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Origine : http://monde-libertaire.info/article.php3?id_article=1032
Au Moyen Âge, on considérait les pauvres comme les
enfants de Dieu, comme l’image terrestre du Sauveur souffrant...
Leur cécité, leurs membres estropiés, leurs
plaies sanglantes, leurs taudis inconfortables, leur pain sec et
insuffisant, leurs manteaux déchirés, leurs bandages
putrides, leurs haillons dégoûtants, leurs bâtons
et leurs béquilles... étaient les trophées
de leur patience chrétienne, docteurs pour les riches, chirurgiens
pour les avares, cautères pour la santé, escaliers
du ciel, gardiens des grâces divines, concierges du paradis,
philosophes des évangiles, sangsues bienfaisantes... Même
si d’aucuns considéraient la pauvreté comme
« un mal détestable, par la faim, la soif, le froid
», et multipliaient les actions pour tenter d’y remédier.
L’augmentation brutale de la population au XVIIe provoqua
un accroissement rapide du nombre des indigents... et un retournement
du discours : les pauvres devenaient alors des déclassés,
des hors-la-loi, des criminels, des gens qui avaient décidé
de profiter des bonnes grâces de la société
pour mener une existence oisive et trompeuse. La tolérance
traditionnelle envers les mendiants fut gâtée par la
crainte du vagabond, cet être qui n’avait pas de place
fixe sur terre et dans la société, qui préférait
ne pas travailler et se prétendait infirme, malade, estropié
pour susciter la compassion des passants.
On les jugeait par conséquent capables de tous les crimes,
comme hérétiques, rebelles, faussaires, contrefacteurs,
ravisseurs d’enfants, voleurs... « même les dieux
n’aiment pas les pauvres ». Étant donné
que leur présence dans l’enceinte des villes était
considérée comme dangereuse, on construisit des asiles
et des hospices dans le but précis de les maintenir à
l’écart de la société convenable.
Ce sont pourtant ces « miséreux libertins »
qui nourrirent la commédia del arte. Ceux qui se trouvaient
exclus cherchaient dans les interstices autorisés par les
structures sociales des lieux où affirmer leur commune humanité.
Dans des festivités, carnavals, mystères et masques,
les pauvres, les malades, les faibles d’esprit, les gens privés
de leurs droits à cause de leur sexe ou de leur foi trouvaient
des rôles à jouer et des rituels à respecter
qui leur reconnaissaient une présence et une voix... Ils
y participaient avec toute leur brutalité, leur sexualité
et leur rébellion apparentes.
Afin de contenir le déferlement des défavorisés,
on vit apparaître des refuges et des hôpitaux dont l’intention
première se résumait en trois mots : Économie,
Ordre et Méthode. Ramassés dans les rues, les pauvres
étaient amenés en grande pompe aux logements érigés
à leur intention... Là, commençait pour eux
une vie de servitude dans ce qui équivalait à une
prison d’État. La pauvreté résultait,
disait-on, des espérances déplacées des pauvres
en la pitié publique... Si l’on pouvait abattre ces
illusions de paresse récompensée, les enfermer, les
transformer en labeur utile, alors les pauvres ne seraient plus
pauvres...
Toutefois, Thomas d’Aquin enseignait que compassion sans
action n’est pas miséricorde : il faut agir. On vit
alors fleurir de nombreuses institutions charitables pour assister
les prisonniers, enterrer les morts laissés dans la rue,
aider les captifs et les esclaves chez les païens, voire les
pauvres non-méritants ...
Ces textes, à peine modifiés, sont tirés d’un
remarquable livre d’Alberto Manguel, Le Livre d’images,
Acte Sud, 2001. Comme celui-ci : « Pouvons-nous nous scandaliser
de ces tentatives anciennes de débarrasser la ville des pauvres
? Aujourd’hui au Canada, par exemple, des membres de la Royal
Mounted Police de Saskatoon ont été chargés
de ramasser dans les rues les indigènes nécessiteux
et de les conduire hors des limites de la ville où, dans
des températures glaciales, on les laisse se débrouiller
».
Ils font écho à la lettre écrite par deux
SDF et publiée dans Charlie Hebdo (début avril 2002),
après qu’ils aient été, comme bien d’autres
en ces périodes de tourisme de masse, chassés d’une
ville bien française... Et à ces bruits tenaces sur
les RMIstes, allocataires, sauvageons et autres...
Philippe Garnier
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