De la communication de la psychiatre Dianne Casoni au colloque d'Interlaken
" Sectes et occultisme. Aspects criminologiques " des 6-7-8
mars 1996 nous n'avons retenu que l'analyse des aspects psychologiques
de l'aventure sectaire qui nous a paru particulièrement intéressante.
Dianne Casoni dit que bien d'autres éléments entrent en
compte dans le processus.
Pour l'auteur, les notions d'endoctrinement et de charisme ne sont
pas suffisantes pour expliquer que certains se ruinent ou même
laissent leur vie dans l'aventure sectaire. Elle pense qu'il y a rencontre,
dans la plupart des cas, des besoins inconscients du leader et des adeptes.
Au besoin d'aduler de l'un (l'adepte) correspond le besoin d'être
adulé de l'autre (le leader), au besoin de soumission correspond
celui de domination, au besoin de renoncer à ses désirs
et volonté propres correspond le besoin de s'arroger toutes les
permissions et toutes les libertés sur le premier. Cette interdépendance
qui se crée et se cultive au sein du groupe relève d'un
type de relation perverse sadomasochiste où chaque partenaire
n'existe qu'en fonction de son opposé. C'est une complémentarité
" à la vie, à la mort ".
Sans nier que cette perversion puisse être sexuelle, l'auteur
centre sa réflexion sur le besoin de l'adepte de se soumettre
à un autre imaginé comme " Grand ", comme possédant
" la Vérité ", " la Réponse à
ses questions ". Grâce à ce rapport d'idéalisation
de l'adepte envers le leader, l'adepte se sent puissant et tire une
satisfaction narcissique, qui le gratifie au-delà des sacrifices
que le leader peut exiger de lui. Subjectivement il se sent agrandi
par la relation qui le lie au chef et désire conserver comme
un trésor précieux ce lien privilégié.
Tout ce qui pourrait en ternir l'éclat devient synonyme d'une
menace, d'une crainte que cette relation d'unicité parfaite soit
une illusion d'où la nécessité d'ériger
une barrière entre initiés et non initiés. Le Bon
est dans la secte, le Mauvais est situé dans le monde extérieur,
chez les non élus. La promesse du paradis tient donc dans cette
relation particulière et sa soumission est jugée par lui
comme un acte d'adoration et d'amour qui lui permet de vivre sur terre
ce paradis.
Mais le leader de la secte n'est pas plus libre que ses fidèles.
Il est lui aussi pris au jeu de l'illusion du paradis sur terre. Son
paradis véritable est dans son besoin inconscient que l'adoration
et l'idéalisation dont il est l'objet ne cesse jamais. Ceux qui
doutent doivent être exclus, ceux qui aspirent à partager
sa grandeur déshonorés.
Donc l'équilibre d'une secte ne peut être maintenu que
grâce à une extrême vigilance des adeptes entre eux
afin de protéger leurs propres privilèges et parallèlement
par un contrôle strict de la conduite et de la pensée des
adeptes grâce à une ritualisation extensive et l'exigence
d'une soumission entière au dogme radicalisé.
L'adepte, protégé du doute par le clivage et délivré
de sa conscience par la servilité au leader se sent aimé
et protégé. Ses angoisses existentielles sont balayées.
C'est la menace d'effondrement ou la crainte de rupture de l'illusion
de ce paradis partagé qui ouvre la voie à l'expérience
de l'enfer et de la mort.
Pour le leader l'enfer est constitué par la perte ou la menace
de perdre le sentiment de toute puissance que lui confère sa
fonction. En effet l'affaiblissement de l'adulation dont il est l'objet
est vécue comme une attaque narcissique insoutenable. Tôt
ou tard les limites de son omnipotence le font souffrir et l'envie de
ce qu'il ne possède pas devient intolérable. Dans le même
temps il craint d'être l'objet de l'envie de la part de ses lieutenants
et de ses fidèles. La brèche dans l'illusion de sa toute
puissance l'entraîne sur le chemin de la méfiance et peut-être
même sur le chemin de sa paranoïa.
Malgré tous les efforts déployés par le leader,
ses lieutenants et ses adeptes pour maintenir l'illusion d'avoir découvert
un paradis, tôt ou tard des émotions humaines échappant
au contrôle souhaité par les uns et les autres deviennent
la source d'une tension insoutenable au sein de la secte. L’angoisse
réveillée, certains sont isolés comme boucs émissaires,
identifiés comme responsables du bris de l'illusion, de la brèche
dans l'expérience du paradis, de l'intrusion d'émotions
et pensées étrangères à celles voulues par
le leader et les autres adeptes, en un mot de la projection du Mauvais.
Ce danger de dissolution provoqué par les tensions internes de
la secte donne souvent lieu à l'exclusion, au bannissement, parfois
même à la mort du membre fautif.
La deuxième forme de menace à l'équilibre du groupe
provient de l'extérieur. C'est lorsque la société,
par ses représentants, exerce une pression, légitime la
plupart du temps, que le risque d'implosion meurtrière devient
le plus grand.
La seule issue pour retrouver l'illusion du paradis est de déplacer
le lieu du paradis. L'alternative à la dissolution de la secte
consiste à intensifier le clivage et la projection de l'idéal,
du Bon ailleurs que sur terre. Désormais le Bon se trouvera dans
la mort, dans l'Union avec le Grand Tout car toute vie sur terre est
décevante et l'angoisse ne sera jamais surmontée.
Mais la liberté de choix est aussi inimaginable dans la mort
qu'elle l'était dans la vie. En effet devant cet ultime renoncement,
les enjeux psychologiques inconscients qui guident le leader sont exacerbés.
Nul ne peut échapper au destin du groupe sans compromettre l'illusion.
Ce qui ne pourra être garanti à travers la séduction
comme manifestation de fidélité ultime le sera par la
force. Tous doivent mourir pour sauvegarder jusqu’à l'ultime
moment l'illusion.
Source : Bulles 4ème trimestre 1997
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Le lien d'origine : http://www.unadfi.org/sectes/enfer.htm
ou http://prevensectes.com/casoni.htm