"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
Licence
"GNU / FDL"
attribution
pas de modification
pas d'usage commercial
Copyleft 2001 /2014

Moteur de recherche
interne avec Google
Des négociations de l’OMC aux lois Sarkozy (contribution au débat d'AG du Gasprom)
Hervé Richard

La loi Sarkozy, partout l’obsession de la fraude et l’exigence de preuves :
L’intégralité de la loi Sarkozy est marqué par cette obsession : l’étranger est un “ fraudeur ” potentiel. Dans le Figaro du 30 avril 2003, Sarkozy explique à sa manière : “ Le consulat de France à Bamako enregistre 150 demandes de visas de tourisme par jour, celui d’Alger 2300. Pensez-vous qu’il ne s’agisse vraiment de touristes ? ”. D’où des conditions drastiques d’octroi des visas : empreintes digitales, contrôle strict des justificatifs d’hébergement, pouvoirs renforcés des maires qui pourront refuser de valider l’attestation d’hébergement s’ils suspectent un “ détournement de procédure ” ou “ si les conditions d’un hébergement normal ne sont pas remplies ”. Et pour emporter le morceau, ces certificats d’hébergement seront payants : la sélection par l’argent, y’a qu’ça de vrai.

Pour les personnes étrangères disposant d’un titre de séjour temporaire d’un an, il était possible au bout de trois ans d’obtenir une carte de résident de 10 ans. Cela prendra désormais 5 ans, après que la personne étrangère ait fait la preuve de “ son intégration dans la société française ”.

Quel est intérêt d’une telle loi ?
Quand Le Pen aboie, c’est l’Etat qui mord. On l’avait déjà vu avec les socialistes au pouvoir et les différents régimes de cohabitation : tous pensaient qu’en se montrant “ fermes ” sur l’immigration dite clandestine, cela ferait décliner le vote d’extrême-droite. Cela n’a pourtant pas empêché Le Pen d’être présent au second tour des élections présidentielles l’an passé.

Aujourd’hui, cette loi vise essentiellement à entraver les possibilités d’entrée de ressortissants du Sud. Dans le même temps, toujours selon la loi Sarkozy, les ressortissants de l’Union Européenne (UE) n’auront plus besoin de cartes de séjour. Or, dès l’an prochain, dix nouveaux Etats de l’Est de l’Europe vont se joindre aux 15 et agrandir l’espace Schengen qui prévoit notamment la libre circulation des ressortissants de l’Union (dès 2006 pour les futurs entrants). Soit le gouvernement français n’a pas confiance dans les capacités de ces pays à verrouiller leurs frontières extérieures, soit il estime que l’afflux de ressortissants de ces nouveaux pays de l’Union sur le marché du travail français sera suffisant pour se passer un certain temps de travailleurs des pays du Sud.

Là dessus, il y a les négociations de l’OMC (Organisation mondiale du Commerce) sur la libéralisation des services (AGCS : accord général sur le commerce des services) et ses répercussions sur les débats au sein de l’Union. Selon La Tribune (quotidien proche du MEDEF) du 18 avril 2003, “ Le travail des étrangers dans les services divise les quinze : les divergences portent notamment sur l’ouverture des frontières de l’UE à des travailleurs étrangers œuvrant dans les services, pour des missions définies et des périodes limitées ”. Contrairement aux objets manufacturés qui peuvent être fabriqués partout sur la planète, les services nécessitent souvent une main d’œuvre là où ils sont rendus (et vendus) : la pénurie de main d’œuvre dans certains types d’activité (hôtellerie-restauration, ingéniérie, etc) amène donc à recourir à de la main d’œuvre étrangère. On peut dire aussi qu'il s'agit pour le patronat d'utiliser l'immigration pour faire pression sur les salaires.
En clair, même si en septembre dernier, le sommet OMC de Cancun n'a pas donné lieu à un accord, un des enjeux de ce sommet, l'immigration temporaire de travail, va ressurgir à un moment ou un autre.

La loi Sarkozy au secours des entreprises :
Le marché du travail, c’est bien autour de cela que se jouent les décisions sur la circulation des étrangers, comme celle qui consiste à passer de 3 à 5 ans les années nécessaires pour obtenir une carte de résident : les contrats de chantier (nouveauté que François Fillon veut apporter au Code du Travail) pourront ainsi se poursuivre pendant près de cinq ans, sans qu’au bout, la personne étrangère n’obtienne automatiquement la carte de résident permanent. Comme c’est le cas depuis longtemps, pour des raisons internes électorales et externes économiques et géopolitiques, l’Etat se donne les moyens de choisir les immigrés dont il a besoin. Et plus hypocritement, les travailleurs clandestins dont l’économie a aussi besoin.
D’une manière générale, la frénésie législative actuelle (immigration, décentralisation, retraites, etc) a essentiellement pour objet de créer les conditions nécessaires pour le développement d’un capitalisme libéral pur et dur.

Aspects socio-économiques du débat.
A l'issue du vote sur la loi Sarkozy, voici que des éléments nouveaux sont apportés au dossier, sur le thème "la France va manquer de travailleurs qualifiés et aura besoin d'une immigration de personnels qualifiés". C'est notamment l'objet de la recommandation du 29 octobre dernier du Conseil économique et social (CES, organe consultatif composé de personnalités du monde économique et social, syndicats et patronat notamment) "d'ouvrir davantage nos frontières à une immigration maîtrisée et organisée".
C'est l'objet aussi de la proposition de début septembre 2003 de la Commission de Bruxelles en matière d'emploi temporaire de personnes physiques étrangères, visant les transferts au sein d'une même société, des hommes d'affaires et les fournisseurs contractuels de services, y compris des "indépendants".

Quelles répercussions à notre niveau, Gasprom ?
Si l'immigration des cadres dirigeants (cf rapport Huygue, député UMP, sur l'attractivité de la France) ne nous intéresse pas spécialement, celles de personnels étrangers "ordinaires" (ouvriers, employés, techniciens, petits cadres) nous concerne au premier degré, syndicats et associations. On a pu voir lors des derniers conflits aux Chantiers de l'Atlantique à St-Nazaire comment était traitée cette immigration de travail : logements de fortune, exploitation salariale, conventions collectives non respectées, etc.

Il y a surtout le fait que nous vivons dans une société capitaliste (la recherche de profit financier en est le moteur principal), basée sur le productivisme (produire toujours plus) et la recherche de productivité (produire plus avec toujours moins de personnels).
Cette société a eu recours durant les trente glorieuses (période de 1945 à 1974) à une immigration importante, exerçant principalement des emplois industriels peu qualifiés. Aujourd'hui, les emplois peu qualifiés se trouvent plutôt dans les services, mais globalement beaucoup de monde (français ou immigrés) se trouvent éjectés de l'emploi stable et de l'emploi tout court. Ce sont des populations que les pouvoirs publics et le patronat voudraient rendre transparentes (lois Sarkozy fabriquant des sans-papiers, décisions sur l'indemnisation du chômage qui excluent de plus en plus de monde, loi sur la retraite qui fabrique des retraités pauvres). Et pourtant, ces populations existent et ont le droit d'exister.

Mais ces populations font peur. Parfois, elles "votent mal" quand il s'agit de Français-e-s. Parfois, elles laissent une image de violence, quand il s'agit de la jeunesse des cités ou un certain malaise, notamment face à des phénomènes religieux. Mais elles font peur surtout parce qu'elles sont une prolongation en France du Quart-Monde ou du Tiers-Monde (populations sans occupation, peu ou pas instruites, sans perspectives et économiquement et socialement marginalisées, plutôt jeunes face à une Europe qui vieillit) (cf article du Figaro du 30/10/2003).
C'est à la marginalisation de ces populations (les 15% à 20% de la jeunesse qui sort de l'école sans qualification, les primo-arrivants comme les personnes demandant l'asile parfois démunis de tout, les millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté) qu'il faut s'attaquer. Nous vivons dans une société basée sur la satisfaction des besoins du Capital et accessoirement des personnes solvables.
Revendiquons donc la "solvabilité" de toutes et tous, français ou étrangers, le droit au travail y compris dans des services publics, le droit à la santé, au logement, le droit à l'éducation et à la formation, le droit à la mobilité choisie, qu'elle soit géographique ou professionnelle, le droit à la citoyenneté et à la culture.
S
i j'insiste sur les notions de citoyenneté, de mobilité, d'éducation, de formation et de culture, c'est aussi par défiance envers une société qui vénère par dessus tout l'accumulation de biens matériels. Et c'est par ce genre de revendications que nous pourrons parvenir à enrayer la tendance actuelle à l'individualisme et au repli sur soi, qui laisse des tas de gens sur le carreau.
C'est pour tenter de sortir du "victimisme" qui prend la tête et épuise les militant-e-s, à force de se prendre des échecs dans le traitement individuel des dossiers.
C'est aussi parce qu'il paraît qu'un forum de l'UNESCO (organisation des Nations Unis pour l'éducation, la culture et la science) va se tenir à Nantes début 2004 et que face au blabla institutionnel, il y aura possibilité d'ouvrir des espaces revendicatifs.

Hervé Richard. Fin Octobre 2003