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L’industrie agro-alimentaire a créé des usines à virus
par Johann Hari


Origine : http://naturo-pattes.over-blog.com/article-31038535.html

Tout comme Mike Davis, Johann Hari met en accusation les méthodes de l’industrie agro-alimentaire qui favorisent les épidémies virales. Les exploitations qui confinent ensemble des milliers d’animaux stressés, souvent blessés et malades, dans des conditions déplorables, sont des terrains de prédilection pour les mutations et les évolutions rapides des virus. Ces fermes sont « l’environnement parfait pour les souches résistantes », souligne un responsable sanitaire américain qui avertit que « si l’on voulait créer une pandémie mondiale, il faudrait construire autant que possible de ce type de fermes. » Les modes d’élevages plus traditionnels, donnant des animaux plus robustes, élevés en moins grand nombre, constituaient des barrières de fait à la propagation des virus, rappelle Johann Hari, qui note que les épisodes viraux se sont multipliés en parallèle avec l’industrialisation croissante de l’élevage.

Par Johann Hari, The Independent, 1er mai 2009

Un nombre croissant de scientifiques estime que, non, cette grippe porcine n’est pas survenue accidentellement. Ils affirment au contraire que cette pandémie globale - et toutes les morts qui vont suivre - est une conséquence directe de la demande de viande bon marché. Serait-ce donc la manière dont nous produisons cette viande qui nous rend malades comme des cochons ? A première vue, cela a l’air absurde. De tous temps, les virus ont muté, et ils ont parfois pris des formes dangereuses, fauchant alors les vies humaines. C’est une réalité à laquelle on ne peut échapper, comme les tsunamis ou les tremblements de terre. Mais de plus en plus, les données scientifiques suggèrent que nous avons involontairement inventé une méhode artificielle d’accélérer l’évolution de ces virus mortels - et de les disperser à travers le monde. Il s’agit des élevages industriels, produisant de la viande à bon compte, avec en prime, des virus qui se propagent.

Pour comprendre comment tout ceci est arrivé, il faut comparer deux types de fermes. Mes grand-parents avaient une porcherie dans les montagnes suisses, avec tout au plus 20 porcs à la fois. Que serait-il arrivé, si dans les intestins de l’un de ces porcs, un virus avait muté et pris une forme plus mortelle ? Le virus aurait rencontré en chemin la vigoureuse résistance du système immunitaire des porcs. Ces animaux vivaient en plein air, sans stress et avec une alimentation qui leur convenait - ils avaient donc une robustesse leur permettant de résister. Si le virus s’était installé, il ne serait pas allé plus loin que là où le cochon infecté ne le pouvait. Ainsi, le virus ne disposait que de 20 autres porcs alentour pour se développer et y muter - et atteindre le terme de son évolution avant de s’éteindre.

Un virus vraiment chanceux et aventureux pouvait sans doute aller rejoindre le marché au bestiaux et s’attaquer à d’autres petits groupes de porcs en bonne santé. Mais il avait très peu de chances de se propager sur une importante population porcine ou d’évoluer vers un type de virus transmissible aux humains.

Comparons maintenant avec ce qui se passe quand un virus évolue dans un grand élevage moderne. Dans la plupart de ces porcheries industrielles, 6 000 porcs sont entassés museau contre museau dans des cages étroites où ils peuvent à peine bouger, et sont nourris en permanence d’une espèce de bouillie artificielle, vivant au dessus de leurs propres immondices.

Au lieu de n’avoir que 20 porcs dans lesquels se développer, le virus en a maintenant des milliers, qui sans arrêt s’infectent et se réinfectent les uns les autres. Il peut se combiner et se recombiner. L’ammoniac du lisier au dessus duquel ils vivent brûle les voies respiratoires des porcs, rendant ainsi plus facile l’accès des virus. Autant dire que le système immunitaire de ces porcs est en chute libre. Ils sont stressés, déprimés et en panique permanente, et sont bien plus aisément victime de l’infection. Il n’y a ni air frais, ni lumière du jour pour renforcer leur défenses naturelles. Ils vivent dans un air chargé de virus, et ils y sont exposés chaque fois qu’ils respirent.

Comme l’explique le Docteur Michael Greger, responsable du secteur Santé Publique et Agriculture Animale de la Humane Society, aux Etats-Unis : « rassemblez tout ceci, et vous créez un environnement parfait pour ces souches résistantes. Si on voulait créer une pandémie mondiale, il faudrait construire le plus d’élevages industriels possible. Voilà pourquoi le développement de la grippe porcine n’est vraiment pas une surprise pour les professionnels de la santé publique. En 2003, l’American Public Health Association - la plus ancienne et la plus importante au monde - a appelé à un moratoire sur les élevages industriels parce qu’elle entrevoyait que quelque chose allait arriver. Il faudra sans doute quelque chose d’aussi sérieux qu’une pandémie pour nous faire prendre conscience du coût réel de l’élevage industriel. »

De nombreuses études détaillées sur les élevages industriels qui sont parues ces dernières années viennent appuyer cet avis. Le docteur Ellen Silbergeld est professeur des sciences de la santé environnementale à la Johns Hopkins University. Elle m’a indiqué que ses études détaillées, proches du terrain l’ont amenée à la conclusion qu’il y a un « lien très fort » entre les élevages industriels et les nouvelles formes de grippe plus puissantes que nous connaissons aujourd’hui. « Au lieu que le virus ne dispose que d’un seul essai sur la roulette [évolutive], il en a des milliers et des milliers, pour le même prix. C’est ce qui détermine l’évolution de nouvelles maladies. »

Hier encore, on ne pouvait que spéculer sur l’origine du virus mortel H1N1 - mais aujourd’hui on en sait davantage. Le centre d’informatique biologique de la Columbia University a analysé les virus et estime maintenant qu’il n’y a pas émergence d’un triple virus de grippe aviaire porcine et humaine. C’est une variante proche d’une souche connue précédemment. On peut étudier son arbre généalogique - et son aieul était un virus qui a muté dans l’environnement artificiel d’un grand élevage industriel en Caroline du Nord.

Est-ce que cette nouvelle souche a également muté dans les mêmes circonstances ? On est tenté de le croire aujourd’hui, mais il est difficile de conclure. Nous savons que la ville où la grippe porcine s’est déclarée au départ - Perote, au Mexique - abrite une énorme ferme industrielle, et compte 950 000 porcs. Le Dr Silbergeld ajoute : « les élevages industriels n’offrent aucune sécurité sur le plan biologique. Il y a des gens faisant des allées et venues sans arrêt. Si vous vous tenez à quelques kilomètres sous le vent d’un élevage industriel, vous pouvez facilement attraper des virus pathogènes. Et le lisier n’est pas toujours éliminé. »

Ce n’est pas par hasard si l’on a assisté pendant les dix dernières années à une explosion de nouveaux virus, précisément au moment où l’élevage industriel s’est tellement développé. Par exemple, entre 1994 et 2001, le pourcentage de porcs américains qui vivent et meurent dans d’immenses fermes industrielles a grimpé de 10% à 72%. La grippe porcine, qui était stable depuis 1918, a soudain pris un essor extraordinaire pendant cette période.

Quel maux allons-nous nous infliger pour cause de viande à bas prix ? Nous savons que la grippe aviaire s’est développée dans les très grands poulaillers industriels. Et nous savons que l’usage massif de nourriture animale pleine d’antibiotiques a donné naissance à une nouvelle sorte de staphylocoque doré résistant [1] . C’est un procédé simple, horrible. Le meilleur moyen de maintenir en vie ces animaux est de les gaver d’antibiotiques. Mais ceci a généré un combat au corps à corps avec les bactéries, qui deviennent de plus en plus résistantes aux antibiotiques - d’où émergent enfin de compte des virus super-forts, invulnérables à nos armes médicales. Ce système a engendré un nouveau genre de staphylocoque doré, responsable maintenant de 20% des infections humaines dues aux virus. Sir Liam Donaldson, le Médecin Chef du gouvernement britannique, met en garde : « chaque usage inapproprié [des antibiotiques] pour les animaux ou en agriculture représente une condamnation à mort potentielle pour un futur patient. »

Bien entendu, l’industrie agroalimentaire tente désespérément de nier que tout ceci soit vrai : leurs résultats financiers dépendent du maintien sur ses rails de ce système bancal. Mais lorsque l’on prend en compte le coût de toutes les maladies et pandémies, cette viande à bon marché se révèle soudainement être une illusion. Nous avons toujours su que l’élevage industriel était une faute sur la conscience de l’humanité - mais nous craignons désormais que ce ne soit aussi le cas pour notre santé. Si nous poursuivons dans cette voie, la grippe aviaire et la grippe porcine ne seront que les premières manifestation d’un siècle de mutations de virus.

Maintenant que nous sommes les témoins d’une pandémie globale, balayant le monde, nous devons mettre un terme à ces fabriques de virus - avant qu’elles ne mettent fin à de nombreuses vies humaines.

Daniel GILBERT
Professeur, Écologie microbienne
Université de Franche-Comté, Pôle Universitaire du Pays de Montbéliard