http
://www.revispsi.uerj.br/v10n1/artigos/pdf/v10n1a03.pdf
Professor do Departamento de Ciências da Educação
e coordenador do L'Axe socio-clinique institutionnel de l'équipe
de recherche ESSI, Universidade de Paris 8, Paris, França
Transmis par mail en Mai 2010
RESUME
L’article interroge la possibilité, pour l’activité de recherche,
de trouver une alternative
en dehors de l’institution scientifique. La production des résultats
de recherche est un travail institutionnel qui suppose le maniement
de diverses techniques mais également d’agir sur l’institution.
Le chercheur est impliqué dans l’institution, c'est-à-dire qu’il
entretient avec elle des relations qui sont aussi bien idéologiques,
organisationnelles que libidinales. En conséquence, c’est en analysant
ses implications dans l’institution scientifique que le chercheur peut trouver une ligne de
fuite afin de tenter d’échapper à la pensée instituée.René Lourau
a proposé cette voie, l’article montre de quelle manière.
________________
Est ce qu’il existe des manières “alternatives” de faire de la recherche
? Faut il développer, ailleurs que dans les institutions légitimées
par l’Etat, des manières de produire des connaissances qui nous
fassent échapper à l’institué scientifique ? Finalement est ce
qu’il existe une méthodologie de recherche hétérotopique (FOUCAULT,
2009), pouvant être développée en d’autres lieux que dans ceux
consacrés par l’histoire et le pouvoir ? René Lourau a répondu
à cette question par une exigence : l’analyse de l’implication.
Mais cette réponse est aussi issue d’un constat simple : on n’échappe
pas à l’institution.
Vivre les (des) institutions
Pour quiconque veut mieux comprendre les institutions, rien ne sert
de développer en dehors d’elles des alternatives plus conformes
à ses désirs. Pour agir sur les institutions, il faut travailler
à partir de ce qui nous relie à elles, nos implications. Les institutions
sont avec nous en tous lieux car nous les transportons dans notre
subjectivité même. Sans l’institution, l’homme chute comme une
marionnette sans fils ou bien, pour prendre une image différente,
comme un corps sans squelette. L’institué, n’est pas seulement
ce qui nous empêche, nous contraint ou nous oppresse, c’est aussi
ce qui nous tient debout et nous relie aux autres. Ces autres
qui se débattent, comme nous, dans leur attachement/répulsion
vis-à-vis des institutions. Le XIXème siècle et ses utopies (CABET,
1842) nous a bien montré qu’aller vivre ailleurs, en d’autres
lieux, pour y fonder une autre société bâtie sur une autre manière
de partager le travail et les ressources, ne permet pas d’échapper
à la fatalité institutionnelle. On ne fuit pas les institutions.
L’homme emporte avec lui ses “pathologies institutionnelles”.
Les indigènes des continents colonisés en ont fait l’expérience
avec l’arrivée des européens, nouveaux venus, bâtisseurs utopistes
ou conquérants. Nous ne pouvons pas nous arracher à l’institution,
nous l’emmenons avec nous, même lorsque nous la fuyons, mais nous
avons aussi une forte tendance à l’imposer aux autres, “ aux sauvages
” 1 qui ne nous 1 demandaient pourtant rien. Les exemples de rebelles,
de révolutionnaires, qui apportent leur énergie à la restauration
de l’institution qu’ils ont cru, un temps, combattre, ne manquent
pas non plus. Que les institutions changent de noms dans les périodes
révolutionnaires ne change rien à l’affaire. L’énoncé simple selon
lequel l’institutionnalisation transforme l’instituant (négation
de l’institué) en son contraire reste tout simplement vrai. Tenter
de transformer l’institution, c’est donc nécessairement le faire
de l’intérieur, débarrassé de l’illusion d’un ailleurs ou s’inventerait
une vie sociale radicalement différente.
Travailler l’institution
L’institution n’est donc ni bonne ni mauvaise, elle est. Si nous
n’existons qu’avec elle, elle n’existe qu’avec nous. Une institution
disparaît si nous n’y croyons plus. C’est le cas d’anciennes religions
ou de systèmes matrimoniaux dépassés par les conditions de vie
modernes qui dispersent les familles. Car malgré leurs forces,
et bien qu’elles imprègnent nos pratiques (MONCEAU, 2008a) en
profondeur, les institutions se transforment et semblent parfois
même mourir. Cependant, comme l’a montré René Lourau, elles renaissent
et se prolongent sous d’autres formes (LOURAU, 1980). L’analyse
institutionnelle trouve son origine dans ce travail de l’institution,
de l’intérieur. L’hôpital psychiatrique est ainsi devenu, à partir
de la seconde guerre mondiale, le lieu du travail de la psychothérapie
institutionnelle par lequel les hommes ont agi en travaillant
d’abord sur eux mêmes. Les psychiatres Daumezon, Bonnafé 2, Tosquelles
et Oury n’ont pas nié l’existence de l’institution psychiatrique
mais ils y ont développé d’autres manières de faire. Jean Oury
lui-même, qui pourtant quitte l’hôpital public au début des années
1960 pour créer une clinique (MICHAUD, 1977) qui fonctionnera
autrement, sait bien qu’il emporte avec lui des rapports de pouvoir
institués entre malades, infirmiers et médecins. C’est dans les
actes quotidiens, dans des dispositifs sans cesse retravaillés,
que ces praticiens travaillent l’institution en menant simultanément
son analyse et sa réforme. On ne se déprend pas de l’institution
comme on le ferait d’un envoûtement, à moins d’être soi-même son
propre désenvoûteur. C’est en construisant et en modifiant des
dispositifs, dont des agencements du temps, de l’espace, des actes
et des relations que l’on travaille l’institution. Il en va de
la recherche comme des autres pratiques sociales : nous ne pouvons
changer l’institution qu’en changeant notre manière de la vivre,
d’y être impliqué (MONCEAU, 2008b).
Des voies alternatives qui ne nient pas leurs implications dansL’institution
En 1964, dans l’un de ses premiers articles (LOURAU, 1964), publié
dans une revue anarchiste, Lourau alors professeur de français,
présente une étude sur différents mouvements poétiques ayant tenté
de révolutionner le langage en s’attaquant à la grammaire. Ce
texte porte déjà en lui une manière de concevoir les rapports
entre individus et institutions qui restera constante dans toute
l’œuvre de Lourau (LAMIHI; MONCEAU, 2002). Il écrit :
Il faut en convenir : le poète qui, par méfiance à l’égard du langage voulait violenter la cohérence du langage en s’attaquant d’abord à la logique, ensuite à la grammaire,
et qui parfois poussait sa révolte jusqu’à vouloir se passer du
langage, finit par retomber dans les chaînes impures des mots
et de la logique. Ce renversement dialectique, presque tous les
mouvements poétiques du siècle l’ont connu ou le connaissent.
(…) Au terme de son pénible itinéraire, le poète qui sort du tunnel
découvre en guise de lumière l’inflation verbale et les
systèmes idéologiques. Autant dire qu’il est revenu à son point
de départ. (LOURAU, 1964, p. 128)
Dans ce passage, Lourau formule la fatalité qui pèse sur toute tentative
révolutionnaire. Cela préfigure ce qui deviendra le moment de
l’institutionnalisation dans sa dialectisation du concept d’institution
(LOURAU, 1975). Dans certaines de ses formulations les plus lapidaires,
il définira l’institutionnalisation comme étant ce qui transforme
l’instituant en son contraire. Cependant, comme on le voit dans
la suite de l’article et tout particulièrement dans sa conclusion,
il ne s’agit pas d’opposer le “bon individ” (ici le poète) et
le “mauvais institué” (ici la structure du langage). Le langage
est tout d’abord posé comme étant “par excellence le lieuoù s’opère l’échange entre les hommes”, “la structure
de tous lesrapports humains”. Ainsi, si le langage
est
l’institution humaine primordiale, la poésie est du même coup authentifiée en tant que langage et en tant que recherche permanente d’un métalangage, c'est-à-dire d’une
transparence et d’une sur-signification des mots. (LOURAU, 1964,
p. 129)
Le poète est au langage, pour le Lourau de 1964, ce que le socianalyste
sera à l’institution pour le Lourau de 1969. Ce rapport du poète
à l’institution est cependant à analyser plus finement :
A ce titre,
le poète est au service d’une institution, et d’une institution
dont il n’est pas le maître. Pour que dans son domaine
il parvienne à établir des rapports toujours plus complets, toujours
plus clairs entre les hommes, il se soumet à la structure de l’institution,
c'est-à-dire à la structure du langage (grammaire, syntaxe). (LOURAU,
1964, p.129)
Ainsi, pour pouvoir “intervenir” sur et dans l’institution du langage,
le poète doit donc se soumettre à l’institué du langage, la grammaire.
Cette thématique de la soumission à l’institution reviendra régulièrement
dans les textes de Lourau mais avec de nombreuses variantes, toujours
pour complexifier cette soumission qui n’est jamais totale. C’est
déjà le cas dans ce texte de 1964 :
A vrai dire
il est faux de parler de soumission, puisqu’il est lui-même le gardien et le dépositaire du langage.
Mais il n’est pas seulement cela. L’erreur ou l’anachronisme de
la poésie (aussi talentueuse ou géniale soit-elle) consiste
à considérer que l’institution dont j’ai parlé est isolée parmi les autres institutions,
ou très différente de ces autres institutions. C’est l’erreur
de croire au langage, chose belle. Respecter la syntaxe est bien,
est indispensable, dans la mesure où la syntaxe assure
le fonctionnement normal et la valeur de l’institution
langage. Mais qu’en est-il des autres institutions ? Comment
assurent-elles, ou n’assurent-elles pas
la communication et un échange réel entre les hommes ? (LOURAU,
1964, p. 129)
Le langage est donc une institution parmi les autres. Mais il est
aussi la métaphore de toute institution. Lourau se demande ainsi
ce qu’il en est de la “syntaxe”, de la “grammaire” et des “structures”
des autres institutions. Le renversement n’est pas anodin et on
y voit à la fois les implications de l’auteur dans l’enseignement
de la langue (il est alors professeur de français) et son passage de
la littérature à la sociologie (il va préparer un doctorat
en sociologie). C’est enfin, l’idée selon laquelle l’existence
d’une élite éclairée ne préfigure en rien le moindre changement
pour “la masse” :
Il est bon, il est magnifique que les poètes se parlent, se comprennent.
Mais les autres ? les autres hommes ? se parlent- ils ? et s’ils
se parlent, s’entendent-ils, se répondent-ils ? Cette immense
fraternité à laquelle aspirent les poètes par l’intercession du
langage, peut-on croire avec Pierre Boujut (TdF n°76) que la poésie
finira par en faire cadeau aux autres institutions ? ou bien faut-il
croire que le salut est pour quelques-uns
seulement, dans le ciel poétique, et que la masse
ne cessera pas de s’enfoncer dans les malédictions dont notre
époque semble à peine consciente ? (LOURAU, 1975 p.129).
On retrouve ici une thématique, qui reviendra en 1969 dans les premières
pages de L’instituant contre l’institué (LOURAU, 1969)
puis qui fera l’objet du Lapsus des intellectuels (LOURAU,
1981), celle du rapport privilégié à l’institution qu’entretiennent
des catégories d’individus qui en tirent avantage. Ce développement
de Lourau, mêlant langage et institution, évoque l’idée de Lacan
selon laquelle “l’inconscient est structuré comme un langage”,
idée que le psychanalyste travaillera dans son séminaire “La logique
du fantasme” en 1966-67. Le structuralisme imprègne alors très
fortement les manières de penser des intellectuels et et la théorie
émergente de l’analyse institutionnelle n’y échappe pas. On y
perçoit également, dès le départ, une charge politique (et poétique)
dans la réflexion sur les rapports entre individu et institution,
avant même que le concept d’implication ne soit formulé.
Le travail des contradictions
Lourau publie en 1964, un autre article dont le titre, “L’autogestion
instituée” (LOURAU, 1971a) 3, est tout à fait représentatif d’une
approche dans laquelle l’analyse est portée par des contradictions
actives. Dans ce texte, la contradiction s’exprime entre les institutions
externe et interne (notions produites par Georges Lapassade).
Le pédagogue autogestionnaire est membre de l’institution externe
(l’institution scolaire), il est donc placé sous le contrôle des
autres professeurs et des surveillants. Mais il est aussi membre
de l’institution interne de la classe dans laquelle s’institue
un fonctionnement autogéré. L’enseignant autogestionnaire se trouve
dès lors considéré comme un déviant par les membres de l’institution
externe (ses collègues) et reste “étranger” aux membres de l’institution
interne (ses élèves) parce qu’ayant toujours la possibilité de
reprendre le pouvoir et de mettre fin à l’expérience. Cette difficulté
n’est cependant pas traitée comme rendant l’autogestion pédagogique
impossible mais comme ouvrant à l’analyse de la contradiction
institutionnelle plus large que perpétue l’institution scolaire
: former des individus responsables en les privant de toutes responsabilités.
S’adressant visiblement aux parents de ses élèves, Lourau écrit
:
Je ne crains
pas de choquer certains parents en disant que la pédagogie autoritaire,
celle qu’ils ont connue, est peut-être capable
de fabriquer des “grosses têtes” mais qu’elle échoue généralement
à former des hommes. La véritable formation s’effectue alors en
dehors de l’école, et parfois contre l’école. Pour ma part,
j’ai choisi d’être avec mes élèves comme avec des
êtres humains, et non comme avec des animaux que l’on gave
et que l’on dresse. Notre époque exige des individus capables
de s’adapter, de se diriger eux-mêmes, de ne pas rester
dans la routine (c’est de plus en plus vrai dans le secteur
industriel). Apprendre à s’exprimer, à comprendre les autres,
à les écouter avant de leur répondre, discuter avant de
juger, penser par soi-même, faire son auto-critique, prendre
des initiatives : tels sont les buts de l’autogestion pédagogique.
(LOURAU, 1971a, p.102)
Ce texte contraste avec d’autres écrits sur la pédagogie autogestionnaire,
tendant à la présenter comme une démarche révolutionnaire plus
ou moins destinée à détruire l’Ecole. Les implications enseignantes
de Lourau parlent très fort ici et l’on peut même remarquer le
fait qu’il ne craint pas de mobiliser le discours “moderniste
” pour vanter les mérites de sa pédagogie. Un esprit mal intentionné
pourrait lire dans cet extrait une tentative de présenter l’autogestion
pédagogique comme le plus sûr moyen de former les cadres des entreprises
industrielles performantes !
Dans un autre texte rédigé par Lourau publié dans le même ouvrage
collectif (LOURAU, 1971b), le ton est différent. Ce sont les “implications
politiques” (cette fois-ci au sens de conséquences) de la notion
d’autogestion qui sont discutées. Dans ce texte qui passe en revue
les différentes approches de l’autogestion, l’auteur fait d’abord
remarquer que “ le contexte de la formation, de l’animation et
de la sociologie du développement ” est marqué par une tendance
à “dépolitiser les problèmes”. Il adopte donc la démarche inverse.
Il s’agit tout d’abord de situer l’articulation entre éducation
et révolution :
La révolution
n’est pas une affaire d’éducation, mais l’éducation, toute déterminée qu’elle soit par les conditions politiques
du moment, agit en
retour sur ses propres déterminations,
ne serait-ce qu’en travaillant la contradiction entre projet révolutionnaire
et pratique réformiste, c'est-à- dire en mettant à jour l’écart
entre le facteur subjectif et le facteur objectif dont
est constitué tout processus révolutionnaire. (LOURAU, 1971b,
p.19)
L’éducation dont il est question ici est bien sûr celle qui adopte
la perspective autogestionnaire et qui initie ainsi une pratique
analytique au sein de l’institution scolaire, dans
la salle de classe : “Lecontenu de cette analyse
des contradictions que produit pour lemoins l’autogestion,
aussi timide soit-elle, est à préciser sur le planthéorique”.
(LOURAU, 1971b, p.20). Et c’est d’ailleurs dans un passage intitulé
“ Autogestion et analyse institutionnelle ” qu’apparaît le concept
d’implication institutionnelle, suite à un paragraphe où la jonction
est faite entre autogestion, lutte des classes et analyse institutionnelle.
La lutte des classes y est alors considérée comme le “sujet de
l’histoire ”et“ le moteur caché des institutions et de l’organisation
sociale”. Lourau écrit en conséquence :
L’analyse institutionnelle, en effet, tente de dépasser et la psychosociologie des groupes
et la sociologie des organisations en analysant les déterminations
cachées des groupes comme des systèmes d’organisation. (LOURAU,
1971b, p.20)
Il écarte ainsi à la fois la perspective de la sociologie des organisations
de Michel Crozier et les techniques psychosociologiques suspectes
de “ psychologisation ” donc de dépolitisation. Au début des années
1970 et avec la fréquentation de Henri Lefebvre, le marxisme va
un temps influencer la réflexion de Lourau, via la dimension matérialiste.
Cependant, il s’agira pour lui, comme pour beaucoup d’autres à
l’époque d’être plus marxistes que les marxistes en dénonçant
régulièrement (c’est aussi le cas dans le texte en question) le
fait que les organisations politiques se réclamant du marxisme
se nourrissent de la révolution plus qu’elles n’y contribuent
(SAVOYE, 1973). Ce faisant elles participent à obscurcir le “
système institutionnel aux yeux des individus. Lourau pose donc
la nécessité de travailler les implications institutionnelles
pour lutter contre cet état de fait :
Mettre en question nos implications institutionnelles, c’est toujours
proposer une conception des institutions en termes de régulation par la base, de critique permanente des normes instituées,
de développement des forces instituantes. C’est démasquer le complot
des institutions, qui consiste à imposer, par la contrainte matérielle
(économique ou physique) et idéologique, une vision fausse des
rapports de production. (LOURAU, 1971b, p. 22)
La rhétorique du complot, de la domination et de l’aliénation est
très présente dans les années 1970 et l’analyse institutionnelle
se présente donc comme une réponse. Le mode éducatif promu par
Lourau, l’autogestion, se propose ainsi de repolitiser les institutions
éducatives non pas en faisant la promotion d’un dogme politique
mais en luttant au quotidien contre toutes les formes de “complots”
(de quelques origines idéologiques qu’ils viennent) visant à dissimuler
les déterminations institutionnelles. Ce qui est énoncé ici est
le fait que l’analyse des implications, comme voie privilégiée
de l’analyse institutionnelle, doit rendre cette dernière irrécupérable
par les organisations politiques. Par contre, une certaine complicité
pourra exister avec la tradition anarchiste comme le montre l’assez
bonne réception des travaux de Lourau dans ce milieu et comme
le laissait déjà supposer la publication du “Poète devant les
institutions” dans une revue anarchiste.
Analyse de l’implication et épistémologie
Chaque chapitre du livre Institution et implication, que j’ai
coordonné avec Ahmed Lamihi, traitait d’un ouvrage de Lourau.
J’ai travaillé pour ma part sur Actes manqués de la recherche.
Dans cette contribution (MONCEAU, 2002), j’avais entrepris
un premier bilan de mon appropriation de sa théorie de l’implication.
En même temps, s’opérait un premier réaménagement de mon rapport
aux travaux de Lourau. Dans ce texte, je soulignais qu’après avoir
déjà utilisé les concepts psychanalytiques d’inconscient (LOURAU,
1978) et de lapsus (LOURAU, 1981) dans deux de ses livres précédents,
il utilisait celui d’acte manqué. Je commentais ensuite le cheminement
intellectuel allant de l’idée selon laquelle les intellectuels
construisent leur statut en refusant l’analyse de leurs implications
(LOURAU, 1981) à celle selon laquelle ces implications échappent
en grande partie à la conscience du chercheur (LOURAU, 1994).
D’une certaine façon, la proximité avec la démarche psychanalytique
était alors assumée et il sera désormais moins question de “ complot
” que de construction de dispositifs susceptibles de permettre
la prise de conscience. Dans le même texte, je faisais également
remarquer que Lourau assumait une nouvelle posture en perdant
certains de ses accents révolutionnaires pour en adopter de plus
épistémologiques, ceci en dialoguant avec Auguste Comte, John
Dewey, Lucien Levy-Bruhl, Sigmund Freud, mais aussi Jean Piaget.
Dans l’Analyse institutionnelle, Lourau s’appuie sur un
texte de Freud “Psychologie collective et analyse du moi” dont
il extrait la triade libidinal/organisationnel/idéologique qu’il
utilisera pour caractériser la manière dont les groupes humains
s’instituent puis pour décliner les trois types de déviance dans
les institutions. Dans ce texte, Freud donne la définition suivante
du concept de libido :
Libido est un terme emprunté à la théorie de l'affectivité. Nous désignons
ainsi l'énergie, considérée comme une grandeur quantitative -quoique
pour l’instant non encore mesurable-, de ces pulsions qui ont
affaire avec tout ce que nous résumons sous le nom d’amour. (FREUD,
1981, p. 150) 4
Cette définition relativement extensive facilite sans doute l’appropriation
du terme par le courant d’analyse institutionnelle en devenant
un quasi synonyme de l’affectivité. En menant la critique de Le
Bon (1963) 5 et de Mac Dougall (1920), Freud cherche à établir
l’articulation entre la psychologie individuelle et la psychologie
collective, en particulier en essayant de décrypter la manière
dont certains chefs peuvent conduire les foules. L’observation
de la modification de l’état de conscience et du comportement
d’un individu lorsqu’il est en foule, mobilise les trois dimensions
évoquées plus haut. Cette triade sera utilisée par la suite en
analyse institutionnelle à la fois pour penser les différentes
dimensions de l’institution et celles des différentes dimensions
de l’implication des individus dans l’institution.
Plus loin dans L’analyse institutionnelle, Lourau met en forme
une définition de l’implication qui n’est pas sans faire écho
à la sociologie des organisations : 6
Ayant considéré la distance institutionnelle comme l’écart entre l’action
et les bases rationnelles de cette action, on désignera par les termes d’implication institutionnelle l’ensemble des
rapports existant, consciemment ou non, entre l’acteur et le système
institutionnel. (LOURAU, 1975, p. 272-273) 7
Dans L’analyse institutionnelle encore, Lourau définit ensuite l’”implication pratique”
comme étant
un corollaire de la distance pratique. Si cette dernière mesure l’écart
de l’acteur par rapport à la base rationnelle des techniques,
l’implication pratique indique les rapports réels qu’il entretient
avec ce que l’on a nommé plus haut la base matérielle des institutions.
(LOURAU, 1975, p.273)
Cette implication pratique permettra de faire le lien entre les places
successivement occupées par Lourau : praticien de l’enseignement
primaire puis secondaire et enfin enseignant-chercheur à l’université.
Quelle que soit cette place, il s’agit d’un “chercheur-praticien”.
Par contre les notions de “distance institutionnelle” et de “distance
pratique” ne seront pas reprises par Lourau dans la suite de son
parcours. Dans la mesure où l’implication allait désigner l’ensemble
des rapports à l’institution, la “distance” allait nécessairement
en devenir l’une des modalités. Avec ces “implication institutionnelle”
et “implication pratique”, se dessinent les deux niveaux qui donneront
naissance à la distinction entre implications primaires et implications
secondaires. Mais pour l’heure, c’est une typologie complémentaire
qui est avancée : les implications syntagmatique, paradigmatique
et symbolique qu’il formule en empruntant à son directeur de thèse
Henri Lefèbvre. Ce dernier, dans un ouvrage consacré à la sociolinguistique
proposait un modèle tridimensionnel du signe linguistique (LEFEBVRE,
1966, p. 266). On peut voir dans cette circulation d’idées entre
linguistique et sociologie une certaine résonance avec les intérêts
de Lourau pour la littérature et les mouvements littéraires. Cette
proposition ne sera 8 cependant pas reprise par la suite. Notons
que c’est dans son premier ouvrage publié L’instituant contrel’institué (LOURAU, 1969), qu’apparaît la définition de
l’implication institutionnelle
comme étant
la somme des appartenances (subjectives et objectives) et des références
dans laquelle s’inscrit l’individu et ceci par opposition à la
distance institutionnelle qui est posée comme la somme des non-appartenances
(subjectives et objectives) et des non références dans laquelle
il s’inscrit. (LOURAU,
1969, P. 14)
Ces définitions de l’implication et de la distance institutionnelles
s’inspirent des concepts de “subréalismes” et de “surréalisme”
de J. Gabel (1962). Le rapport “subréaliste” à l’institution se
traduirait par une identification “aux normes, aux hiérarchies
et aux personnes qui les incarnent” tandis que le rapport “surréaliste”
serait caractérisé par un “défaut d’identification”, un “réalisme
morbide” et une “saisie trop structurée du réel”. Mais il s’agit-là,
pour l’auteur, de “types extrêmes” qui doivent être pris en compte
dialectiquement et non dans une opposition binaire. Dans le même
passage, intitulé “Les particuliers comme usagerset
mainteneurs des institutions” Lourau (1969, p.8-17) développe
son approche du rapport entre les individus et les institutions.
On y retrouve une idée déjà présente dans ses textes pédagogiques
selon laquelle l’enseignant peut-être à la fois le serviteur de
l’institué et le promoteur de l’instituant. Le même individu peut
ainsi actualiser, dans sa vie privée ou professionnelle, les différents
moments du concept d’institution.
Combien d’individus ventriloques ne parlent que parce que l’institution
parle à travers eux, parce qu’ils l’ont littéralement “dans la
peau” ! Mais aussi combien 9 se refusent
à adhérer aux institutions, alors que la vie quotidienne
est tout entière composée d’un tissu institutionnel impliquant
un certain degré de consentement, d’adhésion,
d’engagement et de participation (sinon d’intégration) (LOURAU,
1969, p. 12) 10
Nous sommes donc tous concernés par l’institution, même lorsque nous
n’appartenons pas objectivement à sa forme instituée.
C’est ainsi que riche ou pauvre, salarié ou actionnaire, l’institution
de la banque; et les organismes apparentés à la banque, me
concernent : j’ai affaire à la banque, même si je n’ai pas de compte en banque, pas de livret de caisse d’épargne, pas de
CCP , parce que la banque est la forme 11 instituée de
la régulation concernant la circulation et l’accumulation
du capital (LOURAU, 1969, p. 10)
Dans une note bibliographique consacrée à cet ouvrage, parue dans
la Revue française de sociologie 12 en 1970, Alain Revon
souligne à la fois son intérêt pour l’approche développée par
Lourau et la (trop) grande diversité des terrains abordés. Il
conclut ainsi : “En réalité, iln’était pas possible
de traiter à fond de sujets aussi variés que lesurréalisme,
le syndicalisme, la poésie et l’autogestion en moins de200
pages”. Le reproche d’être un “touche à tout” qui n’approfondit
pas le travail de ses objets est donc formulé, difficile de faire
alors entendre que ce ne sont pas ces objets en eux-mêmes qui intéressent
l’auteur mais ce qu’ils peuvent avoir de transversal et qui pourrait
apporter à une théorie (générale ? ) de l’institution donc de
l’implication. Si L’instituant contre l’institué a pour
sous titre “Essais d’analyse institutionnelle”, ce qui évoque
les Essais de psychanalyse13
de Freud, l’influence de la psychanalyse n’y est guère
manifeste dans l’usage des concepts. On y trouve par contre un
chapitre, “La psychanalyse dans la division du travail” (LOURAU,
1969), qui prend la psychanalyse elle-même comme objet d’analyse
en insistant particulièrement sur son indifférence aux institutions
:
A ces institutions, qui vont du salariat et du profit à la hiérarchie
et à l’Etat, en passant par bien d’autres, l’analyste n’accorde
qu’une attention “ flottante ”. En fait, dans la mesure où il intériorise lui-même les contraintes de l’ordre institué,
en les assimilant au principe de réalité, il investit dans
son analyse du contre-transfert un énorme point aveugle
(…). (LOURAU, 1969, p.138)
Et Lourau développe son point de vue en s’appuyant sur différents
arguments dont par exemple les implications économiques du jeune
Freud dans l’élaboration de la clinique psychanalytique. Avec
le recul, il me semble assez nettement percevoir que la manière
dont Lourau traite de l’institutionnalisation de la psychanalyse
résonne fortement avec le regard qu’il porte sur celle de l’analyse
institutionnelle. Pour le dire autrement, l’analyse (différée
et externe) des implications du jeune Freud par le jeune Lourau
invite à l’analyse de celles de ce dernier. L’économie d’ensemble
de l’ouvrage L’instituant contre l’institué, qui porte
le sous titre “ Essais d’analyse institutionnelle ” et s’ouvre
sur un chapitre en forme de manifeste (ou de programme ? ) laisse
peu de doute sur le fait que cela soit délibéré. S’il s’agit de
développer l’analyse institutionnelle, il est nécessaire de se
doter d’outils opératoires. Certains sont déjà là, comme les concepts
de transfert et de contre-transfert institutionnels produits par
le courant de psychothérapie institutionnelle. Ils ont justement
pour intérêt principal de mettre en jeu dans les situations analytiques,
la diversité des rapports à l’institution. Le socianalyste qui
arrive dans un établissement où il n’était jamais venu, est rapidement
assigné à des places, intentions, idéologies, affects, fonctions,
statuts… par ses clients. Plutôt que de répondre directement à
ce transfert institutionnel (qui parle du rapport des clients
à leur institution) il devra mettre en analyse (avec ses co- équipiers
voire avec ses clients) ses propres réponses (son contre- transfert
institutionnel). Ces dernières ayant un rapport direct avec ses
propres implications dans sa (ses) propre(s) institution(s). Ces
transfert et contre-transfert institutionnels, ainsi que le “transfert
sociologique” que Jacques et Maria van Bockstaele 14 expérimentent
alors, inspirent la pratique de l’intervention socianalytique.
Dans un ouvrage rédigé avec Georges Lapassade, Clefs pour la
sociologie, la posture du chercheur en situation de travail
clinique, le “chercheur- praticien” est décrite dans le cinquième
principe de l’intervention socianalytique :15
5. L’analyse des implications du chercheur-praticien, c'est-à- dire des
réponses que le staff-analytique ou le socianalyste font souvent
à leur insu à la demande et à la commande. Reconnaître ces implications,
c’est faire la plus grande partie du travail socianalytique. Les
obstacles à une telle reconnaissance constituent l’essentiel du
champ d’analyse. L’implication se formule parfois en termes de
“ transfert et contre-transfert institutionnels” ; les obstacles
à l’analyse, en termes de
“ résistance ”. (LAPASSADE ; LOURAU, 1971, p. 200)
Outre le fait qu’il y est question d’un chercheur-praticien, l’analyse
de son implication dans la situation d’intervention correspond
à celle des réponses qu’il fait aux sollicitations qui lui sont
adressées. En 1981, Lourau donnera une définition plus générale
du concept d’implication qu’il applique en dehors du cadre socianalytique.
Les implications ne sont pas seulement les “réponses à” mais“
l’ensemble des rapports à”.
J’appelle implication l’ensemble des rapports que l’intellectuel refuse,
consciemment ou non, d’analyser dans sa pratique, qu’il s’agisse
des rapports à ses objets d’étude, à l’institution culturelle,
à son entourage familial ou autre, à l’argent, au pouvoir, à la
libido et en général à la société dont il fait partie. Alors que
l’intellectuel se croit très capable d’analyser et d’objectiver ce qui arrive aux autres, y compris, parfois, à des catégories d’intellectuels dont il s’exclut
d’office. (LAPASSADE ; LOURAU, 1971, p. 200)
Entre les implications qui s’actualisent sur le terrain de l’intervention
(et plus généralement à tout travail de recherche sur le terrain)
et plus largement les implications du chercheur dans les institutions
auxquelles il est lié, une différence va être faite. En 1983,
dans la revue POUR n°88, Lourau (1988) décline les implications
primaires et secondaires :
Implications primaires :
1) implications du chercheur-praticien dans son objet de recherche/intervention;
2) implication dans l’institution de recherche ou autre institution d’appartenance,
et d’abord dans l’équipe de recherche/intervention;
3) implication
dans la commande sociale et dans les demandes
sociale; Implications secondaires 4) implications sociales, historiques,
des modèles utilisés (implication épistémologique); 5) implications dans l’écriture ou tout autre medium servant à
l’exposé de la recherche. (LOURAU, 1988, p. 17)
Continuant à mener simultanément les réflexions théorique et méthodologique,
Lourau apporte en 1994 le complément suivant :
Une autre implication secondaire, elle aussi plus extérieure au champ
d’intervention –mais non au champ d’analyse défini par les concepts
d’implication, de commande, de demandes, d’analyseur, d’autogestion,
etc., résiderait dans le choix
d’un mode de restitution de l’analyse, par exemple sous la forme
d’une monographie à évaluer et analyser collectivement,
à diffuser de façon restreinte, à publier […]
(LOURAU, 1994, p. 6-7)
Cette dimension collective, dans l’analyse des implications, est
présente dès l’origine dans l’œuvre de Lourau, en particulier
par l’idée d’une “ autogestion de l’analyse ” qui trouve sa pleine
expression dans le projet socianalytique qu’il élabore avec Georges
Lapassade au milieu des années 1960 à travers une série d’interventions
en milieu chrétien.
En 1980 16,
mon Lapsus des intellectuels tentait une sociologie de l’intelligentsia centrée sur la notion d’implication. A
l’intellectuel organique (de parti ou d’Etat) ou engagé (dans
un mouvement idéologique), j’opposais la figure de l’intellectuel
impliqué, c’est-à-dire pris dans, ou constitué par son
rapport non analysé à l’institution – et cela, qu’il
le veuille ou non, qu’il soit organique, engagé ou désengagé.
(LOURAU, 1994, p. 10)
Ces formulations : “être pris dans”, “être constitué de” renvoient
assez directement au terme anglais d’ ”involvement” dont on ne
trouve pas de traduction suffisamment satisfaisante en français
pour la distinguer de “commitment”. Dans le chapitre consacré
à Dewey, dans le même ouvrage, Lourau se pose d’ailleurs cette
question de la traduction en français du terme anglais “ involvement
” à propos de son étude de Logic : the Theory of Inquiry (1938)
. 17
Analyse interminable
Dans l’un de ses derniers ouvrages, Lourau revient encore sur l’analyse
de l’implication et sur la dimension collective de celle-ci. Il
montre combien cette analyse est aussi incontournable qu’inépuisable
(LOURAU, 1997a). Opérant un récapitulatif rapide et très condensé
des influences éclectiques dont il est porteur, il propose de
penser l’implication à l’aide du concept de transduction. Il présente
schématiquement une “courbure du concept d’implication” (LOURAU,
1997a, p.35) dans laquelle la “désimplication” et la “ surimplication”
sont situées dans le domaine de l’inanalysable en situation socianalytique
alors que les “appartenances”, la “participation” et l’” engagement”
sont situés dans celui de l’analysable. Les implications n’étant
jamais stabilisées, le déphasage est permanent entre les pôles
de la désimplication (hypertrophie de l’objectivité) et de la
surimplication (hypertrophie de la subjectivité). Dans un autre
livre paru en 1997b, Lourau explore les incidences du concept
de transduction sur l’analyse des implications. La mise en forme
de l’ouvrage rompt avec les habitudes dans les publications en
sciences sociales. Il contient dix variations dans lesquelles
interfèrent des approches très diversifiées suivies d’un journal
qui occupe la plus grande partie de l’ouvrage. Ce journal, celui
de sa recherche interminable sur le concept d’implication, livre
les matériaux pour une analyse des implications de l’auteur… Si,
selon les périodes, Lourau a pu insister sur tel ou tel aspect
du concept d’implication, la relecture de ses ouvrages fait apparaître
une stabilité du concept qui va progressivement s’enrichir par
son application à de nouvelles problématiques sans pour autant
perdre de sa cohérence. Ce qui fait l’implication, ce sera toujours
la complexité des relations que nous entretenons avec les institutions.
La mort de Lourau a mis un terme à cette recherche permanente,
à cette sorte d’obsession intellectuelle. Mais il faut aussi se
souvenir que c’est également à la fin de sa vie, qu’il avait repris
une activité socianalytique et qu’il travaillait à une “ sociologie
du rêve ” après avoir mené une étude sur le dispositif de l’assemblée
générale (1998- 1999). C’est cette image d’un chercheur en pleine
activité intellectuelle et de terrain que je conserve de lui et
que je retrouve dans ses écrits. Par le travail permanent du concept
d’implication, Lourau aura lutté contre son institutionnalisation
c'est-à-dire contre son enfermement dans une définition définitive.
Ce faisant il en aura fait un objet difficile à saisir en une
fois, qui pose au chercheur plus de questions qu’il ne lui permet
d’en résoudre. L’implication n’a de sens que dans son analyse
et celle-ci est nécessairement interminable. La richesse de cette
genèse du concept d’implication chez Lourau, les interférences
théoriques et pratiques qui l’ont produit, charge le concept d’une
puissance critique dont la mobilisation dans l’activité de recherche
est complexe.
La recherche, un travail institutionnel
A quoi bon produire des connaissances à l’extérieur de l’institution
scientifique si celles-ci sont, de ce fait même, sans effets sociaux
? En physique fondamentale comme dans les sciences sociales, les
connaissances ne sont pas établies par une découverte mais par
un travail institutionnel qui leur permet de s’imposer au sein
de la communauté dite scientifique. La sociologie de la science
montre, depuis quelques temps déjà, comment le savoir scientifique
est une production qui passe par des opérations matérielles de
maniements d’outils techniques (microscopes ou accélérateurs de
particules) aussi bien qu’intellectuelles (équations, concepts)
et institutionnelles (participation aux organismes scientifiques).
Cette sociologie (LATOUR ; WOOLGAR, 1989) 18 montre
aussi que c’est par un travail institutionnel intensif
au sein des institutions d’Etat, comme des associations de chercheurs,
qu’un savoir toujours discuté et discutable est produit. Le fait
qu’il soit discutable est d’ailleurs, très classiquement, la condition
de la scientificité.
__________
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____________________
Endereço para correspondênciaGilles Monceau 2 rue de la Liberte. 93526, Saint-Denis Cedex, Paris, França
Endereço eletrônico : Gilles.Monceau (at) univ-paris8.fr
Recebido em : 02/08/2009 Aceito para publicação em : 10/08/2009
Acompanhamento do processo editorial : Deise Mancebo, Marisa Lopes
da Rocha e Roberta Romagnoli
Notas
1 Les sauvages étant toujours
ceux qui ne partagent pas les mêmes institutions que nous
et que nous parvenons à dominer en leur imposant les nôtres (Eglise,
Etat, entreprises multinationales, ONG…).
2 Voir par exemple l’édition
récente d’un recueil de textes de Lucien Bonnafé, dont des lettres,
qui témoignent des débuts de ce travail institutionnel : Bernadette
Chevillion (textes rassemblées par), Lucien Bonnafé, psychiatre
désaliéniste, Paris, L’Harmattan, 2005.
3 René Lourau, “ L’autogestion
instituée ”, in G. Lapassade (dir.), L’autogestionpédagogique,
Paris, Gauthiers-Villars, 1971a, pp. 99-111. Le texte écrit en
1964 est publié en 1970 dans cet ouvrage collectif.
4 Sigmund Freud, “ Psychologie des masses et analyse du moi (1921)
“, Essais depsychanalyse, Paris, Payot , trad.
fr. S. Jankélévitch, 1981, p.150. La traduction dont
disposait Lourau avait bien alors pour titre “ Psychologie collective
et analyse du moi ”.
5 Gustave Le Bon, Psychologie
des foules, Paris, Alcan, 1895 (réed. 1963)
6 Michel Crozier et Ehrard Friedberg publieront quelques années plus
tard : L’acteuret le système. Les contraintes de l’action
organisée, Paris, Seuil, 1977.
7 René Lourau, A Análise Institucional,
Op. cit. pp. 272-273 (pagination de la version française
initiale parue en 1970 aux éditions de Minuit).
8 Intérêt pour une sociologie
des mouvements littéraires déjà signalé avec “ Le poète devant
les institutions ”.
9 Relisant ce texte en 2009,
je m’aperçois que j’avais conservé un autre souvenir de l’image
proposée par Lourau. Dans ma mémoire, c’était l’institution qui
parlait par le ventre en parlant par la bouche de l’individu qui
se trouvait au-dedans d’elle ! Ce renversement de l’image n’altère
pas l’idée selon laquelle l’institution habite les individus mais
m’interroge tout de même…
10 Et Lourau fait ici référence
au Phénomène bureaucratique (1963) de Michel Crozier.
11 Compte chèque postal
12 Revue française de sociologie,
vol. 11, 1970
13 Dans lequel se trouve “ Psychologie collective et analyse du moi
” précédemment cité.
14 Ceux-ci sont récemment revenus sur leur propre cheminement dans
: Jacques et Maria Van Bockstaele, La socianalyse, Paris,
Anthropos, 2004.
15 Il a été fait référence à
ces principes dans la seconde partie de cette note.
16 Le livre n’a été publié qu’en
1981.
17 Traduction française : Logique
: la théorie de l’enquête, Paris, PUF, 1967 (réed.,1993).
18 Bruno Latour et Steve Woolgar,
La Vie de laboratoire. La production des faitsscientifiques,
Paris La Découverte, 1989 (1ère éd. anglaise : 1979).