Origine : http://www2.cndp.fr/RevueDEES/notelecture/200603-07.htm
WEBER Hélène « Du ketchup dans les veines. Pourquoi
les employés adhèrent-ils à l'organisation
chez McDonald's ? »
Ramonville-Saint-Agne : Érès, 2005. 220 p., Collection
« Sociologie clinique ».
Sociologue et ayant travaillé chez McDonald's pendant deux
ans, Hélène Weber est restée marquée
par son expérience dans la multinationale américaine.
Pas directement en raison des conditions de travail, mais par le
décalage existant entre leur pénibilité et
l'adhésion aux contraintes et aux objectifs des salariés
de McDo. Tout au long de cet ouvrage, l'auteur va disséquer
l'organisation interne et le processus d'incorporation des salariés
à l'entreprise. L'analyse devient, en fin d'ouvrage, ardue
lorsqu'elle propose des explications sociopsychologiques de ces
« correspondances psycho-organisationnelles » entre
le système McDo et la structure psychique des salariés…
Hélène Weber classe son analyse parmi la «
sociologie clinicienne » qui tente d'intégrer dans
un même corpus analytique les déterminations purement
sociales de celles qui relèvent de la psychologie. Son ouvrage
en est effectivement une parfaite illustration : alors que les premiers
chapitres sont pure sociologie, la suite tend vers une analyse plus
psychologique. Il est rare de constater de telles différences
de niveaux de lecture dans un ouvrage monographique : si les chapitres
1 à 4 sont parfaitement lisibles pour des lycéens
et fourmillent d'illustrations solides sur le thème de l'organisation
du travail (seconde et terminale ES), la suite doit être réservée
à des étudiants en sociopsychologie.
Les salariés de McDo doivent intégrer la «
philosophie frite », en devenant « frite » jusqu'à
ce que coule du ketchup dans leurs veines ! L'incorporation à
l'univers McDo passe par des normes strictes, contraignantes mais
qui finissent par être acceptées par des jeunes salariés.
Cette forme d'acculturation a quatre dimensions : l'univers McDo
envahit les corps en saturant les cinq sens humains (l'odeur, la
couleur jaune… d'où le titre Du ketchup dans les veines),
envahit les relations par cette interchangeabilité des salariés
qui crée une homogénéité du groupe dont
la seule distinction reste la performance individuelle – véritable
mécanique de pouvoir sur les travailleurs. L'incorporation
passe bien évidemment par la mise en place d'une organisation
du travail taylorienne et, enfin, par la promotion d'un esprit de
corps. À cet égard, le lecteur découvrira l'existence
d'une Hamburger University à Chicago qui « forme ainsi
chaque année à la hamburgerologie près de 7
000 salariés et franchisés ».
La seconde partie de l'ouvrage constitue l'aspect réellement
original de l'analyse : elle présente les étapes de
l'intériorisation des contraintes par les salariés.
L'entreprise profite de leur profil assez homogène –
jeunes actifs, étudiants ou sans emploi – pour recréer
des groupes de pairs internes qui faciliteront l'adhésion
au système. Ces salariés vont adopter des comportements
de défense face à la pénibilité du travail
« qui vont servir McDonald's » : la soumission est une
« voie de repos ». Face à la standardisation
des tâches, la recherche de la performance est la seule expression
subjective, elle évite finalement la routine. Les références
à Foucault (notamment Surveiller et Punir) sont ici nombreuses.
L'auteur va aussi utiliser des thèses psychologiques (Huguet,
de Gaulejac et Aubert) pour démontrer les « correspondances
» entre le système organisationnel de l'entreprise
et la structure psychique des salariés. Pour exemple : les
exigences du système McDo deviennent « un moyen logique
» de contrer l'angoisse qui caractérise ces jeunes
actifs. Ces correspondances se renforcent avec le temps : d'un sentiment
d'appartenance à un groupe (« l'adhésion engagée
»), le salarié prend confiance en soi avant de faire
confiance directement à l'entreprise. Finalement, Hélène
Weber constate les similitudes entre la sous-culture jeune et la
culture d'entreprise McDo (codes langagiers, vestimentaires, pratiques
communes…). Les jeunes sont facilement soumis à «
l'illusion groupale » c'est-à-dire à la tendance
d'idéaliser son groupe d'appartenance afin de contrer leur
fragilité interne. L'adhésion devient « perverse
» car elle renvoie à la notion de désir (Lacan).
Un ouvrage de qualité, d'une grande richesse, qui démontre
comment une organisation du travail, pourtant contraignante, peut
« satisfaire » des employés, dont le processus
d'adhésion est d'autant plus efficace qu'il est diffus et
largement inconscient.
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