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Origine http://archive.lien-social.com/dossiers2000/531a540/533-1.htm
Dans l’entreprise, le harcelé est avant tout un obstacle
que le harceleur ne parvient pas à « déplacer
» par des moyens avouables. La victime est fréquemment
un employé, mais c’est parfois un collègue,
voire... un supérieur. Procédés manipulatoires
d’autant plus interpellants qu’ils se produisent toujours
avec une certaine complicité de l’entourage
Suivi d'un Entretien avec Françoise Pagano, présidente
de l’Association nationale de victimes de harcèlement
psychologique au travail
Si les diverses formes de harcèlement des personnes ne sont
pas nouvelles, la reconnaissance de telles procédures et
leur réprobation officielle s’avèrent des plus
récentes. Outre le harcèlement sexuel et physique
qui est réprimé depuis la promulgation d’un
texte de loi en 1996, d’autres formes moins évidentes
– mais probablement plus répandues – de harcèlement
continuent de sévir. Celles-ci ne sont pas toujours identifiées
comme telles, tant de la part des victimes que de la part de ceux
qui les pratiquent.
Si le harcèlement se constitue progressivement en concept
et s’impose désormais comme un incontournable de la
vie des institutions, c’est que sa réprobation s’inscrit
dans une évolution des mœurs (un projet de loi a été
déposé en ce sens par un parlementaire). Cette évolution
dessine de nouveaux champs de questionnement éthique, identifiant
des formes d’aliénation ou d’oppression qui pouvaient
apparaître ordinaires, normales ou bien taboues. C’est
ainsi que la maltraitance et les violences sexuelles vis-à-vis
des enfants ont fait l’objet en quelques années d’une
attention toute particulière ; c’est ainsi que des
dictateurs ou des criminels de guerre sont désormais interpellés
sur la scène internationale et parfois jugés. La nébuleuse
des droits universels de l’homme s’élabore progressivement
en « objet culturel, éthique et juridique ».
Même lorsque les recours apparaissent plus symboliques qu’efficaces
(comme dans l’affaire Pinochet), il n’en demeure pas
moins qu’ils marquent un tournant dans les mentalités
de l’humanité.
À l’instar des situations internationales, le devoir
d’ingérence est désormais admis dans la sphère
familiale et privée pour dénoncer les formes insidieuses
de violation de la personne, mais il est un lieu qui demeure encore
une forteresse : l’espace professionnel. En effet, dans une
société où les institutions se délitent,
où les liens sociaux se dénouent, l’entreprise
demeure l’un des derniers endroits où l’on a
besoin de rassembler et de gérer des relations à l’intérieur
d’un périmètre forclos dans le but d’une
production commune. Espace des enjeux les plus puissants –
le pouvoir, la reconnaissance et l’argent –, l’entreprise
s’avère aussi l’espace potentiel de tous les
conflits et de toutes les violences ; le dernier carré où
l’autorité a l’impérieuse nécessité
de s’affirmer y compris parfois par des procédés
de manipulation.
L’entreprise n’est pourtant pas un espace hors-la-loi
et hors la société mais un espace de négociation
où il s’agit de composer avec les divers moyens de
rétorsion. L’apologie du gain et des bonnes stratégies,
les métaphores sportives et le management guerrier ne finissent-ils
pas par justifier tous les recours ? Certes, la question éthique
traverse l’entreprise et certains managers savent se fixer
des codes de conduite et des limites.
Comme les autres entreprises, certains établissements sanitaires
et sociaux connaissent d’évidentes dérives managériales,
ou tolèrent des situations relationnelles des plus scabreuses.
Tel est le cas, par exemple, de ce cadre qui s’est vu privé
de bureau à son retour de congés, a retrouvé
ses affaires entassées dans un placard, et pour finir, a
dû tenir le rôle d’aide-soignante de nuit, sous
peine de prendre une porte largement ouverte… Tout cela en
utilisant sa situation familiale et financière délicate.
Tel est le cas de ce directeur d’établissement médico-social
utilisant toutes les méthodes de déstabilisation (décrites
plus loin) vis-à-vis du personnel, comme des entretiens insultants
aboutissant à faire craquer les employés. Tel est
encore le cas de ce médecin psychiatre d’un autre établissement
qui régnait en maître absolu, pratiquait l’intrusion
permanente dans la vie privée des personnes, se rendant même
la nuit dans l’établissement pour les épier.
Le harcèlement ne vise pas qu’au bannissement, au
retrait, voire à la destruction du harcelé, il renforce
également puissamment l’identité du groupe harceleur.
C’est cette dernière fonction, mise en évidence
à la fois par les psychosociologues et les éthologistes,
qui paraît la plus intéressante dans le cadre du monde
du travail, et qu’une approche purement clinique du phénomène
ne peut prendre en compte. En effet, le harcèlement psychologique
ne peut se réduire à une pratique perverse (comme
pourrait le laisser penser le sous-titre de l’ouvrage, par
ailleurs remarquable, de Marie-France Hirigoyen), à un processus
morbide, au risque de l’enfermer dans une catégorie
psychiatrique. Quand bien même une composante perverse peut
être identifiable chez certains harceleurs, les plus virulents
ou les plus déterminés, il ne faudrait pas oublier
que le harcèlement relève aussi de pratiques institutionnalisées,
socialisées, parfaitement calculées, légitimées,
voire enseignées.
Outre qu’il est la méthode favorite des régimes
totalitaires et des sectes, le harcèlement peut être
une forme d’out placement, par exemple pour se débarrasser
de certains cadres sans leur accorder les indemnités dues,
pour faire partir des employés temporaires après avoir
bénéficié des aides afférentes ou bien
des professionnels qui sont protégés par leur statut
ou leur contrat (délégués syndicaux, personnes
anciennes, experts de haut niveau, etc.). Le harcèlement
psychologique est tout particulièrement érigé
en méthode là où le licenciement n’est
pratiquement pas possible, par exemple dans le domaine public ou
assimilé ; le but étant alors d’aboutir à
une mutation ou mise en indisponibilité de la victime.
Autrement dit, le harcèlement psychologique demeure, dans
certains cas, le seul moyen pour des employeurs ou des cadres, de
mettre de côté des personnels dont ils veulent se débarrasser
dans des systèmes qui ne leur permettent pas de le faire
par des voies légitimes et plus directes. Il est constatable
que nombre de victimes de harcèlement psychologique sont
des professionnels présentant une certaine ancienneté,
auxquels il est difficile de reprocher des fautes professionnelles
et qui sont plutôt considérés comme des praticiens
consciencieux.
En somme, deux ingrédients majeurs doivent être réunis
pour que le harcèlement psychologique s’impose comme
une issue tentante : que la victime représente un obstacle
pour le harceleur, et qu’il ne puisse déplacer cet
obstacle. Bien entendu, ces ingrédients ne valent pas dans
le cas d’une véritable personnalité perverse
qui cherchera au contraire à conserver sa victime à
portée.
Le secteur sanitaire, social et médico-social rentre dans
ce cas de figure : les licenciements y sont difficiles ou bien coûtent
chers. Certaines particularités sont à prendre en
compte :
* l’action n’est généralement pas suffisamment
évaluable pour faire apparaître aisément une
faute professionnelle ou une incompétence quelconques ;
* le mode d’avancement a été calqué sur
celui de la fonction publique, ce qui signifie que plus un personnel
est ancien, moins il est mobile et plus il coûte cher à
licencier ;
* le mode de recrutement a été pendant longtemps fréquemment
empirique, n’obéissant pas à des critères
techniques et professionnels rigoureux ; de ce fait, les déconvenues
et les inadéquations sont nombreuses.
Ce type de secteur offre une sensibilité historique à
l’idéologie, au psychoaffectif et à l’implication
personnelle ; les climats y sont donc sensibles et les relations
parfois complexes et ambiguës :
* en revanche, il existe certaines barrières morales ou
éthiques plus importantes que dans le secteur à but
lucratif ; barrières tendant à réprouver des
pratiques autoritaires ;
* les modes de management charismatique, paternaliste, autolégitimé,
centraliste, qui ont pu prévaloir ont favorisé une
toute puissance et rendu opaque le fonctionnement d’un certain
nombre d’établissements.
Les idéologies parfois prônées dans le secteur
social et médico-social ont laissé dans l’ombre
des pratiques douteuses et adulé avec une fascination complaisante
les « apprentis-patriarches » de tous poils. Certains
fonctionnements para familiaux ont reproduit toutes les vicissitudes
des univers fermés : pressions, culpabilité, abus
sexuel, harcèlement psychologique. Aujourd’hui, l’exigence
de transparence et de traçabilité des fonctionnements
institutionnels permettra à la fois de limiter pour l’avenir
ce genre de pratiques, mais aussi de faire remonter à la
surface tous les errements qui ont pu exister…
Le harcèlement psychologique emprunte des formes et des
techniques qui sont repérables, et que l’on peut confondre
de ce fait. Ces techniques sont d’ailleurs rapportées
de façon disparate par les victimes, elles peuvent se pratiquer
à un niveau individuel ou collectif. Généralement,
il existe un initiateur ou un bénéficiaire direct
du harcèlement qui joue de la complicité, consciente
ou non, d’autres acteurs, ces derniers pouvant y trouver des
bénéfices secondaires ou céder à la
peur de perdre leur emploi. Des individus isolés peuvent
pratiquer le harcèlement à des fins spécifiques
(volonté d’évincer un concurrent pour une place
enviée, d’éliminer un témoin gênant,
de régler des comptes, de rechercher un plaisir sexuel ou
bien sadique), mais il arrive que des pratiques de harcèlement
collectif plus spontanées se mettent en place, précisément
quand un groupe se cherche une identité, fonctionne dans
le stress ou la menace. Le report de l’agressivité
sur l’un des membres du groupe constitue un débouché
à l’angoisse renforçant les liens à l’intérieur
de la microsociété. Ce processus a été
largement mis en évidence tant par des psychosociologues,
à l’échelle d’un groupe, que par des psychologues,
à l’échelle, par exemple, de la relation mère/enfant,
ou plus largement des relations familiales.
Sur un plan clinique, le résultat du harcèlement
est fréquemment la dépression, voire le suicide dans
les cas extrêmes, en passant par tout un cortège d’atteintes
et de troubles psychophysiologiques tels que perte du sommeil ou
de l’appétit, dérèglement métabolique,
tremblements nerveux, crise d’angoisse, troubles digestifs,
etc. Le harcèlement concerne alors évidemment la médecine,
puisque cette dernière constate et traite de nombreux cas
de victimes de harcèlement.
Quelles sont les techniques relevant du harcèlement ?
Il s’agit d’une manière générale
d’isoler la victime (comme le font tous les chasseurs en meute),
de casser ou détériorer ses liens avec la communauté
qui l’entoure, de la faire douter de son appartenance à
celle-ci. Cela peut passer par des déplacements, des mutations
ou des affectations dans des bureaux isolés, des postes solitaires,
comme cette psychologue qui s’est retrouvée dans un
bureau au fond d’un couloir, au-delà d’une porte
coupe-feu (sic). À noter au passage que les techniques de
déportation, de déterritorialisation, de confinement
ou de regroupement sont pratiquées à l’échelle
internationale par des régimes violents qui souhaitent éradiquer
une identité ou en renforcer une autre.
Il s’agit encore de déréguler la fonction de
la victime en lui demandant par exemple d’exécuter
toutes sortes de tâches imprévues, fréquemment
humiliantes (comme cette secrétaire à laquelle on
demandait de faire les toilettes) ; il s’agit de créer
de l’incertitude autour de la victime, en la désinformant
ou la sous-informant, en faisant courir des rumeurs ; il s’agit
de pratiquer la privation ou l’obligation sensorielles en
ne lui adressant pas la parole, en ne lui disant pas bonjour, en
instaurant le silence autour d’elle, ou bien au contraire
en l’insultant, en lui faisant des reproches à propos
de tout et de rien ; il peut s’agir encore de lui retirer
les signes de sa fonction et de son travail, en faisant balayer
par exemple des personnels qualifiés (comme l’a fait
récemment une grande firme automobile asiatique installée
en France), ou en ne lui fournissant plus de travail du tout.
Ces techniques s’avèrent efficaces car précisément
elles fonctionnent sur un certain nombre de ressorts psychologiques
; elles finissent même parfois par obtenir la complicité
bien involontaire de la victime dans la mesure où celle-ci
peut se replier sur une position de dominée ou être
acculée à la faute ou au passage à l’acte,
et donner ainsi raison en apparence aux reproches du harceleur,
au nom du fameux adage « il n’y a pas de fumée
sans feu ». La victime devient alors un bouc émissaire
remplissant une fonction sociale symbolique au sens de René
Girard dans ses écrits.
Une réflexion plus psychosociologique est à mener
sur les « fonctions sociales » du harcèlement
psychologique dans les institutions : existe-t-il des cultures d’entreprise,
ou bien encore des modes ou des styles de management, qui favorisent
ou défavorisent les diverses formes de harcèlement
? Existe-t-il des conditions requises au harcèlement ? Les
caractéristiques des victimes (sexe, âge, qualification)
jouent-elles un rôle ? Certains secteurs d’activité
sont-ils plus portés au harcèlement que d’autres
?
Certains systèmes de travail et certains modes de management
sont plus générateurs que d’autres de harcèlement
psychologique. Cela doit inciter à davantage de rigueur et
de clarté à propos des fonctionnements institutionnels
et à moins de complaisance envers des pratiques parfois séduisantes
mais génératrices de processus dévastateurs
bien identifiés.
La consultation doit remplacer la fascination charismatique, la
définition des fonctions, l’identification des projets
et des procédures, l’élaboration de contrats,
la mise en place d’instances de régulation et d’expression,
de modalités d’évaluation, d’une véritable
politique de gestion des ressources humaines, doivent limiter les
pratiques de harcèlement psychologique au travail, et dans
tous les cas, permettre de les authentifier rapidement pour les
rendre inopérantes ou mieux encore pour les prévenir.
Comme en matière de violence, de tels processus ne peuvent
prospérer qu’avec la sourde complicité –
l’omerta – d’un certain nombre. C’est donc
plus largement à une méditation très «
politique » sur les systèmes sociaux que tous les acteurs
sont conviés…
Jean-René Loubat
Attention à ne pas voir le harcèlement partout
Il convient de ne pas tout mettre sur le compte du harcèlement
: de même qu’un regard appuyé, fut-il concupiscent,
ne peut être taxé de harcèlement sexuel, toutes
les tensions vécues dans le monde du travail, toutes les
difficultés relationnelles ne sauraient être ramenées
à du harcèlement psychologique. Ce serait à
coup sûr éradiquer toute humanité dans les relations
et produire une autre forme de perversité, celle de la quête
impossible d’un monde purifié. Certains différends
interpersonnels relèvent assurément des conflits du
travail et doivent être traités en tant que tels par
les instances ad hoc. Certains effets de climat relèvent
de la gestion des Ressources humaines. Certaines formes de pathologie
au travail peuvent confiner au sentiment de persécution chez
des acteurs fragiles qui se croient harcelés. D’autre
part, le harcelé n’est pas toujours celui qu’on
croit : il peut s’avérer que les victimes apparentes
aient elles-mêmes participé à un harcèlement
collectif, par exemple vis-à-vis de leur chef, amené
à son tour à devenir harceleur.
L’identification et la délimitation du harcèlement
posent donc à la fois des questions d’ordre psychosocial
et juridique : comment reconnaître au plan du droit un processus
souvent caché, qui se déroule sans témoins,
se manifeste par des brimades qui ne sont parfois porteuses de sens
que pour les victimes ? En l’absence de critères clairs,
le droit peut se reporter sur les conditions de travail et le non
respect du contrat.
Deux millions de victimes ?
Le harcèlement est une pratique plus courante qu’il
n’y paraîtrait de prime abord : « Il toucherait
deux millions de victimes », titrent certains médias.
Si le chiffre est douteux puisqu’invérifiable, l’accumulation
de témoignages venant de tous bords, y compris des médias
eux-mêmes, comme celui du célèbre journaliste
Guillaume Durand dans son ouvrage récent « La peur
bleue », montre que le phénomène n’est
pas confiné à certaines sphères. Selon le propre
dire de Françoise Pagano, présidente de l’ANVHPT
(Association nationale des victimes de harcèlement psychologique
au travail), sur la base des adhésions à son association,
les victimes proviennent tant du secteur public que du secteur privé,
des petites entreprises comme des plus grosses, et même des
ministères… Après tout, le Président
de la République lui-même ne serait-il pas harcelé
psychologiquement par les « Guignols de l’Info »
?
Les différentes formes du harcèlement
Le harcèlement (en anglais « harasment », lui
même issu du vieux français harassement) est originellement
un terme de chasse : le harcèlement consiste à épuiser
une proie par une pression constante jusqu’à ce que
le stress et la fatigue aient raison de la bête. À
ce titre, la « chasse à courre » s’inspire
directement des méthodes des prédateurs canidés,
tels les loups, les lycaons et autres chacals. Le harcèlement
fait également partie du vocabulaire militaire pour évoquer
les « coups de mains » répétés
de petits groupes, guérillas ou commandos, sur les flancs
des corps de troupes.
À partir des constats des éthologistes, le harcèlement
peut également être pratiqué par un groupe de
congénères vis-à-vis d’un des siens pour
l’exclure ou le dénigrer, et l’on utilise alors
le terme de « mobbing » (qui vient de l’anglais
mob : foule). Cette dernière pratique est utilisée
dans toutes les populations humaines, elle peut prendre la forme
de lapidation (confère la bible), de quolibets, de crachats
ou de coups, elle peut s’apparenter à différentes
formes de chahut, charivari, bizutage, pratiqués traditionnellement
au sein des corporations, des institutions, des armées, des
grandes écoles, des clubs sportifs ou des bandes de quartiers.
Elle peut encore prendre la forme plus sophistiquée d’une
campagne médiatique.
De façon plus générale, il s’agit du
rejet actif d’un groupe vis-à-vis d’un de ses
membres dans le but de le faire craquer, de l’humilier, de
le rejeter, de lui retirer toute identité et appartenance
au groupe, ou bien de lui faire passer un rite initiatique (dans
ce cas, le harcèlement est limité dans le temps).
Buts du harcèlement psychologique
* Exclure la personne d’une communauté en lui retirant
peu à peu son identité, son rôle, sa fonction,
son statut, son territoire et son image, bref, en la « désintégrant
socialement ».
* Le harcèlement utilise des techniques psychologiques car
le harceleur pousse sa victime à intérioriser cette
perte d’identité, à douter d’elle-même,
de ce qu’elle est, de ses capacités, de ses repères,
de ses relations sociales, à la stresser et à lui
faire perdre peu à peu tous ses moyens de réaction
ainsi que sa lucidité (ce qui peut à bon compte la
faire passer pour paranoïaque ou pathologique), à se
replier sur elle-même dans des postures effectivement régressives
ou déprimées.
Entretien avec Françoise Pagano, présidente de l’Association
nationale de victimes de harcèlement psychologique au travail
Comment définiriez-vous le harcèlement psychologique
au travail ? Comment celui-ci se traduit-il au sein des institutions
?
Le harcèlement psychologique au travail (HPT) est une méthode
et un processus qui ont à voir avec le discours de l’institution,
à ce titre il est à décoder. Son but est d’évincer
des personnes. Le processus est classique : isolement de la personne,
suppression de ses fonctions ou de ses outils professionnels, mise
en échec en donnant à la personne des taches pour
lesquelles elle n’est pas formée, humiliation, discrimination,
atteinte à l’honneur, atteinte à la dignité,
incitation à la discréditer et à retourner
ses collègues de travail contre elle, etc.
Le but inavoué, et inavouable, est donc la mise en échec
de la personne, pour lui faire perdre confiance en elle et en son
travail, douter de ses capacités et toucher à ce qu’elle
a de plus précieux au niveau de son implication au travail
: sa dignité.
Est-il nécessaire qu’une loi vienne recadrer cette
pratique au même titre que le harcèlement sexuel ?
Une loi spécifique, avec son cortège de sanctions
pénales, est indispensable car il faut sanctionner les responsables.
Mais la sanction sera insuffisante si elle n’est pas accompagnée
de prise de conscience et de changement des mentalités par
la prévention qui doit être première et majeure.
En matière de prévention, notre association, l’ANVHPT
(2), a déjà proposé diverses actions telles
qu’instituer une « Charte de la dignité au travail
» dans le règlement intérieur des administrations,
entreprises et institutions. Cette charte impulserait une éthique
des comportements professionnels où le respect de l’autre
et de sa dignité serait institué comme obligation
professionnelle, pendant des droits professionnels des personnels.
Le harcèlement s’inscrit-il dans des enjeux de pouvoir
institutionnels où toute la hiérarchie est impliquée
?
Bien évidemment ! Le pouvoir est réel quand il autorise
une hiérarchie à donner des ordres et des injonctions
à des subalternes, et les droits statutaires sont là
pour le baliser. Fantasmatique, quand une personne s’en réclame
ou en est investie par d’autres symboliquement. Et c’est
ce pouvoir-là qu’il conviendrait aussi de repérer
avec ce qu’il a à voir avec la soumission à
l’autorité.
Quand le pouvoir réel se double du pouvoir fantasmatique,
alors le lit du HPT est fait.
* En matière de HPT dans le sens pyramidal du haut vers
le bas, ce qui est visible en premier, c’est l’utilisation
du pouvoir réel. II reste alors à repérer comment
œuvre le pouvoir fantasmatique pour soumettre l’autre
de façon indigne.
* Quand le HPT est horizontal, c’est-à-dire mis en
œuvre par les collègues de même niveau hiérarchique
et que la hiérarchie laisse faire, c’est le pouvoir
fantasmatique qui est premier. Le silence de l’autorité
hiérarchique n’exonère pas pour autant cette
dernière de ses responsabilités civiles et pénales,
* Quand le HPT est en œuvre du bas vers le haut (cas beaucoup
plus rares, mais existants) il ne peut se confondre avec des conflits
du travail classiques. II a parfois à voir avec le pouvoir
fantasmatique et le pouvoir réel et il traduit souvent le
discours de l’institution (discours toujours à décoder).
Ne craignez-vous pas, par ailleurs qu’à l’effet
inverse, les victimes vont fleurir au sein des établissements
publics ou privés ?
Oui, effectivement et des dérives sont à craindre
dans les cas où seule la personne s’auto-désigne
victime C’est la raison pour laquelle, avant d’accepter
comme membre actif (c’est-à-dire victime de HPT ou
ayant droit de victime), une personne qui demande son adhésion
à l’ANVHPT (2) nous lui demandons de constituer un
dossier qui sera examiné par notre commission technique.
II y a des personnes qui souffrent au travail et qui peuvent développer
des dépressions, des maladies psychosomatiques voire des
névroses traumatiques, sans être victimes de HPT.
Les dérives sont parfois mises en acte par les syndicats
qui croient résoudre ces problèmes sur le même
mode que tous les conflits du travail.
Le HPT est bien un discours qui traverse tous les personnels de
l’institution, dans leurs diverses missions : professionnelles
et syndicales. Aucun intervenant institutionnel traversé
(salarié, syndicaliste, médecin du travail, etc.)
n’est exempt de le véhiculer, souvent inconsciemment,
de le reproduire, voire de l’entretenir.
Une façon d’en sortir pourrait consister à
nommer un médiateur extérieur (non rémunéré
par l’entreprise ou l’administration) dûment formé
et spécialiste en victimologie. II devra être soumis
au secret professionnel le plus absolu et son objectif sera d’œuvrer
à l’éradication du processus HPT et non à
traiter la question sous l’angle du conflit de personnes.
Propos recueillis par Guy Benloulou
(1) Psychologue des Hôpitaux, Expert prés la Cour
d’Appel, Victimologue.
(2) Association nationale de victimes de harcèlement psychologique
au travail - Maison des associations, 3 bd des Lices - 13200 Arles
E-mail : anvhpt at free. fr
Lien Social 2000
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