Transcription d’une Conférence débat organisée par
la Fédération Anarchiste au Local, rue Sanlecque à Nantes,
le samedi 20 janvier 1996.
Bien, je me présente : Philippe Garnier, je suis psychanalyste,
beaucoup plus que psychiatre, et militant à la Fédération
Anarchiste depuis quelque temps. J’ai écrit une brochure
il y a peu avec Roger Dadoun et Jacques Lesage de La Haye . Le point
sur lequel je voudrais insister est un point d’articulation très
difficile entre ce qu’est un sujet, c’est-à-dire
ce dont traite essentiellement la psychanalyse, et puis ce que sont
les institutions ou les discours, c’est-à-dire le domaine
du politique.
Il me semble alors que partir de l’anti-psychiatrie est une excellente
idée dans la mesure où, qu’on le veuille ou non, il
n’y a pratiquement plus d’anti-psychiatrie. Ce qui permet
d’en parler plus facilement et même de le filmer, puisque
vous savez que Jean-Michel Carré vient de sortir un film sur Le
Coral, donc sur le travail de Claude Sigala. Ce qui montre bien que c’est
tout ce qui reste de l’anti-psychiatrie, ce qui est un peu triste…
Alors, pourquoi n’y a-t-il plus, pratiquement plus d’anti-psychiatrie
? Eh bien, pour plusieurs raisons et elles sont intéressantes
à analyser.
Une des premières raisons, c’est que anti-psychiatrie veut
dire qu’on se pose contre la psychiatrie. Or, actuellement, il
n’y a plus de théorie psychiatrique ! La psychiatrie est
actuellement dans un état de déliquescence que vous n’imaginez
pas. Je vous ai amené un article paru dans Libération
cette semaine (16 janvier) qui montre bien où on en est. Je ne
sais pas, certains d’entre vous l’ont peut-être lu…C’est
consternant. Je cite : « la psychiatrie avait cru pendant longtemps
que pour chaque malade, schizophrène ou dépression par
exemple, des indicateurs biologiques spécifiques permettraient
de faire un diagnostic et d’instaurer un traitement. Or, le professeur
Zarifian, qui est un type très bien mais bon…, qui était
un tenant de cette théorie là écrit que les acquis
de la psychiatrie biologique sont très minces, on n’a pas
pu découvrir de causes biologiques à la dépression
ni à la schizophrénie ». Ouf, ça fait trente
ans qu’on le dit ! Il ajoute : « nous avions des outils
très performants, mais en tant que soignant, je ne retrouvais
jamais chez mes malades la clinique correspondant aux symptômes
décrits ». Bon, c’est vraiment de l’évidence
qu’on défend ainsi depuis des années. Qu’ils
disent ça maintenant, comme si c’était une découverte,
je trouve ça tout à fait émouvant… et il
ajoute encore : « quand je vois un malade déprimé,
ce n’est pas la dépression qui entre dans mon bureau, mais
monsieur X. Ce n’est pas la même chose si mon malade est
un Rmiste en fin de droit ou s’il a un chagrin d’amour ».
D’accord, mais là encore, qu’il dise ça comme
une grande découverte, ça montre l’état où
on en est !
Un autre psychiatre dit : « les déprimés qui vont
chez le médecin ne sont pas en demande de soins mais en détresse.
Dans bien des cas, dit-il, ces patients relèvent surtout d’une
écoute prolongée. Il s’agit en fait d’une altération
de l’humeur » Ecoutez : « d’une altération
de l’humeur qui prend l’allure d’une dépression
mais qui n’en est pas une ». Si vous vous y retrouvez, je
vous paie !
Alors, bien sûr, le problème, c’est le DSM III et
le DSM IV qui nous viennent des Etats-Unis. C’est un système
de questions qui remplace les théories de la psychiatrie, un
ensemble de questions qu’on pose aux gens à la place d’un
entretien singulier avec eux. A partir des réponses du patient
ou du client, se construit non pas un diagnostic, mais une espèce
d’hypothèse avec des possibilités thérapeutiques.
C’est ce qu’on appelle un diagnostic différentiel,
c’est-à-dire que si c’est ça, on suppose que
ce n’est pas ça, ni ça, parce qu’on a des
arguments pour dire que c’est ça… Et troisième
étape, on va proposer ce traitement-là et on va le suivre.
Toutes ces étapes intermédiaires sont court-circuitées
par les DSM III et IV. J’ai des symptômes, c’est-à-dire
j’ai sommeil, j’ai des angoisses, je me lève le matin
et je n’ai pas envie d’aller travailler, etc… renvoient
directement et comme par hasard à des traitements chimiothérapiques,
c’est-à-dire des médicaments.
Donc, ce schéma a rendu stérile la pensée des psychiatres
qui vivent maintenant sans théorie. Voilà ce qui est dit
: « les questions du concours d’internat sont définies
sur la base du DSM IV ; les essais thérapeutiques sont pris en
compte parmi les travaux nécessaires à l’agrégation,
la remise à jour des médecins est assurée en quasi-totalité
par des laboratoires ou des journaux qui n’ont aucune indépendance
vis-à-vis de leurs annonceurs ». Bon, si je prends ça
comme exemple, c’est parce qu’il me semble significatif encore
une fois de la crise psychiatrique.
S’il n’y a plus de discours psychiatrique, il est bien évident
que les gens qui se posaient en anti-psychiatrie n’ont plus tellement
leur raison d’être. Et, malheureusement, pour un certain
nombre, la crise qui a commencé dans les années 65, 68,
70, n’était qu’une crise anti-… Elle est donc
comme un ballon de baudruche, ça s’est arrêté.
Une des autres causes de l’échec de certains mouvements
anti-psychiatriques est que, je dirais, les faits ont la vie dure. L’exemple
type est ici Franco Basaglia. Il a fait des choses extraordinaires en
Italie, mais il a voulu à un moment vider les hôpitaux
psychiatriques sous prétexte que la maladie mentale n’avait
d’existence que dans un contexte social. Or, on a constaté,
quelques années après, que tous les malades qui avaient
quitté les H.P s’étaient retrouvés dans les
cliniques privées. Quand on est un schizophrène, un vrai
schizophrène, eh bien, malheureusement, qu’on soit japonais,
américain, français ou italien, quelle que soit la classe
sociale, c’est la maladie contre laquelle on ne peut pas faire
grand-chose. Or, de l’avoir nié au point où ça
l’a été par certains tenants de l’anti-psychiatrie,
eh bien ils se sont cassé la figure sur, je dirais, le réel,
le réel de la schizophrénie.
On peut prendre un autre exemple, celui de La Borde qui est un lieu
avec lequel j’ai travaillé. C’est un lieu remarquable.
C’est le lieu où dans les années 75-80, on prescrivait
le plus de médicaments en France. Je veux dire que dans cet endroit
qui se réclamait des thèses anti-psychiatriques, on consommait
le plus d’électrochocs et de médicaments. Il faut
le savoir…
Bon, ça n’infirme pas certaines thèses de l’anti-psychiatrie,
mais ça veut dire que lorsqu’on se heurtait à la
réalité d’une maladie, on était bien obligé
d’en passer par où les autres en passaient, c’est-à-dire
malheureusement, quand on est démuni face à ces maladies,
d’en recourir à des médicaments.
On pourrait multiplier les choses comme ça, il y a plein d’exemples.
Il y a par exemple le « cas Dominique » de Françoise
Dolto, qui a été un cas princeps dans l’avance des
idées. Eh bien, il a fini ses jours en hôpital psychiatrique.
Donc, Dolto l’a sorti momentanément, mais il est retourné
en H.P. Alors tous ces points-là montrent bien qu’il y
a des choses à prendre et à laisser dans le discours anti-psychiatrique.
Le troisième point pour lequel l’anti-psychiatrie a perdu
de son mordant, c’est que bien des points qu’elle avait
préconisés sont passés dans la pratique courante.
Il faut faire là un petit retour en arrière. Je dirai
que le premier mouvement anti-psychiatrique a été la fondation
du secteur en France dans les années 40-50 à peu près.
Et à l’époque, la politique du secteur était
vraiment une révolution très profonde dans la pratique
psychiatrique. C’était en gros ouvrir les hôpitaux,
faire sortir les malades, les remettre dans leur milieu social, leur
milieu familial, leur donner de moins en moins de médicaments,
multiplier les rencontres et les dialogues et le fait de se parler,
etc. Jusque là, ils étaient enfermés. L’anti-psychiatrie
s’est greffée sur la politique de secteur qui avait profondément
changé les mentalités des psychiatres avant les années
65, 68, 70.
Donc, les idées comme les appartements thérapeutiques,
les lieux de vie comme Le Coral, les communautés d’accueil,
comme il en existe beaucoup dans le sud de la France, le fait qu’on
donne de moins en moins de neuroleptiques et qu’on libère
le plus possible les patients des grilles, c’est-à-dire
tout ce qui a été prôné par les anti-psychiatres,
est rentré maintenant dans les mœurs. Partout, il y a des
familles d’accueil, des communautés d’accueil, des
appartements thérapeutiques, des choses comme ça. C’est
passé complètement dans les modes de pensée. Du
coup, encore une fois, ces idées-là ont perdu de leur
mordant puisqu’on les pratique au quotidien.
Le quatrième point est que l’anti-psychiatrie est restée
un discours, un discours uniquement politique. Là, je crois que
c’est exemplaire de ce dont je parlerai après. Un discours
politique, il est ce qu’il est, mais s’il n’arrive
pas à révolutionner quelque chose de tout un chacun –
dans la mesure où il est sujet, irremplaçable, singulier
-, il reste un peu extérieur et plaqué et il ne change
pas grand-chose dans le fond, dans la pratique des gens. Je m’expliquerai
un peu plus sur ce que je veux dire par là à propos de
la psychanalyse. Or, bien des gens qui s’étaient engagés
dans le discours anti-psychiatrique, qui étaient des philosophes,
des militants politiques n’ont, dans leur vie propre, rien changé.
C’est resté qu’un pur effet de discours. Et comme
c’était un pur effet de discours, un autre discours a balayé
ce discours-là. C’est encore une des raisons qui fait qu’on
n’en entend plus beaucoup parler.
Malheureusement d’ailleurs ! Parce qu’on a souvent balayé
le meilleur avec le moins bon. Heureusement, des gens comme Deleuze et
Guattari, que tout le monde connaît, ont laissé des écrits
et ont suffisamment imprégné les gens pour que ce ne soit
pas qu’un effet de discours.
Bon, voilà en guise d’introduction. Je voudrais dire maintenant
un deuxième point par rapport à ce qu’a dit Foucault.
Foucault, comme vous le savez bien sûr, a montré que l’hôpital
psychiatrique, au même titre que la prison, était un lieu
d’enfermement des gens. Il est même allé jusqu’à
dire que la prison était le paradigme de la société,
que c’est l’exemple même de la société,
reprenant des idées de J. Bentham par exemple sur le fait que
la société idéale devrait être une pure transparence,
où chacun saurait tout sur tout et surtout sur tout le monde.
C’est l’horreur absolue ! Donc Foucault a montré
que l’H.P était un lieu d’enfermement – c’était
à l’époque une évidence – mais il n’a
pas suffisamment, à mon avis, approfondi sa question en restant
sur un plan strictement sociopolitique. Par contre, Gladys Swain, dans
un livre qui s’appelle « dialogue avec l’insensé
» , qui est un livre remarquable, a essayé, non pas de
contredire Foucault, mais d’aller plus loin. Elle a mis en évidence
une chose tout à fait intéressante et importante : c’est
que, en gros, jusqu’à la Révolution, celle de 89,
on fonctionnait sur un mode d’exclusion assez particulier, c’est-à-dire
qu’il y avait des gens d’une certaine normalité et
puis les autres, ceux qui n’y répondaient pas, à
ces critères de normalité sociopolitiques, religieuses,…
Les autres, c’était les étrangers, les fous, les
lépreux, les épileptiques, ceux qui avaient une autre
religion, etc. Ils étaient complètement exclus et considérés
comme non hommes. C’est une idée qui traînait depuis
la Grèce. Il ne faut pas oublier que la Grèce, à
qui l’on attribue la paternité de la démocratie,
ne pouvait fonctionner que dans la mesure où il y avait des esclaves.
Pas d’esclaves, pas de démocratie possible en Grèce.
Et Jean-Pierre Vernant a bien montré qu’à l’époque,
on fonctionnait non pas sur la notion de sujet comme on a maintenant,
mais sur la notion d’un moi constitué par le discours social,
des normes, comme ça fonctionnait encore dans des villages en
France il n’y a pas très longtemps, ou comme en Inde encore
ou dans des tas de pays. La normalité prime sur le désir
du sujet. Je suis allé plusieurs fois en Inde. Les hommes et
les femmes se marient suivant les prescriptions sociales, ont des enfants
sur impératif social, etc. Donc, on fonctionnait comme ça
en France, en gros jusqu’à la révolution. Le clivage
se faisait entre ceux qui répondaient aux critères de
normalité et ceux qui n’y répondaient pas, considérés
comme non hommes Mais, petit à petit, sous l’influence
des Lumières, des philosophes du XVIIIème siècle,
de l’évolution des pensées, des luttes politiques,
etc, quelque chose a commencé à émerger. C’est-à-dire
que le clivage ne se faisait plus entre moi et ceux qui ne sont pas
comme moi, mais à l’intérieur de moi, c’est-à-dire
à l’intérieur de chaque personne. Il y avait une
sorte de division qui se faisait qui a été cristallisée
par la phrase de Rimbaud : « Je est un autre ». Il y a de
l’Autre, il y a quelque chose que je ne peux pas maîtriser
en moi, quelque chose qui me dépasse, que je ne peux pas rejeter
puisque ça me constitue. Cela a été un pas extrêmement
important. Et c’est de ce pas là qu’est née
la psychanalyse. Les théories de Freud sur la division interne
du sujet, sur le clivage du moi, viennent de cette longue réflexion,
de cette longue maturation à partir d’idées qui
avaient été émises dès le XVIIIème
siècle.
Le problème, c’est que c’est beaucoup plus facile
de dire que les autres ne sont pas comme moi donc je les exclue –
ce qu’on voit couramment dans nos rencontres politiques –
que de se dire que finalement, moi-même, je suis divisé,
qu’il n’y a pas d’absolu, que je n’ai pas de
critère absolu pour me définir, que je ne sais pas très
bien qui je suis, que je ne me contrôle pas, que je n’ai
pas de pouvoir absolu sur moi, etc. C’est une chose très
désagréable à constater et qu’on passe son
temps à recouvrir. D’où le recours à un système
de pensée qui classe les gens en déviants et en normaux
plutôt que de se dire que finalement il y a du déviant
en moi, de l’anormal en moi, de la folie en tout un chacun. Vous
voyez l’espèce de virage ?
Or, ça, Gladys Swain l’a très bien analysé,
très très bien repéré. Et, à mon avis,
ça prolonge les travaux de Michel Foucault. D’autant plus,
je le redis, c’est à partir de ça qu’est née
la psychanalyse.
Je rappelle pour mémoire que les premiers grands écrits
anarchistes sont nés aussi dans cette complexité, dans
tous ces fils, qui, au XIXème siècle, ont donné
d’un côté la psychanalyse et d’un autre côté
la pensée anarchiste. Il y a des ponts là et les idées
de Swain sont très précieuses pour nous, justement pour
retrouver les entrecroisements des différents fils.
Alors, la psychanalyse… Je serai bref, vous voyez où je
veux en venir. La psychanalyse va défendre le sujet, promouvoir
le sujet unique, singulier, le sujet qui est lié à un
désir particulier. Elle va tout faire pour que ce désir
puisse s’épanouir, se construire, agir, définir
les actes de quelqu’un contre vents et marées. Et une psychanalyse,
finalement, c’est fait pour quelqu’un qui était écrasé
par un certain nombre d’obstacles, internes ou externes –
il ne faut pas oublier les obstacles externes - et qu’il puisse
laisser advenir toutes les forces constructives qu’il a en lui
et qui s’organisent autour de cette notion de sujet.
Bien sûr, cette notion de sujet inclut aussi qu’on soit
sexué, c’est-à-dire qu’on se définisse
par rapport à la sexuation, par rapport à ces deux pôles
que sont d’un côté le désir fonctionnant sur
un rapport au langage qui définit un homme ou un rapport au langage
qui définit d’une certaine façon une femme, en sachant
qu’on oscille constamment entre ces deux pôles tout en privilégiant
quand même en général l’un ou l’autre.
Ce n’est pas facile à dire avec des mots, mais je dirais
qu’une psychanalyse est réussie quand quelqu’un arrive
à être ce que j’appelle « poète de sa
vie », à être acteur de sa vie, dans une moindre
détermination à tout ce qui peut l’asservir. Et
une psychanalyse qui ne débouche pas sur quelque chose de créatif
est une psychanalyse qui est ratée, aussi bien pour le psychanalyste
que pour celui qui s’est risqué dans une psychanalyse.
Le problème devient très compliqué par rapport
à ce qu’on appelle l’institution, l’institution
qui touche très directement au politique. La notion de désir
ne peut se construire que sur une infrastructure psychique. Cette infrastructure
est instituée, c’est un fait d’institution au sens
où en parle Pierre Legendre, c’est-à-dire que c’est
lié à des textes, des effets d’institution disant
ce qu’est un père, une mère, un fils, quelles sont
les normes, par rapport à des références qui sont
presque toujours mythiques. Je le développerai tout à
l’heure, si vous le voulez. Mais l’intérêt,
c’est que ce jeu institutionnel, qui est lié au langage,
au fonctionnement du langage, le langage dans lequel on est tous, va
assurer les bases du fonctionnement psychique de quelqu’un par
le biais de ce qu’on appelle le narcissisme et par le biais aussi
de l’installation du langage, par le biais de classements sociaux.
L’institution va assurer la généalogie qui va permettre
de dire que quelqu’un est fils ou fille de untel et de une telle,
avec, de façon sous-jacente, ce qu’on appelle l’interdit
de l’inceste. L’interdit de l’inceste, qu’est-ce
que c’est en gros ? C’est d’instaurer des différences
pour qu’on ne soit pas tous dans une sorte de magma dans lequel
tout le monde se perdrait. Pierre Legendre va jusqu’à dire
que l’interdit de l’inceste est l’acte politique majeur.
Donc, l’institution va permettre à quelqu’un d’assurer
une espèce de base psychique sur laquelle pourra s’édifier
le désir. Or, cette base est fondée en grande partie sur
le jeu des images. Je vais prendre un exemple qui, en deux minutes,
vous dira peut-être les enjeux de cette question.
Dans le mythe de Narcisse, vous savez que Narcisse se regarde au-dessus
d’un étang et voit son image. Il tombe complètement
amoureux de son image, tellement qu’il va se précipiter
dessus et se noyer. Or, avant cette scène-là, il y a une
autre scène qui est extrêmement importante. Il y a la nymphe
Echo qui veut lui parler, qui est amoureuse de lui et qui voudrait bien
qu’il se montre en homme par rapport à elle se posant comme
une femme. Narcisse n’entend rien, il n’entend qu’un
écho de ce qu’il dit. C’est pour ça que la
nymphe s’appelle Echo. Dépitée, la nymphe mourra
et lui, Narcisse, de ne pas avoir entendu justement cet appel lié
à la parole d’une femme, se fout à l’eau et
se noie…
Tout le problème institutionnel, dit Pierre Legendre, il le démontre
très bien, c’est d’arriver à interposer entre
l’image, entre Narcisse et son image, une autre image en coin
qui fait que ce jeu narcissique mortifère, où on est amoureux
de sa propre image – et je dis bien mortifère parce que
ça entraîne la mort – sera détourné
et dévié par ce que Legendre appelle l’image du
Père ou la fonction du Père. Ce n’est pas un très
beau mot, mais enfin c’est comme ça qu’il l’a
appelé. Vous voyez bien cette insertion en coin qui fait qu’au
lieu d’un miroir, il y aura un prisme, si je peux prendre cette
image-là. Narcisse qui voudrait voir sa propre image va voir
autre chose. Il verra sa propre image mais en même temps, il verra
l’image d’un tiers extérieur qui s’appelle
le Nom-du-Père, la fonction du Père, peu importe le terme…
C’est précisément à ce moment-là,
où quelque chose du sujet peut se construire, c’est-à-dire
qu’on n’est pas le même que tous les autres, moment
où une différence est introduite, que les jeux politiques,
les jeux institutionnels, vont agir, vont interférer. Autrement
dit, cette espèce de Tiers, de référence extérieure,
extérieure à ce jeu du même, à ce jeu symbolique
comme on dit encore, va être détournée par différents
artifices par le jeu politique. Vous en avez un exemple remarquable
dans les histoires d’intégrismes. Le jeu de l’intégrisme
va être de dire la référence extérieure,
le Tiers exclu si vous préférez ou encore, si vous pouvez
prendre la logique des ensembles, l’élément qui
ne fait pas partie de l’ensemble, ou, si on a recours au théorème
de Gödel, c’est la chose qui ne pourra jamais se définir
par elle-même, qui sera toujours exclue d’un certain système.
On retrouve cette logique-là dans beaucoup de choses. Donc, cette
référence absolue qui permet à un sujet de se définir
comme sujet, cette place va être occupée, va être
subvertie par des dieux, des instances qui vont prendre la place de
l’Absolu. Autrement dit, un sujet, une personne qui affronte cette
problématique du miroir, des images, de la définition
de sa propre image, de son corps, etc, se trouvera prise dans ce jeu
de la référence absolue et ne pourra pas réussir
à se définir sans faire appel à ce qui lui aura
été donné comme référence absolue,
c’est-à-dire le dieu, le machin, la puissance, etc. Ca
peut être aussi des trucs politiques.
Voyez bien l’enjeu. Impossible de se définir sans cet appel
à la référence et il y a des jeux politiques qui
incarnent cette référence et qui vont s’insérer
au plus profond de la personnalité de quelqu’un. Quand
on est pris dans ce jeu-là, trop fort, ça donne tous les
intégrismes, tous les fascismes, tous les totalitarismes que
vous connaissez.
Il y a un auteur qui a très bien écrit ça, c’est
Fethi Benslama, qui a fait cette analyse à propos du Coran en faisant
une analyse remarquable de ce qui se passe actuellement . On peut la faire
avec tous les systèmes politiques fermés.
Alors, est-ce que de faire une psychanalyse classique, de laisser se
construire le désir, est suffisant ? L’analyse classique,
c’est l’analyse qui va partir de personnes déjà
définies et qui ont déjà ce fondement dont je parlai.
Eh bien oui, ça marche bien l’analyse avec les gens qui
sont bien portants. C’est une boutade ! C’est une boutade,
mais elle est classique, c’est-à-dire avec les hystériques,
ça ne marche pas, avec les obsessionnels, ça ne marche
pas, avec les pervers, ça ne marche pas, avec les psychotiques,
ça ne marche pas, etc. Ca marche avec les gens qui vont très
bien. Ca, c’est la psychanalyse que j’appellerais classique.
En fait, depuis toujours, les psychanalystes se sont quand même
coltinés des gens qui n’allaient pas bien. Il faut se libérer
des carcans idéologiques, lacaniens ou trop freudiens, d’un
Freud mal compris ou d’un Lacan mal compris, parce qu’ils
n’ont jamais été des gens dogmatiques, ce sont les
élèves qui en ont fait des dogmes. Donc, depuis qu’on
se coltine des gens qui ont des problèmes très graves,
on est bien obligé de remettre en question cet étage,
cette espèce de superstructure lié au désir, mais
d’aller voir aussi ce qu’il se passe dans les fonds dont
je parlais tout à l’heure. On a affaire à des gens
qui n’ont aucune idée, qui sont dans l’incapacité
de parler de leur propre histoire. Je vais prendre un exemple.
Les gens qui ont été déportés et qui ont
survécu à la déportation dans les années
45, quand ils sont revenus, ils n’ont pas pu parler. On l’a
dit à l’époque et on le dit encore maintenant d’ailleurs,
c’est parce que c’était indicible. En fait, on s’en
rend compte maintenant qu’il y a une sorte de conspiration des
gens qui les ont reçus et d’eux-mêmes pour que ce
ne soit pas parlé, pour qu’il n’y ait pas de mots
là-dessus. Qu’est-ce que ça donne une ou deux générations
plus tard ? Eh bien, ça donne des enfants qui ont des espèces
de trous dans leur histoire, alors qu’ils n’ont pas été
pris directement dans l’histoire de la Shoah. Ils ont des espèces
de blancs, ou de trous noirs – on peut prendre diverses métaphores.
Ces blancs les déterminent dans leur vie, commandent leur vie.
Et ils n’ont pas la moindre idée de ce que c’est
car ça n’est pas du tout inscrit dans le langage, ni dans
leur inconscient, ni dans la sphère psychique classique. Pourtant,
c’est ça qui les détermine.
C’est ce qu’on appelle le réel dans les théories
psychanalytiques de Lacan dans ses dernières avancées,
c’est-à-dire quelque chose qui n’a pas de représentation,
pas d’images et pas de mots pour se dire. Et, encore une fois,
ça n’empêche pas que c’est ça qui les
détermine. On le voit très bien chez les petits-enfants
des gens déportés. Ils n’ont pas subi la déportation,
mais ils sont encore en train de la mettre en scène d’une
façon ou d’une autre, souvent dans des pathologies très
graves auxquelles on n’a pas accès par la psychanalyse
classique. Les gens qui ont subi des tortures, ou des violences politiques
extrêmes produisent à peu près la même chose
sur eux-mêmes, sur leurs enfants et probablement sur leurs petits-enfants,
mais on n’en a pas encore l’expérience clinique.
Donc, il y a là un gros point d’interrogation que ne peut
pas aborder, à laquelle ne peut pas répondre la psychanalyse
trop classique. Dans ces cas-là, que peut-on faire ? On est obligé
de reconstruire quelque chose ou d’aider quelqu’un à
se reconstruire pour que les blancs ou le réel ou les trous noirs
puissent être retissés d’une certaine façon
avec les mots. C’est un problème qui est passionnant et
qui avait été ébauché par Freud dans son
article sur les constructions en psychanalyse et qui a été
surtout théorisé par Lacan, dans les théories de
Lacan des dix dernières années ou à peu près.
Et c’est le travail des psychanalystes qui ne se sont pas trop
barricadés dans des théories dogmatiques sur lesquelles
les psychanalystes s’affrontent actuellement. Ils ont été
obligés pour ce faire d’y aller vraiment de ce qu’ils
sont au plus profond d’eux-mêmes, de se risquer dans une
aventure avec un patient en sachant qu’ils ne pourront pas se
réfugier derrière le fameux silence des psychanalystes.
Ils seront obligés de parler et non seulement ils seront obligés
de le faire mais ils seront obligés d’y aller de leurs
propres signifiants, de leur propre texture [toux dans la salle rendant
inaudible sur la cassette ce que dit Philippe Garnier !]
Les personnes auxquelles ils ont affaire réussissent à
se reconstruire en passant par les propres signifiants du psychanalyste.
C’est comme ça qu’au bout d’un certain temps
des personnes complètements détruites par des traumatismes,
qui remontent à une ou deux générations, réussissent
à retrouver quelque chose de la vie, du désir et de l’inventivité.
On retrouve exactement la même problématique avec des personnes
qui ont eu affaire à des violences sexuelles ou à des
incestes. L’inceste, finalement, c’est la destruction d’un
sujet, la destruction programmée d’un sujet. C’est
une tentative de meurtre psychique, comme me disait hier une patiente
qui s’est présentée en disant : « je suis
la fille de ma grand-mère ». C’est assez parlant.
Donc, ces personnes-là sont complètement détruites
et si on se contente de leur dire « je vous écoute »
suivant la psychanalyse classique, bah on continue à les écouter
dix ans après et rien n’a changé.
Encore une fois, on est obligé de s’investir très
profondément, avec ce qu’on est au plus intime de soi pour
arriver à permettre à l’autre de se reconstruire
avec ce qu’on peut mettre en scène soi-même [phrase
peu audible].
On comprend que la plupart des psychanalystes, beaucoup de psychanalystes
en tout cas, n’aient pas tellement envie de le faire à
longueur de journée. Je ne dis pas qu’on y parvient à
tous les coups mais avec quelques patients qui correspondent plus à
ce que l’on est. Mais on ne peut pas le faire à longueur
de journée, c’est trop épuisant.
Pour terminer, il semble que ce qu’on peut attendre de la psychanalyse
en 1996, enfin actuellement, c’est, bien sûr, cette problématique
du désir, c’est bien sûr de trouver une meilleure
solution à la problématique sexuée. Mais c’est
aussi de développer sa créativité, des possibilités
inventives, encore une fois « être poète de sa vie
». C’est aussi d’essayer d’empêcher que
continuent au fil des générations les ravages faits par
les traumatismes dont on n’a aucune idée et qui remontent
à une ou deux générations.
Voilà les quelques pistes que je voulais mettre en circulation
pour qu’on puisse en discuter, parce que tout ça, c’est
très compliqué. J’ai du mal aussi à en parler.
Bref, ce n’est pas facile. Peut-être que vos questions permettront
d’affiner quelques points.
QUESTIONS
Note du transcripteur : L’enregistrement n’est pas de très
bonne qualité; les questions et parfois les réponses ne
sont pas toujours audibles.
§ Question sur « les critères d’élaboration
d’un langage femme et d’un langage homme.
- Je n’ai pas dit d’un langage homme et d’un langage
femme, mais d’un rapport au langage. Je pense que la sexuation
est fondée là-dessus. Quel que soit son sexe anatomique
– je ne parle pas d’anatomie, quelqu’un qui se situe
côté homme n’a pas le même rapport au langage
que quelqu’un qui se situe côté femme. Bon, c’est
une chose très difficile à dire. Ce qui en donne une très
bonne idée, ce sont les écrits des mystiques, des femmes
mystiques, des femmes ou des hommes mystiques parce que quelqu’un
comme Saint Jean de la Croix se situe, je pense, du côté
femme à sa façon de parler et d’aborder les choses.
§ Question sur ce que Philippe Garnier appelle « mystique
».
- Ce sont les gens qui ont fait des expériences extrêmement
violentes, profondes par rapport à un absolu ; absolu qui peut
prendre des noms variés. [inaudible] On retrouve des expériences
du même type quelles que soient les religions, quels que soient
les systèmes de référence. Je crois plutôt
que c’est une expérience limite du langage, c’est-à-dire
jusqu’où peut aller au plus loin le langage jusqu’à
son propre effacement. En Occident, cela a pris la forme donnée
que permettait l’Eglise catholique, chrétienne. En Inde,
cela a pris d’autres aspects. [inaudible] Il y a aussi des mystiques
musulmans. Un certain nombre de gens ont écrit des textes là-dessus
très intéressants qui permettraient de répondre
à vos questions difficiles.
Je n’ai pas encore parlé d’anarchie mais je pense
que les questions me permettront de dire en quoi ça s’articule. § Question : qu’y a-t-il de particulier dans les écrits
des mystiques ?
- C’est très difficile, il faudrait y passer beaucoup
de temps à cette question. Comment vous dire ça ? Vous
n’avez pas loin d’ici Mélusine, le mythe de la fée
Mélusine qui montre bien les choses. D’un côté,
elle peut parler comme tout le monde, échanger mais d’un
autre côté, il y a quelque chose qui se passe en-dehors
du langage. Je ne sais pas comment vous expliquer ça, il faudrait
un petit tableau, mais je ne veux pas faire de la théorie.
Les hommes sont pris dans une espèce de rapport au langage qui
s’appelle la jouissance phallique. Ca s’appelle comme ça,
c’est du jargon théorique. Mais on ne peut pas aborder
ces problèmes théoriques sans le jargon, c’est comme
pour les mathématiques. Ca veut dire que les hommes sont complètement
pris dans ce qu’ils disent, les pauvres malheureux. C’est
la jouissance phallique. Alors le fait qu’ils soient tous pris
dans ce langage suppose qu’il y en ait au moins un qui n’est
pas pris dans ce langage-là. Toujours le Tiers exclu ! Ce Tiers
exclu qui va garantir que les autres sont bien dans le langage, on peut
lui mettre des tas de noms : le surhomme, Dieu, le grand chef politique,
n’importe quoi. Ca rejoint ce que je disais tout à l’heure.
Donc, côté homme, ils sont tous pris dans le langage phallique
et ça suppose qu’il y en ait un qui possède le langage,
qui définit le langage et la référence du langage.
Côté femme, elles ne sont pas toutes prises dans cette
espèce de fonctionnement phallique du langage, elles ont une
autre façon de se situer. On dit bien dans le langage courant
: « Oh, entre femmes, on se comprend sans se parler ». Vous
n’entendrez jamais des hommes dire ça, presque jamais.
Il y a donc quelque chose qui passe de ce côté-là
qui n’est pas pris dans le langage au sens où les hommes
le comprennent.
Le Tiers exclu dont je parlai tout à l’heure, c’est
un opérateur logique.
Bon, ceci suppose qu’il y a des femmes qui sont plongées
dans une jouissance tout à fait particulière, qui est
une jouissance spécifique aux femmes. Les psychanalystes ont
démontré que les hommes étaient pris dans une seule
jouissance mais que les femmes avaient accès à une autre
jouissance que celle des hommes. Je vous expliquerai après pourquoi
je dis ça. Mais donc certaines femmes, disons la super femme,
c’est la vierge absolue. Ce sont les personnages mythiques qui
font baver les hommes.
Seulement, les hommes, quand ils abordent les femmes, qu’est-ce
qui les fait rêver ? C’est bien sûr cette espèce
de jouissance supplémentaire qu’ont les femmes. C’est
la femme en elle-même, madame ou mademoiselle unetelle, qui l’intéresse
bien sûr, mais c’est parce que ça leur permet, pensent-ils,
d’accéder à cette autre jouissance. C’est
impossible parce que cela supposerait qu’ils soient hommes. Côté
femme, ce qui intéressent ces femmes lorsqu’elles s’adressent
à l’homme, c’est bien sûr ce qu’on disait
là mais c’est aussi le référent dont j’ai
parlé tout à l’heure parce que ça leur permet
d’accéder à une forme de langage qui les débarrasse,
qui les préserve de cette espèce de jouissance supplémentaire
par laquelle elles se sentent complètement perdues. Car comme
elles sont prises là-dedans, elles ne savent plus si elles sont
leur mère, leur fille leur grand-mère. Elles sont complètement
embourbées dans ce truc-là. Il y a donc un appel qui pourrait
lui dire : voilà ta filiation, tu es unetelle, tu es unetelle
et tu n’es pas ta mère. En gros, c’est ça
la définition de l’inceste féminin, de l’inceste
mère-fille. La lutte contre l’inceste féminin, c’est
dire : tu n’es pas ta mère, tu n’es pas ta fille.
§ Question : qui se prend pour sa mère ?
- La plupart des femmes. Il y a une sorte d’incertitude quant
à la généalogie qu’on retrouve bien quand
on parle avec elles. Ce que je dis explique en partie, en partie hein,
le fait qu’entre les hommes et les femmes, ça ne marche
pas très bien. On est dans un quiproquo. Chacun attend de l’autre
ce que justement l’autre ne peut pas donner. Cette femme va demander
à l’homme d’être un référent,
mais il ne le peut pas, sinon il serait Dieu. Cette femme à qui
il demande d’être la vierge toute, ou la putain absolue
ou je ne sais pas quoi, elle ne pourra jamais l’être et
il ne pourra pas y avoir accès. D’où les problèmes…
Je ne sais pas si je réponds à ta question. § Intervention : cette histoire de soi-disant langage de non-dit, c’est
tout simplement ceux qui ont l’habitude de prendre la parole et
ceux qui ont l’habitude d’écouter.
- Il y a de ça mais ça ne rend pas compte de tout. C’est
par expérience, je ne connais pas de femmes qui ne se posent
pas de questions par rapport à la filiation. La filiation chez
les hommes, ce n’est pas très compliqué parce qu’on
est dans un régime patriarcal qui est essentiellement patrilinéaire.
C’est donc plus facile pour les hommes de se repérer. […]
Il y a un rapport au langage. Je veux dire que cette patrilinéarité,
ce n’est pas un hasard si c’est vieux. Ce n’est pas
seulement une question d’oppression, il y a de ça bien
sûr, mais il y a un fonctionnement du langage qui est impliqué.
[…]
Il ne faut pas croire que la psychanalyse est une théorie par
laquelle on sait beaucoup de choses. C’est une théorie
complètement évolutive, Freud n’a pas cessé
de se remettre en question. La preuve, c’est qu’il proposait
de nouvelles théories parce que ce n’était jamais
suffisamment satisfaisant. Et actuellement, on est confronté
aux problèmes que j’évoquais avec vous, c’est-à-dire
de savoir jusqu’où on peut aller avec des mots, jusqu’où
on peut travailler avec des mots avec quelqu’un.
Alors, cela a un avantage, c’est qu’au lieu de dire que
voilà, il y a des fous et des pas fous, il y a des psychotiques
et des pas psychotiques, il y a des… § Une personne l’interrompt pour savoir ce qu’est un psychotique.
- Justement, je pense que cette classification-là est une classification
datée. Actuellement, je dirais plus volontiers qu’il y
a des gens avec qui l’on peut faire un travail avec des mots –
et on peut aller extrêmement loin avec des mots – et puis
il y a des gens chez lesquels on bute contre une sorte de destruction
des mots. Il y a là un côté inopérant des
mots, on ne peut pas aller plus loin. La différence n’est
pas une différence fixe, ça varie suivant les analystes,
ça varie suivant les gens. Tel analyste avec telle personne,
ça pourra aller très loin parce que ça correspondra
probablement à des problématiques propres à l’analyste
; et avec un autre, on ne pourra pas faire grand-chose. Bon, il y a
des gens avec qui on peut aller vraiment très très loin
et faire naître une reconstruction, une construction dans des
choses très violentes, très difficiles, très douloureuses
et puis avec d’autres, on ne peut pas. Il y a un moment où
l’on se heurte, encore une fois, sur une espèce de blanc,
d’effacement. C’est-à-dire que les mots n’opèrent
pas. Alors, j’aurais tendance actuellement à réserver
le terme de psychose à justement ces personnes chez lesquelles
il y a une telle destructivité par rapport à la notion
de sujet, à la notion de mot, de langage. […] C’est
dur à vivre, ils sont dans une telle angoisse, une telle violence
que ce n’est pas possible. Or, l’intérêt justement
de l’anti-psychiatrie est d’avoir très bien saisi
ça. Il y a longtemps que dans de tel lieu, par exemple Le Coral,
chez des gens qui étaient réputés inaccessibles
au langage – des autistes, des psychotiques – on a pu montrer
qu’on pouvait aller plus loin que ce que l’on croyait et
les sortir de choses, par exemple d’un mutisme effroyable chez
l’autiste. Il y en avait un certain nombre que l’on pouvait
sortir de ce mutisme à partir du moment où on travaillait
d’une façon particulière avec les mots, alors qu’il
y a quinze ou vingt ans, on ne le faisait pas. On disait alors : c’est
un autiste, il n’y a rien à faire. La psychose, on en avait
des classifications très nettes aussi bien en psychiatrie qu’en
psychanalyse. En psychanalyse, on parlait de la forclusion du signifiant
du Nom-du-Père, et des choses comme ça. On s’est
aperçu qu’une fois qu’on avait dit ça, on
n’avait pas dit grand-chose. Il a donc fallu se dégager
de ces idéologies, de ces idéaux et ces dogmes pour donner
la place à l’invention d’autres chose qui permettent
d’aller plus loin. On en est là. § Questions sur la transmission de la psychanalyse
- Mais l’enseignement a toujours quinze ans de retard…
Vous m’auriez posé la question il y a quinze ou vingt ans,
je vous aurai répondu avec des choses toutes faites que j’avais
apprises.
Lacan, après avoir enseigné pendant vingt ans de sa vie,
justement la forclusion du signifiant du Nom-du-Père par exemple,
avec de beaux schémas expliquant ce qu’était une
psychose, quand il a vu que ça ne marchait pas, lui, il a arrêté.
Il s’est dit : je me pose d’autres questions. Il a produit
alors une autre théorie, beaucoup plus astucieuse et beaucoup
plus pertinente…dont on ne parle jamais ! D’ailleurs, les
derniers séminaires ne sont pas publiés. Et ils ne le
seront pas avant un certain temps…
On n’en parle pas parce que ça remet en question les théories
précédentes. Ca remet donc en question les enseignants
qui enseignent ces théories-là et les grands gourous de
la psychanalyse qui en sont toujours là… § Question : Où peut-on avoir accès à ces théories
?
- Les séminaires de Lacan, on les trouve quand même dans
des librairies sous forme de ronéotypés, on les trouve
à Paris. On les trouve tous, mais ils sont très peu travaillés
et encore moins enseignés dans les Facultés. Par contre,
il y a des groupes et vous avez la chance dans l’Ouest d’avoir
des groupes de travail qui sont un peu dans le sillage dont je viens
de parler. § Question : Pouvez-vous revenir sur les difficultés à
fonder la référence car vous avez dit que c’était
toujours très mythique ?
- Bon, c’est difficile de répondre. D’autant plus
qu’il y a une question pour laquelle je n’ai pas de réponse
: quel serait le mythe fondateur de l’anarchie ? Alors, je vais
peut-être répondre indirectement en parlant un peu de l’anarchie.
Ca s’appelle anarchie, ce n’est pas un hasard. C’est
un mot qui est très pertinent. Anarchie, ça vient d’un
mot grec qui renvoie justement à ce qui est ancien. Ca renvoie
donc à cette notion de mythe fondateur, d’une espèce
d’instance - arche, archaïque, archéologie,…
tous ces mots-là - et à une notion de pouvoir. Mais à
une certaine notion de pouvoir, c’est-à-dire du côté
de la référence.
Ca ne s’appelle pas acratie. Roger Dadoun a essayé de lancer
le mot acratie, parce qu’il s’est dit qu’il y a la
démocratie, c’est-à-dire la force du peuple, alors
pourquoi ne fonderait-on pas l’acratie ? Eh bien, l’acratie,
c’est autre chose que l’anarchie ! Et l’acratie, ça
ne marche pas ! L’acratie, c’est beaucoup plus la force
physique, ça vient des Jeux Olympiques. Donc les gens qui ont
trouvé le mot anarchie, ils ont visé juste car ils s’attaquent
bien à la notion de référence. Il semble que l’anarchie
a ceci d’extraordinaire. Et il y a un pont à faire avec
la psychanalyse parce que la psychanalyse va essayer d’aller dans
des points extrêmes du pouvoir des mots, comme je le disais tout
à l’heure. Ce faisant, elle va bien sûr toucher un
peu le domaine des institutions. Mais pas tellement le politique…
Par contre, l’anarchie, dans ce mouvement de contestation radicale
du pouvoir, et du pouvoir « archê », va essayer, va
arriver à cette espèce de point ultime et buter contre
le référent institutionnel. C’est pour ça
que l’anarchie est prise dans quelque chose de très compliqué.
D’un côté, la psychanalyse va aller jusqu’au
point d’achoppement des mots, des failles, mais en même
temps, il y a bien un discours analytique, ou un discours sur la psychanalyse.
Eh bien, l’anarchie, elle, donnant des coups de pied, va buter
contre tout pouvoir, toute notion de pouvoir. Mais d’un autre
côté, elle est bien obligée d’exister. C’est-à-dire
qu’il y a une espèce d’effet rebond, il y a un discours
en rebond. Mais si l’anarchie oubliait justement cette remise
en question radicale de l’archê, elle deviendrait un discours
politique comme les autres. Et ce qui la différencie fondamentalement
des autres discours politiques, c’est qu’elle est la seule
à s’attaquer à la racine du pouvoir et au référent.
De la même façon, la psychanalyse va s’attaquer à
ce qu’on appelle dans notre jargon la fonction phallique. La version
institutionnelle, c’est l’anarchie. Moi, c’est comme
ça que j’y suis venu.
Et je me demande pourquoi des gens qui vont suffisamment loin dans l’analyse
– je dis bien suffisamment loin car on peut arrêter une
analyse parce qu’on va mieux et ne pas se poser d’autres
questions – donc des gens qui ont poussé l’analyse
comme on pourrait l’attendre d’un psychanalyste –
je dis bien comme on pourrait l’attendre – pourquoi ils
ignorent tant l’anarchie parce que c’est vraiment le versant
politique de l’analyse. Il y a un psychanalyste, un des premiers
psychanalystes, qui a été considéré comme
un des meilleurs élèves de Freud, Otto Gross , qui était
un anarchiste – c’était un anarchiste célèbre
à l’époque et il n’a jamais été
renié par Freud qui le considérait comme l’un de
ses élèves les plus doués – qui a jeté
les bases, un petit peu, de ce que l’on parle. Alors, je ne sais
pas si c’est une réponse ; je n’ai pas répondu
en direct.
§ Question sur la différence entre mythe et idéologie.
- Moi, il me semble que le mythe renvoie à cette référence
absolue dont je parlai tout à l’heure, c’est-à-dire
qui est le fondement du langage, le fondement de l’institution,
le Tiers exclu, quelque chose comme ça. L’idéologie,
ce sont les idéaux, des superstructures. Et ça, ça
ne touche pas à la base.
[Questions sur l’alchimie, le LSD, etc. Confusions dans la salle
: cassette inaudible] § Question sur le passage de l’individuel au collectif et sur
le rôle du contexte non favorable à l’anarchie.
- C’est une vraie question ! D’autant plus que pour te
donner un exemple, il n’y a pas de milieux plus violents, dogmatiques
que les associations des psychanalystes. C’est l’horreur
! Je veux dire que j’ai quand même une certaine habitude
des mouvements politiques, mais je n’ai jamais vu une violence
aussi forte que dans des réunions d’analystes. Pour vous
donner un exemple, l’Ecole Freudienne de Paris, qui était
l’école fondée par Lacan, et bien quand il est mort
en 81, l’école a donné lieu à 28 ou 29 associations
! Toutes se bouffent le nez ! Rien qu’à Nantes, il y en
a au moins une dizaine !...
C’est dire qu’à la fois, il y a cette espèce
de multiplication en petites associations et en même temps, il
y a un pouvoir de quelques maîtres de la psychanalyse, un pouvoir
extrêmement fort. Si bien que les analystes qui sont restés
dans les théories dont je parlai tout à l’heure
- la psychanalyse première version, qui était tout à
fait intéressante, ces analystes qui en sont restés là
ne se sont pas donné les moyens d’analyser les soubassements
dont je parlai et qui est un rapport avec le politique.
[…] Le politique, encore une fois, ne s’intéresse
pas au désir. Sa plus grande trouille, c’est le désir
des gens ! Ils s’intéressent aux soubassements qui permettent
le désir. D’ailleurs, Lacan disait cette phrase que je
trouve très chouette, c’est : « une idée est
révolutionnaire de susciter un nouveau désir » .
Je me rallierai à cette phrase.
Le problème, c’est qu’il n’y a pas plus anti-désir
que n’importe quelle association, n’importe quel mouvement
politique. La grande trouille des politiques, c’est le désir.
Même les anarchistes !
Dès l’instant où vous allez un peu loin dans la
question du désir d’un sujet, même dans les milieux
anarchistes, c’est la panique. Parce que justement, l’anarchie
est trop résumée à un discours, une pratique politique,
qu’il semble suffisamment se pencher sur ce qui suppose qu’on
appartienne à tel ou tel discours. Or, la seule chose qui puisse
subvertir le pouvoir, c’est à mon avis le désir
et la possibilité créative de quelqu’un.
Du coup, il y a des conflits de pouvoir dans les milieux anarchistes
comme il y en a ailleurs. Sauf dans les endroits inventifs et créatifs
! Dans les communes espagnoles, tant qu’il y a eu ces possibilités
d’invention et de création, il n’y a pas eu trop
de conflits. Dès l’instant où cela a commencé
à s’instituer, les bagarres ont commencé.
Donc, il y a un truc imparable, je ne sais pas comment le résoudre.
Il semble que le combat libertaire ou le combat anarchiste est un des
lieux où l’on peut parler de ça et trouver des pistes,
des ébauches de solution. En tout cas, dans les associations
d’analystes, sûrement pas ! Et précisément
parce que les analystes ne veulent pas s’engager dans la mise
en question de ce soubassement.
C’est Legendre qui a lancé cette question en premier. Et
les analystes de ma générations, confrontés à
la clinique et désarmés - ce qu’on avait appris
ne nous permettait pas d’aborder cette clinique difficile, les
gens difficiles – se sont intéressés aux soubassements.
Donc la question politique se posait forcément !
Une fois qu’on aborde la question politique, on peut trouver des
solutions variées. Il semble que le chemin anarchiste est le
moins, comment dire ?, celui qui donne le plus de possibilités
de création, d’invention…ensemble. Il n’y a
pas de poésie, d’invention poétique de sa vie sans
tenir compte des autres. Pour résumer ce que je veux dire, il
n’y a que la liberté définie par les gens. Psychanalyste
il y a vingt ans, c’était résumé par Roustang
: « au nom de mon désir, pousse tes pieds de là
sinon je les écrase ! ». C’était la génération
d’analystes qui m’a précédé : c’est
mon désir de t’écraser, de te marcher sur les pieds.
La position anarchiste, c’est dire : la seule limite à
ma liberté, c’est ta liberté ; si tu n’es
pas libre, je ne suis pas libre. Ca change tout ! Donc, à partir
du moment où un analyste, dans la problématique du désir,
se pose la question de la liberté, nécessairement, il
pose la question de l’autre, et donc du politique. Ca ne veut
pas dire que tout le monde a envie de faire cette démarche, parce
que ça pose de sacrés problèmes…
Je ne sais pas si je réponds… C’est pour ça
que l’anarchie, ça fait toujours entre deux chaises. Impossible
d’être assis sur une chaise d’anarchiste ! Ça
ne peut être qu’entre les deux. Comme une chaise d’analyste,
ça n’existe pas ! On n’a pas de certitudes, c’est
très difficile, très difficile… Comme l’artiste,
celui qui crée, il est toujours entre deux chaises.
[Questions confuses sur l’homéopathie, le magnétisme.
Tentatives de resserrer le débat]
§ Question sur les réponses insatisfaisantes des psychiatres
au sujet des incestes, des viols conjugaux]
- Je travaille avec un certain nombre d’enfants de l’Aide
Sociale à l’Enfance, c’est-à-dire des enfants
qui ont tous subi des violences sexuelles, en particulier des violences
incestueuses. Or, petite anecdote mais significative : quand j’étais
psychiatre dans un dispensaire d’enfants (proche banlieue parisienne,
il y a vingt ans de ça) ; en 10 ans, je n’ai pas entendu
parler une seule fois de violence sexuelle faite à un enfant
ou d’inceste. On n’en parlait pas…donc il n’y
en avait pas ! Et comme il n’y en avait pas, la clinique n’était
pas interrogée par des choses qui n’existaient pas. Je
ne caricature pas, c’était exactement comme cela ! Et puis,
actuellement encore, il y a des C.M.P (Centres Médico-Psychologiques)
qui disent – ça m’a été dit il y a
encore une vingtaine de jours – que tout ce qui concerne l’inceste,
c’est pas pour nous. Alors que ce sont des lieux psychiatriques,
ils disent : ce n’est pas pour nous, on ne veut pas en entendre
parler.
Il faut donc savoir que tout ce qui concerne les violences faites aux
femmes et aux petits enfants, on commence à en parler depuis
une dizaine d’année. C’est quand même récent.
Mais il y a encore plein d’endroits où l’on ne veut
pas en entendre parler.
Alors, on fait pour eux : il y a tous ces lieux que tu connais, les
S.O.S femmes violées, S.O.S enfants, etc où on entend
quelque chose, où les gens peuvent parler. Mais il y a heureusement
des psys qui se forment l’oreille à entendre ça.
Et quand on s’est formé l’oreille à entendre
cette problématique, alors on en trouve partout.
Moi, dans les analyses que je faisais il y a vingt ans, les viols, les
incestes, il n’y en avait pas beaucoup. Quand il y en avait un,
je courai chez mon contrôleur en disant : « mais qu’est-ce
qu’il faut que je fasse ? ». Maintenant, je dirais que dans
les analyses que je fais actuellement, il n’y en a pas dans laquelle
il n’y a pas de problème comme ça à une,
deux, trois générations, dans les deux ou trois générations
qui ont précédé. Ce qui veut dire que la proportion
n’a pas changé mais on est plus, disons, écoutants.
Le niveau de surdité a changé.
§ Question sur l’analyse avec les enfants et l’âge
minimum.
- C’est-à-dire que ce n’est pas la même technique
psychanalytique mais c’est le même usage des mots. Je pense
qu’il faut qu’un enfant puisse parler. Mais il y a des analystes
qui vont faire des analyses avec des mots-sons. Euh, je dis ça
du bout des doigts hein… il faut qu’il y ait quand même
au minimum un niveau d’acquisition du langage. Mais bon, il y
a des gens très sérieux qui disent arriver à travailler
avec des mots-sons. Le problème est le même. C’est-à-dire
que là où il n’y a rien, là où une
personne ne sait pas qu’elle ignore – ce n’est pas
qu’elle ne sait pas, c’est qu’elle a refoulé,
c’est la question du réel dont je parlai tout à
l’heure, cette espèce de trou qui remonte à une,
deux, trois générations et il n’y a pas de mots
– tout le problème est de nommer les choses, de mettre
du nom. Et ce, avec un enfant ou un adulte. C’est quand même
du mot, mais on va utiliser des dessins, ce n’est pas la même
technique. § Question sur la première demande avec les enfants.
- C’est une très bonne question. Si vous attendez une
demande, vous attendrez dix ans. Je crois qu’avec un certain nombre
de personnes – pas uniquement des enfants, des adultes aussi,
par exemple les femmes violées ou les problématiques incestueuses
– si on attend une demande, du genre de la psychanalyse classique
qui dira je vous écoute et qui attend, eh bien, il pourra attendre
des années ! Il ne peut pas demander puisqu’il n’a
pas les mots, et il y a des secteurs entiers de pensées qui ont
été détruits par les violences incestueuses. Donc,
il n’a pas les mots, il n’a même pas la possibilité
de penser ce qui lui est arrivé. Comment voulez-vous qu’il
demande ? S’il se trouve avec un analyste silencieux, ou une demande
qui attend la demande, il se retrouve exactement dans le même
univers, sans mots, sans noms, univers de désert dans lequel
il a toujours vécu. Alors, il faut aller au-devant. § Question sur la limite de l’ingérence du psychanalyste.
- Ce n’est pas une ingérence, Freud parlait beaucoup.
[brouhaha dans la salle et question sur l’association libre]
- Je dis ça pour caricaturer mais souvent, l’association
libre est faite pour ne pas parler de quelque chose. Quand vous avez
un îlot de réel, quelque chose d’incestueux par exemple,
des analyses qui vont être livrées simplement à
l’association libre, celle-ci va soigneusement éviter,
à l’insu même de la personne, ces jeux-là.
Je m’en suis aperçu en ayant en analyse des personnes dont
les parents ont été en camp de concentration. C’est
ce que je vous disais tout à l’heure, j’avais vraiment
l’impression qu’à certains moments, quand on se rapprochait
de certains points très chauds, très durs, hop, il y a
une sorte de déviation pour ne rien en dire. Alors c’est
là où l’analyste…D’un côté,
bien sûr, il doit laisser la parole se développer, à
d’autres moments, il doit au contraire intervenir. S’il
n’intervient pas…
§ Question pour savoir dans quelle mesure, dans le cas d’un-e
analysant-e X qui n’est pas dans ces cas extrêmes de viol,
d’inceste, Philippe Garnier va provoquer la parole par d’autres
paroles, voire le ou la conseiller.
- Pour peu que vous alliez très suffisamment loin dans l’analyse
– et aller loin dans l’analyse, ça veut dire que
dans sa tête, l’analyste peut aller loin, c’est-à-dire
qu’il a suffisamment travaillé son propre mode de pensée,
ses propres surdités, sur ses propres absences de pensée,
champs de pensée, quand il a travaillé là-dessus
– je dirais que neuf fois sur dix, on trouve des choses très
violentes chez quelqu’un. Pas dans la première génération,
sur deux-trois générations. C’est rare qu’il
n’y ait pas quelque chose de très dur, un secret de famille,…
§ Question sur la part active de l’analyste pour provoquer ce
dont il s’agit. [Brouhaha dans la salle]. Question pour savoir
dans quelle mesure le travail peut être dit positif
- Je vais vous répondre et puis après ça, on en
restera là parce que j’aimerais bien écouter Philippe
Coutant .
La personne dont je parlai tout à l’heure, que j’ai
reçue hier, c’est une personne qui arrive en disant qu’elle
était violée depuis dix ans par son beau-père.
C’est une personne qui a, je ne sais pas, vingt-cinq ans à
peu près. Qu’est-ce qui a fait que je me suis dit qu’il
y a autre chose que ce premier truc ? C’est quand même déjà
lourd ! Qu’est-ce qui a fait que je me suis dit qu’il y
avait autre chose et que finalement, elle a pu dire qu’elle était
la fille de son grand-père ? C’est-à-dire que le
premier viol incestueux renvoyait à quelque chose d’autrement
plus grave deux générations avant. Je ne sais pas pourquoi
je lui ai posé la question. Bon, je ne lui ai pas dit : est-ce
que vous avez été… Il y a quelque chose que j’ai
entendu qui m’a permis de poser des questions, des questions sur
sa biographie, etc, jusqu’au moment où elle a dit : Ah
oui, il y a eu ça ! Ca, c’est la formation clinique, ce
que j’appelle former son oreille. Il y a quinze ans, je n’aurais
pas posé la question. Je me serais dit que c’est un inceste. § Question sur le délire
- Délirer, ça arrive à tout le monde !
Transcription : Rénald Gaboriau
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