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Origine : http://www.lavieeco.com/Votrecarriere/Harcelementmorallomertaaggravelephenomene
Harcèlement moral : l’omerta aggrave le phénomène
Critiques, discriminations, humiliations, insultes, mise au placard...
le harcèlement moral sévit dans de nombreuses entreprises.
Le concept est totalement absent du nouveau Code du travail.
Le débat le concernant est occulté dans l’entreprise.
«Mon boss me pourrit la vie !». Karim, vingt-trois ans,
technicien en maintenance, va au travail à reculons. Il reconnaît
être «à bout» et «en pleine dépression».
Son supérieur (cadre intermédiaire) le harcèle,
du matin au soir. «Il me sait nerveusement fragile et fait tout
pour me rendre fou et me tuer au travail. Il m’interdit de prendre
du répit, exerce sur moi un chantage continuel, dépense
toute son énergie à m’induire en erreur et à
saboter ma confiance en moi. Il use de non-dits pour créer
des malentendus qui se transforment en fautes professionnelles. Il
me pollue la vie même le week-end, me laissant entendre par
exemple qu’il m’aurait balancé à la direction
pour me faire virer».
La peur de perdre son emploi et l’isolement des salariés
empêchent toute solidarité
Ces petits agissements hostiles peuvent sembler anodins. Répétés,
ils affectent souvent gravement le salarié. Karim rêve
de quitter. Il sait qu’il pourrait «y laisser sa peau»,
mais sa situation de soutien de famille le fait encore hésiter.
Et rien ne semble pouvoir briser aujourd’hui cet épais
mur du silence. La peur de perdre son emploi, l’organisation
cloisonnée du travail, l’isolement des salariés
et les lacunes de l’application du droit du travail empêchent
toute solidarité entre salariés et autorisent tous
les abus. Pire, dans nombre d’entreprises, le «flicage»,
la délation sont vivement encouragés.
Fouad, cadre dans une banque de Casablanca, et mis au placard depuis
trois mois, n’attend même plus le soutien du DRH, lâche
ou complice. «Suite à une demande de mutation, on m’a
privé de tout : travail, ordinateur, téléphone.
Je n’ai plus rien à faire. La direction préfère
payer double : une personne pour effectuer mon travail et moi...
pour ne rien faire, et me pousser à la démission»,
déplore-t-il. C’est que le harcèlement n’est
pas seulement l’aveu d’un véritable malaise dans
le management, il est aussi pour l’entreprise une arme stratégique
redoutable.
Pas de thermomètre, pas de fièvre ? C’est un
fait : aucune étude sérieuse (sociologique, économique,
médicale) n’a été réalisée
au Maroc sur les dégâts - que l’on peut imaginer
considérables - de ce que l’on a aussi appelé
«harcèlement professionnel». Le harcèlement
moral est une notion relativement neuve et encore assez méconnue.
Et s’il n’a fait l’objet d’aucune étude
au Maroc, il n’en demeure pas moins une réalité
sociale incontestable, dans le public comme dans le privé.
Le terme même reste ignoré par le nouveau Code du travail
(celui de harcèlement sexuel étant cité une
fois). Néanmoins, sont considérées comme fautes
graves commises par l’employeur ou le salarié, «l’insulte
grave, la pratique de toute forme de violence ou d’agression
dirigée contre un salarié, l’employeur ou son
représentant...» (article 39 et 40).
Au Maroc, il n’y a aucune étude sérieuse visant
à évaluer le problème
Mais qu’entend-t-on exactement par violence ? Faut-il sortir
les couteaux ? Ce sera justement aux juges... de trancher. Même
si le harcèlement ne laisse pas de sang dans l’entreprise
(il s’agit souvent de violence discrète), ses ravages
n’en sont pas moins considérables pour les victimes
: anxiété, insomnie, dépression, suicide, mais
aussi absentéisme, perte d’efficacité, démission.
Heinz Leymann, psychosociologue allemand, est un peu le père
du concept. Il est le premier, dans les années 80, à
s’intéresser à la question, après une
étude de plusieurs années effectuée en Suède.
Le terme de «mobbing» apparaît alors pour désigner
ce phénomène encore sans nom (du verbe anglais «to
mob» : molester). 1996 voit donc la sortie de Mobbing, la
persécution au travail de Heinz Leymann (éditions
du Seuil). Deux ans plus tard, c’est Marie-France Hirigoyen,
psychothérapeute et auteur de plusieurs livres sur le sujet,
qui tire en France la sonnette d’alarme. Depuis, les témoignages
se sont multipliés. L’auteur publie à nouveau,
en 2002, Le harcèlement moral dans la vie professionnelle
(Editions Pocket). La même année, en France, le harcèlement
moral entrait dans les textes et était désormais passible
de poursuites judiciaires.
Jamais on ne s’était autant intéressé
aux conditions et aux relations de travail. Christophe Dejours fait
un état des lieux de la souffrance au travail dans Souffrance
en France (Points ; Seuil, 2000) aggravée, selon lui, par
un contexte de guerre économique. Des auteurs s’interrogent
aussi sur la santé psychique de ceux qui nous dirigent :
J’ai un patron psychopathe (Isabelle Mercier et Monique Osman,
Eyrolles, 2001). D’autres commencent à s’immiscer
dans les cuisines peu reluisantes des grandes entreprises : L’entreprise
barbare (Durieux, Jourdain, Edition Albin Michel, 2000). Le harcèlement
moral fait débat et nombre de pays ont adopté une
législation spécifique sur cette question.
Nombre de pays ont une législation spécifique sur
la question
Au Maroc, c’est le black-out. Pourtant, en l’absence
fréquente de contrepouvoir et de médiateur dans l’entreprise,
le monde du travail est ici plus qu’ailleurs vulnérable
à ce type d’agissements.
Il est urgent de mettre fin à cette violence sournoise, par
une démarche préventive, interrogeant toute l’organisation
de l’entreprise : la concertation dans l’organisation,
le type de gestion du personnel...
Même si certaines grandes entreprises, les multinationales
en particulier, ont élaboré des chartes de bonne conduite,
cette violence sociale, interdite d’expression, difficilement
démontrable, reste, malgré l’arrivée
du nouveau Code du travail, toujours totalement impunie dans la
grande majorité des entreprises. Les salariés devront-ils
encore - et pour combien de temps ? - courber l’échine,
acceptant brimades, humiliations, discriminations... ? Cette violence
tue - des études étrangères l’ont démontré
- des salariés détruits et fatigués d’être
niés chaque jour dans leur dignité
Au Maroc, black-out sur ce sujet. Pourtant, en l’absence
de contre-pouvoir et de médiateur dans l’entreprise,
le monde du travail est plus qu’ailleurs vulnérable
à ce type d’agissements.
Ne comptez pas sur le Code du travail pour vous sortir du placard
où vous a remisé votre harceleur patenté !
Yann Barte
Publié le : 10/09/2004
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