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Origine : http://www.peripheries.net/article175.html
En 1995, Jean-Louis Sagot-Duvauroux publiait Pour la gratuité.
Des années après, on est tombés sur ce petit
livre qui articule, en montrant la cohérence qui les sous-tend,
à peu près tous les grands combats actuels : pour
l’accès aux soins, pour le droit au logement et aux
transports, pour la libre circulation de l’information et
des œuvres... Surtout, la réflexion de Jean-Louis Sagot-Duvauroux
aide à lever la malédiction qui, depuis l’échec
des régimes communistes, pèse sur tous les désirs
de changement. Non, dit-il, l’empire de la marchandise n’est
pas partout : le croire, c’est aussi céder à
la propagande libérale. Et on peut, à partir des failles
bien réelles du système, à partir d’îlots
préservés de gratuité et d’autonomie,
agir pour renverser la tendance ; avancer des propositions circonscrites,
mais efficaces, qui permettent de prendre de nouveaux bastions,
au lieu de se cantonner à une attitude défensive en
rêvant à des lendemains qui chantent.
Jean-Louis Sagot-Duvauroux concilie des activités associatives
et artistiques : il a notamment écrit un spectacle et un
film autour du personnage de Toussaint-Louverture, ainsi que le
scénario de La Genèse, le film du grand cinéaste
malien Cheikh Oumar Sissoko, en 1999. Tordant le cou aux arguments
réactionnaires qui font la « mauvaise réputation
» de la gratuité, il insiste sur son rôle civilisateur.
Quand la valeur d’usage d’un bien supplante sa valeur
d’échange, cela débouche sur des interrogations
ambitieuses : comment tirer le meilleur profit de ce qui nous est
offert ? Comment apprendre à être libres ?... Il détaille
aussi deux propositions de gratuités à mettre en chantier
: celle des transports, et celle du logement social, qu’il
a initiée avec quelques autres.
- Pourquoi la gratuité ?
Jean-Louis Sagot-Duvauroux : J’ai été longtemps
membre du parti communiste et c’est, je crois, ce qui m’a
amené à m’intéresser à la gratuité.
Comme tous les communistes, je pensais qu’il fallait faire
la révolution, établir, sinon la dictature du prolétariat,
du moins un Etat dirigé par les intérêts de
la classe ouvrière. Mais quand même, en y regardant
de plus près, on avait déjà quelques doutes
sur l’efficacité de cette affaire-là. Et ces
doutes ont été confirmés par l’Histoire.
Je réfléchissais, je trouvais que, dans la perspective
communiste, dans la critique que Marx a faite de l’économie
capitaliste, il restait tout de même des éléments
très convaincants. Par ailleurs, les résultats du
communisme en France ne sont pas minces : il y a la Sécurité
sociale, la diminution du temps de travail, etc. Puis, avec le communisme
municipal, on a instauré des éléments très
solidarisants, donnant du bien-être à la population,
un champ de services gratuits où l’accès aux
biens était proposé à tous sans distinction
moyennant une mutualisation par l’impôt local. Ces interrogations
sur les errements et les résultats ont, je crois, traversé
tous les gens issus de cette famille de pensée, et je suis
parti de là, dans ces conditions-là.
Au fond, des pans entiers de notre existence demeurent autonomes.
Ni notre existence individuelle, ni l’existence de la société
ne sont entièrement soumises, que ce soit à l’Etat
ou au marché. Face à la marchandise, on demeure toujours
sous la contrainte de la taille de son porte-monnaie. Si vous dépassez
la taille de votre porte-monnaie, la police vous recherchera et
vous mettra en prison. Cela s’appelle du vol. Au contraire,
quand un bien est gratuit, on est renvoyé à soi-même,
à sa capacité à en jouir. L’éclairage
public, par exemple, est gratuit ; donc c’est bien notre capacité
à jouir de la ville la nuit qui est en cause. La contemplation
des paysages n’est pas complètement gratuite ; il peut
être cher d’accéder à certains d’entre
eux. Mais quand on habite Paris, le paysage, espace public, nous
renvoie à notre capacité à en tirer de la jouissance.
Pendant longtemps, les musées ont été gratuits,
ou quasi gratuits, en Angleterre.
« Libérer des espaces du rapport marchand, c’est
une possibilité très importante, très immédiate.
Cela ne renvoie pas à des lendemains ou des surlendemains
qui chantent »
Le rapport gratuit est quand même très différent
du rapport marchand, même si le rapport marchand aboutit toujours
à un rapport non marchand, à l’usage : quand
vous achetez un abricot, il n’est qu’une pure marchandise
au moment où vous hésitez entre lui, la pêche
ou la grappe de raisins, mais une fois que vous l’avez acheté
et que vous le mangez, c’est votre capacité à
apprécier son goût qui entre en jeu. La gratuité,
c’est un saut de civilisation. A un moment donné, notre
problème n’est plus de savoir si, oui ou non, notre
enfant va aller à l’école, mais bien comment
on va définir le rôle de l’éducation,
assurer la réussite scolaire de chacun... Les interrogations
gagnent en qualité, en ambition, elles créent du lien
social.
La société a montré qu’elle savait étendre
le champ de la gratuité à des domaines qui n’étaient
pas donnés au départ, qui n’étaient pas
donnés par la nature, par exemple avec l’école
publique ou la Sécurité sociale. Dès lors,
il m’a semblé que faire reculer la frontière,
identifier les lieux où on peut repousser la limite de ce
qui est dominé par le marché et libérer des
espaces du rapport marchand, c’était une possibilité
très importante, très concrète, très
immédiate. Cela ne renvoie pas à des lendemains ou
des surlendemains qui chantent ; ça peut se faire tout de
suite et permettre ainsi d’expérimenter déjà
une autre forme de rapport aux personnes et aux choses.
- Y a-t-il un rapport entre votre réflexion sur la gratuité
et votre intérêt pour l’Afrique ?
J.-L.S.-D. : Ah non, je ne pense pas. C’est plutôt
une expérience générale de la vie. Si le Mali
a pu me servir dans cette réflexion, c’est par le fait
que, bien que ce soit un pays effectivement très pauvre,
avec un certain nombre de fléaux sociaux (avec l’insécurité
sanitaire, l’absence de médicaments, on court le risque
de voir son enfant mourir alors qu’il pourrait être
sauvé, ou sa femme mourir en couches), ce n’est pas,
comme le voulait par exemple la représentation communiste
traditionnelle, un monde teinté par le malheur. Dans la même
veine, je me souviens que, dans les années 70, on présentait
le modèle social-démocrate de la Suède comme
le pire système entre tous, parce que ça rendait encore
plus vicieux le système capitaliste. Eh bien non ! Dans la
vie concrète, ce n’est pas vrai. La vie concrète
des gens n’est pas teintée globalement par un malheur
qui lui viendrait du capitalisme, tout simplement parce qu’elle
n’est pas entièrement dirigée par le capitalisme.
Il y a beaucoup de choses qui échappent au capitalisme, et
qui échappent aussi à la misère.
Ce sont ces failles dans le système qui laissent une marge
de manœuvre pour changer les choses. Je crois que ce n’est
pas du fond de l’esclavage que l’on se lève contre
l’esclavage, mais toujours d’un endroit où on
est déjà libre. Quelqu’un qui est soumis entièrement
à l’esclavage, il ne se révolte pas. Des femmes
soumises au pouvoir masculin, au point de l’admettre et de
trouver ça normal, il y en a eu des millions dans l’Histoire.
Ce ne sont pas celles-là qui se sont soulevées. Celles
qui se sont soulevées, ce sont toujours des femmes qui étaient
sous l’emprise de cette domination, mais qui, à un
moment donné, ont trouvé un espace de liberté
et l’ont théorisé. De la même manière
pour l’ouvrier qui, quand le contremaître a le dos tourné,
prend la liberté de parler à son voisin et lui dit
qu’ils ne peuvent pas continuer comme ça et qu’il
faut faire grève le lendemain. C’est de cet interstice
de liberté qu’il va élargir la liberté.
« La gratuité est un rapport autonome aux personnes
et aux choses. Du coup, il ne faut pas négliger le combat
très urgent pour savoir être libre »
C’est de là qu’est partie ma réflexion,
pas simplement sur la gratuité, mais sur le combat contre
les grandes oppressions, pour l’autonomie. La gratuité
est un rapport autonome aux personnes et aux choses. Du coup, il
ne faut pas négliger le combat très urgent pour savoir
être libre. C’est un combat culturel. Il faut apprendre
à s’approprier les choses qui nous sont données
ou que nous nous donnons gratuitement. Le combat pour la transformation
de la société est, à mon sens, un combat pour
l’autonomie, c’est-à-dire où l’on
fait reculer les contraintes extérieures de tous ordres.
On n’abolira jamais toutes les contraintes, on peut néanmoins
élargir, desserrer les étaux.
- Alors comment faire selon vous ? Quelle place, quel rôle
pour le lieu de pouvoir ?
J.-L.S.-D. : C’est constant dans la pensée communiste
: il ne faut pas déserter les lieux de pouvoir. Mais ensuite,
qu’est-ce qu’on fait du pouvoir ? Etre un « bon
ministre », ce n’est pas un but en soi pour un communiste.
Un but pour un communiste qui est placé au pouvoir, c’est
de se servir de ce pouvoir pour faire reculer de la contrainte,
y compris la contrainte de l’Etat.
« La déclaration des Droits de l’Homme est un
texte de dépérissement de l’Etat. L’espace
d’autonomie s’est élargi »
Je prends un exemple : la Révolution française a
fait reculer un pan important du pouvoir de l’Etat, celui
d’imposer à tous une religion. Dans le royaume de France,
la religion catholique était obligatoire. Or, quand l’Etat
impose une religion, il lui faut des policiers, des appareils répressifs
soutenus par la loi, des condamnations judiciaires. Il existait
une administration coercitive liée au fait que l’Etat
s’était donné le pouvoir de décider quelle
devait être la religion des gens. Le peuple se révolte
contre ce système ; le moment de la Révolution est
très intéressant : on discute du pouvoir de l’Etat,
les Droits de l’Homme sont instaurés. Or, la déclaration
des Droits de l’Homme est un texte de dépérissement
de l’Etat. C’est un texte qui dit : « Voilà
tel, tel et tel domaines dans lesquels l’Etat ne peut plus
intervenir. » Ensuite, le peuple intériorise ces nouveaux
droits de manière extrêmement forte, il voit que les
« catastrophes » qu’on lui annonçait -
la destruction de la société, de la famille, la fin
du « respect » des femmes pour les hommes - ne se produisent
pas avec la fin de la religion catholique obligatoire, que rien
ne se passe comme prédit par les prophètes de l’apocalypse
; qu’en revanche, d’autres choses se produisent, d’autres
équilibres naissent. Finalement on vit mieux, plus humainement.
Le pouvoir de l’Etat a durablement reculé ; l’espace
d’autonomie s’est élargi. Quelque chose qui était
auparavant décidé de façon extérieure
et imposé par la force est désormais renvoyé
aux gens. Au fond, la société s’en porte beaucoup
mieux et va défendre cette liberté.
Est-on, ou non, capable de se servir de cet espace dégagé,
de l’utiliser ? A-t-on en soi la force de créer ses
propres lois, de construire son autonomie ? On a tous plus ou moins
cette force, mais on ne l’a jamais complètement. Cela
se cultive. Et ce travail-là est à mes yeux complètement
central dans la perspective communiste. Or, il est assez peu pris
en compte par les communistes. Parce qu’il y aurait une espèce
de mécanisme, pensent certains, la bonne mesure doit produire
automatiquement les bons effets. Or, si le bon résultat,
c’est de nous renvoyer à nous-mêmes, encore faut-il
qu’on sache se servir de nous-mêmes. Là-dessus,
le mouvement féministe a été extraordinairement
intéressant parce qu’il s’est beaucoup adressé
aux femmes pour leur expliquer comment se servir des libertés
gagnées.
- Avec Internet, qui est aussi un espace d’autonomie, on
a assisté à cette manipulation que vous décrivez.
On a représenté le réseau comme un espace marchand,
avec les résultats qu’on connaît. On n’a
pas voulu voir qu’avant tout, il libérait l’exercice
de la liberté d’expression à une échelle
sans précédent. A ce sujet, on a uniquement entendu
l’argument selon lequel « les gens ne sont pas capables
»...
J.-L.S.-D. : Oui, bien sûr, et je dirais que ça, c’est
vraiment un argument de classe : la classe au pouvoir dénie
- et elle a évidemment une énorme urgence à
dénier - à la classe dominée la capacité
de se dégager de cette domination. C’est aussi ce qu’on
a dit au plus dur des combats féministes : « Vous allez
voir, laissez-les faire ce qu’elles veulent et vous allez
voir comment elles se débrouilleront ! » C’est
tout ce que l’idéologie coloniale disait des colonisés...
On a lancé dans L’Humanité un grand débat
autour de la gratuité du logement social. On se frotte à
des réticences énormes - bon, il y a beaucoup d’enthousiasme
aussi. Mais ceux qui s’opposent à notre idée
avancent : « Il faut que les gens paient pour connaître
la valeur des choses. » Mais ça, c’est vraiment
un argument insupportable. On dit aux gens : « Vous êtes
pauvres, mais on ne prend pas en compte que votre pauvreté
vient de l’exploitation capitaliste, c’est-à-dire
que vous appartenez à la classe qui reste quand même
la classe qui produit toutes les richesses : non, il faut encore
que vous passiez sous les fourches caudines du marché pour
connaître la valeur des choses... »
- Pour ne pas être « irresponsables » vis-à-vis
de ce qui leur est offert, c’est ça ?
J.-L.S.-D. : Tout à fait. Or, on voit des trucs très
curieux. Dans les transports urbains, par exemple, qui, à
cause du système de tarification unique, sont très
pénalisants, les utilisateurs se montrent agressifs vis-à-vis
de ces biens publics, ils les dégradent. Dans la région
parisienne, nous avons un transport public qui est, de fait, gratuit.
Oh, pas glorieusement gratuit - parce qu’on n’a pas
voulu dire ouvertement : « c’est gratuit » -,
mais honteusement gratuit, parce que la RATP a compris qu’il
valait mieux laisser les choses en l’état et ne pas
trop mettre de répression dans l’affaire...
Il s’agit de la ligne de tramway Bobigny-Saint-Denis, en
Seine-Saint-Denis (banlieue nord-est de Paris). Personne ne paie
; la RATP a fait ses calculs et s’est rendu compte que ça
lui coûterait beaucoup plus cher, notamment en dégradations,
de réprimer les fraudes. Aussi parce qu’en l’état,
c’est un transport extrêmement aimé par les gens,
absolument clean, alors qu’il se trouve dans la partie la
plus chaude du département.
On le voit bien, la gratuité produit une connivence entre
le bien et les gens ; les gens l’aiment, cette gratuité.
Les jeunes de Tremblay qui veulent venir à Paris ne paient
pas le métro, et c’est normal : ça leur ferait
une carte mensuelle à 80-90 euros, ils ne peuvent tout simplement
pas payer. Et si aujourd’hui on leur disait : « On sait
que vous, les jeunes de l’agglomération parisienne,
vous avez le droit d’aller à Paris, c’est votre
agglomération, c’est votre ville, c’est chez
vous, et donc, le transport est gratuit », il n’y aurait
déjà plus la tension de la répression, la RATP
gagnerait de l’argent - de toute façon, ils ne paient
pas, ces gamins - et on placerait la société dans
une autre perspective. Si le système a renvoyé les
plus pauvres aux confins des agglomérations et si, en plus,
on leur dit après : « C’est normal que vous payiez
plus que les autres puisque vous faites plus de kilomètres
pour aller au boulot ! », il est à peu près
normal qu’il y ait une révolte. Même si cette
révolte n’est pas politique, puisque malheureusement
pour l’instant, aucune force politique ne l’a vraiment
prise en compte. Et si demain une force politique s’en emparait
et allait expliquer la situation au ministre des Transports, elle
aurait raison.
- Il y a une mauvaise réputation de la gratuité ?
C’est une notion qui a mauvaise presse ?
J.-L.S.-D. : C’est très, très contradictoire
dans les représentations, comme ça l’est dans
les faits. Il y a des espaces libres du marché très
importants dans nos existences et qui ont une très bonne
réputation : le sexe, par exemple. Le sexe sur le marché,
la prostitution, c’est quand même beaucoup moins bien
considéré dans les représentations que le sexe
libre, gratuit. Dans ce domaine, à cause de l’Histoire,
les représentations attribuent le mauvais rôle au marché
et le bon à la gratuité.
Sur la question des médicaments, de la Sécu, la gratuité
ou la semi-gratuité, l’accès égal aux
soins pour tous, ont très bonne réputation. C’est-à-dire
que nous assistons à une élévation de la moralité
publique - pour prendre des mots pieux - telle qu’en gros,
l’écrasante majorité des gens serait révoltée
si on laissait mourir quelqu’un qui ne peut pas payer son
médicament. On dirait : « Mais en France, ça
ne se passe pas comme ça ! »
L’école en France est aujourd’hui laïque,
gratuite et obligatoire. Quand on a décidé de mettre
en avant la gratuité, la presse de droite et d’extrême
droite, avec, au premier rang, la presse catholique, s’en
est prise très vigoureusement à cette idée,
au motif que ça risquait de détruire la famille française
en « déresponsabilisant » les enfants et les
parents : « Si les enfants ne voient plus le sacrifice que
font leurs parents pour les envoyer à l’école,
ils perdront la considération qu’ils doivent avoir
pour eux. » Comme si l’argent dépensé
et la sueur sur le front de leurs parents étaient les gages
absolus de cette considération... Cette menace agitée
par les réactionnaires a complètement disparu avec
la mise en place de l’école gratuite, et cette argumentation-là,
qui paraissait plausible avant - aussi plausible que ce qu’on
nous rétorque à propos de la gratuité du logement
social, par exemple, ou des transports - apparaît aujourd’hui
pour ce qu’elle est : révoltante.
Pour prendre un autre exemple, une partie de notre temps est vendue,
l’autre est libre, gratuite. En ce qui concerne la partie
vendue, chacun de nous connaît à peu près le
prix de son temps et sait parfaitement qu’entre nous tous,
il y a d’énormes différences. Moi, je sais très
bien que, si je le propose sur le marché, mon temps vaut
plus que celui de quelqu’un qui s’est arrêté
au brevet et moins que celui d’un polytechnicien. Il n’y
a aucun doute là-dessus ; c’est clair dans les têtes
: d’ailleurs, dans le langage courant, d’une façon
proprement obscène, les gens disent : « Je pèse
300 kilos francs par an. »
« Dans nos esprits, il y a une étanchéité
entre nos expériences d’espaces de gratuité
et d’espaces marchands. C’est sur le fil de cette frontière
que cela cogite, cela discute »
Mais les mêmes, ceux qui parlent comme ça, savent
que leur temps libre est sans prix. Et s’ils passent deux
heures de leur week-end à visiter une vieille dame esseulée,
personne n’aurait l’idée de calculer le prix
de ce temps : « ça vaut moins que celui qui gagne 300
000 balles par an, parce que moi, je suis payé au SMIC !
» Comme si, dans nos esprits et dans nos représentations,
il y avait une espèce d’étanchéité
entre ces deux expériences concomitantes, celles que nous
faisons d’espaces de gratuité producteurs de leurs
propres valeurs et celles que nous avons des espaces marchands.
La question ne se pose que lorsqu’on se trouve à la
lisière où certains poussent vers la diminution de
l’espace marchand et l’augmentation des zones de gratuité.
Dans les têtes, sur le fil de cette frontière, cela
cogite, cela discute. Et faire de la politique, c’est mener
cette discussion, la susciter, la nourrir.
C’est ce que nous faisons pour le moment lors des débats
organisés sur la gratuité du logement. Dernièrement,
à Vitry [Val-de-Marne, banlieue sud-est de Paris], une jeune
femme nous a décrit le parcours de sa réflexion face
à la gratuité, et c’était passionnant.
« Moi, quand j’ai entendu les termes de ce débat,
je me suis dit spontanément que c’était une
absurdité, nous a-t-elle expliqué. Et tout de suite,
j’ai réfléchi et je me suis interrogée
: mais pourquoi je pense que c’est absurde ? J’ai lu
les textes et il y avait des arguments. Pourquoi est-ce que j’admets
la gratuité sur certains aspects et, quand cela concerne
le logement, la gratuité devient à mes yeux scandaleuse
? » La politique, elle est exactement là, dans cette
enquête intime sur notre incorporation, notre intériorisation
de la contrainte, sur cette ligne qui nous traverse tous et sur
laquelle on prend parti à un moment donné. C’est
très intéressant parce qu’on voit comment l’histoire
de l’humanité entre en nous, produit ces représentations,
comment nous, on essaie de se dépatouiller, de ne plus se
laisser berner par ces valeurs et comment, à un moment, cette
quête intime partagée se transforme en une proposition
politique collective. Dès lors, on se donne la force d’aboutir.
- Une politique de revenu liée à l’activité
et non plus au travail peut-elle grignoter, d’après
vous, la marchandisation de nos vies ?
J.-L.S.-D. : Le revenu, c’est à mon avis un problème
assez différent, même si je peux le traiter un peu
de la même façon que la gratuité. Notre activité
peut être contrainte - c’est ce qu’en gros, on
appelle le travail -, mais le même geste peut ne pas l’être.
Si je parle, je peux choisir la forme d’une conférence
payante ou le faire librement, comme pour cet entretien. Mais pour
l’heure, je suis contraint de « me vendre » en
partie pour acheter une série de biens.
Pour penser ces questions, il ne faut pas rester obnubilé
- et ça, c’est une des ruses du marché - par
le principe selon lequel seule la forme « travail »
de l’activité serait sérieuse. Non, ce qui est
sérieux, ce qui est important dans toute activité,
c’est ce qu’elle produit comme bien. Ensuite, une partie
des biens sont produits de façon massive sous la forme du
salariat, cette forme historique qui assujettit la force de travail
de quelqu’un au pouvoir de quelqu’un d’autre,
au pouvoir du capital. Mais le salarié aliéné,
assujetti, conserve une activité productrice de biens qui
ne seront jamais marchands... Un cuisinier dans un restaurant peut
très bien le soir inviter des amis à dîner et
leur préparer les mêmes plats, en faisant les mêmes
gestes, sans les faire payer, bien évidemment. Nous sommes
dans un autre univers.
Il faut s’attacher à décortiquer la question
de l’activité de manière globale et la nécessité
qui a poussé la société et les hommes à
vendre une partie de leur temps de travail et produire ainsi une
activité sous la contrainte remplissant des objectifs (augmenter
le taux de profit des actionnaires, par exemple) qui ne sont ni
ceux de la société, ni ceux des hommes. Dans l’industrie
du médicament, les chercheurs mènent une bataille
éloquente à ce propos. « Quand je suis arrivé
il y a vingt ans, c’était pour trouver des médicaments
afin de sauver des vies sur la planète, me racontait récemment
un de ces chercheurs travaillant dans une multinationale. Et aujourd’hui,
mon travail, c’est d’augmenter le taux de profit de
la multinationale. C’est proprement insupportable. »
En fait, il y a vingt ans, le travail des chercheurs, c’était
sans aucun doute déjà d’accroître les
bénéfices, mais à présent, cela a pris
des proportions si caricaturales que ça en devient impossible.
A partir de là, le caractère aliéné
du travail prend un tour terrible, y compris dans des métiers
où l’investissement personnel, réellement constructif
pour l’individu, était fort.
Par ce biais, on rejoint la question de la gratuité parce
qu’avec la gratuité, rappelons-le, un bien vaut avant
tout par son usage et n’a qu’accidentellement une valeur
d’échange. Il faut toujours se remémorer ce
principe car il permet de faire bouger les choses. On peut se dire
: « Voilà, sur telle question, le rapport de forces
permet aujourd’hui de faire reculer le marché. »
C’est certain qu’aujourd’hui le rapport de forces
ne permet pas de prôner la gratuité des machines à
laver la vaisselle, parce que cet objet est tellement une marchandise,
il a de si nombreuses caractéristiques de la marchandise...
Mais ce n’est pas trop grave, car ça n’est pas
forcément une priorité pour nous ! Pour d’autres
biens, en revanche, le rapport de forces permet de transformer le
monde aujourd’hui. Surtout quand monte dans la population,
comme c’est le cas pour le logement, l’idée que
c’est un droit, qu’il est absurde, dans la France du
XXIe siècle, de croiser encore des personnes sans toit. Si,
pour vous, il est anormal que quelqu’un qui n’a pas
d’argent n’ait pas de toit, cela veut dire que pour
vous, celui qui n’a pas d’argent doit avoir un toit
sans débourser d’argent. C’est fortement ancré
dans la conscience sociale aujourd’hui : cette idée
d’un droit supérieur au fonctionnement du marché
implique nécessairement de la gratuité.
- Les réticences vis-à-vis de la gratuité
du logement ne viennent-elles pas aussi de l’idée que,
si elle existait, on devrait accepter ce qui nous est proposé,
et on ne pourrait pas forcément choisir son lieu de vie ?
J.-L.S.-D. : Le choix en matière de logement, c’est
votre poche qui vous le dicte, de toute façon. Selon vos
moyens, vous aurez un petit ou un grand appartement. En matière
de logement social, les gens n’ont pas le choix pour l’instant
; le régime est celui de l’attribution administrative
du logement. Parce qu’elle change la perspective, la gratuité,
même si elle ne changeait pas ce système, serait déjà
une grande amélioration. En soi, la gratuité n’implique
pas davantage de choix, mais au moins, elle n’est pas en régression
par rapport à l’existant. Il ne faut pas se laisser
avoir par le rêve publicitaire : ce n’est pas parce
qu’on voit une multitude de petites annonces que ça
change quelque chose à la taille de votre crédit possible.
Par contre, à mon sens, la création d’un fort
service public du logement crée un mouvement important en
faveur de la qualité et, au bout du bout, du choix. On induit
un autre rapport au logement.
Dans les conditions actuelles, le risque de se trouver dehors,
sans logement, à un moment de sa vie concerne des millions
et des millions de personnes en France, qu’elles soient locataires
ou même accédantes à la propriété,
toute la France populaire, pourrait-on dire. La faute au chômage,
au manque d’autonomie de la jeunesse, à un divorce,
à une dépression nerveuse, etc. Nous souhaitons régler
ces situations par une assurance sociale pour qu’on ne puisse
jamais être chassé de son logement pour des raisons
de revenus et que le service public de logement social ne soit pas
moins favorable que l’accession à la propriété.
Moi, par exemple, je suis en accession à la propriété
et dans neuf ans, j’aurai fini de payer ma maison. A cette
occasion, mes revenus feront un bond formidable. Mais le système
demeure profondément inégalitaire : si j’ai
pu passer en accession à la propriété, c’est
parce que je disposais au départ de la mise de fonds nécessaire
et donc tout simplement parce que j’étais plus riche
que d’autres.
« Notre idée, c’est aussi d’inventer une
autre forme de propriété qui rende impossible la spéculation
»
Dans le système du logement social, si vous y entrez à
25 ans et que vous partez à 80, vous aurez payé en
loyers entre trois et quatre fois le prix de votre logement. C’est
complètement anormal que cela fonctionne ainsi. Nous avons
proposé que, lorsque les revenus ne permettent pas l’accession
à la propriété, les gens puissent cotiser à
un compte d’accès à l’usufruit et que
cette cotisation ne dépasse jamais le prix réel de
votre logement. Ce système pourrait être adossé
à un service public de crédit (la Poste, la Caisse
d’Epargne et la Caisse des Dépôts) qui fournirait
des prêts à des taux d’intérêts
très faibles et à long terme. Dans ce système,
les gens savent qu’ils ont, par exemple, un prêt à
3% sur trente ans, qu’une fois qu’ils auront payé
le prix de leur logement, ils en seront quittes et que, si un jour
une difficulté de paiement se présente, l’assurance
sociale couvrira le risque et ils pourront rester dans leur logement
sans risquer une expulsion.
Ainsi, avec cette proposition de transformation, on commence à
introduire dans la société une perspective de gratuité
et on attache les gens profondément à leur logement.
Parce que ça devient juste, qu’ils ont l’impression
d’être chez eux. Notre idée, c’est aussi
d’inventer une autre forme de propriété qui
rende impossible la spéculation. Votre logement est votre
logement ; vous ne pouvez ni le vendre, ni le louer ; il reste dans
le domaine public. On peut encore imaginer que le jour où
on a un gros pépin et où on ne peut plus payer pendant
l’accession à la propriété, l’Etat
vient nous proposer de faire rentrer notre logement dans le domaine
public. Ainsi, on reste dans son logement et on reprend les paiements
quand on le peut. Eh bien, moi, si on me proposait ce type de solution,
je crois que je n’hésiterai pas longtemps...
On crée une nouvelle forme de propriété qui
enlève au système capitaliste et à la spéculation
une part énorme de la richesse sociale produite. Ouste !
Dans le logement, le capitalisme ne peut plus mettre son nez. Et
cela, seule la perspective de la gratuité le permet, même
si, on ne s’en cache pas, notre proposition en l’état
reste très liée au marché par le biais du compte
d’accès à l’usufruit.
- C’est une proposition en plusieurs étapes, une première
réforme en quelque sorte dictée par l’urgence
?
J.-L.S.-D. : Bien sûr, on compte encore une petite marge
de la société, qui est vraiment mince et qui rassemble
des gens cassés qui ne pourront jamais payer. Une société
qui se respecte, elle héberge correctement ces gens cassés,
elle ne les met pas à la rue. Et ça, la population
est vraiment prête à l’accepter. Pour le reste,
on bâtit un système qui aboutit à la gratuité
à un moment donné, tout en restant lié aux
capacités du marché, ce qui signifie, avant toute
chose, qu’il est faisable tout de suite. Mais ce faisant,
bien sûr, on ne ferme pas la porte à une avancée
plus grande encore vers, par exemple, un système entièrement
mutualisé de la construction de logements. Cette gratuité
nouvelle reste classique en quelque sorte, à deux différences
près : elle concerne potentiellement des dizaines de millions
de personnes en France et elle transforme radicalement - et c’est
capital - le rapport aux banques et à la spéculation.
- Vous dites que l’idée est mûre dans les têtes,
mais comment pouvez-vous en être si sûr ? On l’a
impression de vivre dans une époque de privatisation, de
marchandisation...
J.-L.S.-D. : Cet accroissement de l’empire marchand dans
la société ne va pas de soi et, pour moi, il n’est
pas aussi évident qu’on veut bien le dire ou le laisser
penser. Il y a ce que vous souligniez sur Internet, sur l’impossibilité
pour les marchands de conquérir totalement ce nouvel espace...
En réalité, la frontière entre le marchand
et le gratuit est très mouvante. Allez, encore un exemple
: l’accès au littoral est gratuit en France. La loi
sur le littoral est très intéressante à cet
égard ; on a mis en place un conservatoire qui, en fait,
est une énorme machine servant à nationaliser le littoral.
Cette nationalisation permanente, voulue et acceptée, n’a
pas en l’occurrence la connotation archaïque qu’on
lui trouve dans le domaine industriel ; elle est désirée
par la population dans son ensemble.
« Pour moi, cet accroissement de l’empire marchand dans
la société n’est pas aussi évident qu’on
veut bien le laisser penser »
En même temps, bien sûr, il existe des zones dans lesquelles
le marché grignote les droits. C’est là qu’il
faut faire de la politique. La politique n’est pas le deus
ex machina de la société, ce n’est pas une baguette
magique. Mais il y a des endroits où on peut utiliser un
levier et faire avancer des choses. Une des principales ruses du
marché, c’est de faire baisser les bras aux gens en
leur expliquant : « C’est insurmontable, c’est
inéluctable : on ne peut rien faire d’autre ! »
Evidemment, avec l’échec du communisme au XXe siècle,
ce discours des marchands a beaucoup convaincu ; du coup, aujourd’hui,
il nous faut développer des arguments convaincants. Or ces
arguments, on les a tous en nous, même parmi ceux qui pensent
que le capitalisme, la marchandisation générale, sont
l’avenir du genre humain. Les questions du médicament,
du logement, du transport, des biens culturels, sont désormais
tout à fait mûres pour de réelles avancées
de gratuité.
- Vous écrivez que même le pire ultra-libéral
a forcément en lui la notion de gratuité, parce qu’il
en fait l’expérience à travers son histoire
personnelle...
J.-L.S.-D. : Il est évident que pour tout être humain,
la part de ce qui est sans prix reste très importante. Cela
n’empêche pas que certains soient des ordures, prêts
à vendre leurs filles sur le marché. Mais même
ceux-là, ils peuvent quand même regarder un paysage.
En fait, je crois que les interrogations sur la gratuité
nous traversent tous. Le problème ensuite, c’est l’acte
: qu’est-ce qu’on en fait politiquement ? Il y a des
gens qui, politiquement, sont les agents de l’extension du
marché. Les libéraux sont dans leur action politique
à 100% du mauvais côté, mais, dans leur existence,
bien sûr qu’ils sont partagés entre les deux.
Leurs rapports avec leurs enfants ne sont évidemment pas
des rapports marchands. Et ça a une grande importance pour
eux. Ou alors ce sont des cinglés - mais Alain Madelin, ses
gosses, je ne pense pas qu’il les paie pour discuter avec
lui...
- Pourquoi tenez-vous à rester proche des communistes, à
développer vos idées chez eux et pas ailleurs ?
J.-L.S.-D. : Déjà, je n’ai pas un temps énorme
: je suis salarié et je ne peux pas aller débattre
de tous les côtés... Mais bon, il y a surtout le fait
que moi, je m’inscris dans la tradition de pensée marxiste.
Et je pense que le principal levier des changements pour lesquels
je milite, que j’essaie de théoriser, c’est la
lutte de classes. Ces luttes de classes doivent partir de la classe
exploitée et, dans cette classe exploitée, des groupes
qui ont la conscience de ça. Et il y a un seul parti en France
qui soit vraiment inscrit dans ces classes-là, c’est
le parti communiste. Il n’y en a pas d’autres. Tous
les autres sont des partis qui recrutent essentiellement dans la
bourgeoisie, plus ou moins dans le milieu des propriétaires
et des détenteurs du pouvoir. Le seul parti qui a encore
une certaine influence et un certain lien avec les classes populaires,
et où on voit encore des chefs politiques qui sont issus
de ces classes populaires, c’est le parti communiste. Il a
une expertise réelle dans la lutte de classes, expertise
qui a beaucoup perdu en efficacité parce qu’il n’a
pas suivi l’évolution des classes exploitées,
mais néanmoins il conserve toujours ses relais. Ses municipalités
sont presque toutes dans des lieux très populaires. Disons
que tout ça fait que c’est, me semble-t-il, le lieu
politique le plus proche de ce que j’essaie de développer.
Bien sûr, le parti communiste est très inhibé
par le stalinisme - et c’est aussi un peu le combat que je
mène ; il lui faut sortir du stalinisme vraiment, ce qui
n’est pas encore complètement fait, et se dégager
de ses inhibitions liées à la défaite du communisme,
à ses erreurs et à ses crimes. Ce qui m’intéresse
aujourd’hui, c’est le retour au fil de la pensée
marxiste et la construction de quelque chose qui ne puisse pas s’échapper
entre les mains d’hommes de pouvoir, ou d’un parti de
pouvoir qui en deviendrait le propriétaire.
- Comment articuler une série de luttes particulières
sur les transports, sur le logement, sur le Libre sur Internet,
sur les médicaments ?
J.-L.S.-D. : Dans les réunions auxquels on participe sur
la gratuité du logement, un des arguments que nous opposent
souvent les militants politiques, c’est de dire : «
Je n’ai jamais vu dans ma permanence des gens venant réclamer
la gratuité. » C’est le niveau zéro de
la politique. Ils nous disent : « Je vois des gens qui sont
dans le malheur, je suis obligé de rédiger des lettres
pour eux, payer pour éviter qu’on les expulse. »
Et c’est vrai : les gens qui vont voir les élus, c’est
en général parce qu’ils sont dans une situation
d’urgence. Evidemment, ce n’est pas dans ces conditions
qu’on réclame la gratuité. Mais c’est
aux mouvements politiques d’en tirer les conséquences
et de transformer ça en un objectif politique ! Sinon, on
n’est plus dans la politique, on est dans la charité
chrétienne. La caractéristique de la proposition politique,
c’est de transformer une situation en objectif politique.
En 1789, la République n’était pas une revendication
du peuple français, mais à un moment donné,
elle est apparue comme un objectif politique qui a convaincu les
gens. Il est évident que, si on va voir les gens en leur
disant : « Voilà, dans le courant de votre vie, vous
allez payer une fois et demie votre logement et nous, on propose
que ça s’arrête ! », ils vont comprendre
la chose différemment. On propose que ça s’arrête
parce que c’est juste, parce que c’est ça qui
va permettre à des gens de toutes les catégories du
salariat d’entrer dans le logement social. Il pourrait y avoir
des avocats, des ouvriers, des chômeurs qui, au fond, trouvent
que c’est un système qui n’est pas mal, que c’est
moderne, très souple. Si je quitte Bordeaux pour aller à
Montluçon, mon compte d’accès à l’usufruit
me suit...
« On n’impose pas un changement global par le haut.
C’est un peu mythique, c’est un fantasme »
On part du réel, on fait une proposition, et cette proposition
est aussi articulée à un objectif plus fondamental,
qui est celui du communisme, en l’occurrence. Ce n’est
pas un système entièrement communiste que l’on
propose, mais il ouvre une brèche vers quelque chose.
(JPG)
- Vous voulez dire que ces brèches-là sont plus porteuses
de changement qu’une tentative de transformation imposée
par le haut ?
J.-L.S.-D. : D’abord, on n’impose pas un changement
global par le haut. Moi, on ne va pas me changer globalement ; le
gouvernement change, il ne va pas me changer ma vie, il ne va pas
me changer mon gosse, ma femme, il ne va pas me changer mes goûts,
etc. C’est un peu mythique, l’idée du changement
global. C’est un fantasme. Il y a des moments où les
choses changent vite. Les révolutions sont des moments où
les choses changent vite, où les esprits sont bouleversés.
La révolution, en principe, pour un communiste, est un bon
moment pour changer les choses, mais d’abord, ce ne sont pas
les communistes qui décident du moment de la révolution,
et je ne suis pas sûr que le Parti communiste français
soit prêt à intervenir politiquement si une révolution
se déclenchait en France. Mais bon, dans les moments où
il n’y a pas de révolution - ce qui est quand même
le cas en France depuis 130 ans, depuis la Commune -, il faut quand
même avancer.
Propos recueillis par Mona Chollet et Thomas Lemahieu
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