Difficile question... mais peut-être faut-il commencer par différencier
les choses pour y voir plus clair. Par exemple, mûrir en tant
que sujet (1) à une conception libertaire de la vie et du monde,
c'est autre chose que prendre la décision d'un engagement politique,
- engagement qui conduit inévitablement à un affrontement
avec « l'institution » (2) ... : on a affaire à des
temps, et à des champs, hétérogènes, et
à des lieux du sujet qu'il ne faudrait pas confondre. Parler
" en son nom " n'est pas la même chose que parler "
au nom de " ceci ou cela ( - même si dans les deux cas on
a affaire à la problématique du " nom "....
Le premier temps a consisté, pour moi, en une psychanalyse. Dès
lors que celle-ci a pu opérer, après bien des tours et
des détours... , plus rien ne pouvait être comme avant
: des lézardes, puis des ruptures - familiales, amicales, professionnelles,
sociales,... - faisaient qu'il m'était impossible de continuer
à vivre de la même façon.
Certes, cette rupture avait commencé en d'autres lieux, en d'autres
temps : lors des rencontres avec le " réel " - qu'il
s'agisse de la mort (les autopsies de ses propres malades à 20
ans, ça marque... ), du sexe, ou de la détresse, de l'abandon,
de la misère, découverts ici et là dans le fil
de la vie, ou encore de l'horreur des images des camps montrées
dans les "actualités" en 1945, lorsque j'étais
tout gamin,... - comme dans l'histoire du petit Bouddha (3),.. La question
du mal, au-delà des réponses de la religion de l'époque,
commençait à me hanter : elle est toujours là....
.... Mais aussi lors du surgissement de possibles insoupçonnés
dans des rencontres avec d'autres - des femmes, le plus souvent... -
, ou lors de la découverte des possibilités inventives
de l'homme - art ou science... Cette dynamique, cette potentialité
spécifiquement humaine, m'a toujours passionné, et, j'espère,...
elle me porte encore. Elle est, je crois, au coeur même des idéaux
libertaires.
Mais dans toutes ces circonstances, il y a eu rencontre/rupture/changement,
il y a un temps de "décohérence" - marque du
réel - , un avant, une vacillation du "sujet", et un
après, si possible un acte ; ce que j'appelle un temps poétique
- et poiétique. Ces temps-là, même s'ils ne font
que ponctuer l'existence, sont "la vraie vie" - ils font éprouver
une forme de liberté, ils spécifient l'humanité
de l'être humain. Ce sont eux que vise une psychanalyse, du moins
telle que je la conçois, ils sont d'ailleurs la cheville ouvrière
de l'acte analytique..
Ces ruptures, intrapsychiques, toujours violentes même si on ne
les découvre que dans l'après-coup, sont explosives et
elles pourraient être aussi destructrices que le vin nouveau mis
dans de vieilles outres.. - D'ailleurs, dans les analyses (mais aussi
dans la vie), certains ne s'en remettent pas (4), d'autres n'en veulent
rien savoir, - d'autres encore s'empressent de les panser par le dogmatisme
ou par les jeux du pouvoir; il existe, par exemple, d'excellents fonctionnaires
de la psychanalyse, bien hiérarchisés, mais, au même
titre que les théologiens de quelque parti que ce soit, il ne
faut pas se hâter de les critiquer : après tout, ils permettent
à celle- ci de durer et de produire une marge créative...
Certes, ils peuvent aussi l'étouffer...Vieux dilemne entre les
théologiens et les mystiques, entre les tenants de l'académique
et les poètes ! (5) On peut risquer qu'il n'y a pas l'un sans
l'autre, et qu'en tout un chacun, il y a peut-être l'un et l'autre
: pour moi, être libertaire, c'est bien sur privilégier
le potentiel créatif, le poète, le "poiêtre",
si j'ose dire, par rapport au parlêtre proposé par Lacan..
On retrouve là, bien-sur, l'opposition et la complémentarité
des deux versants du "nom"..
Dans ce temps fugitif, insaisissable, de vacillation, de dé-route,
de dé-rail, temps de "passe" (6) qui peut se refermer
très vite à tout jamais.. , il n'y a plus de repères
sinon la découverte (ou les retrouvailles) d'une petite flamme
inventive, d'une "petite note bleue" (7) , jusque là
prise dans une gangue .. - Ce temps est, pour moi, je le répète,
profondément "libertaire" (8).Et une psychanalyse est,
en ce sens et - au-delà de son aspect thérapeutique, une
démarche libertaire : le roi s'y découvre nu - d'aucuns
s'empresseront de le rhabiller...
Ce lieu d'invention "en liberté" est quasiment informulable
- J. Oury l'appelle le lieu "pré" en s'inspirant de
F. Ponge, on peut tenter de lui trouver des proximités avec la
métaphore fondamentale, la fiction fondatrice, le lieu de renonciation,
le formuler comme le passage du zéro au un, du rien à
quelque chose, .. mais il n'a pas encore trouvé son écriture
dans une logique.
Ce lieu, où s'origine la liberté du libertaire (même
de celui qui s'ignore ), la différencie radicalement de la liberté
comme idéal, voire comme absolu : elle est nouée à
d'autres instances qui la bordent et la soutiennent, elle est la conséquence
d'un processus ; "je", potentiel jusque la, y est pris dans
une nécessité, celle de s'éveiller, de dire, de
faire, de produire, de donner forme à ce qui pousse et veut advenir,
- "je" advient dans ce mouvement même : il est "poiésis",
invention poétique au sens large du terme, il n'a aucune consistance,
il n'a pas d'unité, pas de surface continue,.. mais, universel,
il est ce qui fonde l'humanité de l'humain, au-delà du
temps, - il est aussi ce contre quoi on se défend sans cesse,
ce contre quoi luttent toutes les institutions... qui pourtant, paradoxalement,
lui donnent ses assises. Cette liberté là, liée
au temps de renonciation même (l'énoncé est déjà
figé.. ), ne se décrète pas, ne s'institue pas,
- pour la tuer, il faut tuer le sujet lui même. Elle faisait dire
à Jean de la Croix qu'il était plus libre en prison que
ses geôliers et ses inquisiteurs..
Mais c'est alors qu'il faut s'affronter à d'autres difficultés,
et non des moindres.. La liberté fait peur (9), quand elle ne
déclenche pas la haine - comme si tout un chacun, interpellé
d'une façon ou d'une autre, s'en voulait de sa démission,
de son refus, de son "je n'en veux rien savoir", quitte à
dévoyer la possible liberté dans la toute puissance, la
servitude volontaire, la perversion - la canaillerie, disait Lacan.
Combat incessant, jamais achevé, encore plus vif et dramatique
chez ceux qui ont été effleurés par l'aile de la
liberté, voire chez ceux qui se camouflent au plus près
de la liberté sans franchir le pas... (10) On peut certes s'en
accommoder, et, pour moi, tous les prétextes ont été
bons ! .. le travail, la recherche, la famille, la musique, l'amour,...
sont des champs possibles pour que se déploient ces temps poétiques,
mais il fut un temps où la question de l'engagement politique
s'est, pour moi, posée comme une nécessité : les
idées de liberté, de justice, de solidarité corrodaient
les défenses, d'autant plus que, par chance, j'ai eu affaire
à des analysants qui me mettaient dans l'impossibilité
d'éviter ces questions. Et les événements, l'histoire,
interpellaient ce je, violemment... Bref, comment passer du solitaire
(ou de la rupture évoquée plus haut, toujours individuelle
: il n'y a pas d'énonciation collective), au solidaire ? Démarche
qui n'est pas sans risques : aussi bien celui de l'étouffement,
ou du détournement du je , que celui de l'exclusion par
une institution qui ne tolère aucune question et (sur)vit d'un
terrorisme intellectuel plus ou moins masqué. Quelle modalité
nouvelle de lien peut advenir entre des personnes qui parlent en leur
nom, comment peuvent se relier ces je ? Je pensais trouver un
écho à cette question dans les milieux libertaires après
avoir éprouvé quelques déceptions chez les analystes...
Mais pendant des années, c'est vers divers courants écologiques
que je me suis dirigé : je pensais que c'était là
un lieu de dissidence, de contestation, et de construction d'un monde
différent - un lieu plus créatif, moins engoncé
dans les appareils - malgré des divergences profondes, ne serait-
ce que sur l'idée de nature et d'écologie - ma façon
de penser les choses, relativement scientifique, s’accommodait
mal des dérives pataphysiques...et la nature, souvent maternisée,
y prête trop souvent son flanc généreux à
bien des attitudes sectaires.. Malgré un intérêt
toujours vif pour la question écologique (je pense possible une
action politique en "noir et vert".. ), je n'ai jamais pu
vraiment "accrocher" au mouvement.
Certes je connaissais depuis mon adolescence le mouvement libertaire
et les grands textes fondateurs, mais il m'a fallu les redécouvrir
- et ce, après une (trop) longue période d'extinction
de la pensée critique sous l'effet dogmatique de l'enseignement
de la psychanalyse (effet dont j'excepte Lacan qui transmettait aussi
bien sa "petite flamme.. ), sous l'effet aussi du jeu institutionnel
forcené dans les milieux analytiques (11). Je pensais naïvement,
par exemple, que les analystes avaient suffisamment approché
la question du pouvoir pour le relativiser et n'en pas en faire un enjeu
majeur, qu'une association "pour l'analyse" et pas "pour
certains analystes", cela pouvait se concevoir, que les (petits)
Maîtres es psychanalyse ne transformeraient pas leurs analysants
en militants d'une cause, qu'un autre type de lien pouvait se concevoir
entre personnes passées par les arcanes de l'analyse (12)...
: je n'avais pas compris certaines choses, aussi bien du coté
de l'analyse que du politique ! Comment guérir de cette extinction
de voix, de cette fascination pour des maîtres, de cette auto-hypnose,
de ce suicide du je ?.. comment redonner vie à la petite flamme
inventive et libertaire éveillée par l'analyse et endormie
par ses dogmes ? Comment ne plus lire les textes, non pas des fondateurs
mais des inventeurs de l'analyse, comme des textes religieux, dogmatiques,
et retrouver ce qui animait les premiers analystes - ou Lacan ? Est-ce
pour ces raisons que tant d'analystes s'adonnent aux arts, à
la danse, au théâtre - parce qu'une certaine façon
de pratiquer l'analyse ne permet pas à l'inventivité de
se déployer ? Est-ce pour ces raisons que tant d'analystes dérivent
dans des pratiques qui semblent privilégier le corps - alors
qu'il n'est jamais autant concerné que dans certains temps d'analyse,
au risque d'en mourir, au risque du désir et de la jouissance
? Très anciennes questions, certes, dont on retrouve les traces
dans les grandes religions, dans les textes bouddhiques (13), .. Par
exemple, l'articulation entre la "foi" (d'un sujet) et le
"dogme" (d'une église) n'a cessé d'agiter le
monde chrétien. Et cela rejoignait mes propres questions quant
à mes rapports avec l'institution (le sujet lié au désir,
puis au sinthôme, par rapport au sujet "institué"
ou au "moi").C'est, je le rappelais, une très vieille
question : J.P. Vernant a mis en évidence, à partir des
textes Grecs et de St Augustin, les linéaments de la construction
du je par rapport au moi. G. Swain a écrit, dans Dialogue avec
l'insensé (14), l'histoire et la construction - j'insiste sur
cette notion qui montre sa relativité - du sujet moderne, divisé.
Et P. Legendre a, tout au long de ses livres, précisé
le montage juridique de l'institution qui détermine des places,
des fonctions, des sujets, et suppose une "référence
absolue" : je le répète, l'articulation du je singulier,
lié au désir, et du sujet construit par l'institution
- le tout lié au langage humain - est une question fondamentale,
ancienne, mais sans cesse à reprendre pour son propre compte..
: l'enjeu libertaire est en grande partie là. Le sujet assujetti
à l'institution est tributaire ce celle-ci pour ce qui concerne
la reproduction de la vie : différenciation et interdit de l'inceste,
permutation des places dans la généalogie, et même
assises narcissiques, par exemple.. d'où sa puissance et ses
enjeux de pouvoir.
Le je - on emploie le même mot : sujet, et il est asservi
au langage qui pourtant le fonde - est actuellement donné comme
un universel, son émergence est sans doute liée au mouvement
qui a provoqué les Lumières, la Révolution, la
Science, . et, plus tard, la psychanalyse. Mais ce je ne saurait
advenir sans l'existence du sujet institué et il le subvertit
- un peu comme le désir par rapport au narcissisme (15) : s'il
ne s'est pas construit un narcissisme de fond, le désir ne peut
advenir, la clinique en témoigne à longueur de cure -
et, inversement, la prévalence du narcissisme fait le jeu de
l'institution. L'image de cette problématique serait peut-être
la bande de Moebius...
Ne retrouve-t-on pas ces tensions dans l'écart entre les conceptions
de Stirner et celles de Proudhon, par exemple ? A « l'exhérédation
sociale" du prolétariat répond l'individualisme forcené..
Un autre fil est lié à ma formation de base : la médecine.
On n'aborde pas la psychanalyse du même point selon qu'on est,
d'abord, philosophe, psychologue, théologien ou médecin,
même s'il existe une "clinique" psychanalytique spécifique
- né serait- ce que parce qu'on est pas amené à
rencontrer les mêmes analysants.. Les questions ne sont pas les
mêmes selon qu'on a affaire à des "psys" futurs
analystes, à des érémistes ou à des enfants
maltraités de l'Aide Sociale.. Le psychiatre est en première
ligne : il peut ne rien vouloir entendre, ne rien vouloir penser, refuser
de s'engager - "les incestes réels, ce n'est pas pour nous",
disait récemment l'un d'eux - , mais il est impliqué en
direct. J'ai eu cette chance d'avoir affaire à une clinique difficile,
aux marges de la psychanalyse : là où on peut se poser
des questions sans avoir des réponses à l'avance, là
où achoppe la théorie classique, là où il
devient nécessaire d'en interroger les concepts de base pour
aller de l'avant. Sinon, on tourne en rond ou on fait de la théologie
analytique..
J'ai parlé d'engagement.. : un jour, sans trop savoir pourquoi,
on ne "cède pas sur son désir", comme disait
Lacan, on persiste, et les conséquences en sont imprévisibles,
incalculables, sans aucune garantie.. Il ne s'agit pas d'un grand moment,
mais d'un petit décalage dans sa position de sujet. Avec un peu
de recul, je peux situer quelques temps de ma vie où il y a eu
un ensemble, un petit réseau de décalages, sans grande
importance sur le moment - mais, en fait, des changements subjectifs
importants se faisaient de cette façon là, sans qu'on
puisse vraiment discerner ce qui était lié aux circonstances
ou à ce changement subjectif.
Dans la partie, il y a le tout, rappelait M. Benasayag (16) : on ne
peut savoir les conséquences de son acte, on ne sait ni trop
d'où "ça" vous vient ni trop ce qu'on fait,
mais c'est cela qu'on fait dans une nécessité qui renvoie
à un tout ; ce tout n'est surtout pas unifiant, ni idéologique,
il renvoie plutôt aux théories fractales, mais à
la fois il sous- tend les actes et en est un effet.. Comme le sujet.
Ce qui renvoie à la notion d'éthique - mais au sens que
Badiou donne à cette notion si galvaudée en ces temps
de retour à l'ordre moral.. (17), ".. il n'y a que l'éthique
des processus de vérité, du labeur qui fait advenir en
ce monde quelques vérités.. L'éthique n'existe
pas. Il n'y a que l'éthique - de (de la politique, de l'amour,
de la science, de l'art)".
C'est en ce sens aussi que j'ai pu parler de l'éthique de l'anarchie
- qui permet, par exemple, de ne pas la confondre avec l'adolescence
attardée.. , qui conduit à ne pas faire un absolu de la
liberté car celle-ci doit être nouée à
la justice et à la solidarité, etc.. J'y reviendrai un
jour, car c'est pour moi une question de fond.
Je pourrais dire les choses autrement : ces décalages de certains
actes, certaines prises de position subjectives, les circonstances où
l'on peut croire qu'il est possible de dire oui ou non, de prendre tel
ou tel chemin alors que "ça" s'impose d'on ne sait
où, les moments de vérité, .. font une constellation
qui, dans l'après-coup, permettent de se poser la question :
est-ce que tout cela ne m'inscrirait pas dans le courant libertaire,
est- ce que je ne m'y retrouve pas dans ce qu'on dit ou écrit
Proudhon, Bakounine et bien d'autres ? dans une conception de l'être
humain - homme et femme- , de sa créativité, de ses liens
aux autres, d'une façon de vivre la vie (18),.. ? c'est tout
le contraire de l'application d'une idéologie, d'une théorie,
d'une terrorie quelconque, qui a pu séduire au prix de se renier,
de s'asservir, de s'interdire de penser, de se détruire en tant
que su jet. A. Spire ne dit rien (19) de ce qui l'a fait changer mais
c'est peut être, pour tout un chacun, la découverte d'une
discordance entre une théologie mortifère qui s'impose,
quelle qu'en soit la forme, et quelques uns de ses propres actes où,
au lieu d'être reconnu par d'autres, on "se" reconnaît
dans l'étrangeté, la surprise, la rupture. Ça vous
tombe dessus, et c'est "la vraie vie" - à l'opposé
de l'intersubjectivité, de la communication, et autres balivernes
propres à endormir...
Se réclamer du "libertaire", c'est cela, je crois :
s'essayer à la vraie vie au paroxysme de l'humanité de
l'homme. Il est paradoxal qu'on retrouve la même question, la
même intensité, dans de trop rares moments d'une psychanalyse..
Texte écrit en 1997
Notes :
1 "Dans tous les cas, la subjectivation est immortelle, et fait
l'Homme", dit Alain Badiou (L'Ethique, Hatier, 1994, 29 FF, p l4),
puis :"0r l'Homme comme immortel, se soutient de l'incalculable,
et de l'impossédé. Il se soutient du non-étant.
Prétendre lui interdire de se représenter le Bien, d'y
ordonner ses pouvoirs collectifs, de travailler à l'avènement
de possibles insoupçonnés, de penser ce qui peut être,
en rupture radicale avec ce qui est, c'est lui interdire, tout simplement,
l'humanité elle même"(p 16).
2 Au sens précisé par P. Legendre. A citer, parmi ses
livres, "Jouir du pouvoir", "L'inestimable objet de la
transmission", "La passion d'être un autre", "L'amour
du censeur", qui précisent bien les enjeux.
3 Très jeune, il s'échappe du palais de son père,
et il découvre coup sur coup la mort, la misère et la
maladie qu'on lui avait toujours cachées ; il s'ensuit une "rupture"
au sens que j'évoquais.
4 Qu'on se rappelle le très lourd tribut payé à
la folie par ceux qui se vouent à l'art ou à la recherche,
en physique par exemple. Il ne faut pas oublier que l'engagement libertaire
peut faire côtoyer les mêmes eaux..
5 Rupture qui peut éviter les identifications parfois structurantes,
comme l'on dit, mais souvent mortifères.. (on peut être
communiste, musulman ou protestant - mais aussi anarchiste.. ou psychanalyste
! - par identification ou par effet d'institution dont on devient le
fonctionnaire, à l'opposé du "je").
6 Ce temps de "passe", selon l'expression de Lacan qui en
a tenté la formalisation, est la clef de voûte de ce qui
fait un psychanalyste.
7 Selon l'expression de Chopin qui ne pouvait improviser sans l'avoir
laissée venir de façon imprévisible, incalculable.
8 .. que l'écrirais volontiers libertère, pour éviter
le "taire la liberté" et induire l'ère de la
liberté - sans oublier la possible erre... On ne dit pas libertiste,
comme communiste, socialiste.
9 c.f. E.Fromm, "La peur de la liberté".
10 Antoine Spire, dans "Après les grands soirs : intellectuels
et artistes face au politique". Autrement n° 15 /166, 1996,
le dit fort bien, dans un article à méditer.. : «
Toute la question est de savoir de quelle liberté dispose l'individu
par rapport à ses références. Qui est je quand
je parle ? Sous cette question perce la redéfinition d'un sujet
non pas solitaire, indépendant de toute pression pour s'exprimer,
mais lié d'une autre façon au groupe. Pour se libérer
du terrorisme intellectuel, sans doute faut-il repenser le mode d'adhésion
du je au collectif. Pas de - je sans lien à des
groupes, pas de - je solitaire. Comment donner cohérence
à la diversité des groupes auxquels on adhère ?
». (C'est moi qui souligne)
11 D'Antoine Spire, encore (op. cit), p 8 : « Pas de couac dans
l'unanimité admirative qui nous serrait autour du caïman
de philosophie de la rue d'Ulm. Plus d'une fois, j'ai pensé que
cette pensée théoriciste conduisait à l'impasse,
mais je n'ai pas osé m'en ouvrir à qui que ce soit. Jamais
je n'ai pris le risque de parler tout seul contre le groupe... En gardant
le silence sur ce culte, je ne risquais pas de subir le mépris
ouvert de ceux avec qui j'avais communié dans la théorie
toute puissante... Ce qui caractérise cette forme de terreur
insidieuse, c'est sans doute l'adhésion de la victime au processus.
Volonté de se soumettre au pouvoir qui vous terrorise... Si cette
famille d'adoption vous rejetait, ce serait le drame, la séparation
d'avec le groupe qui vous donne chaleur et force. D'où l'effet
de stupeur, le silence de celui qui prend conscience d'un désaccord
profond avec le groupe mais en censure toute expression ». Il
suffirait de changer quelques références pour que ces
remarques s'appliquent au milieu psychanalytique - dont j'excepte Lacan,
qui, en même temps qu'il jouait au Maître, mettait en place
des procédures qui ne pouvaient que le destituer de cette place
et permettre à la psychanalyse de poursuivre ses avancées.
Ces procédures (cartels et passe) ont du mal à survivre
aux pressions et aux détournements - de bonne foi, et en son
nom ! - et la psychanalyse se meurt de dogmatisme.
12 .. ce fut aussi l'espoir de Lacan qui avait un moment cru qu'un autre
type de liens pouvait s'inventer entre "Analystes de l'Ecole",
ceux qui avaient performé dans la passe : il a du déchanter,
ce fut pire qu'ailleurs.. et, en 1997, on n'en est pas encore sorti.
13 Un maître zen (il ne faut pas se méprendre sur le sens
de ce mot : ici, il est à l'opposé de ce qu'on appelle
les petits-maîtres.. ), après avoir reconnu un nouveau
maître parmi ses élèves en lui transmettant le bâton
symbolique, lui dit de partir d'urgence et de fonder une communauté
ailleurs, parce que "les autres vont te tuer".
14 NRF- Gallimard, 1994.Remarquable livre, même s'il choque les
foucaldiens..
15 "Le soi n'existe pas sans référence extérieure,
la relation précède l'élément isolé",
dit T.Todorov (Esprit l096, p 206).
16 Entretien avec A.Spire, op.cit., p 285.
17 L'éthique, essai sur la conscience du mal, Alain Badiou, Hatier,
1994, p 28.
18 En langage plus technique, on dirait que la fonction paternelle n'est
plus abandonnée au social ou réduite à l'institution.
Après tout, Freud a fondé l'analyse sur un mythe : le
meurtre du père, celui de la religion, du clan.. Je ne pense
pas qu'on devienne libertaire par un effet politique, par un effet de
groupe : il y faut d'abord une révolution interne (pour quelque
raison que ce soit : ce peut être parce qu'on souffre dans sa
tête ou son corps) et une rencontre au sens que j'ai précisé.
19 op cit.