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Le harcèlement psychologique au travail
Lien social Numéro 533, 25 mai 2000

Origine http://archive.lien-social.com/dossiers2000/531a540/533-1.htm

Dans l’entreprise, le harcelé est avant tout un obstacle que le harceleur ne parvient pas à « déplacer » par des moyens avouables. La victime est fréquemment un employé, mais c’est parfois un collègue, voire... un supérieur. Procédés manipulatoires d’autant plus interpellants qu’ils se produisent toujours avec une certaine complicité de l’entourage
Suivi d'un Entretien avec Françoise Pagano, présidente de l’Association nationale de victimes de harcèlement psychologique au travail

Si les diverses formes de harcèlement des personnes ne sont pas nouvelles, la reconnaissance de telles procédures et leur réprobation officielle s’avèrent des plus récentes. Outre le harcèlement sexuel et physique qui est réprimé depuis la promulgation d’un texte de loi en 1996, d’autres formes moins évidentes – mais probablement plus répandues – de harcèlement continuent de sévir. Celles-ci ne sont pas toujours identifiées comme telles, tant de la part des victimes que de la part de ceux qui les pratiquent.

Si le harcèlement se constitue progressivement en concept et s’impose désormais comme un incontournable de la vie des institutions, c’est que sa réprobation s’inscrit dans une évolution des mœurs (un projet de loi a été déposé en ce sens par un parlementaire). Cette évolution dessine de nouveaux champs de questionnement éthique, identifiant des formes d’aliénation ou d’oppression qui pouvaient apparaître ordinaires, normales ou bien taboues. C’est ainsi que la maltraitance et les violences sexuelles vis-à-vis des enfants ont fait l’objet en quelques années d’une attention toute particulière ; c’est ainsi que des dictateurs ou des criminels de guerre sont désormais interpellés sur la scène internationale et parfois jugés. La nébuleuse des droits universels de l’homme s’élabore progressivement en « objet culturel, éthique et juridique ». Même lorsque les recours apparaissent plus symboliques qu’efficaces (comme dans l’affaire Pinochet), il n’en demeure pas moins qu’ils marquent un tournant dans les mentalités de l’humanité.

À l’instar des situations internationales, le devoir d’ingérence est désormais admis dans la sphère familiale et privée pour dénoncer les formes insidieuses de violation de la personne, mais il est un lieu qui demeure encore une forteresse : l’espace professionnel. En effet, dans une société où les institutions se délitent, où les liens sociaux se dénouent, l’entreprise demeure l’un des derniers endroits où l’on a besoin de rassembler et de gérer des relations à l’intérieur d’un périmètre forclos dans le but d’une production commune. Espace des enjeux les plus puissants – le pouvoir, la reconnaissance et l’argent –, l’entreprise s’avère aussi l’espace potentiel de tous les conflits et de toutes les violences ; le dernier carré où l’autorité a l’impérieuse nécessité de s’affirmer y compris parfois par des procédés de manipulation.

L’entreprise n’est pourtant pas un espace hors-la-loi et hors la société mais un espace de négociation où il s’agit de composer avec les divers moyens de rétorsion. L’apologie du gain et des bonnes stratégies, les métaphores sportives et le management guerrier ne finissent-ils pas par justifier tous les recours ? Certes, la question éthique traverse l’entreprise et certains managers savent se fixer des codes de conduite et des limites.

Comme les autres entreprises, certains établissements sanitaires et sociaux connaissent d’évidentes dérives managériales, ou tolèrent des situations relationnelles des plus scabreuses. Tel est le cas, par exemple, de ce cadre qui s’est vu privé de bureau à son retour de congés, a retrouvé ses affaires entassées dans un placard, et pour finir, a dû tenir le rôle d’aide-soignante de nuit, sous peine de prendre une porte largement ouverte… Tout cela en utilisant sa situation familiale et financière délicate. Tel est le cas de ce directeur d’établissement médico-social utilisant toutes les méthodes de déstabilisation (décrites plus loin) vis-à-vis du personnel, comme des entretiens insultants aboutissant à faire craquer les employés. Tel est encore le cas de ce médecin psychiatre d’un autre établissement qui régnait en maître absolu, pratiquait l’intrusion permanente dans la vie privée des personnes, se rendant même la nuit dans l’établissement pour les épier.

Le harcèlement ne vise pas qu’au bannissement, au retrait, voire à la destruction du harcelé, il renforce également puissamment l’identité du groupe harceleur. C’est cette dernière fonction, mise en évidence à la fois par les psychosociologues et les éthologistes, qui paraît la plus intéressante dans le cadre du monde du travail, et qu’une approche purement clinique du phénomène ne peut prendre en compte. En effet, le harcèlement psychologique ne peut se réduire à une pratique perverse (comme pourrait le laisser penser le sous-titre de l’ouvrage, par ailleurs remarquable, de Marie-France Hirigoyen), à un processus morbide, au risque de l’enfermer dans une catégorie psychiatrique. Quand bien même une composante perverse peut être identifiable chez certains harceleurs, les plus virulents ou les plus déterminés, il ne faudrait pas oublier que le harcèlement relève aussi de pratiques institutionnalisées, socialisées, parfaitement calculées, légitimées, voire enseignées.

Outre qu’il est la méthode favorite des régimes totalitaires et des sectes, le harcèlement peut être une forme d’out placement, par exemple pour se débarrasser de certains cadres sans leur accorder les indemnités dues, pour faire partir des employés temporaires après avoir bénéficié des aides afférentes ou bien des professionnels qui sont protégés par leur statut ou leur contrat (délégués syndicaux, personnes anciennes, experts de haut niveau, etc.). Le harcèlement psychologique est tout particulièrement érigé en méthode là où le licenciement n’est pratiquement pas possible, par exemple dans le domaine public ou assimilé ; le but étant alors d’aboutir à une mutation ou mise en indisponibilité de la victime.

Autrement dit, le harcèlement psychologique demeure, dans certains cas, le seul moyen pour des employeurs ou des cadres, de mettre de côté des personnels dont ils veulent se débarrasser dans des systèmes qui ne leur permettent pas de le faire par des voies légitimes et plus directes. Il est constatable que nombre de victimes de harcèlement psychologique sont des professionnels présentant une certaine ancienneté, auxquels il est difficile de reprocher des fautes professionnelles et qui sont plutôt considérés comme des praticiens consciencieux.

En somme, deux ingrédients majeurs doivent être réunis pour que le harcèlement psychologique s’impose comme une issue tentante : que la victime représente un obstacle pour le harceleur, et qu’il ne puisse déplacer cet obstacle. Bien entendu, ces ingrédients ne valent pas dans le cas d’une véritable personnalité perverse qui cherchera au contraire à conserver sa victime à portée.

Le secteur sanitaire, social et médico-social rentre dans ce cas de figure : les licenciements y sont difficiles ou bien coûtent chers. Certaines particularités sont à prendre en compte :

* l’action n’est généralement pas suffisamment évaluable pour faire apparaître aisément une faute professionnelle ou une incompétence quelconques ;
* le mode d’avancement a été calqué sur celui de la fonction publique, ce qui signifie que plus un personnel est ancien, moins il est mobile et plus il coûte cher à licencier ;
* le mode de recrutement a été pendant longtemps fréquemment empirique, n’obéissant pas à des critères techniques et professionnels rigoureux ; de ce fait, les déconvenues et les inadéquations sont nombreuses.

Ce type de secteur offre une sensibilité historique à l’idéologie, au psychoaffectif et à l’implication personnelle ; les climats y sont donc sensibles et les relations parfois complexes et ambiguës :

* en revanche, il existe certaines barrières morales ou éthiques plus importantes que dans le secteur à but lucratif ; barrières tendant à réprouver des pratiques autoritaires ;
* les modes de management charismatique, paternaliste, autolégitimé, centraliste, qui ont pu prévaloir ont favorisé une toute puissance et rendu opaque le fonctionnement d’un certain nombre d’établissements.

Les idéologies parfois prônées dans le secteur social et médico-social ont laissé dans l’ombre des pratiques douteuses et adulé avec une fascination complaisante les « apprentis-patriarches » de tous poils. Certains fonctionnements para familiaux ont reproduit toutes les vicissitudes des univers fermés : pressions, culpabilité, abus sexuel, harcèlement psychologique. Aujourd’hui, l’exigence de transparence et de traçabilité des fonctionnements institutionnels permettra à la fois de limiter pour l’avenir ce genre de pratiques, mais aussi de faire remonter à la surface tous les errements qui ont pu exister…

Le harcèlement psychologique emprunte des formes et des techniques qui sont repérables, et que l’on peut confondre de ce fait. Ces techniques sont d’ailleurs rapportées de façon disparate par les victimes, elles peuvent se pratiquer à un niveau individuel ou collectif. Généralement, il existe un initiateur ou un bénéficiaire direct du harcèlement qui joue de la complicité, consciente ou non, d’autres acteurs, ces derniers pouvant y trouver des bénéfices secondaires ou céder à la peur de perdre leur emploi. Des individus isolés peuvent pratiquer le harcèlement à des fins spécifiques (volonté d’évincer un concurrent pour une place enviée, d’éliminer un témoin gênant, de régler des comptes, de rechercher un plaisir sexuel ou bien sadique), mais il arrive que des pratiques de harcèlement collectif plus spontanées se mettent en place, précisément quand un groupe se cherche une identité, fonctionne dans le stress ou la menace. Le report de l’agressivité sur l’un des membres du groupe constitue un débouché à l’angoisse renforçant les liens à l’intérieur de la microsociété. Ce processus a été largement mis en évidence tant par des psychosociologues, à l’échelle d’un groupe, que par des psychologues, à l’échelle, par exemple, de la relation mère/enfant, ou plus largement des relations familiales.

Sur un plan clinique, le résultat du harcèlement est fréquemment la dépression, voire le suicide dans les cas extrêmes, en passant par tout un cortège d’atteintes et de troubles psychophysiologiques tels que perte du sommeil ou de l’appétit, dérèglement métabolique, tremblements nerveux, crise d’angoisse, troubles digestifs, etc. Le harcèlement concerne alors évidemment la médecine, puisque cette dernière constate et traite de nombreux cas de victimes de harcèlement.

Quelles sont les techniques relevant du harcèlement ?

Il s’agit d’une manière générale d’isoler la victime (comme le font tous les chasseurs en meute), de casser ou détériorer ses liens avec la communauté qui l’entoure, de la faire douter de son appartenance à celle-ci. Cela peut passer par des déplacements, des mutations ou des affectations dans des bureaux isolés, des postes solitaires, comme cette psychologue qui s’est retrouvée dans un bureau au fond d’un couloir, au-delà d’une porte coupe-feu (sic). À noter au passage que les techniques de déportation, de déterritorialisation, de confinement ou de regroupement sont pratiquées à l’échelle internationale par des régimes violents qui souhaitent éradiquer une identité ou en renforcer une autre.

Il s’agit encore de déréguler la fonction de la victime en lui demandant par exemple d’exécuter toutes sortes de tâches imprévues, fréquemment humiliantes (comme cette secrétaire à laquelle on demandait de faire les toilettes) ; il s’agit de créer de l’incertitude autour de la victime, en la désinformant ou la sous-informant, en faisant courir des rumeurs ; il s’agit de pratiquer la privation ou l’obligation sensorielles en ne lui adressant pas la parole, en ne lui disant pas bonjour, en instaurant le silence autour d’elle, ou bien au contraire en l’insultant, en lui faisant des reproches à propos de tout et de rien ; il peut s’agir encore de lui retirer les signes de sa fonction et de son travail, en faisant balayer par exemple des personnels qualifiés (comme l’a fait récemment une grande firme automobile asiatique installée en France), ou en ne lui fournissant plus de travail du tout.

Ces techniques s’avèrent efficaces car précisément elles fonctionnent sur un certain nombre de ressorts psychologiques ; elles finissent même parfois par obtenir la complicité bien involontaire de la victime dans la mesure où celle-ci peut se replier sur une position de dominée ou être acculée à la faute ou au passage à l’acte, et donner ainsi raison en apparence aux reproches du harceleur, au nom du fameux adage « il n’y a pas de fumée sans feu ». La victime devient alors un bouc émissaire remplissant une fonction sociale symbolique au sens de René Girard dans ses écrits.

Une réflexion plus psychosociologique est à mener sur les « fonctions sociales » du harcèlement psychologique dans les institutions : existe-t-il des cultures d’entreprise, ou bien encore des modes ou des styles de management, qui favorisent ou défavorisent les diverses formes de harcèlement ? Existe-t-il des conditions requises au harcèlement ? Les caractéristiques des victimes (sexe, âge, qualification) jouent-elles un rôle ? Certains secteurs d’activité sont-ils plus portés au harcèlement que d’autres ?

Certains systèmes de travail et certains modes de management sont plus générateurs que d’autres de harcèlement psychologique. Cela doit inciter à davantage de rigueur et de clarté à propos des fonctionnements institutionnels et à moins de complaisance envers des pratiques parfois séduisantes mais génératrices de processus dévastateurs bien identifiés.

La consultation doit remplacer la fascination charismatique, la définition des fonctions, l’identification des projets et des procédures, l’élaboration de contrats, la mise en place d’instances de régulation et d’expression, de modalités d’évaluation, d’une véritable politique de gestion des ressources humaines, doivent limiter les pratiques de harcèlement psychologique au travail, et dans tous les cas, permettre de les authentifier rapidement pour les rendre inopérantes ou mieux encore pour les prévenir. Comme en matière de violence, de tels processus ne peuvent prospérer qu’avec la sourde complicité – l’omerta – d’un certain nombre. C’est donc plus largement à une méditation très « politique » sur les systèmes sociaux que tous les acteurs sont conviés…



Jean-René Loubat

Attention à ne pas voir le harcèlement partout

Il convient de ne pas tout mettre sur le compte du harcèlement : de même qu’un regard appuyé, fut-il concupiscent, ne peut être taxé de harcèlement sexuel, toutes les tensions vécues dans le monde du travail, toutes les difficultés relationnelles ne sauraient être ramenées à du harcèlement psychologique. Ce serait à coup sûr éradiquer toute humanité dans les relations et produire une autre forme de perversité, celle de la quête impossible d’un monde purifié. Certains différends interpersonnels relèvent assurément des conflits du travail et doivent être traités en tant que tels par les instances ad hoc. Certains effets de climat relèvent de la gestion des Ressources humaines. Certaines formes de pathologie au travail peuvent confiner au sentiment de persécution chez des acteurs fragiles qui se croient harcelés. D’autre part, le harcelé n’est pas toujours celui qu’on croit : il peut s’avérer que les victimes apparentes aient elles-mêmes participé à un harcèlement collectif, par exemple vis-à-vis de leur chef, amené à son tour à devenir harceleur.

L’identification et la délimitation du harcèlement posent donc à la fois des questions d’ordre psychosocial et juridique : comment reconnaître au plan du droit un processus souvent caché, qui se déroule sans témoins, se manifeste par des brimades qui ne sont parfois porteuses de sens que pour les victimes ? En l’absence de critères clairs, le droit peut se reporter sur les conditions de travail et le non respect du contrat.

Deux millions de victimes ?

Le harcèlement est une pratique plus courante qu’il n’y paraîtrait de prime abord : « Il toucherait deux millions de victimes », titrent certains médias. Si le chiffre est douteux puisqu’invérifiable, l’accumulation de témoignages venant de tous bords, y compris des médias eux-mêmes, comme celui du célèbre journaliste Guillaume Durand dans son ouvrage récent « La peur bleue », montre que le phénomène n’est pas confiné à certaines sphères. Selon le propre dire de Françoise Pagano, présidente de l’ANVHPT (Association nationale des victimes de harcèlement psychologique au travail), sur la base des adhésions à son association, les victimes proviennent tant du secteur public que du secteur privé, des petites entreprises comme des plus grosses, et même des ministères… Après tout, le Président de la République lui-même ne serait-il pas harcelé psychologiquement par les « Guignols de l’Info » ?

Les différentes formes du harcèlement

Le harcèlement (en anglais « harasment », lui même issu du vieux français harassement) est originellement un terme de chasse : le harcèlement consiste à épuiser une proie par une pression constante jusqu’à ce que le stress et la fatigue aient raison de la bête. À ce titre, la « chasse à courre » s’inspire directement des méthodes des prédateurs canidés, tels les loups, les lycaons et autres chacals. Le harcèlement fait également partie du vocabulaire militaire pour évoquer les « coups de mains » répétés de petits groupes, guérillas ou commandos, sur les flancs des corps de troupes.

À partir des constats des éthologistes, le harcèlement peut également être pratiqué par un groupe de congénères vis-à-vis d’un des siens pour l’exclure ou le dénigrer, et l’on utilise alors le terme de « mobbing » (qui vient de l’anglais mob : foule). Cette dernière pratique est utilisée dans toutes les populations humaines, elle peut prendre la forme de lapidation (confère la bible), de quolibets, de crachats ou de coups, elle peut s’apparenter à différentes formes de chahut, charivari, bizutage, pratiqués traditionnellement au sein des corporations, des institutions, des armées, des grandes écoles, des clubs sportifs ou des bandes de quartiers. Elle peut encore prendre la forme plus sophistiquée d’une campagne médiatique.

De façon plus générale, il s’agit du rejet actif d’un groupe vis-à-vis d’un de ses membres dans le but de le faire craquer, de l’humilier, de le rejeter, de lui retirer toute identité et appartenance au groupe, ou bien de lui faire passer un rite initiatique (dans ce cas, le harcèlement est limité dans le temps).

Buts du harcèlement psychologique

* Exclure la personne d’une communauté en lui retirant peu à peu son identité, son rôle, sa fonction, son statut, son territoire et son image, bref, en la « désintégrant socialement ».
* Le harcèlement utilise des techniques psychologiques car le harceleur pousse sa victime à intérioriser cette perte d’identité, à douter d’elle-même, de ce qu’elle est, de ses capacités, de ses repères, de ses relations sociales, à la stresser et à lui faire perdre peu à peu tous ses moyens de réaction ainsi que sa lucidité (ce qui peut à bon compte la faire passer pour paranoïaque ou pathologique), à se replier sur elle-même dans des postures effectivement régressives ou déprimées.

Entretien avec Françoise Pagano, présidente de l’Association nationale de victimes de harcèlement psychologique au travail
Comment définiriez-vous le harcèlement psychologique au travail ? Comment celui-ci se traduit-il au sein des institutions ?

Le harcèlement psychologique au travail (HPT) est une méthode et un processus qui ont à voir avec le discours de l’institution, à ce titre il est à décoder. Son but est d’évincer des personnes. Le processus est classique : isolement de la personne, suppression de ses fonctions ou de ses outils professionnels, mise en échec en donnant à la personne des taches pour lesquelles elle n’est pas formée, humiliation, discrimination, atteinte à l’honneur, atteinte à la dignité, incitation à la discréditer et à retourner ses collègues de travail contre elle, etc.

Le but inavoué, et inavouable, est donc la mise en échec de la personne, pour lui faire perdre confiance en elle et en son travail, douter de ses capacités et toucher à ce qu’elle a de plus précieux au niveau de son implication au travail : sa dignité.
Est-il nécessaire qu’une loi vienne recadrer cette pratique au même titre que le harcèlement sexuel ?

Une loi spécifique, avec son cortège de sanctions pénales, est indispensable car il faut sanctionner les responsables. Mais la sanction sera insuffisante si elle n’est pas accompagnée de prise de conscience et de changement des mentalités par la prévention qui doit être première et majeure.

En matière de prévention, notre association, l’ANVHPT (2), a déjà proposé diverses actions telles qu’instituer une « Charte de la dignité au travail » dans le règlement intérieur des administrations, entreprises et institutions. Cette charte impulserait une éthique des comportements professionnels où le respect de l’autre et de sa dignité serait institué comme obligation professionnelle, pendant des droits professionnels des personnels.
Le harcèlement s’inscrit-il dans des enjeux de pouvoir institutionnels où toute la hiérarchie est impliquée ?

Bien évidemment ! Le pouvoir est réel quand il autorise une hiérarchie à donner des ordres et des injonctions à des subalternes, et les droits statutaires sont là pour le baliser. Fantasmatique, quand une personne s’en réclame ou en est investie par d’autres symboliquement. Et c’est ce pouvoir-là qu’il conviendrait aussi de repérer avec ce qu’il a à voir avec la soumission à l’autorité.

Quand le pouvoir réel se double du pouvoir fantasmatique, alors le lit du HPT est fait.

* En matière de HPT dans le sens pyramidal du haut vers le bas, ce qui est visible en premier, c’est l’utilisation du pouvoir réel. II reste alors à repérer comment œuvre le pouvoir fantasmatique pour soumettre l’autre de façon indigne.
* Quand le HPT est horizontal, c’est-à-dire mis en œuvre par les collègues de même niveau hiérarchique et que la hiérarchie laisse faire, c’est le pouvoir fantasmatique qui est premier. Le silence de l’autorité hiérarchique n’exonère pas pour autant cette dernière de ses responsabilités civiles et pénales,
* Quand le HPT est en œuvre du bas vers le haut (cas beaucoup plus rares, mais existants) il ne peut se confondre avec des conflits du travail classiques. II a parfois à voir avec le pouvoir fantasmatique et le pouvoir réel et il traduit souvent le discours de l’institution (discours toujours à décoder).

Ne craignez-vous pas, par ailleurs qu’à l’effet inverse, les victimes vont fleurir au sein des établissements publics ou privés ?

Oui, effectivement et des dérives sont à craindre dans les cas où seule la personne s’auto-désigne victime C’est la raison pour laquelle, avant d’accepter comme membre actif (c’est-à-dire victime de HPT ou ayant droit de victime), une personne qui demande son adhésion à l’ANVHPT (2) nous lui demandons de constituer un dossier qui sera examiné par notre commission technique. II y a des personnes qui souffrent au travail et qui peuvent développer des dépressions, des maladies psychosomatiques voire des névroses traumatiques, sans être victimes de HPT.

Les dérives sont parfois mises en acte par les syndicats qui croient résoudre ces problèmes sur le même mode que tous les conflits du travail.

Le HPT est bien un discours qui traverse tous les personnels de l’institution, dans leurs diverses missions : professionnelles et syndicales. Aucun intervenant institutionnel traversé (salarié, syndicaliste, médecin du travail, etc.) n’est exempt de le véhiculer, souvent inconsciemment, de le reproduire, voire de l’entretenir.

Une façon d’en sortir pourrait consister à nommer un médiateur extérieur (non rémunéré par l’entreprise ou l’administration) dûment formé et spécialiste en victimologie. II devra être soumis au secret professionnel le plus absolu et son objectif sera d’œuvrer à l’éradication du processus HPT et non à traiter la question sous l’angle du conflit de personnes.

Propos recueillis par Guy Benloulou


(1) Psychologue des Hôpitaux, Expert prés la Cour d’Appel, Victimologue.

(2) Association nationale de victimes de harcèlement psychologique au travail - Maison des associations, 3 bd des Lices - 13200 Arles

E-mail : anvhpt at free. fr

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