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Quelques hypothèses sur nos difficultés
L’anti-terrorisme, une méthode de gouvernement ?


Origine : Ces deux textes ont été écrit suite à des débats locaux (région nantaise) dans le cadre d'un collectif de soutien aux anarcho autonomes de Tarnac ou d'ailleurs et aux victimes de la répression sociale


Toutes les personnes qui ont participé aux réunions du Collectif Tarnac, ou « Comité visible nantais » selon le nom donné à notre liste, ont constaté nos difficultés à nous constituer en collectif et à agir collectivement. Notre relative impuissance va de pair avec notre difficulté à nous instituer comme regroupement, me semble-t-il.

Mes hypothèses s’appuient sur l’analyse de la postmodernité. Ce terme est une appellation commode pour dire que nous ne sommes plus dans la modernité. Les personnes qui souhaitent plus de précisions sur cette notion peuvent se reporter au mémoire écrit sur ce sujet. Il est possible d’organiser des échanges sur ce thème si des personnes le souhaitent.

Le plus souvent, dans le contexte de la modernité, les formes d’organisation politique fonctionnaient avec un système de chefferie et une théorie politique bien délimitée. En général, les chefs tiraient leur légitimité d’un appui externe hors du groupe, ils n’étaient pas soumis aux mêmes règles que le reste du collectif en question. Le groupe était assez consistant et uni autour de la figure du chef sensé aimer tous les membres du groupe de la même façon. L’union pouvait aussi marcher sur le mode des reproches faits aux chefs. La fondation et l’origine étaient mythiques et basées sur le passé. L’avenir était vu sur le mode de la promesse qui donnait sens au sacrifice militant. Le plus connu des récits de la modernité était celui du progrès, c’est lui qui permettait de croire en un avenir meilleur. Il y avait une asymétrie entre les chefs et les autres, le système des places différentes était admis. Les limites du groupe étaient connues et faciles à repérer. Il était assez simple d’identifier l’ennemi, nous avions la certitude que notre militance était juste et légitime et que l’avenir serait radieux. Pour un certain nombre de groupes politiques, cela allait de pair avec une vision avant-gardiste et une position de surplomb qui détenait la vérité et qu’il fallait transmettre aux autres.

Aujourd’hui dans le contexte de la postmodernité, nous refusons le système des chefferies, notre engagement est une auto-affirmation assumée. Nous savons maintenant que le progrès était une construction mythique. Nous n’avons plus d’appui extérieur pour nous construire politiquement. Nos regroupements sont plutôt inconsistants, sans contours bien définis. Il y a souvent autant de théories politiques que de personnes dans le groupe et nous avons du mal à trouver notre « en commun ». Nous constatons nos différences et nous ne trouvons pas toujours le chemin d’une intégration collective pour que ces différences soient une richesses et non un facteur de blocage. La multiplicité semble un obstacle. Nous cherchons l’unité et le consensus, l’unanimité est comme un rêve inaccessible.

J’ai l’impression qu’une partie de nos difficultés viennent en partie de notre situation dans la postmodernité. Nous devons inventer des modes d’être en politique qui partent de nos différents existentiels, d’une pluralité de fait. Nous partons d’un contexte de précarité et d’incertitude.

La situation est beaucoup moins claire que du temps de la modernité. Notre ennemi, nos ennemis sont plus difficiles à cerner, c’est assez assez diffus, c’est plus complexe et pas toujours facile à identifier. On le voit pour Tarnac et la répression sociale. Tout le monde a bien compris qu’avec ce qui se passe avec les inculpé/es de Tarnac nous sommes face à un événement nouveau et important, mais nous ne pouvons pas le détacher de la répression sociale que nous rencontrons partout dans nos vies. Nous ne savons pas encore comment articuler ces différents niveaux de réalité. On voit bien que les dispositifs de pouvoir nous traversent et nous constituent, que nous sommes face aux effets des différentes procédures qui nous produisent comme sujets dans ce système.

Le pouvoir capitaliste en France a repris et développé la notion de terrorisme pour nous nommer et nous gérer. C’est une pratique de pouvoir qui nous inclut dans divers dispositifs, alors que nous refusons cette nomination et nous nous considérons plutôt comme des victimes du système.

On constate que le discours est lié à des pratiques, qu’il s’agit d’un ordre particulier. C’est un ensemble qui construit un ennemi, une domination mentale qui passe par les médias, dont Internet. (*)

L’ordre du discours passe par des énoncés qui délivrent une vérité dans les médias, par les pratiques policières et judiciaires, par un contrôle social assez serré. Le contenu politique est clair : s’attaquer aux diverses tentatives de s’opposer au système capitaliste contemporain. La liaison entre le sécuritaire et le maintien des profits, la reproduction des pouvoirs est évidente. Ce qui est moins évident, c’est de savoir comment développer notre puissance collective face à ce rouleau compresseur.

Nous avons déjà énoncé diverses pistes. Nous pouvons partir de nos pratiques pour mettre au jour les différents aspects de la biopolitique qui prend nos vies. La solidarité est nécessaire à différents niveaux. Selon nos désirs il est possible de la décliner sur le mode l’anti-répression classique ou non. Articuler la lutte contre la répression politique et la répression sociale est à construire. Nous ne savons pas encore bien faire cela. La domination spectaculaire nous qualifie « d’éco-terroristes » quand nous fauchons les champs d’OGM, nous aurons vite cette l’étiquette terroriste sur le dos dans notre refus de l’aéroport de Notre Dames des Landes.

Nous pouvons également agir sur le mode de l’action politique comme les interventions de rue, les débats publics, les manifs. On peut essayer de se rendre visible pour affirmer publiquement que nous voulons vivre autrement et que le système capitaliste est illégitime et destructeur. Notre civilisation a besoin d’un autre fonctionnement collectif sans domination, sans exploitation et écologiquement viable.

L’aspect de la coordination peut être un autre élément à développer. Fédérer les diverses tentatives d’opposition ou de création d’alternatives est un objectif qui demande un investissement légitime en lui-même. La dispersion et la discontinuité sont des données de base de notre situation dans la postmodernité. Les incantations sur la convergence des luttes peuvent rassurer et devenir un rituel collectif. La convergence réelle reste un désir non réalisé pour beaucoup d’entre nous.

La déconstruction de la domination mentale peut être un autre champ de lutte, où le débat théorique est légitime et important. C’est un travail spécifique que nous devons mener, il ne rend pas supérieur. Nous ne sommes pas obligé/es de reproduire la système bourgeois de valorisation des intellos. Nous devons essayer de construire les armes de la critique pour penser dans le contexte de la postmodernité. Nous refusons les experts, nous pouvons nous appuyer sur le savoir issu des différentes luttes ou pratiques locales. Ces savoirs ne sont pas reconnus officiellement, mais ils existent. Par exemple, Pascale, dans son texte, nous rappelle comment en France nous héritons d’une histoire judiciaire et policière particulière en ce qui concerne l’anti-terrorisme. Le thème de la sécurité est en lui-même enjeu de débats. Le cadre admissible pour nos vies et pour les luttes en est un autre. L’environnement mental du système est assez étriqué, c’est à nous de l’élargir ou le déplacer. Par exemple, les mesures du gouvernement sont presque toujours présentées sous l’angle d’une nouvelle liberté, une liberté qui nous enchaîne toujours un peu plus. La nouvelle droite avait bien préparé le terrain. Comme pour la sécurité, le langage employé fonctionne comme un verrou d’évidence qui bloque la réflexion et le refus.

Développer notre puissance collective de manière autogérée peut nous permettre de sortir de la tristesse et de l’impuissance dans lesquelles nous plonge ce système. Je n’ai pas de recette magique, ce que je sais c’est que nous en avons les capacités et que c’est nécessaire, sinon nous resterons des victimes. La plainte n’a jamais rien produit en politique. Si nous considérons que le système est illégitime politiquement, à nous de trouver les moyens de le dire, d’agir et de fédérer les oppositions dans la crise générale.

Philippe Coutant Nantes le 12 Janvier 2009

(*) Le texte « Des « barbares » bombardés à Gaza, Construire l’ennemi » explique bien comment les sionistes proposent une construction de l’ennemi qu’ils veulent détruire : les palestiniens vus comme des terroristes.
http://www.peripheries.net/article321.html



L’anti-terrorisme, une méthode de gouvernement ?

Le texte intitulé “ Crise et terrorisme ” pose la question de l’utilisation de l’anti-terrorisme pour essayer de préserver l’unité sociale et politique de notre société. Cette approche me semble intéressante. Je crois que nous retrouvons ici l’hypothèse proposée dans le texte précédent écrit pour essayer de comprendre nos difficultés.

Pour faire Un, les anciennes sociétés s’appuyaient sur la transcendance. Par exemple, le roi s’appuyait sur Dieu qui n’était pas de notre monde. Le souverain avait une place d’exception, il n’était pas soumis à la règle commune. Le groupe humain avait une certaine consistance dont on connaissait les limites. La modernité a voulu remplacer Dieu par la raison, la démocratie, l’universel, les droits de l’homme, le progrès. Cette belle architecture mentale a été mise à mal de deux façons. La première est la science qui a montré de multiples façons que la transcendance n’existait pas. Nietzsche en a conclu que “ Dieu est mort ! ” La seconde dévalorisation est venue de l’histoire : les désastres du XXème siècle. La promesse du progrès a été détruite, entre autres, par la Shoah, le goulag du stalinisme, la bombe atomique et les destructions écologiques de notre planète.

Il ne reste plus que l’immanence, elle a été théorisée, entre autres, par Deleuze. Comme le montre le texte “ Crise et terrorisme ”, aujourd’hui dans le capitalisme postmoderne pour faire Un, les dominants essaient de construire l’unité sur le mode de l’expulsion d’un mal interne. Ils ont bâti une figure du mal nommé “ terrorisme ”. La maladie supposée est interne au corps social. Au niveau de notre pays, c’est ce qui se passe avec les anarcho-autonomes de Tarnac ou d’ailleurs. C’est également le cas pour les “ barbares ” des banlieues ou les “ éco-terroristes ” qui refusent les OGM ou le nouvel aéroport de Notre Dame des Landes. Cet ordre du discours fonctionne aussi au niveau mondial, puisque nous vivons dans un espace qui est nommé “ mondialisation ”. Il n’y a plus de dehors au capitalisme, il a conquis et soumis toute la terre.

La société malade est un malade imaginaire. Le capitalisme postmoderne est devenu hypocondriaque parce qu’il ne peut pas retourner le miroir sur lui-même. La crise est générale et profonde. Les dominants pratiquent la fuite en avant alors que tout le monde sait que nous allons dans le mur. C’est évident au moins dans deux domaines : l’écologie et la reproduction de la dette. Nous sommes dans une civilisation en bout de course. Le capitalisme postmoderne est devenu incapable de légitimer politiquement notre situation. Pourtant, il ne veut rien changer à la structure du système, il veut continuer à soumettre, à exploiter, à réprimer, à détruire, à opprimer, à gaspiller, à mentir, à organiser la domination mentale, etc.

De notre côté, nous savons maintenant que notre engagement politique est basé sur une auto-fondation, sur nos auto-affirmations, sur nos désirs, sur le choix de valeurs comme l’égalité, la justice et la solidarité. Nous savons que notre situation est marquée par l’incertitude, la précarité, l’instabilité, la mobilité. Nous acceptons la multiplicité, même si ne savons pas toujours comment la vivre. Le côté paradoxal de la postmodernité est parfois difficile à supporter. Une chose, un phénomène peuvent être en même temps bon/ne et mauvais/e, c’est souvent assez troublant. De plus, il est facile de constater que la biopolitique du capitalisme postmoderne absorbe toute notre vie, nos corps, notre esprit, nos émotions, nos désirs, notre énergie, nos créations, …

La notion d’immanence nous concerne donc, elle nous touche au travers de notre existentiel, et c’est de lui que nous partons. Il nous faut donc inventer et tâtonner pour avancer et résister politiquement. Par contre, la crise de légitimité nous est favorable.

L’anti-terrorisme n’émerge donc pas par hasard. Il se construit en France sous Sarkozy, il se coordonne au niveau européen et au niveau de l’empire avec l’Otan, entre autres. Il s’agit bien d’une méthode de gouvernement du capitalisme postmoderne. Il réintroduit les débats sur les valeurs. Le cynisme relativiste si présent dans les médias se transforme en combat violent pour le maintien de l’ordre. La défense des valeurs nous offre la possibilité de questionner l’ordre du monde. Nous pouvons utiliser les mots énoncés pour les mettre en rapport avec la réalité brutale. Nous pouvons pousser les arguments à la limite pour faucher mentalement les affirmations médiatiques. Nous pouvons mettre en évidence le cadre mental très étriqué du système pour proposer d’autres solutions de vie et de luttes.

Philippe Coutant, Nantes le 24 janvier 2009