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Gérer l'urgence
Pour apprendre à gérer l'urgence, pas de recette miracle.
Mais un peu d'introspection et de volonté peuvent suffire à infléchir le cours des choses.
18 Mai 2005

Origine : http://management.journaldunet.com/imprimer/dossiers/041055urgence/conseils.shtml

Cette série d'articles émane de la sphère du management. Ils peuvent nous intéresser pour au moins deux raisons :

1 / Il me semble important de connaître nos adversaires.

2 /Il y a un aspect universel dans ces méthodes. Sans oublier nos fins, la réappropriation est possible, ces savoirs peuvent nous être utiles.


L'urgence, le stress, la pression… Des éléments qui font partie du lot quotidien des professionnels, à tous les échelons de l'entreprise. Des éléments qui semblent parfois insurmontables, et qui peuvent nuire à la santé des salariés, comme à leur productivité. Pourtant, en appliquant certains principes et en adoptant des comportements adaptés, on peut apprendre à mieux gérer l'urgence. Bruno Lefebvre, psychologue, Consultant AlterAlliance, spécialisé dans le coaching individuel, livre cinq conseils à suivre pour combattre la pression.

1 Détecter les dangers du statu-quo

Premier avertissement : ne pas se laisser submerger par la pression de l'urgence est un travail en soi, un travail sur soi, qui demande des efforts. Dégager du temps, dépasser ses peurs ou ses inhibitions, changer de rythme, apprendre à travailler autrement ne sont pas non plus choses faciles. Or l'urgence prend souvent racine dans le statu-quo, dans l'habitude routinière, dans le fait d'éviter plutôt que d'affronter. "Il faut oser se demander quelles sont les conséquences négatives d'une situation donnée, explique Bruno Lefebvre. C'est le meilleur moyen de trouver la force d'y réagir, de lutter contre l'urgence permanente."

2 Se connaître soi-même

Même si le stress généré par l'urgence peut avoir des conséquences, à terme, sur la santé des individus, les problématiques de l'urgence sont avant tout comportementales et psychologiques. En la matière, comme le martèle Bruno Lefebvre, "il n'y a pas de bon comportement, rien n'est vrai pour tout le monde." Avant d'essayer de chercher à résoudre les problèmes, le professionnel doit donc procéder à un auto-diagnostic : repérer ce qui le met sous pression (ses relations aux autres, à l'autorité, au temps…), les urgences qu'ils se crée lui-même (imposer ses idées, plaire, etc.), celles dont il souffre le plus. "Ces deux dernières sont souvent les mêmes", remarque Bruno Lefebvre.

3 Prendre du recul

Le malaise ressenti par les cadres sous pression vient souvent du fait que toutes les situations sont vécues comme des urgences. Pour faire la part des choses, Bruno Lefebvre conseille de réaliser une évaluation méthodique de ces situations, en écrivant dans chaque cas, sous une forme scolaire, ce que l'on pense, ressent, fait, etc. Il s'agit de rétablir les vraies priorités en "faisant passer l'urgence à travers un tamis de questionnements" : identifier par exemple ce qui fait partie de son rôle, où s'arrête sa valeur ajoutée, quels sont ses objectifs. "Pour le manager, explique Bruno Lefebvre, le problème sera notamment de trouver le bon équilibre entre un rôle d'éponge ou de membrane étanche, qui absorbe la pression descendant de la hiérarchie pour protéger ses équipes, et un rôle de passoire, qui duplique la pression qu'elle reçoit sur ses collaborateurs."

4 Apprendre à dire non intelligemment

Savoir dire non est une des compétences comportementales de la gestion de l'urgence. "Dans le fait de dire non, il y a deux aspects : savoir si sa réponse est pertinente, et savoir comment la dire." Le premier point fait appel à la capacité de discernement. Concernant le deuxième point, la solution passe-partout consiste à reconnaître la demande de l'autre, à mettre les formes et à rester posé, "sans gueuler, ni s'excuser". Le plus souvent, l'idéal est de découvrir une troisième voie, moins stressante que l'alternative oui-non. Autrement dit, négocier, inventer une nouvelle solution. La gestion de l'urgence fait aussi appel à la créativité.

5 Savoir récupérer

La rapidité de la récupération après une situation de stress, permet de faire la distinction entre stress aigu et stress chronique. Quand les situations d'urgence se multiplient, le états de stress sont plus fréquents et il est de plus en plus difficile de récupérer. Cela se manifeste notamment par la persistance de la sensation de stress en dehors du lieu de travail, le soir, le week-end… "Cette problématique apparaît quand il y a déjà un peu d'usure. Il faut alors travailler la prise de recul systématique, en prenant du temps, en faisant des activités qui vous plaisent, mais en faisant attention de ne pas reproduire l'urgence de son univers professionnel." Attention donc aux stakhanovistes des loisirs : surcharger son agenda le week-end n'est pas un remède au surmenage.


Christophe Roux-Dufort (EM Lyon)
"L'urgence est devenue le régime normal de fonctionnement"

Le co-auteur du Culte de l’urgence, professeur de stratégie à l’EM Lyon, estime que le management par l’urgence s'est généralisé. Une évolution risquée. (octobre 2004)

http://management.journaldunet.com/dossiers/041055urgence/rouxdufort.shtml


Christophe Roux-Dufort est professeur de management stratégique à l'EM Lyon. Il s'intéresse tout particulièrement au management de crise et aux changements dans les organisations. Il est le co-auteur avec Nicole Aubert d'un ouvrage publié en 2003 aux éditions Flammarion et intitulé Le culte de l'urgence. Ce livre explore le nouveau rapport au temps qui s'est instauré dans la société actuelle, et ses conséquences dans le monde de l'entreprise.

Que se cache-t-il derrière le "culte de l'urgence" auquel vous faîtes référence dans votre livre ?

Christophe Roux-Dufort. Le régime d'urgence dans lequel les entreprises se sont installées les fragilise et ouvre la porte à de nouveaux types de crises et de risques industriels. Le moteur, au départ, ce sont les marchés financiers, qui ont institutionnalisé un système en temps réel. La logique de court terme qui prévaut sur ces marchés a contaminé l'ensemble des entreprises et des secteurs. Les objectifs sont de plus en plus à court terme. Ce régime d'urgence se retrouve dans les messageries et les téléphones portables, qui impliquent d'être disponible à tout moment, les systèmes de production en temps réel, les systèmes d'information fournissant des indicateurs en temps réel, etc. Tous ces systèmes obligent à s'adapter en temps réel. Le régime d'urgence est devenu le régime normal de fonctionnement dans toutes les entreprises depuis vingt ou trente ans.

Quelle est votre définition de l'urgence ?

C'est une définition empruntée à Francis Jauréguiberry, maître de conférence en sociologie à l’université de Pau : "L’urgence naît toujours d’une double prise de conscience : d’une part qu’un pan incontournable de la réalité relève d’un scénario aux conséquences dramatiques ou inacceptables et, d’autre part, que seule une action d’une exceptionnelle rapidité peut empêcher le scénario d’aller à son terme".

Ce régime de l'urgence s'appuie-t-il sur des situations d'urgences réelles ou supposées ?
Le régime d'urgence donne la sensation que tout est important, mais en réalité, il existe peu d'urgences objectives. L'urgence subjective est produite par les individus. Nous n'avons pas tous la même façon de réagir. Certaines organisations, comme les hôpitaux, ont une culture de l'urgence. D'autres produisent de l'urgence subjective. La technologie contribue beaucoup à cela : les informations qui s'accumulent en temps continu donnent la sensation qu'elles sont plus importantes que les autres. De plus, la technologie nous permet de faire plusieurs choses en même temps, ce qui conduit rapidement à une lecture erronée de la situation.

Les 35 heures ont-elles eu un impact sur ce sentiment d'urgence généralisé ?

C'est évident, car elles ont encore plus compressé le temps dont on dispose, souvent pour faire autant de choses qu'avant. Cela a donc modifié notre perception de l'urgence.

le management par objectifs installe un régime d'urgence"

Pour un manager, comment gérer efficacement l'urgence ?

Il faudrait bien la vivre, mais personne n'est bien avec l'urgence. Quand on la lisse sur plusieurs années, elle détruit les individus, comme il a été prouvé que le stress augmentait le risque de maladies cardio-vasculaires. Il faudrait par exemple être capable de s'arrêter cinq minutes dans la journée, mais tous les cadres vous diront que c'est impossible à réaliser. Pourtant, il faut prendre du recul, au risque de prendre tout le temps des décisions en réaction à ce qui se passe. Or, ce mode de fonctionnement signifie qu'il est déjà trop tard. Pour y arriver, on peut essayer de mettre des trous dans son agenda. Mais pour la plupart des gens, un trou dans un agenda, c'est incompréhensible. On ne comprend pas que quelqu'un puisse ne rien faire.

Et comment gérer le sentiment d'urgence de ses collaborateurs, auquel le manager contribue certainement ?

Il ne s'agit pas de savoir gérer l'urgence de ses collaborateurs, mais de gérer sa propre urgence. Si on y arrive, on ne mettra pas ses collaborateurs dans des situations d'urgence.

L'urgence est-elle devenue un système de management ?

Bien sûr, le management par l'urgence est l'ingrédient de base. Par exemple, le management par objectifs installe un régime d'urgence : il signifie que l'on dispose d'un temps déterminé pour réaliser des objectifs, souvent impossible à atteindre. Et les managers sont eux-mêmes managés comme ça, et ainsi de suite jusqu'en haut de l'échelle.

La perception de l'urgence est-elle la même partout ?

Non, c'est la société occidentale qui est comme ça. Ceci est lié à une perception linéaire du temps, qui le rend quantifiable. Le temps est vécu comme une succession d'échéances, l'échéance ultime étant bien sûr la mort. Plus on approche de l'échéance, plus l'angoisse augmente, car elle est liée à la notion d'irréversibilité. L'autre conception du temps est la conception cyclique, dans laquelle on a toujours la possibilité de refaire. C'est celle des pays africains et asiatiques. Cependant, la culture d'entreprise et l'économie de marché sont portées par les conceptions occidentales. L'utilisation des nouvelles technologies, partout et dès le plus jeune âge, accroît cette propagation de l'urgence.

Le management de crise, c'est le management de l'urgence ?

L'urgence n'est qu'un des ingrédients du management de crise : on perçoit les enjeux comme étant extrêmement importants, et on perçoit que l'on n'a quasiment pas de temps pour régler la situation.

L'urgence est-elle proportionnelle à la hauteur des responsabilités ?

La responsabilité ne fait qu'influencer la perception des enjeux. Plus bas dans la hiérarchie, les enjeux sont plus faibles, mais la perception qu'on en a est aussi élevée. L'ouvrier sur une chaîne vit l'urgence quand il est au cœur d'un système de gestion en flux tendu.

Parcours

Avant d'enseigner à l'EM Lyon, Christophe Roux-Dufort a notamment été professeur à l'Edhec et Audencia. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages : "Le culte de l'urgence", en collaboration avec Nicole Aubert, "Gérer et décider en situation de crise", et "La gestion des crises - un enjeu stratégique pour les organisations". Il est également consultant en entreprises spécialisé dans le management de crise, et a publié de nombreux articles de recherche dans des revues de sciences économiques et sociales.


Gérer l'urgence
Les professionnels de l'urgence
Leur métier les amène à gérer des urgences parfois extrêmes. Leurs conseils pour aborder l'urgence. (20/10/2004)

http://management.journaldunet.com/dossiers/041055urgence/fiamenghi.shtml

Jean-Louis Fiamenghi, 54 ans, Commissaire divisionnaire chef du RAID

"Conserver une perception générale"

Jean-Louis Fiamenghi est entré dans la police comme officier en 1972, à la brigade de répression du banditisme. Il a ensuite intégré la brigade anti-gangs, puis est parti à l'étranger pour former des unités anti-terroristes. Par la suite, il a successivement été chef de groupe d'intervention en Nouvelle-Calédonie et commandant de police chef de circonscription en Seine-et Marne, avant d'être muté à la section opérationnelle des Renseignements généraux pour la lutte anti-terroriste. Jean-Louis Fiamenghi a mis ses compétences au service du RAID (unité de Recherche, d'assistance, d'intervention et de dissuasion) depuis trois ans. Dépendant directement de la Direction générale de la police nationale (DGPN), son unité apporte son soutien lors d'opérations spéciales, dont les plus spectaculaires sont souvent médiatisées.

Pour vous, qu'est-ce que l'urgence ?

Jean-Louis Fiamenghi. L'urgence, pour moi, c'est le temps, une pression et des territoires particuliers. Chez nous, la police, on arrive toujours dans les situations d'urgence des autres. Sur le lieu de l'intervention, le policier est un relais censé calmer la situation, et apporter sa technicité pour trouver une solution. Ceci n'est pas l'apanage du RAID. Le policier de base est constamment dans l'urgence, c'est son quotidien. Dans un temps très rapide, il doit amener des solutions pour faire baisser la pression.

Comment êtes-vous formé à affronter les situations d'urgence ?

Il existe différents stages de gestion du stress. En effet, on a beau avoir suivi un enseignement en gestion de crise et en gestion d'urgence, si on ne supporte pas la pression, on a du mal à faire face. Au fur et à mesure que l'on s'élève dans l'échelle hiérarchique, on reçoit des cours de management sur la gestion de crise, dans lesquels on nous explique les points importants. Les commissaires ont un rôle important à jouer : en amont, ils interviennent eux-mêmes pour donner des cours de gestion de crise, et pendant les opérations, leur propre façon de gérer la crise influence la réaction des hommes qu'ils managent. S'ils gèrent mal leur stress, l'équipe réagit mal.

Quelles méthodes mettez-vous en œuvre quand il s'agit de prendre les bonnes décisions en un temps limité ?

Nous sommes très organisés. Nous mettons en place différentes cellules qui vont permettre, chacune dans leur domaine, d'analyser la crise, dans le but de faire remonter les informations pertinentes au PC opérationnel, avec l'objectif final qui est de prendre les bonnes décisions dans des situations où l'anormalité est la règle. Par exemple, sur une prise d'otage. Nous arrivons au beau milieu d'un ensemble d'acteurs différents : magistrats, fonctionnaires de police, etc. Nous proposons alors notre propre organisation des choses, dans laquelle ils sont intégrés. En tant que chef du RAID, mon objectif est de mettre en place une synergie entre ces différents acteurs, et de soulager parmi eux les personnes qui n'ont pas forcément l'habitude de faire face à ce type de pression. Cela demande du calme et de la sérénité, et surtout, de prendre suffisamment de recul.

On arrive à cultiver le sang froid petit à petit"

Pouvez-vous nous donner un exemple d'opération récente ?

Il y a quinze jours, nous sommes intervenus dans un village abritant le pavillon d'un couple et de ses deux enfants. L'homme, pris de boisson et sous le coup de problèmes psychologiques, s'était servi d'une arme à feu puis s'était retranché dans sa maison. Un de ses fils a alerté la gendarmerie. Nous nous sommes retrouvés un beau matin dans ce village, avec le maire, tous les voisins. Là, on est face à une crise. A nous d'organiser notre dispositif pour reprendre contact avec l'individu et ramener le calme.

Quelles sont les qualités principales pour bien réagir dans des situations d'urgence ?

Il faut du sang-froid. On arrive à le cultiver, petit à petit. Dans le cas du RAID, les profils sont quand même bien déterminés à la base. Tous les fonctionnaires du RAID sont sélectionnés selon un processus rigoureux. Ils doivent passer des tests d'aguerrissement, et ne peuvent intégrer notre unité qu'après cinq ans passés dans une unité opérationnelle. Il sont également très motivés. Cela dit, ce n'est pas parce qu'on est attiré par ce type de travail que l'on va forcément bien gérer les situations de stress. Après, avec de la technique et de l'organisation, même si une personne n'a pas une bonne réaction à un instant T, on arrive à ce que le niveau technique général de l'équipe soit satisfaisant.

Quels conseils donneriez-vous à un professionnel dont l'urgence n'est pas la composante principale du métier, pour gérer les situations d'urgence ?

Prendre du recul par rapport à la situation. Dès l'instant où l'on reste au contact, beaucoup de messages vous parviennent, et il devient difficile de prendre la bonne décision. Moi, par exemple, je ne rentre jamais tout de suite dans l'arène. Car si je rentre en contact avec tous les acteurs dès le départ, je ne dispose plus du recul nécessaire. Il faut ajouter à cela que le facteur temps fausse l'analyse. Donc la solution est de ne pas trop s'impliquer, pour conserver une perception générale.


Comment gérez-vous le stress postérieur aux situations d'urgence que vous pouvez rencontrer ?

On met toujours en place un débriefing technique, et pour les situations plus difficiles, un débriefing psychologique. Un psychologue sous contrat, faisant partie intégrante de l'unité, est consulté par les individus qui le souhaitent. Il apporte par ailleurs son expertise en techniques de négociation. Dans certains cas très graves, nous faisons appel à des psychologues externes à l'unité.


Les professionnels de l'urgence
Leur métier les amène à gérer des urgences parfois extrêmes. Leurs conseils pour aborder l'urgence.
20 Octobre 2004 Jérôme Bansard, 56 ans, commandant de bord

http://management.journaldunet.com/imprimer/dossiers/041055urgence/bansard.shtml

"S'entraîner pour apprendre à réagir"

Jérôme Bansard est commandant de bord instructeur chez Air France, vice-président du Syndicat National des Pilotes de Ligne. Il a suivi sa formation de pilote à l'Institut Amaury de la Grange. Jérôme Bansard a travaillé dans le secteur de l'aviation d'affaires. Il a enchaîné ensuite Air Inter, puis l'Aéropostale, avant de rejoindre Air France, où il pilote des Airbus A320. La gestion de l'urgence fait partie de son entraînement.


Pour vous, qu'est-ce que l'urgence ?

Jérôme Bansard. Quand on parle d'urgence, en aviation, on dit souvent "Quand il y a le feu, il n'y a pas le feu". Cela signifie que ce n'est surtout pas le moment de se précipiter. L'urgence, c'est un moment que l'on doit traiter en équipage, pour ne pas faire n'importe quoi.

Comment êtes-vous formé à affronter les situations d'urgence ?

Tous les pilotes qui travaillent avec le JAR-OPS (Ndlr : un standard européen relatif au programme de formation des pilotes de l'aviation commerciale), c'est-à-dire en gros l'Europe des Quinze, ont l'obligation de suivre chaque année quatre séances de simulateur de quatre heures chacune. Aux Etats-Unis et au Canada, on retrouve un système similaire. Dans ces séances, le pilote doit réaliser différentes procédures d'urgence et manœuvres d'urgence. Pour les procédures, soit la liste des actions à faire s'affiche sur un écran, s'il y en a un dans le cockpit, soit elle se présente sous forme de check-list papier. Quant aux manœuvres, il faut les réaliser de mémoire. Par exemple, si un hublot se détache en plein vol, il existe une manœuvre à connaître et à réaliser en 45 secondes, sinon tout le monde y passe. Recréer ce genre de situations avant de les rencontrer est la meilleure façon d'apprendre à réagir si elles surviennent.

Avez-vous déjà eu à gérer une situation d'urgence ?

En 14.000 heures de vol et trente ans de carrière, la seule chose qui m'est arrivé, par deux fois, c'est l'arrêt d'un réacteur en croisière. Autrement, ce sont de petites pannes qui provoquent une situation de stress, mais pas d'urgence. Dans ce cas précis, nous avons la nécessité de poser l'appareil sur l'aéroport le plus adapté le plus proche. J'ai donc prévenu le contrôle que je me déroutais en donnant la raison de cette décision. Dans ce cas, le signal radio pour signaler une situation d'urgence est "Mayday, Mayday, Mayday". Si l'urgence est un problème sérieux, mais sans péril immédiat, le message est "Panne, panne, panne". Ainsi, le niveau de priorité est codifié.


Tout le monde vérifie ce que tout le monde fait"

Quelles méthodes mettez-vous en œuvre quand il s'agit de prendre les bonnes décisions en un temps limité ?

Nous nous servons des check lists, que nous avons répétées de nombreuses fois en simulateur. Nous lisons à haute voix ce que nous faisons, et tout le monde vérifie ce que tout le monde fait. Nous appliquons un modèle de travail en équipe où plusieurs "plaques" se superposent pour limiter les risques.

Quelles sont les qualités principales pour bien réagir dans des situations d'urgence ?

Je ne pense pas qu'il y ait de qualité innée, car en situation d'urgence, on peut réagir différemment d'un jour sur l'autre. Mais c'est comme pour un exposé : si on l'a bien appris et qu'on l'a déjà présenté plusieurs fois, on maîtrise mieux son stress.


Comment gérez-vous le stress postérieur aux situations d'urgence que vous pouvez rencontrer ?

Lorsqu'il y a un gros problème dans un avion, à l'arrivée nous attend une cellule de crise composée de l'encadrement, de psychologues et de médecins du travail.


Les professionnels de l'urgence
Leur métier les amène à gérer des urgences parfois extrêmes. Leurs conseils pour aborder l'urgence.

20 Octobre 2004 Philippe Olivier, 56 ans, médecin urgentiste

http://management.journaldunet.com/imprimer/dossiers/041055urgence/olivier.shtml

"Maîtriser la technique de base"

Diplômé de la faculté de médecine de Montpellier, spécialisé en anesthésie et réanimation, Philippe Olivier est aujourd'hui chef de service du Samu (Services d'aide médicale urgente) et du Smur (Services mobiles d'urgence et de réanimation) au Centre hospitalier d'Avignon. D'une voix calme et assurée, il va à l'essentiel. Sa priorité : détecter l'urgence, la vraie.


Pour vous, qu'est-ce que l'urgence ?

Philippe Olivier. Il n'y a rien d'urgent, il n'y a que des gens pressés. Dans les services d'urgence médicale, seuls 8 % des cas s'avèrent de vraies urgences. Une vraie urgence implique un risque vital. Les autres situations restent à traiter, mais pas forcément dans l'immédiat.

Comment êtes-vous formé à affronter les situations d'urgence ?

J'ai suivi une formation en anesthésie et réanimation. La spécialité d'urgentiste n'existait pas, elle vient tout juste d'être créée. L'urgence vitale et la réanimation étaient enseignées dans des cours magistraux et grâce à des stages pratiques. J'ai aussi acquis des connaissances complémentaires telles que la petite chirurgie, l'ophtalmologie d'urgence, la cardiologie d'urgence…

Quelles méthodes mettez-vous en œuvre pour gérer l'urgence ?

Je m'appuie sur une équipe que j'ai sélectionnée. Tout repose en premier lieu sur la connaissance médicale. Ensuite, nous respectons des protocoles précis. Au Samu, une équipe de régulation médicale traite les appels et envoie des réponses adaptées aux demandes : un médecin urgentiste, un psychiatre, un généraliste… Aux urgences, une infirmière accueille les patients, les trie et alerte les médecins selon leur pathologie. Un médecin référant l'aide à évaluer l'urgence. Les patients sont classés par ordre d'importance, et non par ordre d'arrivée. Moins les patients sont malades, plus ils sont exigeants. Nous sommes en permanence harcelés. Il faut expliquer aux patients pourquoi nous ne les soignons pas en priorité. Cela demande beaucoup de temps, du calme et de la diplomatie.

Il faut de fortes capacités de concentration"

La technologie vous apporte-t-elle des solutions ?

Oui, mais la technologie impose aussi de travailler toujours plus vite. Même les services administratifs exigent des délais impossibles. Par ailleurs, les sollicitations ont augmenté de manière injustifiée. Nous nous sommes donc organisés pour mieux y répondre. Mais plus notre organisation se montre efficace, plus nous sommes demandés. C'est un véritable tonneau des Danaïdes. Face à cela, je cherche à développer une politique de réorientation des patients. Les médecins entretiennent une culpabilité judéo-chrétienne : ils croient que leur devoir consiste à tout soigner. Mais cela risque de se faire au détriment des autres. Il faut absolument faire le tri pour se concentrer sur son activité.

Pourriez-vous donner un exemple de situation urgente ? Comment avez-vous réagi ?

Récemment, un toxicomane a agressé un médecin. J'ai dû me jeter sur le malade et le maîtriser. Les médecins se sentent très affectés par ce type d'agression. Après un tel événement, nous organisons en général un débriefing. Un psychologue du service voit les médecins concernés pour désamorcer les angoisses et inquiétudes.

Quelles sont les qualités principales pour bien réagir dans des situations d'urgence ?

Lors de l'évaluation de la gravité, notre responsabilité est lourde, surtout lorsqu'il s'agit de déclarer qu'un cas n'est pas grave. Par ailleurs, nous ne traitons pas les malades les uns après les autres, mais plusieurs patients en même temps. Ce n'est pas donné à tout le monde. Il faut maîtriser beaucoup de connaissances médicales et faire preuve de sang froid et de fortes capacités de concentration. Un médecin urgentiste doit savoir rester calme et serein, tout en gérant les conflits.

Quels conseils donneriez-vous à un manager pour bien réagir face à une urgence ?

Je ne lui donnerais pas de conseil mais je lui ferais part de mon expérience. Quel que soit le domaine d'activité, il faut une connaissance technique de base. C'est la condition sine qua non. Il faut savoir faire un geste dans l'urgence pour assurer la survie d'un patient. Mais le problème n'est pas réglé pour autant. Dans un deuxième temps, il faudra trouver les causes, faire un diagnostic et comprendre pourquoi on en est arrivé là.