"Nouveau millénaire, Défis libertaires"
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Devenir libertaire....
Philippe Garnier


Difficile question... mais peut-être faut-il commencer par différencier les choses pour y voir plus clair. Par exemple, mûrir en tant que sujet (1) à une conception libertaire de la vie et du monde, c'est autre chose que prendre la décision d'un engagement politique, - engagement qui conduit inévitablement à un affrontement avec « l'institution » (2) ... : on a affaire à des temps, et à des champs, hétérogènes, et à des lieux du sujet qu'il ne faudrait pas confondre. Parler " en son nom " n'est pas la même chose que parler " au nom de " ceci ou cela ( - même si dans les deux cas on a affaire à la problématique du " nom "....

Le premier temps a consisté, pour moi, en une psychanalyse. Dès lors que celle-ci a pu opérer, après bien des tours et des détours... , plus rien ne pouvait être comme avant : des lézardes, puis des ruptures - familiales, amicales, professionnelles, sociales,... - faisaient qu'il m'était impossible de continuer à vivre de la même façon.
Certes, cette rupture avait commencé en d'autres lieux, en d'autres temps : lors des rencontres avec le " réel " - qu'il s'agisse de la mort (les autopsies de ses propres malades à 20 ans, ça marque... ), du sexe, ou de la détresse, de l'abandon, de la misère, découverts ici et là dans le fil de la vie, ou encore de l'horreur des images des camps montrées dans les "actualités" en 1945, lorsque j'étais tout gamin,... - comme dans l'histoire du petit Bouddha (3),.. La question du mal, au-delà des réponses de la religion de l'époque, commençait à me hanter : elle est toujours là....

.... Mais aussi lors du surgissement de possibles insoupçonnés dans des rencontres avec d'autres - des femmes, le plus souvent... - , ou lors de la découverte des possibilités inventives de l'homme - art ou science... Cette dynamique, cette potentialité spécifiquement humaine, m'a toujours passionné, et, j'espère,... elle me porte encore. Elle est, je crois, au coeur même des idéaux libertaires.

Mais dans toutes ces circonstances, il y a eu rencontre/rupture/changement, il y a un temps de "décohérence" - marque du réel - , un avant, une vacillation du "sujet", et un après, si possible un acte ; ce que j'appelle un temps poétique - et poiétique. Ces temps-là, même s'ils ne font que ponctuer l'existence, sont "la vraie vie" - ils font éprouver une forme de liberté, ils spécifient l'humanité de l'être humain. Ce sont eux que vise une psychanalyse, du moins telle que je la conçois, ils sont d'ailleurs la cheville ouvrière de l'acte analytique..

Ces ruptures, intrapsychiques, toujours violentes même si on ne les découvre que dans l'après-coup, sont explosives et elles pourraient être aussi destructrices que le vin nouveau mis dans de vieilles outres.. - D'ailleurs, dans les analyses (mais aussi dans la vie), certains ne s'en remettent pas (4), d'autres n'en veulent rien savoir, - d'autres encore s'empressent de les panser par le dogmatisme ou par les jeux du pouvoir; il existe, par exemple, d'excellents fonctionnaires de la psychanalyse, bien hiérarchisés, mais, au même titre que les théologiens de quelque parti que ce soit, il ne faut pas se hâter de les critiquer : après tout, ils permettent à celle- ci de durer et de produire une marge créative... Certes, ils peuvent aussi l'étouffer...Vieux dilemne entre les théologiens et les mystiques, entre les tenants de l'académique et les poètes ! (5) On peut risquer qu'il n'y a pas l'un sans l'autre, et qu'en tout un chacun, il y a peut-être l'un et l'autre : pour moi, être libertaire, c'est bien sur privilégier le potentiel créatif, le poète, le "poiêtre", si j'ose dire, par rapport au parlêtre proposé par Lacan.. On retrouve là, bien-sur, l'opposition et la complémentarité des deux versants du "nom"..

Dans ce temps fugitif, insaisissable, de vacillation, de dé-route, de dé-rail, temps de "passe" (6) qui peut se refermer très vite à tout jamais.. , il n'y a plus de repères sinon la découverte (ou les retrouvailles) d'une petite flamme inventive, d'une "petite note bleue" (7) , jusque là prise dans une gangue .. - Ce temps est, pour moi, je le répète, profondément "libertaire" (8).Et une psychanalyse est, en ce sens et - au-delà de son aspect thérapeutique, une démarche libertaire : le roi s'y découvre nu - d'aucuns s'empresseront de le rhabiller...

Ce lieu d'invention "en liberté" est quasiment informulable - J. Oury l'appelle le lieu "pré" en s'inspirant de F. Ponge, on peut tenter de lui trouver des proximités avec la métaphore fondamentale, la fiction fondatrice, le lieu de renonciation, le formuler comme le passage du zéro au un, du rien à quelque chose, .. mais il n'a pas encore trouvé son écriture dans une logique.

Ce lieu, où s'origine la liberté du libertaire (même de celui qui s'ignore ), la différencie radicalement de la liberté comme idéal, voire comme absolu : elle est nouée à d'autres instances qui la bordent et la soutiennent, elle est la conséquence d'un processus ; "je", potentiel jusque la, y est pris dans une nécessité, celle de s'éveiller, de dire, de faire, de produire, de donner forme à ce qui pousse et veut advenir, - "je" advient dans ce mouvement même : il est "poiésis", invention poétique au sens large du terme, il n'a aucune consistance, il n'a pas d'unité, pas de surface continue,.. mais, universel, il est ce qui fonde l'humanité de l'humain, au-delà du temps, - il est aussi ce contre quoi on se défend sans cesse, ce contre quoi luttent toutes les institutions... qui pourtant, paradoxalement, lui donnent ses assises. Cette liberté là, liée au temps de renonciation même (l'énoncé est déjà figé.. ), ne se décrète pas, ne s'institue pas, - pour la tuer, il faut tuer le sujet lui même. Elle faisait dire à Jean de la Croix qu'il était plus libre en prison que ses geôliers et ses inquisiteurs..

Mais c'est alors qu'il faut s'affronter à d'autres difficultés, et non des moindres.. La liberté fait peur (9), quand elle ne déclenche pas la haine - comme si tout un chacun, interpellé d'une façon ou d'une autre, s'en voulait de sa démission, de son refus, de son "je n'en veux rien savoir", quitte à dévoyer la possible liberté dans la toute puissance, la servitude volontaire, la perversion - la canaillerie, disait Lacan. Combat incessant, jamais achevé, encore plus vif et dramatique chez ceux qui ont été effleurés par l'aile de la liberté, voire chez ceux qui se camouflent au plus près de la liberté sans franchir le pas... (10) On peut certes s'en accommoder, et, pour moi, tous les prétextes ont été bons ! .. le travail, la recherche, la famille, la musique, l'amour,... sont des champs possibles pour que se déploient ces temps poétiques, mais il fut un temps où la question de l'engagement politique s'est, pour moi, posée comme une nécessité : les idées de liberté, de justice, de solidarité corrodaient les défenses, d'autant plus que, par chance, j'ai eu affaire à des analysants qui me mettaient dans l'impossibilité d'éviter ces questions. Et les événements, l'histoire, interpellaient ce je, violemment... Bref, comment passer du solitaire (ou de la rupture évoquée plus haut, toujours individuelle : il n'y a pas d'énonciation collective), au solidaire ? Démarche qui n'est pas sans risques : aussi bien celui de l'étouffement, ou du détournement du je , que celui de l'exclusion par une institution qui ne tolère aucune question et (sur)vit d'un terrorisme intellectuel plus ou moins masqué. Quelle modalité nouvelle de lien peut advenir entre des personnes qui parlent en leur nom, comment peuvent se relier ces je ? Je pensais trouver un écho à cette question dans les milieux libertaires après avoir éprouvé quelques déceptions chez les analystes...

Mais pendant des années, c'est vers divers courants écologiques que je me suis dirigé : je pensais que c'était là un lieu de dissidence, de contestation, et de construction d'un monde différent - un lieu plus créatif, moins engoncé dans les appareils - malgré des divergences profondes, ne serait- ce que sur l'idée de nature et d'écologie - ma façon de penser les choses, relativement scientifique, s’accommodait mal des dérives pataphysiques...et la nature, souvent maternisée, y prête trop souvent son flanc généreux à bien des attitudes sectaires.. Malgré un intérêt toujours vif pour la question écologique (je pense possible une action politique en "noir et vert".. ), je n'ai jamais pu vraiment "accrocher" au mouvement.

Certes je connaissais depuis mon adolescence le mouvement libertaire et les grands textes fondateurs, mais il m'a fallu les redécouvrir - et ce, après une (trop) longue période d'extinction de la pensée critique sous l'effet dogmatique de l'enseignement de la psychanalyse (effet dont j'excepte Lacan qui transmettait aussi bien sa "petite flamme.. ), sous l'effet aussi du jeu institutionnel forcené dans les milieux analytiques (11). Je pensais naïvement, par exemple, que les analystes avaient suffisamment approché la question du pouvoir pour le relativiser et n'en pas en faire un enjeu majeur, qu'une association "pour l'analyse" et pas "pour certains analystes", cela pouvait se concevoir, que les (petits) Maîtres es psychanalyse ne transformeraient pas leurs analysants en militants d'une cause, qu'un autre type de lien pouvait se concevoir entre personnes passées par les arcanes de l'analyse (12)... : je n'avais pas compris certaines choses, aussi bien du coté de l'analyse que du politique ! Comment guérir de cette extinction de voix, de cette fascination pour des maîtres, de cette auto-hypnose, de ce suicide du je ?.. comment redonner vie à la petite flamme inventive et libertaire éveillée par l'analyse et endormie par ses dogmes ? Comment ne plus lire les textes, non pas des fondateurs mais des inventeurs de l'analyse, comme des textes religieux, dogmatiques, et retrouver ce qui animait les premiers analystes - ou Lacan ? Est-ce pour ces raisons que tant d'analystes s'adonnent aux arts, à la danse, au théâtre - parce qu'une certaine façon de pratiquer l'analyse ne permet pas à l'inventivité de se déployer ? Est-ce pour ces raisons que tant d'analystes dérivent dans des pratiques qui semblent privilégier le corps - alors qu'il n'est jamais autant concerné que dans certains temps d'analyse, au risque d'en mourir, au risque du désir et de la jouissance ? Très anciennes questions, certes, dont on retrouve les traces dans les grandes religions, dans les textes bouddhiques (13), .. Par exemple, l'articulation entre la "foi" (d'un sujet) et le "dogme" (d'une église) n'a cessé d'agiter le monde chrétien. Et cela rejoignait mes propres questions quant à mes rapports avec l'institution (le sujet lié au désir, puis au sinthôme, par rapport au sujet "institué" ou au "moi").C'est, je le rappelais, une très vieille question : J.P. Vernant a mis en évidence, à partir des textes Grecs et de St Augustin, les linéaments de la construction du je par rapport au moi. G. Swain a écrit, dans Dialogue avec l'insensé (14), l'histoire et la construction - j'insiste sur cette notion qui montre sa relativité - du sujet moderne, divisé. Et P. Legendre a, tout au long de ses livres, précisé le montage juridique de l'institution qui détermine des places, des fonctions, des sujets, et suppose une "référence absolue" : je le répète, l'articulation du je singulier, lié au désir, et du sujet construit par l'institution - le tout lié au langage humain - est une question fondamentale, ancienne, mais sans cesse à reprendre pour son propre compte.. : l'enjeu libertaire est en grande partie là. Le sujet assujetti à l'institution est tributaire ce celle-ci pour ce qui concerne la reproduction de la vie : différenciation et interdit de l'inceste, permutation des places dans la généalogie, et même assises narcissiques, par exemple.. d'où sa puissance et ses enjeux de pouvoir.

Le je - on emploie le même mot : sujet, et il est asservi au langage qui pourtant le fonde - est actuellement donné comme un universel, son émergence est sans doute liée au mouvement qui a provoqué les Lumières, la Révolution, la Science, . et, plus tard, la psychanalyse. Mais ce je ne saurait advenir sans l'existence du sujet institué et il le subvertit - un peu comme le désir par rapport au narcissisme (15) : s'il ne s'est pas construit un narcissisme de fond, le désir ne peut advenir, la clinique en témoigne à longueur de cure - et, inversement, la prévalence du narcissisme fait le jeu de l'institution. L'image de cette problématique serait peut-être la bande de Moebius...

Ne retrouve-t-on pas ces tensions dans l'écart entre les conceptions de Stirner et celles de Proudhon, par exemple ? A « l'exhérédation sociale" du prolétariat répond l'individualisme forcené..

Un autre fil est lié à ma formation de base : la médecine. On n'aborde pas la psychanalyse du même point selon qu'on est, d'abord, philosophe, psychologue, théologien ou médecin, même s'il existe une "clinique" psychanalytique spécifique - né serait- ce que parce qu'on est pas amené à rencontrer les mêmes analysants.. Les questions ne sont pas les mêmes selon qu'on a affaire à des "psys" futurs analystes, à des érémistes ou à des enfants maltraités de l'Aide Sociale.. Le psychiatre est en première ligne : il peut ne rien vouloir entendre, ne rien vouloir penser, refuser de s'engager - "les incestes réels, ce n'est pas pour nous", disait récemment l'un d'eux - , mais il est impliqué en direct. J'ai eu cette chance d'avoir affaire à une clinique difficile, aux marges de la psychanalyse : là où on peut se poser des questions sans avoir des réponses à l'avance, là où achoppe la théorie classique, là où il devient nécessaire d'en interroger les concepts de base pour aller de l'avant. Sinon, on tourne en rond ou on fait de la théologie analytique..

J'ai parlé d'engagement.. : un jour, sans trop savoir pourquoi, on ne "cède pas sur son désir", comme disait Lacan, on persiste, et les conséquences en sont imprévisibles, incalculables, sans aucune garantie.. Il ne s'agit pas d'un grand moment, mais d'un petit décalage dans sa position de sujet. Avec un peu de recul, je peux situer quelques temps de ma vie où il y a eu un ensemble, un petit réseau de décalages, sans grande importance sur le moment - mais, en fait, des changements subjectifs importants se faisaient de cette façon là, sans qu'on puisse vraiment discerner ce qui était lié aux circonstances ou à ce changement subjectif.

Dans la partie, il y a le tout, rappelait M. Benasayag (16) : on ne peut savoir les conséquences de son acte, on ne sait ni trop d'où "ça" vous vient ni trop ce qu'on fait, mais c'est cela qu'on fait dans une nécessité qui renvoie à un tout ; ce tout n'est surtout pas unifiant, ni idéologique, il renvoie plutôt aux théories fractales, mais à la fois il sous- tend les actes et en est un effet.. Comme le sujet. Ce qui renvoie à la notion d'éthique - mais au sens que Badiou donne à cette notion si galvaudée en ces temps de retour à l'ordre moral.. (17), ".. il n'y a que l'éthique des processus de vérité, du labeur qui fait advenir en ce monde quelques vérités.. L'éthique n'existe pas. Il n'y a que l'éthique - de (de la politique, de l'amour, de la science, de l'art)".

C'est en ce sens aussi que j'ai pu parler de l'éthique de l'anarchie - qui permet, par exemple, de ne pas la confondre avec l'adolescence attardée.. , qui conduit à ne pas faire un absolu de la liberté car celle-ci doit être nouée à la justice et à la solidarité, etc.. J'y reviendrai un jour, car c'est pour moi une question de fond.

Je pourrais dire les choses autrement : ces décalages de certains actes, certaines prises de position subjectives, les circonstances où l'on peut croire qu'il est possible de dire oui ou non, de prendre tel ou tel chemin alors que "ça" s'impose d'on ne sait où, les moments de vérité, .. font une constellation qui, dans l'après-coup, permettent de se poser la question : est-ce que tout cela ne m'inscrirait pas dans le courant libertaire, est- ce que je ne m'y retrouve pas dans ce qu'on dit ou écrit Proudhon, Bakounine et bien d'autres ? dans une conception de l'être humain - homme et femme- , de sa créativité, de ses liens aux autres, d'une façon de vivre la vie (18),.. ? c'est tout le contraire de l'application d'une idéologie, d'une théorie, d'une terrorie quelconque, qui a pu séduire au prix de se renier, de s'asservir, de s'interdire de penser, de se détruire en tant que su jet. A. Spire ne dit rien (19) de ce qui l'a fait changer mais c'est peut être, pour tout un chacun, la découverte d'une discordance entre une théologie mortifère qui s'impose, quelle qu'en soit la forme, et quelques uns de ses propres actes où, au lieu d'être reconnu par d'autres, on "se" reconnaît dans l'étrangeté, la surprise, la rupture. Ça vous tombe dessus, et c'est "la vraie vie" - à l'opposé de l'intersubjectivité, de la communication, et autres balivernes propres à endormir...
Se réclamer du "libertaire", c'est cela, je crois : s'essayer à la vraie vie au paroxysme de l'humanité de l'homme. Il est paradoxal qu'on retrouve la même question, la même intensité, dans de trop rares moments d'une psychanalyse..

Texte écrit en 1997


Notes :

1 "Dans tous les cas, la subjectivation est immortelle, et fait l'Homme", dit Alain Badiou (L'Ethique, Hatier, 1994, 29 FF, p l4), puis :"0r l'Homme comme immortel, se soutient de l'incalculable, et de l'impossédé. Il se soutient du non-étant. Prétendre lui interdire de se représenter le Bien, d'y ordonner ses pouvoirs collectifs, de travailler à l'avènement de possibles insoupçonnés, de penser ce qui peut être, en rupture radicale avec ce qui est, c'est lui interdire, tout simplement, l'humanité elle même"(p 16).

2 Au sens précisé par P. Legendre. A citer, parmi ses livres, "Jouir du pouvoir", "L'inestimable objet de la transmission", "La passion d'être un autre", "L'amour du censeur", qui précisent bien les enjeux.

3 Très jeune, il s'échappe du palais de son père, et il découvre coup sur coup la mort, la misère et la maladie qu'on lui avait toujours cachées ; il s'ensuit une "rupture" au sens que j'évoquais.

4 Qu'on se rappelle le très lourd tribut payé à la folie par ceux qui se vouent à l'art ou à la recherche, en physique par exemple. Il ne faut pas oublier que l'engagement libertaire peut faire côtoyer les mêmes eaux..

5 Rupture qui peut éviter les identifications parfois structurantes, comme l'on dit, mais souvent mortifères.. (on peut être communiste, musulman ou protestant - mais aussi anarchiste.. ou psychanalyste ! - par identification ou par effet d'institution dont on devient le fonctionnaire, à l'opposé du "je").

6 Ce temps de "passe", selon l'expression de Lacan qui en a tenté la formalisation, est la clef de voûte de ce qui fait un psychanalyste.

7 Selon l'expression de Chopin qui ne pouvait improviser sans l'avoir laissée venir de façon imprévisible, incalculable.

8 .. que l'écrirais volontiers libertère, pour éviter le "taire la liberté" et induire l'ère de la liberté - sans oublier la possible erre... On ne dit pas libertiste, comme communiste, socialiste.

9 c.f. E.Fromm, "La peur de la liberté".

10 Antoine Spire, dans "Après les grands soirs : intellectuels et artistes face au politique". Autrement n° 15 /166, 1996, le dit fort bien, dans un article à méditer.. : « Toute la question est de savoir de quelle liberté dispose l'individu par rapport à ses références. Qui est je quand je parle ? Sous cette question perce la redéfinition d'un sujet non pas solitaire, indépendant de toute pression pour s'exprimer, mais lié d'une autre façon au groupe. Pour se libérer du terrorisme intellectuel, sans doute faut-il repenser le mode d'adhésion du je au collectif. Pas de - je sans lien à des groupes, pas de - je solitaire. Comment donner cohérence à la diversité des groupes auxquels on adhère ? ». (C'est moi qui souligne)

11 D'Antoine Spire, encore (op. cit), p 8 : « Pas de couac dans l'unanimité admirative qui nous serrait autour du caïman de philosophie de la rue d'Ulm. Plus d'une fois, j'ai pensé que cette pensée théoriciste conduisait à l'impasse, mais je n'ai pas osé m'en ouvrir à qui que ce soit. Jamais je n'ai pris le risque de parler tout seul contre le groupe... En gardant le silence sur ce culte, je ne risquais pas de subir le mépris ouvert de ceux avec qui j'avais communié dans la théorie toute puissante... Ce qui caractérise cette forme de terreur insidieuse, c'est sans doute l'adhésion de la victime au processus. Volonté de se soumettre au pouvoir qui vous terrorise... Si cette famille d'adoption vous rejetait, ce serait le drame, la séparation d'avec le groupe qui vous donne chaleur et force. D'où l'effet de stupeur, le silence de celui qui prend conscience d'un désaccord profond avec le groupe mais en censure toute expression ». Il suffirait de changer quelques références pour que ces remarques s'appliquent au milieu psychanalytique - dont j'excepte Lacan, qui, en même temps qu'il jouait au Maître, mettait en place des procédures qui ne pouvaient que le destituer de cette place et permettre à la psychanalyse de poursuivre ses avancées. Ces procédures (cartels et passe) ont du mal à survivre aux pressions et aux détournements - de bonne foi, et en son nom ! - et la psychanalyse se meurt de dogmatisme.

12 .. ce fut aussi l'espoir de Lacan qui avait un moment cru qu'un autre type de liens pouvait s'inventer entre "Analystes de l'Ecole", ceux qui avaient performé dans la passe : il a du déchanter, ce fut pire qu'ailleurs.. et, en 1997, on n'en est pas encore sorti.

13 Un maître zen (il ne faut pas se méprendre sur le sens de ce mot : ici, il est à l'opposé de ce qu'on appelle les petits-maîtres.. ), après avoir reconnu un nouveau maître parmi ses élèves en lui transmettant le bâton symbolique, lui dit de partir d'urgence et de fonder une communauté ailleurs, parce que "les autres vont te tuer".

14 NRF- Gallimard, 1994.Remarquable livre, même s'il choque les foucaldiens..

15 "Le soi n'existe pas sans référence extérieure, la relation précède l'élément isolé", dit T.Todorov (Esprit l096, p 206).

16 Entretien avec A.Spire, op.cit., p 285.

17 L'éthique, essai sur la conscience du mal, Alain Badiou, Hatier, 1994, p 28.

18 En langage plus technique, on dirait que la fonction paternelle n'est plus abandonnée au social ou réduite à l'institution. Après tout, Freud a fondé l'analyse sur un mythe : le meurtre du père, celui de la religion, du clan.. Je ne pense pas qu'on devienne libertaire par un effet politique, par un effet de groupe : il y faut d'abord une révolution interne (pour quelque raison que ce soit : ce peut être parce qu'on souffre dans sa tête ou son corps) et une rencontre au sens que j'ai précisé.

19 op cit.