parler de l’élan
vital, saisir la métamorphose à l’œuvre
dans un corps, dans une tête, c’était plus difficile,
plus long. Parce qu’il fallait inventer une forme qui fasse
ressentir l’enthousiasme, les élans imprévisibles
de l’esprit humain, ce don complexe, débordant, parfois
douloureux de l’esprit humain ! Bref ne pas seulement parler
de la métamorphose, ou de l’élan vital mais
le faire ressentir à la lecture.
Parutions.com : Le thème des morts-vivants est récurrent
dans vos trois romans, plus ou moins explicitement. Est-ce une angoisse
personnelle, ou une figure qui vous semble symptomatique de notre
époque ? L’ennui des morts-vivants est-il moderne ?
Isabelle Sorente : Le mort-vivant me semble en effet symptomatique
de notre société. On n’a jamais autant parlé
d’individualisme qu’aujourd’hui, mais sérieusement,
combien d’individus réels rencontrez-vous dans une
journée ? Comment ressentir, comment réfléchir,
comment jouir bref comment vivre quand on n’a jamais le temps,
quand le rare temps soi-disant « libre » est immédiatement
converti en loisirs ? Je crois que notre société fabrique
beaucoup de morts-vivants, ou plutôt de gens qui ne commencent
jamais à vivre. Il faut vraiment lutter pour naître,
et cela n’a rien à voir avec la date de naissance marquée
sur notre état civil ! Je suis assez terrifiée par
le fait divers de Colombine, raconté par Michael Moore puis
par Gus Van Sant dans Elephant. Pour moi, les deux criminels sont
totalement désespérés. C’est une condamnation
sans appel de leur société, de leur mode de vie. Comme
s’ils partaient du principe que tout était déjà
mort. Je pense que les espaces poétiques, les espaces de
création ne cessent de rétrécir. C’est
contre ce rétrécissement, contre le désespoir
qu’il provoque qu’il faut lutter.
Parutions.com : Qu’avez-vous contre les livres de
développement personnel, plusieurs fois épinglés
sous votre plume ?
Isabelle Sorente : Ce que je n’aime pas, c’est la «
mode psy » (je n’ai rien contre les démarches
réelles, j’ai moi-même fait une analyse), et
cette imposture qui tendrait à faire croire qu’on peut,
en un stage de week-end ou en lisant un bouquin, remplacer un questionnement
censé durer toute la vie ! Un parcours initiatique digne
de ce nom ne se cale pas dans un agenda. Là encore, là
surtout, il ne faut pas tomber dans le piège de la «
rentabilisation ».
Parutions.com : La sexualité est très présente
dans vos livres, de manière crue, évidente. Elle n’est
pas esthétisée, et pourtant belle – dans sa
vanité parfois. Quel regard portez-vous sur l’utilisation,
le prétexte de la sexualité, dans les médias,
la publicité, la littérature ?
Isabelle Sorente : Pour moi la sexualité, y compris dans
sa vanité, y compris dans ses ratés, est du domaine
du sacré. Un des hauts lieux de la métamorphose. L’amour
physique est une des portes vers la grande joie de vivre, la grande
joie d’être humain. Je pense que tout discours visant
à faire croire que l’amour physique est au choix, triste,
ennuyeux, morose, dégoûtant, mécanique, etc…
est au moins dangereux, peut-être criminel. C’est condamner
la porte vers le sacré, casser l’enthousiasme du corps.
Ensuite, évidemment, il n’y a plus qu’à
aller faire du shopping.
Parutions.com : Le Cœur de l’ogre est un roman
atypique, mêlant théâtre, journal, essai…
Les contours du roman vous semblent-ils étroits pour la parole
que vous voulez porter ?
Isabelle Sorente : L’idée c’était d’utiliser
l’espace romanesque pour faire ressentir la diversité,
la métamorphose de l’intérieur. Un peu ce qu’on
peut ressentir dans des variations en musique ou dans un triptyque
en peinture. D’où cette forme atypique. Le roman permet
d’accueillir cette forme ! Le roman est un espace infini,
ou plusieurs personnages, plusieurs voix, plusieurs formes peuvent
s’exprimer contrairement à un essai, ou à un
témoignage où ne se fait entendre qu’une seule
pensée ou une seule histoire. J’avais envie d’utiliser
toute la liberté du roman, un peu comme quand on se dit qu’on
n’utilise que 10 % de son cerveau. On rêverait de l’utiliser
plus follement, non ?
Parutions.com : On sent dans votre dernier livre un souffle
d’absolu : le bien, le mal, le sacré se mêlent,
dans une même fascination, un même vertige. Pour un
lecteur sensible au « religieux », c’est presque
un vent violent qui balaye la lourdeur du dogme. Je crois savoir
que vous êtes croyante. Gilles de Rais, inspirateur de votre
roman, pourrait-il être une figure biblique ?
Isabelle Sorente : Je crois en Dieu, en la Vie, au-delà
de tout dogme. Ma façon d’exprimer ma foi, ce serait
d’accueillir la vie sous toutes ses formes, humblement, à
travers toutes ses métamorphoses. Peut-être est-ce
une foi un peu shivaïte, qu’importe. La question morale
demeure : que faire des formes monstrueuses ? C’est un des
thèmes du livre. Gilles de Rais, figure biblique, je ne pense
pas. C’est d’abord l’auteur de crimes abominables.
Mais figure mythique, archétype, oui, certainement. Il s’est
d’ailleurs confondu au mythe de Barbe-Bleue.
Parutions.com : Quelles lectures vous ont nourrie ?
Isabelle Sorente : Il y en a beaucoup, je suis une boulimique de
livres ! Alors disons Les Hauts de Hurlevent, qui m’ont bouleversée
à l’adolescence. Sade, bien sûr, en particulier
pour Les 120 journées de Sodome. Et aussi pour l’humour.
On oublie souvent l’humour de Sade, dévastateur certes…
Et puis Henri Michaux, tous les livres d’Henri Michaux. Tous
ceux-là m’ont nourrie.
Parutions.com : Dans quelle filiation littéraire
ou artistique aimeriez-vous que l’on vous situe ?
Isabelle Sorente : Peut-être du côté de Michaux,
justement, et de Georges Bataille, pour la démarche expérimentale,
l’expérience intérieure. Ce que Michaux fait
avec les drogues ou Bataille avec l’érotisme, j’ai
essayé de le faire avec l’ogre. Sinon, je suis un écrivain
philosophe, je me sens d’abord engagée dans une démarche
ontologique. Ma quête est d’abord celle d’un art
de vivre.
Parutions.com : Y a-t-il un prix littéraire que
vous aimeriez inventer ?
Isabelle Sorente : Oui ! Celui où le lauréat devrait
donner tous ses droits d’auteurs pour servir une cause de
son choix. Humanitaire, grande fête d’une nuit…
Suivant son inspiration. Le prix du don.
Parutions.com : Imaginons que vous soyez l’héroïne
d’un conte cruel. Lassitude, insensibilité ou implacable
lucidité : si l’un de ces mauvais sorts devait vous
être jeté, lequel choisiriez-vous ?
Isabelle Sorente : Je choisirais l'implacable lucidité.
Mais cette lucidité-là, n'est-ce pas justement celle
de la joie, la joie crue, parfois cruelle comme vous le dites, la
joie de vivre exposée à tous les hasards, les dangers
et les cadeaux de la vie ?
Parutions.com : Qu’aimeriez-vous que vos lecteurs
se disent en refermant vos livres ?
Isabelle Sorente : Qu’ils ont voyagé.
Parutions.com : Pouvez-vous nous parler un peu de votre
prochain ouvrage : roman, pièce de théâtre…
?
Isabelle Sorente : Un roman. Il est en cours mais je préfère
ne pas en parler pour l’instant. Moins j’en parle, plus
j’écris !
Parutions.com : Que peut-on vous souhaiter pour demain
?
Isabelle Sorente : Un oui. Un grand oui à la vie. On est
toujours tellement trop craintif, tellement trop petit devant la
vie.
Propos recueillis par Anne Bleuzen le 18 novembre 2003
19/11/2003
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