Origine : http://www.gisti.org/doc/presse/2005/ferre/
http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-673692,0.html
http://www.redasociativa.org/dosorillas/?q=node/view/1420
http://www.aidh.org/Refug/07-05-libye.htm
http://marseille.naros.info/article.php3?id_article=849
http://article.gmane.org/gmane.politics.activism.zpajol/15666
L’Union européenne vient, au début du mois
de juin 2005, de décider l’« instauration d’un
dialogue et d’une coopération avec la Libye sur les
questions d’immigration ». Il s’agit de l’exemple
le plus emblématique du cynisme de l’Europe dans la
pratique de « l’externalisation » de sa politique
d’asile et d’immigration, qui consiste à faire
prendre en charge par des pays tiers le contrôle des flux
migratoires en amont de ses frontières.
Officiellement lancée fin 2004 au sommet de La Haye, la
méthode n’est pas nouvelle. En 2003, Tony Blair proposait
d’installer hors d’Europe des centres de transit pour
y envoyer tous les demandeurs d’asile arrivant sur le territoire
d’un Etat membre.
Rejetée à l’époque, l’idée
devait être recyclée un an plus tard par les ministres
de l’intérieur allemand et italien sous la forme de
projets de camps destinés à filtrer, en Afrique du
Nord et notamment en Libye, migrants et candidats à l’asile.
Longtemps mise au ban de la communauté internationale, la
Libye a récemment été réintégrée
au concert des nations après avoir accepté de dédommager
les victimes occidentales d’attentats dont elle a reconnu
la responsabilité. Si la levée du blocus commercial
a permis aux compagnies pétrolières américaines
et européennes d’y reprendre une activité prometteuse,
il n’existe aucun partenariat politique entre l’Europe
et la Libye.
Celle-ci n’est pas associée au processus de Barcelone,
qui vise à créer un espace régional de dialogue
politique entre l’UE et les pays de la rive sud de la Méditerranée.
Elle n’est pas non plus concernée par la politique
de voisinage récemment lancée par l’UE pour
mettre en place un nouveau cadre de relations avec les voisins de
l’Est et du Sud, fondé sur des « valeurs communes
en matière d’état de droit, de bonne gouvernance
et de respect des droits de l’homme ». L’UE ne
dispose donc d’aucune base formelle pour engager avec la Libye
une collaboration sur les questions migratoires.
Mais la position stratégique du pays implique visiblement
que l’on passe outre à cet obstacle. Depuis longtemps
l’Italie et Malte réclament l’ouverture de négociations,
arguant de la nécessité d’éviter les
drames humains que constitue la traversée de la Méditerranée
par des boat people partis des côtes libyennes pour échouer
sur leurs plages, comme si la principale cause de ces drames n’était
pas les barrières toujours plus hautes édifiées
par les pays nantis pour barrer la route à ceux qui fuient
la misère ou les conflits.
En décembre 2004, une mission exploratoire de la Commission
européenne s’est rendue en Libye. Son rapport, qu’elle
n’a pas voulu rendre public, est accablant sur le sort qui
y est réservé aux migrants. Dans ce pays qui n’a
pas signé la convention de Genève sur les réfugiés,
où le HCR (Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés)
n’a aucun statut officiel, les rafles d’étrangers,
l’enfermement dans des camps et les expulsions collectives,
y compris de réfugiés, sont monnaie courante.
Malgré ce tableau consternant, les ministres de l’immigration
des Vingt-Cinq n’en ont pas moins conclu à la nécessité
de « continuer sur la voie d’une intensification de
la coopération avec la Libye ». Il n’a pourtant
pas manqué d’avertissements contre cette décision.
Amnesty International a fait connaître ses inquiétudes
quant aux « mécanismes de coopération qui pourraient
se développer avec la Libye sur l’immigration illégale,
sans les garde-fous nécessaires au niveau des droits humains
». Le HCR a rappelé que la Libye n’est pas un
« pays sûr » pour les demandeurs d’asile.
De son côté, le Parlement européen, dans une
résolution adoptée en avril, a rappelé que
ce pays « pratique l’arrestation arbitraire, la détention
(...) et les rapatriements massifs d’étrangers dans
des conditions qui n’assurent ni leur dignité ni leur
survie ».
Sourd à ces mises en garde, le Conseil de l’UE a fait
le choix de s’engager dans une « stratégie à
long terme » avec Tripoli pour lutter contre l’immigration
illégale. Mais, pour faire face aux situations d’urgence
en Méditerranée, 2 millions d’euros sont immédiatement
débloqués pour la formation des garde-frontières
et des policiers libyens qui vont être associés à
des patrouilles maritimes européennes. Car un plan d’action
conjoint pour l’interception d’embarcations transportant
des passagers clandestins doit être opérationnel très
vite - dès cet été, nous dit-on - afin de prévenir
« l’émigration illégale » (autrement
dit, d’empêcher les exilés d’accoster en
Europe).
Si, selon le commissaire européen chargé des questions
d’asile et d’immigration, « la Libye a promis
dans les mois à venir l’adoption d’une nouvelle
législation en matière d’asile », on a
de quoi être perplexe devant un tel empressement. Quelles
mesures spécifiques sont prévues dans le cas où
des demandeurs d’asile se trouveraient à bord des bateaux
interpellés ? Si l’urgence concerne la surveillance
de la Méditerranée, et si les considérations
relatives au respect des droits de l’homme relèvent
de la « stratégie à long terme », quelles
procédures seront appliquées aux « illégaux
» capturés en mer en attendant l’aboutissement
du « long processus » qui s’engage ?
Seront-ils refoulés vers la Libye, pays de provenance ?
Pour y être soumis à quelle législation ? Quelles
garanties qu’ils seront traités correctement, qu’ils
ne seront pas détenusabusivement, ou expulsés vers
des destinations dangereuses pour eux ?
Il y a peu de chances que ces questions reçoivent jamais
réponses, tant il est clair que la protection des migrants
et des réfugiés n’est, en dépit des apitoiements
officiels sur les « drames humains » de l’exil,
qu’une donnée très accessoire dans les programmes
de coopération que l’UE met en place avec ses voisins
sur les questions migratoires.
A travers l’exemple de la Libye, l’Europe fournit une
excellente illustration de ce qu’elle entend par « dimension
externe de la politique d’asile et d’immigration ».
L’urgence est que les migrants n’arrivent pas sur son
sol.
Quant au reste - enfermement dans des camps, harcèlement,
maltraitance, violation du principe de non-refoulement et du droit
d’asile -, ce sont des dégâts collatéraux
qu’il sera toujours temps de traiter dans le « long
terme ». Ou peut-être jamais, puisque ces graves entraves
aux droits humains s’exerceront loin des regards des citoyens
d’Europe.
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