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Hardcore : vers une socio-anthropologie de l’underground postmoderne
Raphael Josset 2005

Origine : INTERVENTION AUX JOURNEES DU CEAQ - 20 JUIN 2003 – « ETAT DES RECHERCHES »
Article source sur le site gretech      http://www.dionysos.org/article.php3?id_article=971

« Grâce à des technologies désormais disponibles il était possible de considérer son propre corps comme un laboratoire d’expérimentations biocybernétiques. Mieux que cela, la philosophie cyborg considérait la chair et le silicium comme les deux pôles d’un nouveau tao.

Les différences conceptuelles entre organique et artificiel, entre vivant et machine s’effacent dès lors qu’on expérimente la voie de leur mise en réseau, avait-elle dit, une expression intense sur le visage. » Maurice G. Dantec, Babylon Babies

Pour commencer j’aimerai apporter quelques précisions quant au contenu de ce qui va suivre eu égard à l’intitulé proposé pour cette intervention dans le programme de ces journées du CEAQ.

En effet, puisqu’il s’agit avant tout ici de présenter un état de nos recherches j’aimerais commencer par dire que les miennes ne se limitent pas à l’étude des formes de « résistance et de contre-culture sur l’Internet », comme cela a été annoncé, même si cet aspect des choses recouvre une part importante de mon travail.

« L’hacktivisme », néologisme désignant la rencontre entre l’activisme militant et les techniques de guérilla du "hacking", c’est-à-dire de piratage informatique de données, de parasitage de technostructures monopolistiques ou encore d’une façon plus générale de détournement de technologies de leur usage habituel, en somme ce que l’on peut appeler la "Résistance électronique" ou "la culture activiste en réseau" tout comme d’ailleurs la notion plus globale de "contre-culture digitale", renvoyant au versant alternatif et contestataire de la "cyberculture", toute ces notions donc - qui tels des liens hypertextes forment une sorte de réseau sémantique - toutes ces notions disais-je, ne concernent donc qu’une part, un aspect, une facette, une dimension ou une région de la nébuleuse, un réseau dans le biotope réticulaire qui fait réellement l’objet de mes recherches.

Il en va de même du pôle contre-culturel moins politique mais plus spirituel, plus mystique et porteur d’une nouvelle religiosité, où s’agitent "cyberpunks", "noonautes cyberdéliques" et autres "technoïdes post-humains" plus ou moins "New Age", dont les créations circulent parmi les flux de données tels des spectres désincarnés dans l’infosphère schizo-matricielle du "cyberespace". Là, la figure rebelle de Prométhée - illustrée notamment par la volonté des créateurs hippies du micro-ordinateur de populariser l’usage des technologies informatiques dans le but de favoriser les échanges horizontaux et la démocratie directe - le rebelle Prométhée donc, y entre en résonance avec les aspirations libertaires et dionysiaques de la contre-culture des années 60-70.

Mais pour revenir à l’objet réel de mon travail, il me semble que dans celui-ci ce que nous avons désigné précédemment, en gros, comme "la résistance électronique" et "la contre-culture cyberpunk", constituent en fait des strates, des agencements, des lignes de fuites, des ruptures, des directions mouvantes à suivre, mais surtout, ce que nous appellerons à la suite de G. Deleuze et F. Guattari, des "Plateaux", ce que ces auteurs, inspirés de l’anthropologue cybernéticien Gregory Bateson, désignent comme des régions continues d’ intensités et de surtensions sans début ni fin, vibrant sur elles-mêmes, et qui se développent, au-delà de la volonté consciente des acteurs, en évitant toute orientation sur un point culminant ou vers une fin extérieure .

Ce sont des multiplicités connectables avec d’autres par "micro-fentes" et "tiges souterraines" superficielles, à l’image des liens hypertextes et autres "points nodaux", de manière à former et étendre un "rhizome" qu’il s’agira alors de "cartographier" dans un plan de consistance et d’extériorité suivant une écriture et une pensée nomade. La métaphore du « rhizome » semble ici tout à fait appropriée à l’étude de notre objet de recherche. Etude qui, comme on vient de le dire, ne se cantonne pas à l’observation de l’utilisation subversive des réseaux numériques mais qui se conçoit plus globalement comme une "socio-anthropologie de "l’underground" postmoderne". Vous l’aurez compris, il s’agit, en fait, d’observer quelques manifestations contemporaines de ce qu’on a coutume d’appeler la "contre-culture" et/ou "l’underground". Ces deux notions - se confondant souvent avec celle de "milieux alternatifs" - sont ici appréhendées comme une seule et même structure anthropologique, archétypale, l’expression dionysiaque d’un vitalisme irrépressible de la socialité de base, une "centralité souterraine" créative et récréative.

Elle s’actualise cycliquement de manière paroxystique au coeur d’une nébuleuse complexe et confuse de micro-groupes, "scènes", "mouvances", changeantes et diversifiées, formant autant de tribus affinitaires et de "subcultures pop" plus ou moins réfractaires, alternatives, excentriques, marginales, déviantes, dissidentes, rebelles, hérétiques, non-conformistes, avant-gardistes et iconoclastes, réalisant ce que certains acteurs et observateurs nomment "le côté obscur de la culture contemporaine". Pratiquant l’art de l’apparition/disparition, ils trouvent refuge et s’organisent au sein de nombreux réseaux labyrinthiques et multidimensionnels composés de « Bohémies », « d’enclaves libres », d’ « utopies pirates interstitielles » et autres « zones tribales autonomes », plus ou moins temporaires, qui se camouflent dans les anfractuosités de l’architectonique sociétale, ou aussi, comme l’a écrit le philosophe américain Hakim Bey, qui « émergent de la dimension fractale invisible pour la cartographie du contrôle » .

On pourrait, dans un premier temps, définir cette « multiplicité » comme une constellation de métaformes mutantes, des forces vitales disjonctives de surpassement résistant à la rationalisation des existences et à la programmation politico-technocratique dans l’administration quotidienne des choses et donc aussi à l’asepsie sociale. Il s’agit de pratiques et imaginaires divers et variés, anomiques, effervescent, porteurs de projets esthétiques et potentiellement de formes d’art inédites, de plastiques nouvelles, de paradigmes fondateurs, de métaphysiques prédatrices, de sciences inexplorées, en bref un « bouillon de culture » parasite, mouvant et protéiforme qui contamine peu à peu le corps social et préfigure, ou accentue, la saturation et la mutation des valeurs « bourgeoisistes » occidentales de notre vieille Modernité rationaliste, en proie à toutes sortes de nihilismes, et qui par conséquent, comme l’affirme l’écrivain Maurice Dantec, préfigure aussi potentiellement, "le surgissement créatif d’une nouvelle forme d’humanité".

Car, comme l’énonce cet auteur, « agent négatif de la Connaissance, de la Séparation et du Vide, l’homme ne peut espérer atteindre l’unité que par la voie de l’Art, c’est-à-dire, comme le savait le philosophe d’Aurore et du Gai savoir, ce moment unique où un acte entièrement positif, libre et donateur transforme en premier lieu son auteur, mais aussi les formes plastiques et les valeurs en jeu dans sa société, jusqu’à ce que parfois, rares apogées dans l’histoire, le projet esthétique d’un petit groupe d’esprits fasse surgir une nouvelle vision de l’homme chez leurs contemporains et qu’une véritable métaphysique se construise, autour de quelques mythes fondateurs. »

Cette étude s’appuie donc sur l’intuition que dans un contexte de "Globalisation" des sociétés techno-scientifiques, post-industrielles et surmodernes (Balandier), avènement de l’Empire du "capitalisme de troisième type" et de la Simulation post-spectaculaire à l’ère du numérique - toutes choses entendues comme formes contemporaines du "totalitarisme de l’Un" (Maffesoli) réduit au champ économique - il y aurait fort à gagner, sur le plan heuristique et prospectif, à opérer une socio-anthropologie de ce renversement transfiguratif, ou pour mieux dire de cette transmutation des valeurs de la "société programmée", dans une problématique nietzschéenne de l’éternel retour du dionysiaque, ce flux vital et régénérateur, chaos originaire, "puissance" fusionnelle et animale, créatrice du vouloir-vivre qui va inverser les principes mortifères d’individuation, de séparation et de réification qui caractérisait le rationalisme instrumental de la Modernité. Pour le dire autrement, il s’agit en fait d’une socio-anthropologie des "techniques du chaos" de l’underground post-industriel, c’est-à-dire une synthèse, ou plutôt une "cartographie schizo-analytique", voire une "pop’analyse" - comme le propose Deleuze et Guattari - des pratiques et imaginaires, marginaux mais expérimentaux, dont on pose l’hypothèse qu’ils constituent des archipels de "laboratoires de modes de vie futurs", des devenirs en gestation se réalisant en se diffusant, ou en s’infusant, dans l’actuel et le quotidien par processus d’expansion rhizomatique et par capillarisation.

On retrouve cette même conception de "laboratoire expérimental" dans le dernier roman post-cyberpunk de l’écrivain américain William Gibson. Comme vous le savez sûrement, c’est cet auteur qui a inventé, dans les années 80, le mot "cyberespace", qui a aujourd’hui la notoriété publique que l’on sait. Le vocable désignait alors une réalité virtuelle planétaire, c’est-à-dire une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain, tirant ses racines des premiers jeux vidéos et des expérimentations militaires avec les connecteurs crâniens. Mais dans Neuromancien, ce fameux premier roman où apparaît le mot « cyberespace », cet « amas de constellation de données et informations », décrites comme "traits de lumières disposés dans le non-espace de l’esprit", il désignait aussi ce que Gibson nommait avant tout "la Matrice" .

Dans Tommorrow’s parties, il met en scène la communauté du pont de San Francisco, transformé en "zone autonome" par une population interlope, après sa désaffectation par la municipalité suite à un tremblement de terre. Harwood campe le personnage d’un richissime patron des médias, à l’occasion consultant et conseiller en communication, expert en stratégie auprès de diverses instances de Pouvoir et chargé par les autorités municipales de ramener la communauté du pont à la normalité. Comme il l’explique à l’un de ses interlocuteurs, "un certains nombre de grandes villes ont ces zones autonomes, et la manière avec laquelle une cité donnée traite cette situation est susceptible d’avoir un impact décisif sur sa propre image".

Pour Harwood ces "zones autonomes" sont des "bohémies". Continuant son laïus fort instructif pour notre propos, il explique à son interlocuteur ce qu’il entend par "bohémies". Ce sont « Les sous-cultures alternatives. Elles ont constitué un aspect essentiel de la civilisation industrielle de ces deux derniers siècles. Elles étaient le lieu où la civilisation industrielle allait rêver. Une espèce de Recherche et Développement de nature inconsciente, explorant les stratégies sociétales parallèles. Chacune avait son code vestimentaire, ses formes particulière d’expression artistique, une ou des substances de prédilection, et un éventail de valeurs sexuelles en rupture avec la morale traditionnelle. Elles avaient le plus souvent annexé des lieux, devenus leurs territoires..."

C’est donc cette notion de « Recherche et Développement de nature inconsciente, explorant des stratégies sociétales parallèles » que nous retiendrons particulièrement et qui rejoint la notion de « laboratoire de modes de vie futurs » que nous attribuerons plus particulièrement aux expérimentations sociales dites « marginales », « extravagantes », « désinvolte », et plus ou moins « anti-conformistes » voire « dissidentes » ou « subversives ».

Dans ce travail, il s’agit donc d’observer l’expansion rhizomatique de la culture underground postindustrielle conçue comme une galaxie de laboratoires expérimentaux, des concrétions de la socialité postmoderne et surtout de la multiplicité de ses devenirs.

La métaphore du Rhizome - empruntée à la botanique où il désigne un type de plantes se développant en émettant des réseaux souterrains de racines et des tiges aériennes - est donc particulièrement adaptée à l’observation de la culture « underground » où la notion de « réseau » joue un rôle important.

Comme le rappelle M. Maffesoli dans Le temps des tribus, le réseau est cette nébuleuse polycentrée aux multiples nodosités, à l’ossature enchevêtrée, entrelacée, complexe et jouant le jeu de la proxémie.

La structure en réseau est le type d’agrégation sociale caractéristique de la socialité postmoderne. Elle renvoie à la métaphore dionysiaque de la confusion : les choses, les gens, les représentations se répondent par un mécanisme de proximité. Ces éléments se contaminent de proche en proche créant la réalité sociale, où par une suite de chevauchements, d’entrecroisements multiples, se constitue un réseau des réseaux. Un espace où tout cela se conjugue, se multiplie et se démultiplie formant des figures kaléidoscopiques aux contours changeants et diversifiés. Pour Deleuze et Guattari, le Rhizome, tel qu’ils l’entendent, connecte un point quelconque avec un autre point quelconque et chacun de ses traits ne renvoient pas nécessairement à des traits de même nature. Le Rhizome ne se laisse ramener ni à l’Un ni au multiple, ou plutôt, il n’est pas l’Un qui devient deux, ni même qui deviendrait trois, quatre ou cinq.. En somme, il n’est pas un multiple qui dérive de l’Un contrairement aux structures arborescentes.

Il n’est pas fait d’Unités mais de "dimensions" ou plutôt de directions mouvantes. Il n’a pas de commencement ni de fin, mais toujours un milieu par lequel il pousse et déborde. Il constitue des multiplicités linéaires à n dimensions et de telles multiplicités ne varient pas leurs dimensions sans changer de nature et se métamorphoser.

Le Rhizome est ainsi constitué d’agencements "en lignes" : des lignes de segmentarité, de stratifications comme dimensions mais aussi lignes de fuite ou de déterritorialisation comme dimension maximale d’après laquelle, en la suivant, la multiplicité se métamorphose en changeant de nature.

Par ailleurs, les lignes ou linéaments du Rhizome ne peuvent être confondus avec les lignées de type arborescents qui renvoient toujours à un tronc commun et à une unité primordiale et originelle ainsi qu’à des ramifications totalement séparées, c’est-à-dire sans point de connexion. En cela, le Rhizome est une "anti-généalogie" étant donné que la forme généalogique est toujours de type arborescent. Il faut préciser ici que le type arborescent a toujours dominé la pensée et la réalité occidentale. Il est un avatar de la logique dualiste et binaire qui la fonde. En cela elle se démarquerait de l’Orient qui, avec ses peuples nomades, ses steppes, ses jardins, ses déserts, ses oasis et ses archipels, de même qu’avec ses cultures de tubercules, ainsi que ses morales et ses philosophies de l’immanence semble présenter une figure plus propice à l’application d’un modèle rhizomatique.

Contre les systèmes centrés à communication hiérarchique et liaisons préétablies, le Rhizome est un système acentré, non hiérarchique et non signifant, sans Général, sans mémoire organisatrice ou automate central, uniquement définis par une circulation d’états.

Ce qui est en question dans le Rhizome, c’est selon Deleuze et Guattari, un rapport avec la sexualité, mais aussi avec l’animal, avec le végétal, avec le monde, avec la politique, avec le livre, avec les choses de la nature et de l’artifice, toute chose constituant une multiplicité de "devenirs".

Enfin, comme on l’a déjà vu, un Rhizome est fait de plateaux désignant des multiplicités interconnectées. Il renvoie donc au réseau des réseaux et à sa complexité chaotique, à la confusion dionysiaque, à la Puissance diffuse et créatrice irriguant la socialité de base en profondeur.

Ceci étant dit, le Rhizome ne peut être "re-présenté", reproduit, décalqué mais à la limite seulement "présenté" ou cartographié. Non pas une « cartographie du Contrôle » mais une "cartographie schizo-analytique", une sorte de « dérive psychogéographique de la pensée » fondée sur une « nomadologie » ou encore un « nomadisme psychique » tel que le propose le philosophe libertaire américain Hakim Bey. Le Rhizome est ainsi une carte qui doit être produite, construite, elle est toujours démontable, connectable, renversable, modifiable, elle est à entrées et sorties multiples avec ses lignes de fuite.

Deleuze et Guattari évoque donc l’idée d’une expansion rhizomatique de la pensée qui renvoie aussi à l’idée d’une pensée réticulaire multidimensionnelle induite notamment par l’avènement de "l’hypertexte" .

Ce qui nous amène à énoncer l’idée d’une « hypertexture de la réalité sociale » connectée à une vision holiste du réseau global de la vie.

C’est pourquoi on pourrait peut-être dire que la métaphore du Rhizome forme un paradigme définissant le type-idéal de "l’hypertexture sociétale du Réseau-monde."

On pourrait peut-être même parler d’une « hypertexture schizosphérique de la société en réseau ».

Quoiqu’il en soit, on remarquera que la méthode utilisée pour cette recherche est proche de "l’anarchisme épistémologique" et du « tout est bon » cher à Paul Feyerabend et qu’il expose dans ses œuvres intitulées Contre la méthode et Adieu la Raison.

De même la notion de « psychotopologie du quotidien » également proposée par Hakim Bey dans son essai sur les « Zones autonomes Temporaires » nous servira, pour le paraphraser, à flairer la maturité des événements et entrer en résonance avec « l’esprit du temps », à repérer les « flux de forces » et les « points de puissance » que l’on peut considérer comme un repérage des « points nodaux », c’est-à-dire des thématiques récurrentes et des configurations sociales émergentes dans nos déambulations quotidiennes dans l’infosphère schizo-matricielle du réseau-monde par laquelle a commencé notre recherche, notre "cartographie", cette "pop’analyse nomade". Il s’agit d’une vision multi-perspective capable de se déplacer « sans racine » de la philosophie au mythe tribal, de la littérature aux arts, des sciences au Taoïsme.

Ainsi dans notre travail nous commençons par établir cette anti-généalogie de la culture underground, de cet archétype socio-anthropologique que nous plaçons d’emblée dans « l’ombre de Dionysos » en observant à travers Nietzsche, la naissance de la Tragédie et l’évolution du dionysisme dans la culture grecque, apollinienne, socratique puis alexandrine.

Il s’agit d’une sorte d’essence naturelle, un « point de puissance » dans le chaos déterministe des flux de forces vitales en mouvement, une sensibilité libertaire, un « anarchisme ontologique » (Hakim Bey) voire un « nihilisme actif » que l’on retrouve de façon cyclique comme des moments d’intensification et de surtension vibrant sur eux-mêmes, des ouragans métamorphosant le morne désert des cultures épuisées voire décadentes.

Ainsi en est-il par exemple du christianisme primitif vis-à-vis de la société juive et de l’empire romain puis des multiples hérésies qui secouent la civilisation judéo-chrétiennes : on peut citer pêle-mêle les prophètes et agitateurs communalistes, le Mouvement du Libre-Esprit, les millénarismes joachimites, les Taborites, les Hommes de l’Intelligence et les pikarti de Bohème, les réformateurs protestants et leurs dissidents, les illuminés d’Espagne, les libertins spirituels, les anabaptistes, etc.. On pourrait évoquer aussi les « utopies pirates » et autres réseaux d’enclaves libres, de « républiques indépendantes » et de communautés qui voient le jour avec la colonisation du « Nouveau Monde ».

Mais aussi, dans une certaine mesure, le Romantisme, l’hédonisme bohème, le mouvement Dada, le Surréalisme, le Lettrisme et les Situationnistes pour ce qui concerne l’Europe et enfin, surtout, la « Beat Génération » qui débouchera sur le mouvement « beatnik » puis « hippie » et la « contre-culture » américaine, proprement dite, des années 60-70 qui se joindra aux mouvements contestataires européens pour aboutir à une vaste effervescence critique de l’Occident.

Une définition de la « contre-culture » américaine est apporté par Théodore Roszak qui la conçoit comme un désir d’innovation qui pousse les jeunes générations à s’intéresser à la psychologie de l’aliénation, aux mystiques orientales, aux drogues psychédéliques et aux expériences communautaires pour englober une constellation culturelle se distinguant radicalement des valeurs et des théories qui ont constitué les bases de notre société au moins depuis la révolution scientifique.

Ainsi, selon Roszak, la jeunesse est alors la matrice d’un avenir différent "affublé d’oripeaux bigarrés et extravagants, empruntés à beaucoup de sources parfois exotiques, de la psychologie des profondeurs au folklore indiano-américain, en passant par les vestiges amollis de l’idéologie gauchiste, les religions orientales, le mal du siècle romantique, la doctrine anarchiste, le dadaïsme et sans doute la sagesse éternelle".

Cette critique en acte de l’Occident Moderne culminera ensuite dans le nihilisme punk avec son style décadent et son imaginaire apocalyptique puis, après leur échec et leur « récupération » systématique par le « marketing du cool » et l’industrie culturelle, dans l’esthétique cyberpunk et technoïde.

Esthétiques qui interrogent le présent et ses mutations postmodernes en anticipant de façon visionnaire sur la décadence des sociétés post-industrielles qui pourraient voir le surgissement chaotique de « l’homo sapiens neuro matrix » , du post-humain cyborg techno-nomade dans un univers schizosphérique et rhizomatique.

Ce que nous examinerons dans une partie traitant plus spécifiquement de la « fragmentation polythéiste », de la déclinaison, de l’éclatement, du morcellement ou plus exactement de « l’expansion rhizomatique » de la « culture underground » en multiples « sous-cultures » ou « subcultures » (néo-punk, pop rock fusion, hip-hop, reggae, électro, indus, gothiques, fétichistes, gay, hackers, gamers, skaters, etc..) essentiellement urbaines, musicales, artistiques, ludiques, sportives, distillant un « esprit cool » exprimant une certaine désinvolture, plus ou moins « trash » ou « hardcore » et alimentant, dans leurs syncrétismes mutants et leurs hybridations, le quotidien de la socialité de base pour former ce que l’on nomme donc parfois la « pop culture ».

Puis nous essaierons de débusquer des renouvellements de formes de dissidences et de subversions à l’ère des réseaux, en évoquant notamment le redéploiement d’un activisme artistique et culturel, un « cultural jamming » dans l’Empire tyrannique des Signes de la Marchandise.

Nous aborderons également l’idée originale et séduisante d’un « romantisme aux yeux ouverts » avant de traiter de la montée des nihilismes à l’âge de la fermeture de la Carte. Ce qui nous amènera naturellement à élaborer quelques conclusions hâtives sur notre époque et ses multiples devenirs, mais qui ne seront finalement que des pistes prospectives, un faisceau d’hypothèses qu’il restera à explorer et à vérifier.


- NOTES -

Cf. Gilles Deleuze et Félix Guattari, Milles Plateaux, capitalisme et schizophrénie 2, Editions de Minuit, 1980. cf. La Spirale, le e-zine des mutants digitaux, www.laspirale.org Cf. Hakim Bey, TAZ, zone autonome temporaire, éd. L’éclat ou intégralement en ligne et en libre accès sur le Net.

Maurice G. Dantec, Le théâtre des opérations, journal métaphysique et polémique, manuel de survie en territoire zéro Folio, Gallimard, 2000. Idem. William Gibson, Neuromancien, Editions La Découverte,1985, .. Chez Gibson, la Matrice du cyberespace « tire ses racines des jeux vidéo les plus primitifs (...), des tout premiers programmes graphiques et des expérimentations militaires avec les connecteurs crâniens. (...)
Le cyberspace.
Une hallucination consensuelle vécue quotidiennement en toute légalité par des dizaines de millions d’opérateurs, dans tous les pays, par des gosses auxquels on enseigne les concepts mathématiques... Une représentation graphique de données extraites des mémoires de tous les ordinateurs du système humain. Une complexité impensable. Des traits de lumière disposés dans le non-espace de l’esprit, des amas de constellation de données. Comme les lumières des villes, dans le lointain... ».
William Gibson, Tomorrow’s Parties, ed. Au Diable Vauvert, 2001. Idem. Michel Maffesoli, Le Temps des tribus, Librairie des Méridiens, Klincksieck et Cie, 1988. Hakim Bey, TAZ, op. cit. Sur l’hypertexte et son mode de pensée influençant notamment les recherches en architecture et en urbanisme voir le texte “hypertexture”,

www.electronicshadow.com/biographies/liquid/hprtxtu0.htm

cf. Paul Feyerabend, Contre la méthode, esquisse d’une théorie anarchiste de la connaissance, ed. du Seuil, 1979 et Adieu la raison, ed. du Seuil, 1989.

Theodore Roszak, Vers une Contre-Culture, ed. Stock, 1970. cf. à ce propos Naomi Klein, NO LOGO, la tyrannie des marques, coll. BABEL, ed. Actes Sud, 2001. Plus particulièrement le chapitre 3 “Tout est alternatif, Le marché jeunesse et la marketing du cool”. Voir aussi la notion d’”Economie de la révolution permanente” développée par Camille de Toledo dans Archimondain Jolipunk , Calmann-Levy, 2002. cf. notamment Maurice . Dantec, Babylon Babies, Gallimard, coll. La Noire, 1998... cf. Dick Pountain et David Robins, L’esprit “cool”, ed. Autrement, 2001. cf. Camille de Toledo, Archimondain Jolipunk, op. cit.


Pour accéder au texte source publé sur le site du GRETECH et en savoir plus sur Raphael Jossuet :

http://www.gretech.org/index.php