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Genre et mouvement populaire en Amérique latine. Une lecture "occidentale"
Hélène LE DOARE


Mon propos est de vous donner à voir un aspect du mouvement des femmes en Amérique latine, celui du mouvement populaire animé et dit par les femmes. Cette vision, c'est évidemment la mienne; je l'ai construite essentiellement à partir de sources secondaires que j'ai interrogées à travers des catégories centrales à la réflexion que nous menons ici, c'est-à-dire le concept de la division sexuelle du travail et la problématique des rapports sociaux de sexe. Le but est de toute évidence la constitution d'un savoir stratégique: comment penser le changement. Où se situent les invariants, où et comment se créent des brèches de discontinuité? Or ce sont fondamentalement les luttes qui peuvent à la fois ouvrir des perspectives de transformation, même si ce ne sont souvent que les contours d'un possible qu'elles dessinent, et susciter des avancées théoriques. En France, le grand mouvement féminisé qu'a été la Coordination Infirmière a permis, grâce à l'analyse qu'en a fait Danièle Kergoat, de faire la démonstration expérimentée que dans certaines conditions des changements fondamentaux peuvent s'opérer. Et une de ces conditions est la mixité des acteurs, une catégorie politique et non mathématique puisqu'il a fallu que ce mouvement soit sous hégémonie féminine pour que cette nouvelle configuration apparaisse puis fasse naître un changement important, la poursuite d'objectifs qui soient communs aux hommes et aux femmes, dans le souci de toujours tenir les deux bouts de la chaîne. Quelle innovation!

Alors que sur notre continent, de telles manifestations sont rares, dans tous les pays de l'Amérique latine, des femmes se sont mobilisées, ou ont été organisées, sur des fronts multiples. Et avec une certaine reconnaissance sociale puisqu'à Bogotá par exemple, le comité des citoyens qui a pour fonction de faire une évaluation des plans de la mairie a une représentation élue du mouvement des femmes. Elles se sont battues et continuent à se battre pour la défense des droits humains comme les "folles de la Place de Mai" à Buenos Aires mais aussi les armes à la main comme au Salvador et dans les divers groupes "révolutionnaires". Elles se manifestent en tant qu'indiennes, noires, pauvres et minoritairement aussi sous l'étiquette du féminisme; leurs luttes se déroulent dans une dynamique qui favorise les convergences ou accentue les contradictions. Dans cet ensemble hétérogène, les organisations des femmes des secteurs populaires occupent une place particulièrement importante sur le plan de la politique locale et nationale, au niveau de l'économie des familles comme des Etats, à l'intérieur d'une stratégie féministe, certes, mais aussi d'une multitude d'agents externes. La conjugaison particulière et consciente de leur appartenance de classe et de sexe donne à leurs actes et leurs dires, malgré la distance qui nous en sépare, un contenu qui ne peut qu'enrichir notre propre expérience.

La fin des grandes luttes révolutionnaires et l'amorce du processus de démocratisation a libéré des forces militantes qui, à défaut de prendre le pouvoir par les armes, s'investissent dans la reconstruction de la société civile et surtout dans l'organisation des secteurs populaires. En effet, ces mouvements revendicatifs urbains visant l'accès à la ville, à son sol comme à ses services, ces organisations communautaires qui gèrent le quartier dans ses différentes phases d'implantation sont l'enjeu d'intérêts multiples car, s'ils sont bien l'expression des exclus du système économique et de ces espaces urbains, il est important de les intégrer, si ce n'est à la ville, du moins à des systèmes de référence et parfois à des perspectives stratégiques. Depuis l'Eglise, ou certains secteurs de l'Eglise dans le courant institutionnellement rénovateur de la théologie de la libération -qui lie son utopie, la construction d'une société juste selon les principes divins, à la transformation sociale de la situation des pauvres-, en passant par les partis politiques de droite et de gauche jusqu'aux nombreuses ONG et au mouvement féministe lui-même qui ne peut se penser que dans l'articulation avec le mouvement des femmes dans les campagnes mais surtout dans les villes. Cette articulation se pense, parfois, sous la notion de féminisme populaire, mais surtout se met concrètement en oeuvre au travers de micro-projets, d'ateliers, de séminaires de réflexion à l'échelle internationale, mais aussi dans des luttes sociales comme le mouvement pour les crèches au Brésil ou la lutte des couturières au Mexique. La recherche féministe universitaire est aussi un lieu de rencontre où se construit la parole des femmes qui luttent sur leur terrain de vie.
Cette convergence d'éléments historiques, politiques, économiques dans une conjoncture de crise peut expliquer cette dynamique sociale particulière, cette apparition de ce que l'on a appelé les nouveaux mouvements sociaux, qui sont souvent majoritairement féminins ou exclusivement féminins. Sans pallier totalement les tactiques manipulatrices des différents agents, leur multiplicité autorise une certaine flexibilité de choix dictés, il faut le reconnaître, par la nécessité: les stratégies de survie familiale ne coïncident pas forcément avec les stratégies de reproduction des divers groupes...

Les études sur ces "nouveaux mouvements sociaux" sont maintenant nombreuses. C'est donc un matériau très hétéroclite tant d'un point de vue géographique que méthodologique que j'ai voulu lire, moi aussi, pour avancer dans mes propres questionnements de féministe "occidentale". La difficulté à systématiser des données fragmentées et les inconvénients, d'un point de vue scientifique, d'une activité mentale plus apparentée à une construction d'opinions qu'à une argumentation intellectuelle, prennent justement une importance relative quand on replace ces propos dans le fil des autres discours élaborés autour des mouvements sociaux urbains d'Amérique latine. Ceci est moins une présentation analysée de ces mouvements que le désir de partage d'une nouvelle "découverte", dans un autre temps sous un autre regard.

La ville populaire et les mouvements de femmes
Dans cette présentation générale de la ville périphérique et des femmes des secteurs populaires comme groupe défini par le sexe et la classe, je me situe à l'échelle du continent latino-américain dans son ensemble, par une sorte de processus de dénationalisation en quelque sorte. Cette position, qui semble contrevenir aux exigences d'inscription des études dans l'histoire spécifique des pays se légitime par le fait que c'est justement la quasi absence de l'Etat et des services publics qui impose des stratégies au niveau des familles ou des quartiers. C'est ainsi que les organisations des femmes dans la périphérie des villes, qui s'insèrent dans une dynamique de production de la ville en dehors de l'Etat, présentent entre elles de fortes similitudes.
Le développement de l'Amérique Latine basée sur la modernisation accélérée de certains secteurs de l'économie sous l'action prédominante de l'Etat a entraîné, avec la centralisation du capital et la concentration des revenus, une forme particulière d'urbanisation à deux visages, d'une ville fragmentée, une partie étant servie par l'Etat et consommée par ses habitants, l'autre produite dans l'illégalité et l'effort collectif par des migrants des campagnes qui, par millions, se battent à main nue pour donner corps à leur droit de cité. Cet accès illégal à la terre se fait sous des formes variées selon les pays, mais toujours dans des zones inhospitalières. Sur ces sols rocailleux, marécageux ou sableux, s'amorce un lent processus collectif d'urbanisation qui comprend d'une part la transformation physique de ces espaces dénudés, l'accès à l'eau, l'ouverture de routes, la consolidation du logement, tout cela par étapes et d'autre part, les luttes, d'abord pour empêcher le déguerpissement puis pour obtenir de l'Etat la légalisation de leur propriété (par achat) et l'amélioration des services.

Cette urbanisation populaire, fruit d'un travail qu'on pourrait appeler ouvrier dans ce sens qu'il est manuel et exige des formes collectives d'organisation, est un processus complexe, hétérogène, contradictoire dans la mesure où avec la valorisation du sol il crée de nouveaux mécanismes d'exclusion et de spéculation, mais c'est surtout un processus extrêmement lent et chaotique (i.e. la durée moyenne de construction d'une maison en dur est de l4 ans) dans lequel doivent s'inscrire nécessairement et efficacement les gestes quotidiens1 des stratégies de survie des unités familiales, des stratégies qui reposent fondamentalement sur le corps et le savoir-faire des femmes, la gestion invisible des villes a-t-on écrit: "Entre cet élément de départ. et le logement terminé dans un quartier équipé de services publics et sociaux, il passera un temps équivalent au moins à une génération ou plus. Les carences en équipements et confort minimum seront compensées durant tout le processus par un travail supplémentaire des femmes. Si l'eau n'arrive pas jusqu'au domicile, si l'électricité est interrompue, si les rues sont embourbées, si le combustible pour la cuisine manque, s'il n'y a pas de dispensaire et pas d'égouts ni de ramassage des ordures, les femmes devront fournir un effort supplémentaire pour faire le pont entre ces services depuis le lieu où ils existent, jusqu'à la maison"2. Après l'obtention d'un toit, c'est l'accès à l'eau qui est l'élément le plus important, le plus angoissant. Car dit cette même chercheuse, il n'est pas juste de parler de maison sans eau, toutes les maisons ont de l'eau mais selon quels modes d'accès? Dans son étude, près de la moitié des familles ont recours à plus d'une source, ce qui suppose des queues, de longues marches partagées avec les enfants, des réserves (pratique qui diminue la qualité de l'eau). Une fois de plus, il faut transformer un approvisionnement discontinu en un service régulier. Presque toutes les femmes reconnaissent que ce problème de l'eau les angoisse et désorganise leur temps (38% disent se lever la nuit pour recueillir l'eau dans des citernes).

A l'époque actuelle, les périphéries urbaines, plus stabilisées, mieux desservies, disposant d'un tissu social complexifié ont remplacé les luttes frontales contre l'Etat ou les propriétaires des terres par des actions collectives imposées par la gestion de la pauvreté (le "raccommodage de la pauvreté" selon le titre d'un livre argentin). En effet, depuis la deuxième moitié des années 80, le contexte socio-politique de la plupart des pays est l'aboutissement de plusieurs facteurs convergents: la démocratisation qui conduit à la diversification des expressions politiques et des luttes dans le champ de la représentation, la décentralisation qui délègue aux municipalités la sous-traitance, sans les moyens, de la gestion des besoins, et les programmes imposés d'ajustement structurel qui ont des retombées dramatiques sur les conditions de vie d'une grande partie des habitants et particulièrement celles des femmes des secteurs populaires: elles doivent, en effet, par leur force de travail, leur énergie créatrice, leurs organisations, et même leurs propres ressources, mettre en oeuvre les politiques compensatoires gouvernementales, en quelque sorte ajuster structurellement la permanence de leurs besoins et la variabilité des moyens. Toujours donc produire la continuité exigée par l'entretien de la vie à partir de la discontinuité. Avec l'accentuation de la crise, les familles populaires sont de moins en moins capables de résoudre isolément les problèmes que pose la simple survie élémentaire, en particulier, le problème alimentaire. Les carences de l'Etat empêchent le processus libéral d'individuation des femmes qui en tant que mères ne peuvent développer que des pratiques collectives, des pratiques qui, à travers le collectif, engendreront des individues femmes. D'où la prolifération du nombre et de la variété des organisations populaires, car le nombre de pauvres augmente et le développement périphérique de la ville éloigne de plus en plus d'habitants de la ville servie par l'Etat.

Les femmes des secteurs populaires
On a comparé ces territoires durement défrichés et lentement appropriés par leurs habitants à des sociétés de chasse et de cueillette ne disposant pour survivre que de leurs propres ressources. Mais surtout, comme dans ces sociétés sans Etat, on peut dire que la division sexuelle du travail est l'élément fondamental de structuration de l'espace social, d'abord et surtout au niveau des représentations, car si le modèle familial repose sur une conception rigide des normes sexuelles (l'homme appartient à la rue et la femme à la maison... et au mari), la précarité des conditions de vie, leur situation de classe, imposent de douloureuses distorsions aux deux sexes. Les hommes ne sont pas toujours en mesure d'exercer une autorité à la hauteur des exigences sociales mais ils peuvent toujours trouver une issue à cette contradiction soit en adoptant une stratégie de survie individualiste, l'abandon provisoire ou définitif de leur famille pour un travail éloigné ou pour une autre femme, soit en l'exprimant dans l'alcoolisme et la brutalité domestique; tandis que les femmes gérant une stratégie collective sont obligées de vivre ces contradictions de genre et de classe, souvent dans l'angoisse et la peur, en mettant en oeuvre des pratiques variées pour que survive ce corps familial qu'elles engendrent chaque jour, pour produire un quotidien cohérent, continu à partir d'éléments contradictoires ou d'une réalité fragmentée.

C'est ainsi que les femmes des secteurs populaires urbains sont considérées comme constituant un groupe social concret tant d'un point de vue objectif, leurs pratiques qui les différencient des hommes de leur classe et des femmes des autres classes, que d'un point de vue subjectif, un sentiment fort, verbalement explicité, concrètement exprimé, d'appartenance à leur classe de femmes, un sentiment douloureux d'ailleurs ("Nous femmes pauvres" mais aussi "nous pauvres femmes" qui s'oppose à un "eux les hommes"). Conscience et pratique d'une séparation claire et "naturelle" des groupes sexués et de la domination affirmée et reconnue de l'un sur l'autre (i.e. l'évocation du machisme par les femmes est très courante).

La gestion de ce territoire domestiqué par les impératifs de la division sexuelle du travail, s'étend ou se rétracte en fonction des ressources disponibles dans une unité familiale souvent précaire, que les femmes ne contrôlent pas; d'abord parce que les hommes peuvent la briser fréquemment par leur départ. Plus d'1/3 des femmes sont chefs de familles dans les secteurs populaires (elles seraient l0% dans les autres couches sociales selon une enquête menée en Colombie), or l'homme est le pourvoyeur de la majeure partie des ressources monétaires et du travail non rémunéré dans les activités d'auto-construction (d'où l'intensité du désir des femmes d'avoir un logement à elles sans loyer, qui ne dépende plus des hommes). C'est pourquoi ce sont souvent les femmes qui poussent leurs conjoints vers ces zones en friche malgré l'aggravation des conditions de leur travail domestique et leur plus grand éloignement des lieux où elles pourraient exercer une activité rémunérée3. C'est donc dans l'instabilité, la précarité, dans des contradictions aggravées par la ségrégation spatiale et la crise économique que les femmes, dans la permanence des gestes quotidiens et la continuité des jours, tissent des stratégies cohérentes. Pour ce faire les femmes doivent démultiplier la valeur quantitative des revenus monétaires des hommes pour en faire un véritable revenu familial grâce à:
un travail domestique étendu (des activités ménagères à l'auto-construction);
des activités faiblement rémunérées et peu diversifiées essentiellement dans le secteur informel, où la majorité d'entre elles gagnent moins qu'un SMIG;
le recours à des réseaux de solidarité qui structurent d'abord la parenté féminine de la lignée maternelle, plus difficilement du conjoint, puis du voisinage à travers lesquels circulent des flux de biens et de services variés (les hommes ont aussi leurs propres réseaux). Mais pour y avoir accès, il faut le mériter par une conduite respectable (du point de vue des hommes mais contrôlée par les femmes) et qui ne suscite pas la jalousie;
un travail communautaire c'est à dire la participation aux organisations du quartier pour la mise en place collective puis de gestion des services depuis l'accès à l'eau, la revendication principale après la terre, jusqu'à la construction des écoles, ce qui suppose un travail physique lourd comme de multiples activités pour la collecte de fonds (loterie, kermesse, ventes de gâteaux et autres produits alimentaires). Beaucoup de ces organisations sont féminines comme les clubs de mères ou majoritairement féminines comme les Ceb's, mais, dans les organisations mixtes, les hommes bien entendu se chargent des postes de direction tandis que les femmes constituent souvent le gros de la base exécutante en particulier dans les comités spécifiques qu'on leur délègue volontiers (santé, écoles, etc.);
enfin la participation aux luttes urbaines qui se déclenchent pour obtenir de l'Etat, à l'échelle municipale ou centrale, la légalisation de leurs terres ou l'accès aux services urbains. Il faut reconnaître que seule une minorité de femmes (+/- 15%) se montre active au niveau organisationnel mais elles sont par contre et souvent majoritaires par rapport aux hommes et leur engagement est plus intense4.

Il y a un continuum entre ces différentes activités: on ne peut comprendre les stratégies de survie dans les quartiers populaires que si on les considère dans leur intégralité et on ne peut que mal interpréter la nature des luttes si on ne les replace pas à l'intérieur de la division sexuelle du travail. Il ne semblerait donc pas que la participation déterminante des femmes aux luttes urbaines ait produit une transformation des termes de la division sexuelle du travail: on peut parler plutôt d'une extension de son territoire et d'une variation dans les modalités par une collectivisation conjoncturelle des pratiques. En s'organisant et se mobilisant pour la reconnaissance de leurs droits, leurs droits à l'obtention des moyens nécessaires à la réalisation de leur fonction domestique, de leur rôle maternel, les femmes n'en subvertissent pas les règles mais les consolident. Beaucoup de ces femmes qui s'engagent dans l'action communautaire sont souvent membres de groupes comme les clubs de mères ou les Ceb's, les organismes de base de la nouvelle Eglise, des groupes où sont développées les valeurs traditionnellement attribuées aux femmes, femmes-mères, femmes-épouses. Une étude réalisée à Mexico comparant les femmes non organisées et organisées dans les Ceb's et les groupes communautaires démontrent que les membres des Ceb's qui rejoignent le militantisme communautaire sont celles qui dans leur trajectoire familiale ont dû lutter pour conquérir leur place de "maîtresse de maison" et donc la valorise particulièrement. Ce sont donc des mères qui se mettent en mouvement et souvent malgré le mari5.

Si les limites de la division sexuelle du travail semblent immuables, n'y aurait-il pas un certain brouillage du rapport social entre les sexes? Qu'ils soient publics ou privés, qu'ils soient circonscrits à l'espace de la maison ou élargis à l'espace communautaire, puisqu'il s'agit, du point de vue des femmes, du même territoire domestique avec de nouvelles modalités, on pourrait en déduire qu'avec le maintien de la division sexuelle du travail, les rapports sociaux de sexe fonctionnent à l'identique dans tous les champs. Il est certain qu'il y a permanence de traits fondamentaux comme l'invisibilité du travail des femmes, la captation du pouvoir par les hommes, la participation des femmes sous contrôle. D'une part elle ne doit pas porter préjudice au service domestique au sens restreint, c'est-à-dire d'abord le service de l'homme (i.e. "les repas prêts à l'heure") et d'autre part elle ne doit pas déroger aux lois de la respectabilité ni aux exigences de la morale collective (i.e. une femme ne pouvant avoir d'ambitions personnelles, son engagement ne se justifie aux yeux de tous qu'au nom de ses enfants)6.

Pourtant il semblerait que dans ce processus d'extension, les frontières de la ségrégation sexuelle clairement délimitée à l'intérieur de la structure familiale perdent de leur netteté, autorisant une certaine forme de mixité d'où émergerait chez certaines femmes une conscience de genre. Dans la famille, l'idéologie des rôles sexuels ainsi que le critère même de la valeur d'une vie d'homme, d'une vie de femme, sont ressentis comme justifiés et naturels par les deux sexes; dans le travail communautaire, même domestiqué, les rôles ne sont plus toujours perçus, ou tout simplement praticables, dans une situation dynamique qui n'a pas été élaborée par le système traditionnel. En expérimentant une sorte de mixité à la faveur d'un "désordre" social, d'un monde physiquement chaotique, les femmes reliées aux hommes dans l'action, découvrent dans un même mouvement la valorisation d'elles-mêmes en tant que femmes agissantes et l'illégitimité du pouvoir des hommes dont elles dénoncent l'irresponsabilité, la faiblesse, la timidité, la paresse...7

Ne peut-on pas dire alors que s'il y a une permanence de la division sexuelle du travail, il se crée une rupture à un autre niveau du rapport social entre les sexes?

Cette double prise de conscience est clairement exprimée dans les discours des femmes militant dans des luttes globales du quartier. Il faudrait des recherches plus approfondies pour les comparer aux discours des femmes participant à des organisations exclusivement féminines qui mettraient davantage l'accent sur les valeurs positives de "nous les femmes" et sur leurs acquis personnels en expérimentant une nouvelle forme de socialisation dans des sphères séparées, dans une valorisation de l'autonomie8. Conscience de genre et/ou conscience d'être positivement femme sont deux modalités de modification des rapports de sexe au niveau des représentations dans l'espace maintenu de la division sexuelle du travail qui serait, elle, partiellement transgressée par les femmes leaders, relativement nombreuses dans les luttes populaires.

Les différentes études sur les luttes de quartier ou plus précisément sur les femmes qui s'imposent par leur tempérament, leur capacité à investir leur temps et leurs forces dans l'action -grâce à l'absence de maris ou à l'appui négocié de compagnons- ont montré qu'elles ne peuvent accéder à des niveaux reconnus de pouvoir sans passer par les partis, ou les organisations issus des partis. Pour Caroline Moser, dans leur tentative d'intégrer l'espace masculin du pouvoir, elles se trouveraient dans une impasse: jalousées par les femmes de leur classe, mal acceptées et instrumentalisées par les hommes de toutes les classes et dans l'incapacité de faire alliance avec les femmes des autres classes. Cette impasse s'expliquerait peut-être par l'impossibilité de porter à un niveau politique, au sens précis du terme, c'est-à-dire du pouvoir politique, autrement dit du pouvoir dominant masculin, les intérêts des femmes en tant que groupe, ce qu'expérimentent, d'ailleurs, tous les groupes dominés comme les communautés indiennes en Amérique Latine. Les mécanismes de leur exclusion et ceux de la représentation semblent aller de pair au point que l'on pourrait dire que c'est leur mise en place qui marque l'entrée dans la sphère du politique. Plutôt qu'une "autre manière de faire de la politique", plutôt que leur entrée dans l'espace public donc masculin, ce que les mères rendent publiques en fait ce sont leurs pratiques domestiques.

Légitimité et universalité
Et pourtant peut-on se limiter à dire que c'est leur seule fonction maternelle qui pousse ces femmes à s'organiser dans des luttes pour obtenir des instances politiques locales et nationales les ressources que cette fonction requiert, peut-on faire de la maternité le fondement ultime d'actions collectives et de transformations individuelles? Certes, si ce sont des mères qui se mettent en mouvement, ce sont des personnes à part entière qui se découvrent des droits, des êtres femmes qui se fondent sur un principe de légitimité et c'est en dernier ressort ce processus d'auto-légitimation construit en dehors de la vision dominante qui opère une brèche, si éphémère soit-elle, dans la logique enfermante et donc répétitive des rapports sociaux. Mères et femmes, elles produisent une double vision de la réalité, une dualité d'un vécu qui échapperait à la pensée binaire, ce support symbolique de la domination. Ici une comparaison va jouer, il me semble, le rôle heuristique propre à ce type de raisonnement. Ce n'est pas seulement parce que la maternité leur offre un territoire dont elles auraient le monopole que ces femmes d'Amérique latine subvertissent la circularité des représentations et des pratiques, mais bien parce qu'elles ont, en luttant publiquement et collectivement, inscrit leur maternité dans de nouvelles conditions définies par elles. Une fois encore la comparaison avec la coordination infirmière montre bien que c'est ce sentiment de légitimité qui a été transformateur, et non le sentiment maternel en lui-même; en effet c'est pour faire reconnaître leurs droits de travailleuses, de salariées à part entière que les infirmières se sont reconnues la légitimité de prendre le pouvoir dans le mouvement et "cet accès au pouvoir a servi à irriguer l'action des femmes elles-mêmes, à permettre l'existence de cette action; du même coup, il leur a permis la sortie du relatif (i.e. se penser par rapport aux hommes) et, par là même, leur accès à l'universel". En introduisant ainsi l'horizon de l'universalité dans la pensée des rapports sociaux de sexe, Danièle Kergoat met en évidence un élément important de la "subversion cognitive", pour reprendre l'expression de Bourdieu.

Il est un deuxième enseignement, du point de vue de l'élaboration d'un savoir stratégique, que l'on peut retirer de l'analyse de ces deux mouvements féminisés: les contradictions ne peuvent pas se vivre dans la lutte sur une forme cumulative mais dissociée. Un constat qui semblerait démontrer l'impossibilité de mener une lutte féministe conjointement à une autre lutte sociale, l'impossibilité de faire vivre ensemble dans une lutte deux rapports sociaux. Si la "coextensivité des rapports sociaux" dont parle Danièle Kergoat (l'un ne pouvant pas être plus vivant que l'autre, et donc l'un ne pouvant pas être subordonné à l'autre), est au niveau de l'analyse une formulation qui a considérablement enrichi cette problématique, au niveau de l'action, il n'est pas d'exemple à ma connaissance où des mouvements ont pu intégrer des pratiques cumulatives (femme et noire, femme et ouvrière, femme et infirmière par exemple). Les femmes des secteurs populaires, comme celles des mouvements noirs ou indiens ne peuvent pas se dissocier des hommes de leur classe ou de leur groupe ethnique dans les luttes globales. Selon Leila Gonzalez, une militante du mouvement noir brésilien qui a critiqué le mouvement féministe d'avoir attendu plusieurs années pour intégrer la question du racisme dans les formes d'oppression des femmes (il est certain que la direction de ce mouvement reste blanche et bourgeoise), le combat contre le racisme est prioritaire et la lutte féministe ne pourra jamais l'écarter de ses frères et compagnons. Une étude de M.T. Vidiani sur les Indiens Zenue en Colombie, met en évidence que les femmes ont constitué des comités de femmes au niveau du village y compris avec, dit-elle, une stratégie de pouvoir interne, donc un "nous les femmes", doivent élaborer un consensus, donc l'élimination de la contradiction homme-femme, "un nous les Indiens" autour de l'absolue nécessité de lutter ensemble, hommes et femmes, contre l'oppression extérieure.

Les infirmières dans leur lutte pour la reconnaissance de leur identité professionnelle, pour la reconnaissance de leurs qualifications, qu'il faut donc rémunérer, pouvaient-elles nommer le groupe social hommes, c'est-à-dire le pouvoir médical masculin de la structure hospitalière, comme leur adversaire, autrement dit d'y intégrer explicitement les rapports sociaux de sexe et donc de devenir aussi un mouvement féministe? Il ne le semble pas.
A un premier niveau, j'expliquais cette impossibilité par la radicalité insoutenable qu'imposerait l'imbrication des luttes. Dans Ce que parler veut dire, il me semble que Bourdieu en donne une explication qui la rend intelligible. Ceci à l'intérieur de son cadre théorique basé sur la di-vision du monde, comme produit de la domination: "Le passage de l'état de groupe pratique à l'état de groupe institué (classe, nation, etc.) suppose la construction du principe de classement capable de produire l'ensemble des propriétés distinctes qui sont caractéristiques de l'ensemble des membres de ce groupe et d'annuler du même coup l'ensemble des propriétés non pertinentes qu'une partie ou la totalité de ses membres possèdent à d'autres titres (par exemple les propriétés de nationalité, d'âge ou de sexe) et qui pourraient servir de base à d'autres constructions. La lutte se trouve donc au principe même de la constitution de la classe"

La IV Conférence Mondiale de la Femme a été préparée en Amérique latine par de nombreuses réunions nationales et régionales. Entre les organisations de femmes populaires et les bilans/enjeux politiques des Etats, entre les stratégies de survie quotidienne menées individuellement et collectivement par des femmes dans les périphéries urbaines et les très sérieuses recommandations décennales élaborées au plus haut niveau, la distance est bien grande. Entre le global et le local se construit une série de logiques qui, s'appuyant sur le niveau inférieur, en détourne plus ou moins totalement le sens en lui imposant celui de son propre discours dominant. Selon une critique d'une membre d'ONG, une structure qui elle-même se superpose au mouvement des femmes, "le ton épuré imposé par le "diagnostic pour l'ONU" dissimule la vitalité et la créativité exprimé par le mouvement des femmes et ne prend pratiquement pas en compte ses propositions [...] l'ONU n'est pas une prolongation du mouvement des femmes, ni une alliée naturelle des femmes mais un centre de pouvoir qui réunit ces mêmes gouvernements qui n'ont pratiquement rien fait pour atteindre l'égalité des sexes".

La CEPAL, dans son rapport à la Conférence régionale préparatoire qui a eu lieu en Argentine en septembre 1994 fait un diagnostic de la situation des femmes latino-américaines dans les années 90. Elle souligne un progrès fondamental, une forte diminution de la fécondité, en fait la plus forte du monde, et une certaine reconnaissance des droits reproductifs des femmes même si les pratiques anticonceptionnelles sont encore insuffisantes. Malgré une plus grande stabilité de l'économie générale, toute relative comme l'a montré la crise mexicaine, les inégalités se sont accentuées pour une grande majorité des femmes, le nombre de femmes chefs de famille a augmenté, les différences de revenus entre les hommes et les femmes se maintiennent très élevées entre 44 et 77% (selon une étude récente portant sur les zones urbaines de 13 pays, ce rapport ne mentionne pas que l'écart entre les femmes se creuse). Malgré l'importance, pour la démocratisation et la gestion économique, des mouvements sociaux organisés par les femmes, ou avec leur participation, les femmes ne sont pas plus présentes dans les gouvernements ou les partis mais, continue le rapport, il faut noter "un acquis important, la légitimation sociale du thème et son inscription dans les programmes des différentes instances de décision". C'est peu!


Quelques références bibliographiques

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VIDIANI, Marie-Thérèse, Femmes indiennes et organisation, Mémoire IHEAL, 1991.


NOTES:

1 "On est arrivé là un jour, je ne sais plus par où on est entré. Nous avons marché et marché. Des pierres partout. J'ai vu personne. Les gens vivaient dans des trous... peu à peu des femmes sont sorties... Les maisons étaient faites de plaques métalliques appuyées contre les rochers. Mon mari a accroché les bâtons que nous avions apportés à un énorme rocher, posé les plaques métalliques et rangé nos affaires et j'ai commencé à faire la cuisine avec des planches, des bâtons, ce que je trouvais..." -Jovita.

2 SUREMAIN, Marie-Dominique de, CARDONA, Lucy & DALMAZZO, Marisol, Las mujeres y la crisis urbana (o la gestión invisible de la vivienda y de los servicios urbanos), Con la col. de C. Trujillo, Bogotá, 1988. (AVP, ENDA-AL, FEDEVIVIENDA), p.48.

3 Voici ces témoignages de femmes: "Pour garder un toit à nos enfants, nous les femmes on est capable de tout... tant que nos enfants n'ont pas de maison, tout peut arriver... il y en a beaucoup qui n'ont pas d'endroit et on les voit dans les rues quel que soit le temps en train de mendier ou de faire de mauvaises choses. Ils n'ont pas de maison sûre car ils louent dans une vecindad et s'ils ne paient pas le loyer, dehors. Nous les femmes on est terrorisées à l'idée que cela nous arrive , nous surtout car les hommes vont travailler et ne font pas attention à ce qui se passe dans la maison" -Huaman. "C'est que les hommes, j'sais pas, moi, ils sont plus lâches, plus tatillons, ils aiment ce qui est légal et ne prennent pas de risque. Y a pas beaucoup d'hommes qui cherchent une maison, qui luttent pour elle; si quelqu'un vient et leur dit: c'est à moi, ils laissent faire, les femmes non; on s'accroche, jusqu'aux pierres avec les dents... pourquoi? parce que nous pensons à nos enfants. Ce sont toujours les femmes qui sortent avec des bâtons pour protéger leurs maisons, les hommes non, même si la maison appartient à la communauté..." -Huaman.

4 "Ici c'est les femmes qui ont lutté, ici c'est les femmes qui se sont organisées les hommes aussi mais la majorité c'était les femmes... Qui organisait des commissions pour l'eau? les femmes, pour qu'on ne nous enlève pas notre lopin? les femmes, pour qu'on nous mette le service d'eau? les femmes et pourquoi? parce que c'est nous qui souffrons... -Jovita.

5 "Ca nous était égal si nos maris se fâchaient ou se disputaient avec nous. Nous, on était en train de trainer une chaîne de misère dans ce pays, nous les gens les plus misérables. Ne pas avoir de maison pose beaucoup de problèmes et les hommes étaient habitués à ce que les femmes soient prêtes à tout perdre, sauf leur mari. Mais voilà, en arrivant ici, tout a changé. On a organisé un groupe de femmes solides, pleines de courage pour défendre nos enfants. Nous avons compris que défendre la famille signifie la liberté... fueron todas la viejas del Campamento que tenemos los ovarios bien puestos!"

6 "Les hommes n'aiment pas que les femmes participent. Il se fâche parce que j'en tiens pas compte. Je reviens de mon travail à 6 heures et je sers son repas parce qu'il n'accepte pas qu'il lui soit servi par quelqu'un d'autre. A 7 heures, je vais dans le quartier aux réunions. Et oui, je me sens surchargée et souvent j'ai envie d'abandonner à cause de tous ces soucis, toutes ces obligations".

7 "Je ne sais pas si on peut dire d'une façon aussi crue que les hommes sont des opportunistes mais vraiment, ils se déchargent complètement sur les femmes. Dans les quelques endroits que je connais, j'ai bien vu que c'est les femmes qui mènent la lutte qu'elles l'ont commencée, qu'elles la continuent. Vraiment les hommes sont des irresponsables..." -Jovita.

8 "Nous avons aussi appris à reconnaître quels étaient nos droits par rapports à nos maris; au début, mon mari m'empêchait d'y aller... J'ai lutté contre cela... car participer est un droit des femmes. Pour moi, participer à la cantine m'a apporté la liberté, la possibilité de partager avec d'autres pesonnes et apprendre beaucoup de choses". "Nous avons appris à nous valoriser à partir de la croissance des cantines et des comités (Verre de lait)... parce que chaque jour nous voyons que notre travail pour l'alimentation est efficace, nous avons un triomphe quotidien, qui se voit tous les jours". "Ma participation dans le travail des cantines m'a enlevé l'angoisse comme mère parce que j'ai maintenant de quoi donner à manger à mes enfants, comme femme aussi, cela m'apporte car j'ai du temps pour penser à moi, pour me développer". "Nacimos mujeres, vivimos mujeres, morimos mujeres, y no lo sabemos". Ces mots sont d'une militante d'une organisation de quartier dans une petite ville de Colombie, interviewée lors d'une rencontre à Cali. Voici ce qu'elle dit encore: "Quand les partis politiques utilisent les femmes pour faire la cuisine lors des grèves, ce n'est pas être une femme. Quand on trouve normal que les homme rentrent à 3 h du matin, dépensent l'argent (y compris celui gagné par les femmes) à boire, à avoir des femmes, ce n'est pas être une femme. Nous nous sentons toujours coupables de ne pas respecter l'ordre".


12.05.1998 / 15.05.1998
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GROUPE REGARDS CRITIQUES Université de Lausanne
Hélène LE DOARE
Genre et mouvement populaire en Amérique latine. Une lecture "occidentale"
Hélène LE DOARE
Ingénieure d'étude au Centre de Recherche et de Documentations sur l'Amérique latine (CREDAL/CNRS) à Paris (France)

Le lien d'origine http://www.unil.ch/GRC/docs/ain/aml/ledoare.html