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La loi Sarkozy, partout l’obsession de la fraude et l’exigence
de preuves :
L’intégralité de la loi Sarkozy est marqué
par cette obsession : l’étranger est un “ fraudeur
” potentiel. Dans le Figaro du 30 avril 2003, Sarkozy explique
à sa manière : “ Le consulat de France à
Bamako enregistre 150 demandes de visas de tourisme par jour, celui
d’Alger 2300. Pensez-vous qu’il ne s’agisse vraiment
de touristes ? ”. D’où des conditions drastiques
d’octroi des visas : empreintes digitales, contrôle
strict des justificatifs d’hébergement, pouvoirs renforcés
des maires qui pourront refuser de valider l’attestation d’hébergement
s’ils suspectent un “ détournement de procédure
” ou “ si les conditions d’un hébergement
normal ne sont pas remplies ”. Et pour emporter le morceau,
ces certificats d’hébergement seront payants : la sélection
par l’argent, y’a qu’ça de vrai.
Pour les personnes étrangères disposant d’un
titre de séjour temporaire d’un an, il était
possible au bout de trois ans d’obtenir une carte de résident
de 10 ans. Cela prendra désormais 5 ans, après que
la personne étrangère ait fait la preuve de “
son intégration dans la société française
”.
Quel est intérêt d’une telle loi ?
Quand Le Pen aboie, c’est l’Etat qui mord. On l’avait
déjà vu avec les socialistes au pouvoir et les différents
régimes de cohabitation : tous pensaient qu’en se montrant
“ fermes ” sur l’immigration dite clandestine,
cela ferait décliner le vote d’extrême-droite.
Cela n’a pourtant pas empêché Le Pen d’être
présent au second tour des élections présidentielles
l’an passé.
Aujourd’hui, cette loi vise essentiellement à entraver
les possibilités d’entrée de ressortissants
du Sud. Dans le même temps, toujours selon la loi Sarkozy,
les ressortissants de l’Union Européenne (UE) n’auront
plus besoin de cartes de séjour. Or, dès l’an
prochain, dix nouveaux Etats de l’Est de l’Europe vont
se joindre aux 15 et agrandir l’espace Schengen qui prévoit
notamment la libre circulation des ressortissants de l’Union
(dès 2006 pour les futurs entrants). Soit le gouvernement
français n’a pas confiance dans les capacités
de ces pays à verrouiller leurs frontières extérieures,
soit il estime que l’afflux de ressortissants de ces nouveaux
pays de l’Union sur le marché du travail français
sera suffisant pour se passer un certain temps de travailleurs des
pays du Sud.
Là dessus, il y a les négociations de l’OMC
(Organisation mondiale du Commerce) sur la libéralisation
des services (AGCS : accord général sur le commerce
des services) et ses répercussions sur les débats
au sein de l’Union. Selon La Tribune (quotidien proche du
MEDEF) du 18 avril 2003, “ Le travail des étrangers
dans les services divise les quinze : les divergences portent notamment
sur l’ouverture des frontières de l’UE à
des travailleurs étrangers œuvrant dans les services,
pour des missions définies et des périodes limitées
”. Contrairement aux objets manufacturés qui peuvent
être fabriqués partout sur la planète, les services
nécessitent souvent une main d’œuvre là
où ils sont rendus (et vendus) : la pénurie de main
d’œuvre dans certains types d’activité (hôtellerie-restauration,
ingéniérie, etc) amène donc à recourir
à de la main d’œuvre étrangère.
On peut dire aussi qu'il s'agit pour le patronat d'utiliser l'immigration
pour faire pression sur les salaires.
En clair, même si en septembre dernier, le sommet OMC de Cancun
n'a pas donné lieu à un accord, un des enjeux de ce
sommet, l'immigration temporaire de travail, va ressurgir à
un moment ou un autre.
La loi Sarkozy au secours des entreprises :
Le marché du travail, c’est bien autour de cela que
se jouent les décisions sur la circulation des étrangers,
comme celle qui consiste à passer de 3 à 5 ans les
années nécessaires pour obtenir une carte de résident
: les contrats de chantier (nouveauté que François
Fillon veut apporter au Code du Travail) pourront ainsi se poursuivre
pendant près de cinq ans, sans qu’au bout, la personne
étrangère n’obtienne automatiquement la carte
de résident permanent. Comme c’est le cas depuis longtemps,
pour des raisons internes électorales et externes économiques
et géopolitiques, l’Etat se donne les moyens de choisir
les immigrés dont il a besoin. Et plus hypocritement, les
travailleurs clandestins dont l’économie a aussi besoin.
D’une manière générale, la frénésie
législative actuelle (immigration, décentralisation,
retraites, etc) a essentiellement pour objet de créer les
conditions nécessaires pour le développement d’un
capitalisme libéral pur et dur.
Aspects socio-économiques du débat.
A l'issue du vote sur la loi Sarkozy, voici que des éléments
nouveaux sont apportés au dossier, sur le thème "la
France va manquer de travailleurs qualifiés et aura besoin
d'une immigration de personnels qualifiés". C'est notamment
l'objet de la recommandation du 29 octobre dernier du Conseil économique
et social (CES, organe consultatif composé de personnalités
du monde économique et social, syndicats et patronat notamment)
"d'ouvrir davantage nos frontières à une immigration
maîtrisée et organisée".
C'est l'objet aussi de la proposition de début septembre
2003 de la Commission de Bruxelles en matière d'emploi temporaire
de personnes physiques étrangères, visant les transferts
au sein d'une même société, des hommes d'affaires
et les fournisseurs contractuels de services, y compris des "indépendants".
Quelles répercussions à notre niveau, Gasprom
?
Si l'immigration des cadres dirigeants (cf rapport Huygue, député
UMP, sur l'attractivité de la France) ne nous intéresse
pas spécialement, celles de personnels étrangers "ordinaires"
(ouvriers, employés, techniciens, petits cadres) nous concerne
au premier degré, syndicats et associations. On a pu voir
lors des derniers conflits aux Chantiers de l'Atlantique à
St-Nazaire comment était traitée cette immigration
de travail : logements de fortune, exploitation salariale, conventions
collectives non respectées, etc.
Il y a surtout le fait que nous vivons dans une société
capitaliste (la recherche de profit financier en est le moteur principal),
basée sur le productivisme (produire toujours plus) et la
recherche de productivité (produire plus avec toujours moins
de personnels).
Cette société a eu recours durant les trente glorieuses
(période de 1945 à 1974) à une immigration
importante, exerçant principalement des emplois industriels
peu qualifiés. Aujourd'hui, les emplois peu qualifiés
se trouvent plutôt dans les services, mais globalement beaucoup
de monde (français ou immigrés) se trouvent éjectés
de l'emploi stable et de l'emploi tout court. Ce sont des populations
que les pouvoirs publics et le patronat voudraient rendre transparentes
(lois Sarkozy fabriquant des sans-papiers, décisions sur
l'indemnisation du chômage qui excluent de plus en plus de
monde, loi sur la retraite qui fabrique des retraités pauvres).
Et pourtant, ces populations existent et ont le droit d'exister.
Mais ces populations font peur. Parfois, elles "votent mal"
quand il s'agit de Français-e-s. Parfois, elles laissent
une image de violence, quand il s'agit de la jeunesse des cités
ou un certain malaise, notamment face à des phénomènes
religieux. Mais elles font peur surtout parce qu'elles sont une
prolongation en France du Quart-Monde ou du Tiers-Monde (populations
sans occupation, peu ou pas instruites, sans perspectives et économiquement
et socialement marginalisées, plutôt jeunes face à
une Europe qui vieillit) (cf article du Figaro du 30/10/2003).
C'est à la marginalisation de ces populations (les 15% à
20% de la jeunesse qui sort de l'école sans qualification,
les primo-arrivants comme les personnes demandant l'asile parfois
démunis de tout, les millions de personnes vivant en dessous
du seuil de pauvreté) qu'il faut s'attaquer. Nous vivons
dans une société basée sur la satisfaction
des besoins du Capital et accessoirement des personnes solvables.
Revendiquons donc la "solvabilité" de toutes et
tous, français ou étrangers, le droit au travail y
compris dans des services publics, le droit à la santé,
au logement, le droit à l'éducation et à la
formation, le droit à la mobilité choisie, qu'elle
soit géographique ou professionnelle, le droit à la
citoyenneté et à la culture.
S
i j'insiste sur les notions de citoyenneté, de mobilité,
d'éducation, de formation et de culture, c'est aussi par
défiance envers une société qui vénère
par dessus tout l'accumulation de biens matériels. Et c'est
par ce genre de revendications que nous pourrons parvenir à
enrayer la tendance actuelle à l'individualisme et au repli
sur soi, qui laisse des tas de gens sur le carreau.
C'est pour tenter de sortir du "victimisme" qui prend
la tête et épuise les militant-e-s, à force
de se prendre des échecs dans le traitement individuel des
dossiers.
C'est aussi parce qu'il paraît qu'un forum de l'UNESCO (organisation
des Nations Unis pour l'éducation, la culture et la science)
va se tenir à Nantes début 2004 et que face au blabla
institutionnel, il y aura possibilité d'ouvrir des espaces
revendicatifs.
Hervé Richard. Fin Octobre 2003
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