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Un d'édito en Avril 2003 ?
Gianni Carrozza


Un Edito ?

Une guerre ne peut que provoquer des massacres, des destructions, des violences. C’est une banalité, mais nous la redécouvrons chaque fois avec le même sentiment d’horreur et d’impuissance. Le fait que les Etats-Unis aient utilisé les techniques les plus sophistiquées au service d’une stratégie basée sur une disproportion énorme des forces en présence, calquée sur le modèle des guerres indiennes, contre un Irak saigné par une guerre de 10 ans contre l’Iran et par les dix années successives d’embargo international, ne peut que rendre plus détestable ce que le monde entier a été obligé de subir.

Les motivations des Etats-Unis étaient multiples mais relativement claires. Il s’agissait d’une guerre pour l’exemple, une affirmation et un étalage de puissance, pour montrer que plus personne dans le monde ne peut sérieusement s’opposer à eux. Contrer la formation de blocs de puissances capables à terme de menacer l’hégémonie américaine n’est sans doute pas étranger à la brutalité de la stratégie mise en œuvre.
C’était une guerre pour le contrôle des ressources énergétiques, surtout celles des alliés européens et asiatiques, destinée à vassaliser pour les décennies à venir des régions du monde que leur puissance économique pourrait induire à se croire autonomes.
C’était une guerre pour commencer à mettre bon ordre dans une zone où la stratégie adoptée par les Occidentaux durant la guerre froide avait répandu les dictatures, les totalitarismes et les fondamentalismes islamiques. Ces derniers avaient relevé la tête et tenté de mordre la main qui les avait nourris. Il était temps de les remettre à leur place. Les menaces contre la Syrie, le soutien appuyé à l’action répressive de l’Etat d’Israël, l’encerclement de l’Iran, en sont les aspects les plus visibles.
Mais surtout c’était une guerre destinée à imposer au monde entier le modèle sorti vainqueur de la confrontation avec l’empire du mal : le capitalisme financiarisé étendu à l’échelle planétaire, où toute la vie sociale doit être soumise à la dictature de la marchandise et des flux financiers.
La guerre était présentée comme une opération de police internationale : face à des Etats “ voyous ” (étonnant pléonasme) il faut un bon gendarme, qui ait le monopole de la violence, au même titre que les “ forces de l’ordre ” à l’intérieur de chaque Etat. La querelle entre les Etats-Unis et les autres porte sur le fait que les premiers revendiquent ce rôle pour eux-mêmes et les seconds pour un organisme international – une sorte de super-Etat – qui leur permettrait de ne pas être exclus du partage du butin. Les Etats-Unis peuvent compter sur le souci de ces derniers de préserver l’ONU pour amener les autres puissances occidentales à payer les dégâts causés par la guerre et pourvoir aux frais de la reconstruction.

Mais une guerre révèle aussi les mécanismes profonds des modes de domination qui sont à l’œuvre et parfois leurs points faibles.
Dans les sociétés modernes, les armées ne sont plus constituées de conscrits : on est en présence de professionnels de la violence, formatés pour une guerre, dont on se débarrasse dans la décennie qui suit. La vitesse de circulation de la main-d’œuvre ne se borne pas à la production de marchandises mais s’étend aussi à la production de la mort.
Les Etats deviennent de plus en plus des chambres de compensation entre intérêts opposés de lobbies et de multinationales, qui ont besoin d’un pouvoir fort pour les empêcher de se détruire mutuellement, tandis que la démocratie autoritaire est devenue le mode de gestion des sociétés capitalistes développées et le rôle que les citoyens sont appelés à jouer se limite à un consensus actif autour de chaque Etat.
Exporter le modèle politique aujourd’hui dominant devient une nécessité vitale pour en garantir la stabilité. La vitesse de propagation de ce mouvement en garantit l’équilibre : s’il s’arrête on risque de rendre visibles au plus grand nombre toutes les failles qui en lézardent la façade. Que vaut dans ces conditions cette “ loi de Doyle ” (rappelée par E. Todd) qui prétend qu’une démocratie serait incapable par sa propre nature d’en agresser d’autres ?
Un gendarme, pour justifier son existence, a besoin de “ voyous ” et de citoyens atomisés et apeurés. Le modèle américain – criminogène par excellence – devient ainsi, sous l’impulsion de la lutte “ contre le terrorisme ” qui a suivi le 11 septembre, un article d’exportation. Et les Etats qui ont fait mine de s’opposer à la superpuissance sur la question irakienne ne sont pas les derniers à mettre en chantier lois sécuritaires, création de nouveaux délits, augmentation des corps répressifs et construction de nouvelles prisons, dans une surenchère qui ne peut qu’aggraver les tensions internes de chaque société.
A l’intérieur des Etats-Unis, la guerre a été un instrument de choix pour gouverner une société qui plonge dans la crise économique, pour faire oublier les faillites d’Enron et autres Worldcom, pour ressouder l’opinion publique autour de son gouvernement (ce qui est le premier effet de toutes les guerres), pour relancer l’activité économique par des moyens considérés non inflationnistes, pour permettre la mise en place et le maintien de mesures de restriction aux libertés publiques.

Le mouvement antiguerre qui a pris cette fois une ampleur internationale (bien plus qu’à l’époque de la première guerre du Golfe), n’a pas été en mesure d’empêcher la guerre. S’il ne pouvait plus prôner la désertion, comme à l’époque de la conscription, il pouvait refuser de baisser la tête. Un de ses slogans, repris par la grande majorité de ceux qui ont manifesté à travers le monde, s’attaquait à un consensus dont les démocraties – toutes autoritaires qu’elles soient – ne peuvent pas se passer : Pas en notre nom.
Un autre slogan, issu des secteurs les plus radicaux et conscients de ce mouvement, exprimait, lui, le refus des modèles de sociétés qui s’affrontaient : Ni Bush, ni Saddam.
Mais il ne faut pas se voiler la face et évacuer les contradictions que ce mouvement cache en son sein. Derrière les différentes motivations et formes nationales prises par l’opposition à la guerre on peut entrevoir la mise en place d’une opinion publique transnationale demandeuse d’un “ nationalisme ” européen. Tout nationalisme, pour se forger, a besoin d’un ennemi de taille : dans notre cas, l’antiaméricanisme en est le premier fondement, mais l’idéologie démocratique, l’appel à la “ légalité internationale ” onusienne, le droit-de-l’hommisme (sélectif), le citoyennisme (obligatoire), une certaine forme d’écologisme étatique, la conscience que les Etats européens sont - pris singulièrement - incapables de faire le poids, etc., sont autant d’éléments qui commencent à façonner une opinion publique à qui les Etats européens n’auront pas de mal à proposer une force armée commune, après lui avoir fait avaler le système policier qui “ protège ” l’Europe de la pègre, du “ terrorisme ” et de “ l’invasion ” des étrangers.

C’est tout cela qu’il faudra avoir présent à l’esprit si nous voulons que notre réponse soit à la hauteur des questions que nous allons affronter dans les mois à venir.

Gianni Carroza
Paris mi Avril 2003


[Ce texte a été proposé comme projet suite à des discussions pour le choix d'un éditorial dans une revue libertaire.]