En ce temps où la psychanalyse est décriée, où
les libraires, faute de lecteurs, lui réservent la portion congrue,
où les guerres fratricides stérilisent les recherches théorico-cliniques,
les livres que Serge Vallon consacre à l’étude de
la phobie – et aux spectaculaires résultats d’une analyse
– viennent à point : ils montrent que la découverte
freudienne est toujours féconde et vivante…
Le Journal d’une analyse relate, séance après séance,
le cheminement mouvementé d’une femme dont la vie devenait
impossible en raison de phobies paralysantes, et le contrepoint, le contre-chant
du travail de l’analyste. La construction du Journal évoque
une fugue à plusieurs voix, au moins trois, pas l’une sans
les autres, avant le point d’orgue final : un silence fécond.
Cette femme pourra-t-elle enfin “ vivre la pulsion ” ? Est-ce
pour en soutenir le pari que son analyste a voulu écrire l’histoire
de cette naissance à la vie, au sexe ? Quant au lecteur, il ne
peut qu’être saisi par l’envie d’inventer à
son tour, d’y aller de son propre chant…
Car bien des questions prolongent la lecture : Qu’est devenue cette
femme ? A-t-elle fait une nouvelle tranche d’analyse ? A-t-elle
voulu élucider d’avantage les blancs de son histoire et de
sa filiation ? Aller plus loin dans la “ nomination ” du “
réel ” transmis par les générations qui l’ont
précédée ? Ou bien a-t-elle tout simplement pu vivre
la vie, inventer la vie ?
C’est soulever là des questions plus théoriques. Celles-ci
sont développées de façon claire et accessibles à
tous dans le premier tome de La peur de la peur : L’espace et la
phobie. Après un parcours des textes psychiatriques (Legrand du
Saulle et Westphal) où est consignée “ l’invention
de la phobie ”, Serge Vallon fait une remarquable étude des
textes de Freud (sa lecture de l’histoire du Petit Hans est passionnante),
de Lacan et de quelques autres. Avant d’avancer ses propres positions
théoriques, il n’hésite pas à montrer les hésitations,
les imprécisions, les erreurs de ces auteurs, tout se passant comme
si la proximité questionnante de l’analyse et de la phobie
les avait gênés dans leurs élaborations. Il n’y
a pas lieu de s’en étonner outre mesure, car le phobique
se situe au point précis de vacillation que vise une analyse autour
des questions du meurtre du père, de la fiction fondatrice, ou
de la nomination. Instaurer du père n’est jamais décisif
chez un phobique… Persiste ce que j’appellerai une “
vacillation forclusive ”, dont témoignent les toujours possibles
effondrements, les déhiscences brusques de l’appui signifiant
dans des situations repérées, prévisibles –
et donc évitées ou affrontées dans des mouvements
contraphobiques dont l’issue reste chaque fois incertaine.
À cet égard, il est certain qu’une certaine conception
de la psychanalyse, fondée sur les représentations, le symbolique,
l’œdipe, le refoulement, ne peut théoriser la phobie,
qu’elle ramène souvent à l’hystérie (p.
57), ce que critique S. Vallon. Mais il existe une autre échelle,
un autre niveau où l’analyste ne peut guère que proposer
sa dynamique inventive pour que l’autre, le patient, en soit atteint
– c’est contagieux, comme la poésie.
Le Journal montre bien le travail sans cesse inventif de S. Vallon parallèlement
au dire de sa patiente, dans l’articulation entre les deux dires.
Qu’est-ce qui opère, qu’est-ce qui suscite les changements
? En appeler au transfert ou à la levée du refoulement ne
résout pas grand-chose, concernant la phobie spécialement
mais aussi, plus généralement, toute analyse un peu conséquente…
Qui n’a son “ trou noir ” ?
Sans doute ce texte si riche, si profondément clinique, suscitera-t-il
d’autres questions encore : Qu’est ce qu’analyser ?
Que peut un analyste phobique ? Que pourrait un analyste qui ne le serait
pas ? La dynamique phobique est-elle au cœur de la construction de
chaque sujet – même si elle est intégrée dans
des mécanismes qui l’assurent mieux ?
Serge Vallon éclaire ce qu’il en est de la place du psychanalyste
au-delà des a priori qui font les chapelles analytiques : quelle
que soit son appartenance institutionnelle, chaque analyste sera pris
dans l’inventivité dont témoignent ces livres –
il n’en sortira pas indemne, c’est du moins ce que je lui
souhaite !
Philippe Garnier
"La peur de la peur"
Tome I : L’espace et la phobie,
Tome II : Le journal d’une analyse
Serge Vallon,
Toulouse, Érès, Coll. “ Actualités de la psychanalyse
”, 1996 (130 F et 95 F).
Cet article est paru dans la Revue Vie Sociale et Traitements, N°48,
Octobre 1996 publiée par les CEMEA
Le lien d'origine : http://www.cemea.asso.fr/notes17.html
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