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L'AUTORITE DANS UN REGROUPEMENT MILITANT ANTI-AUTORITAIRE :
FREINS À SA DÉNONCIATION, RAISONS D'UNE ACCEPTATION


Texte extrait de " L’autoritarisme dans les organisations libertaires, Formes et remèdes "
brochure publiée par Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen
Comme le titre l'indique, et c'est une position que nous partageons au GARAS, l'autorité peut sévir dans des regroupements se proclamant contre l'autorité.
C'est une contradiction énorme, et pourtant elle existe.
On peut même trouver des textes dénonçant les abus d'autorité venant de la part d'individus ou de groupes qui ne rêvent que d'une chose : remplacer ceux qui à un moment donné dominent le regroupement. Difficile parfois d'y voir clair, et dans ce cas on peut essayer de bien lire les textes et comparer ce qui y est dit à la réalité. Se référer à la base du regroupement, sa raison d'être, permet également d'opérer un tri en dégageant des incohérences entre le discours et la pratique de telle ou telle partie. Cela n'exclue pas les possibilités de se tromper, mais limite la casse. Ceci dit, malgré toutes les précautions que l'on peut prendre, il faut bien garder à l'esprit que l'on peut manipuler un texte pour en changer le sens, et que dans la pratique beaucoup de choses permettent au pouvoir de s'exercer. C'est ce que je vais essayer d'aborder.

Je ne chercherai pas à démontrer longuement et avec de nombreux exemples que l'autorité existe dans de nombreux regroupements se déclarant fermement anti-autoritaires, à chacun de regarder de l'extérieur pour se faire une idée, ou de l'intérieur de son propre groupe. D'ailleurs les nombreuses scissions, exclusions, problèmes internes, départs plus ou moins volontaires des regroupements militants, ont permis de produire suffisamment de textes sur le sujet (qui sont supposés rester internes la plupart du temps), qui montrent que la réalité est souvent bien différente de ce qui est affirmé dans les journaux libertaires. Mais est-ce si surprenant de constater que des rapports de domination et de soumission existent au sein de regroupements constitués d'individus ayant grandi dans une société autoritaire ? Qui peut nier que notre éducation (donnée par l'état), notre environnement familial, la société dans laquelle nous avons évolué, nous ont influencés ? Ces trois choses, pour ne citer qu'elles, s'organisent sur des modèles autoritaires. Le discours qui justifie l'autorité du père, de l'état, du patron, ne vient que défendre cet état de fait : l'environnement dont nous sommes issus est autoritaire par définition, et la soumission y est donc monnaie courante. Que nous le voulions ou non, nous avons donc été marqués dans notre psychologie, nous avons vécu et nous sommes construits mentalement dans un monde autoritaire. Cela ne peut que laisser des traces, même si l'on est très conscient du problème. Alors autant ne pas s'étonner, ou nier ce que l'on peut observer dans différents groupes, surtout s'il s'agit de le refuser activement. Le premier pas pour réagir contre l'autorité, et la soumission qui en découle, est à mon avis de prendre conscience de son propre conditionnement comme de celui de tout un chacun, puisque nous avons tous baigné dans cette société malsaine.
Cependant, puisqu'il existe des regroupements ayant pour but de lutter contre l'autorité, comment se fait-il qu'aucun d'entre eux n'arrive à l'heure actuelle à résoudre les problèmes qui y sont liés, et à atteindre une audience qui dépasse le stade du groupuscule ?

Constat sur les groupes

Difficulté à remettre le groupe en cause ; reproduction de la société autoritaire au sein même du groupe anti-autoritaire

Pour tenter de résoudre un problème, la première étape est de prendre conscience du problème. Cela peut paraître évident, mais dans la pratique, cette première étape est bien souvent l'occasion de nombreux blocages. Reconnaître une telle contradiction coûte énormément, car elle semble remettre en cause l'existence même d'un groupe qui se déclare contre notre société autoritaire. Difficile d'admettre que l'on a pu reproduire chez soi ce que l'on reproche aux pires crapules de la classe dominante. Plus difficile encore à admettre : comme on est impliqué dans son groupe, on a forcément une part de responsabilité dans cette situation très embarrassante. Schématiquement, on peut dire qu'il existe une situation courante au sein des groupes : on a une partie exerçant l'autorité, une autre la dénonçant, et une majorité qui opte pour une attitude passive.
On retrouve donc exactement ce que l'on peut observer dans notre société depuis des lustres. Simple comme analyse, mais néanmoins réelle à mes yeux. Je ne prétends pas, comme je l'ai dit plus haut, qu'il n'y a que d'honnêtes dénonciateurs du pouvoir, et que la majorité qui opte pour la passivité à un moment donné est homogène. La partie dominante n'est pas forcément homogène non plus, et les alliances liées au maintien de son emprise sur le groupe peuvent varier (tout comme le discours) en fonction des circonstances. Là encore, pas de grande différence avec le fonctionnement de notre société divisée en classes, les classes n'étant pas homogènes et présentant des contradictions.

L'organisation libertaire : un refuge possible pour survivre dans notre société

Les points de blocages à la reconnaissance de l'existence de l'autorité et à sa soumission sont nombreux, certains individus faisant parfois tout ce qu'ils peuvent pour éviter que l'on aborde le sujet. Ces points de blocages sont multiples et font que l'autorité est parfois un tabou dans les milieux libertaires. On peut observer un schéma classique : on critique d'autant plus fortement les autres, c'est à dire la société autoritaire, les partis, les bureaucraties diverses, que l'on se critique d'autant moins soi-même. Le regroupement auquel on appartient est la bulle à l'intérieur de laquelle on respire, il ne saurait être question d'admettre que son air soit pollué. L'organisation politique ou syndicale à orientation libertaire sont donc vécus dans ce cas comme des moyens de supporter et d'échapper à la société que l'on rejette, mais deviennent en réalité des lieux d'enfermement puisqu'il est très difficile de les remettre en question : la critique est réservée pour l'extérieur. C'est ainsi que l'on peut assister à la mise en place de groupes parfaitement autoritaires qui sont convaincus de lutter contre l'autorité.

Détaillons les blocages qui empêchent les individus de se positionner clairement sur des problèmes de pouvoir

Le rôle des copains Philippe Coutant et Gabelle en parlent dans leurs articles publiés précédemment (voir lettres de liaison n°2 et 3), et c'est un point à ne pas négliger. Nous ne sommes pas de purs êtres rationnels qui raisonnons uniquement en fonction de la réalité, et l'existence de relations affinitaires vient parfois brouiller notre vision des choses. Il sera beaucoup plus facile de dénoncer une attitude autoritaire venant de quelqu'un que l'on n'aime pas plutôt que venant d'un ami. Encore une fois, cela peut paraître être une banalité dit ainsi, mais dans la pratique, combien de fois pouvons-nous observer qu'untel laisse passer plus facilement un comportement inacceptable sans trop broncher parce qu'il y a de l'affectif en jeu ? Il est parfois délicat de contredire un ami, de le remettre en question (surtout devant le groupe), car cela pourrait être perçu comme une trahison de l'amitié, de la relation privilégiée qu'on a avec elle ou lui. Rester sur la critique des faits et des idées est essentiel si on veut limiter les réactions émotionnelles incontrôlées, ou de mettre en jeu une relation à laquelle on tient. Pourtant, par peur de remettre en cause cette relation, on peut être amené à se taire là où il aurait fallu intervenir.

La volonté d'intégration dans le groupe : problème de l'image que l'on veut donner de soi, importance du regard des autres

Si on revient sur la difficulté à poser un problème d'autorité ou de soumission par rapport à une per sonne qu'on apprécie, le problème de l'image que l'on va donner de cette personne au groupe intervient immédiatement. Dans le cas d'un comportement de soumission, il est difficile de faire comprendre à quelqu'un qu'il accepte un peu trop facilement tout ce qui vient d'une personnalité forte dans le groupe, car cela donne de lui l'image d'un soumis qui suit sans réfléchir ce que d'autres disent. Dans le cas d'un comportement autoritaire, ce type d'attitude étant combattu par les anarchistes, dire de quelqu'un qu'il a des comportements autoritaires est dévalorisant par rapport au groupe, et donc difficile à entendre, et encore plus à admettre. Mais pourquoi la critique, lorsqu'elle se base sur des faits réels, est elle si pénible à accepter, y compris venant de proches ?
Chacun d'entre nous a été élevé en société, entouré dès le départ par d'autres individus. Les personnes nous ayant élevé par exemple, ont forcément constitué des modèles au début de notre vie, ils ont été des points de repères pour nous construire. Nous avons eu une relation privilégiée avec eux, affective, et du coup les réactions qu'ont pu avoir ces personnes envers nous ont été très importantes à nos yeux, déterminantes. On a cherché à être accepté par elles, donc à avoir des signes d'encouragement, d'affection, de valorisation, de récompense, et nous avons au contraire cherché à éviter les réactions négatives, de rejet, de punition, de désapprobation. Durant notre vie, nous conservons ce fonctionnement par rapport aux gens que nous apprécions, nous cherchons à leur plaire, nous attendons des signes positifs de leur part. Ce comportement se reproduit également dans le groupe, car si on a choisi de s'y intégrer c'est que l'on considère être en phase avec lui, qu'on apprécie ses idées, ses pratiques. La famille n'est pas un espace choisi, mais un groupe politique ou syndical, si. On va donc d'autant plus se penser en accord avec lui, et d'autant plus difficilement accepter un décalage ou une remise en cause.

Pour revenir aux copains, si on peut accepter dans un cadre privé, d'individu à individu, certaines critiques, il devient par contre dur de les encaisser devant le groupe, car elles viennent de quelqu'un qui est supposé bien nous connaître, et dont on ne s'attend pas à ce qu'il nous remette en cause devant les autres. L'image que l'on donne de soi, la recherche d'intégration au groupe, de signes d'acceptation ou de mise en valeur, est alors éventuellement mise en péril. Dans ce cas, soit l'individu prend du recul et accepte de réfléchir à la critique qu'on lui formule (quitte à prendre le temps de le faire en dehors des réunions), soit il réagit de manière émotive car il sent que son image dans le groupe est trop brusquement remise en cause. Il faut aussi prendre en compte que nous n'avons pas une conscience absolue de nos comportements, que nous nous imaginons rarement avec tous nos défauts. Nous ne souhaitons pas avoir une image négative de nous-mêmes, et cela ne nous aide pas toujours à écouter les critiques, même amicales.
Pourtant, c'est en acceptant les critiques que l'on s'améliore et qu'on est mieux accepté par les autres ensuite, à la condition que celles-ci soient formulées dans le respect et se basent au moins sur une part de vérité.

Éventuelle mise en place d'un esprit de groupe, d'une norme

A partir de cette volonté d'intégration de l'individu dans le groupe, on peut voir apparaître des comportements d'adaptation au discours et à la pratique du groupe purement formels. La personne ne s'approprie pas les méthodes du groupe mais les imite pour être acceptée. Par exemple, si le groupe est anti-raciste, la personne va être anti-raciste dans le discours, mais ne va pas chercher à se demander pourquoi le groupe rejette le racisme. Résultat, cette personne n'a pas de démarche réelle pour rejeter les conditionnements racistes de notre société chauvine et nationaliste. Au quotidien cela ne se verra pas, mais dans des situations concrètes cela pourra faire la différence ; surtout si la personne n'a pas eu une expérience lui permettant d'évoluer (la lutte avec un immigré au coude à coude contre un plan de licencie ment, par exemple). Si on n'a pas une réflexion, ou une expérience pratique qui nous permette d'évoluer sur un sujet, alors on se contente d'une adhésion formelle à des principes. Il peut se passer la même chose dans un syndicat autogéré. Chacun a son propre rythme pour évoluer, et il ne saurait être question d'exiger un examen de conscience avant de faire adhérer quelqu'un, mais il ne faut pas sous-estimer la reproduction de nos conditionnements, qui ne peut être contrecarrée par une adhésion formelle à des idées ou pratiques sur lesquelles on ne se pose pas de questions. A partir de là, on peut voir des gens être contre l'autorité et pour l'autogestion, car c'est ce qui représente le groupe auquel ils ont choisi d'appartenir, mais plus par reproduction d'une norme que par appropriation d'idées et de pratiques. Évidemment, face à des comportements autoritaires ou de soumission, cela n'aide pas à mettre les problèmes sur la table...

L'esprit de groupe garanti par le, ou les dominants, pousse les dominés à défendre le dominant dans son rôle de protecteur

L'apparition d'une norme, d'un ensemble d'idées et de pratiques qui doivent être reproduites par le groupe, car elles constituent son identité, ne favorise pas l'évolution d'un groupe ou sa capacité à se remettre en question. Par contre, elle peut aider à l'apparition d'un esprit de groupe incarné par un, ou des représentants, qui chercheront à influencer et orienter sans le dire cet esprit de groupe. Ensuite, plus le chef défendra l'identité du groupe, plus il sera perçu comme le rempart, le pilier indispensable. Si jamais on critique la personne dominante, on risque de se mettre à dos plusieurs personnes qui n'étaient pas visées par la critique, mais se sont senties visées, ou tout simplement impliquées par la critique car le groupe est mis en danger à travers son, ou ses dominants. En critiquant la personne (ou la structure dominante dans une organisation), on a remis en cause ce qui, pour certains, est la garantie que le groupe est ce qu'il est et va le rester. Dans le fond, les personnes qui vont défendre coûte que coûte leur leader, ou tout simplement nier les problèmes d'autorité, se sentent incapables d'agir par elles-mêmes, en toute autonomie : elles ont besoin du chef pour garantir leur structure (il y a sûrement un problème de confiance en soi, tout à fait compréhensible dans une société de spécialistes et de dominants qui passe son temps à nous dévaloriser, pour mieux nous soumettre à ceux qui savent et ceux qui sont forts).

La peur de nuire au groupe

Parmi les points de blocage qui empêchent la mise à plat des problèmes, on a le sentiment que si on parle, on va tout briser. On risque de causer du tort à son organisation, on va remettre en cause un équilibre, on va peut-être nous le reprocher (les dominants s'en chargeront en général), on risque d'obtenir un résultat pire que la situation présente. La peur de prendre des initiatives, de s'impliquer, de risquer que la situation soit pire encore, nous empêche souvent de tenter quoi que ce soit. Ce facteur est souvent amplifié par le nombre d'années de participation à une structure. La volonté de ne pas casser l'organisation, d'éviter les exclusions, les scissions éventuelles, les conflits qui en découlent, feront préférer l'unité de façade et la survie du groupe à la cohérence.

Le rôle du dominant
Nous avons parlé de la place du dominant dans le groupe : il est le protecteur, la garantie de l'identité du groupe. Cette place, il va chercher à la garder, aussi bien vis-à-vis de ceux qui voudraient le remplacer dans ce rôle, que de ceux qui critiquent sa position sincèrement.
Il dispose pour cela de deux outils essentiels, la distribution de récompenses (de signes gratifiants) et la marginalisation. La récompense, Philippe Coutant en parle très bien dans son article sur la " chefferie militante " (voir LLN°2). Il n'est pas difficile de comprendre qu'en présence d'un chef, votre place dans le groupe dépend de l'appréciation qu'il porte sur vous, de la situation de soumission que vous entretenez avec lui en évitant de trop le contredire. Un conflit avec le dominant est un acte qui a des conséquences sur son acceptation par les autres membres du groupe. Si les divergences deviennent trop importantes, que vous refusez de vous plier à la pensée dominante dans le groupe que le chef formule au nom de tous (même s'il ne le dit pas ouvertement), vous serez alors progressivement mis à l'écart. Vous obtiendrez également un statut, celui de traître dans le pire des cas, mais au minimum d'individu " suspect " (selon votre degré d'indépendance). Ce schéma, on le retrouve très bien dans le monde du travail, bien qu'il soit accompagné de sanctions plus appuyées, car la hiérarchie y est formellement présente et assumée (contrairement aux milieux anarcho-syndicalistes et anarchistes où l'hypocrisie et la dissimulation règnent). Le syndicaliste (à moins d'être un collabo associé à la bonne marche de l'entreprise) est présenté par la direction comme un trouble-fête, un indésirable qui met en péril la santé de l'entreprise : il brise la "bonne ambiance" de travail, il perturbe tout le monde, n'amène que des désagréments, à tort de s'opposer ainsi à des décisions qui lui échappent...

L'attitude du dominé face à la pression du dominant

II y en aura toujours pour être perturbés dans le train-train de la soumission, des qui préfèrent ne pas se poser trop de question et aller dans le sens du courant.
Leur réaction est souvent motivée par un désir de tranquillité dans la soumission : peu importe la réalité et ses contraintes, du moment qu'on a la paix avec le chef.
Comme Gabelle le fait remarquer ajuste titre dans son article paru dans la lettre n°3, on a " l'habitude de se taire face aux chefs au nom de la préservation de sa tranquillité personnelle et de celle de la cohésion du groupe ". Les conditionnements évoqués dans l'introduction jouent à plein régime pour nous empêcher d'intervenir et d'assumer le conflit avec le dominant. La situation de conflit nous est souvent désagréable, difficile à assumer, et nous préférons nous y soustraire dans beaucoup de cas. Ce qui nous place également dans une position délicate, c'est notre manque d'expérience dans la gestion des rapports de force, auxquels le dominant est bien évidemment habitué. Ceci dit, l'expérience, ça s'acquiert, quitte à s'entraider pour faire face à une situation. Malheureusement, au lieu de se regrouper pour être plus forts, les dominés ont parfois tendance à se décourager et à rester isolés. Comme on dit, si tu te tiens tranquille, t'auras pas de problèmes...

L'être humain justifie quasiment toujours ses actes par un discours ; le dominé aussi

Comment va se justifier la soumission dans des organisations prétendant fonctionner sur des bases auto gérées ? Voici quelques-unes des explications rencontrées. Évidemment, on ne rencontre jamais de gens qui admettent sincèrement qu'ils sont soumis, car c'est une image peu valorisante qu'ils donneraient d'eux-mêmes (même si dans la pratique ils acceptent tout et n'importe quoi).
Un des discours possible, c'est celui qui consiste à dire qu'on est libre de faire ce que l'on veut, et que lorsque l'on est d'accord avec le dominant du groupe, c'est en toute liberté. On se gardera bien de parler de dominant ou d'autoritaire ; éventuellement on reconnaîtra qu'il y a certains problèmes, et encore... Pourtant, dans la pratique, on pourra constater qu'il existe des problèmes de transgression des règles collectives par les dominants, des passe-droits... Les personnes dominées adoptent souvent une attitude de respect des autres et des accords collectifs, mais, étant incapables de tenir le rapport de force, elles refuseront de voir que les dominants ne respectent rien de ce qui leur tient à cœur, où justifieront cet état de fait en argumentant qu'on ne peut rien changer. Ils mettront en avant le fait qu'en ce qui les concerne la présence de supposés dominants ne les empêchent pas d'agir par eux-mêmes, et minimiseront l'impact des problèmes qu'entraînent les dominants sur le groupe.
Pour d'autres, il y aura production d'un discours qui mettra en avant le travail concret, sur le terrain. La gestion collective de son groupe local ou de sa propre organisation serait totalement secondaire : chercher à s'impliquer dans un fonctionnement collectif, équivaudrait à se perdre en querelles inutiles lorsqu'il y a des problèmes. Attitude confortable, lorsqu'on est pas concerné directement ou que l'on se voile la face. Mais cela ne résout rien, et les conséquences d'une telle attitude ne manqueront pas de resurgir plus tard : par exemple, beaucoup de nouveaux adhérents venus sur l'apparence d'une organisation autogérée, repartiront lorsqu'ils auront pris conscience de l'endroit où ils ont mis les pieds. Cette position privilégiant à l'excès le travail concret au détriment de la cohérence, peut être comparée à celle de travailleurs qui refusent de remettre en cause leur exploitation et préfèrent s'intéresser uniquement à des préoccupations immédiates : la marche du capitalisme ne manquera pas de les rattraper lorsqu'ils seront licenciés, perdront des avantages, verront leurs salaires diminués, subiront un accident de travail lié a la productivité... On peut nier l'exploitation comme la domination en se rattachant à l'immédiat, cette vue à court terme n'empêche pas leurs conséquences de survenir.
On peut également entendre un discours idéologique ou ultra théorique, qui nous emmène dans des considérations détachées du réel. Se diluer dans la production de concepts et de théories qui n'en finissent plus permet de s'éloigner efficacement des problèmes.
Philippe Coutant a également parlé du sentiment que l'on ne peut rien changer, que c'est toujours pareil. Certains vont jusqu'à transformer ce sentiment en discours, en prétendant que de toute façon l'autorité se reproduit toujours et qu'on y peut rien. Venant de la part d'un patron cela n'est guère surprenant de monsieur x ça fait déjà chier, mais de la part de supposés anarcho-syndicalistes ou libertaires on croit rêver. Et pourtant c'est arrivé. Si un individu en arrive à ce stade là, qu'il ne se leurre pas lui-même et ne trompe pas les autres par la même occasion : il n'a plus rien à voir avec l'anarcho-syndicalisme ou l'anarchisme.
Ce ne sont là que quelques exemples, je n'ai pas la prétention d'être complet.

Le problème des sanctions, du rapport de force dans les organisations autogérées se réclamant de l'anti-autoritarisme

L'article de Gabelle paru dans la lettre n°3 résume bien tout le problème dont souffrent des personnes se réclamant de pratiques anti-autoritaires. Il semblerait que sanctionner des personnes soit autoritaire par définition. Donc, j'en déduis que se défendre face à une agression est autoritaire. Quelle solution me reste-t-il alors face à un autoritaire ? La fuite ? Ce qui équivaut à laisser faire les dominants sans même tenter d'agir. Le dialogue avec quelqu'un qui désire uniquement m'imposer ses vues, et se moque pas mal de ce que je peux lui dire ? Ce serait sans effet.
Il y a une confusion entre la volonté de punir pour assouvir une frustration, de se défouler sur l'autre, et la nécessité de réagir face à l'agression. Cette confusion est certainement influencée par un conditionnement catholique, dont la meilleure image est celle de l'autre couillon qui tend la joue alors qu'il vient déjà de s'en prendre une. Ce conditionnement nous est toujours véhiculé par le citoyennisme (souvent par la famille aussi), qui nous pousse à rejeter toute forme de violence, tout en se gardant bien de nous montrer comment la classe dominante l'utilise pour maintenir sa position.
Reproduisant leur conditionnement au lieu de lutter contre, on a malheureusement des militants qui se soumettent, tout en véhiculant la conception utopique d'un fonctionnement et d'une société où tout se réglerait par le dialogue. Ne pas admettre les conflits entre les individus, les nécessaires rapports de force à tenir, et ne pas vouloir mettre en pratique les mesures à opposer aux volontés autoritaires, témoigne d'un conditionnement à la soumission encouragé et entretenu par les religions.

Conclusion

S'il ne faut pas hurler au loup dès que des comportements peuvent être assimilés à de l'autorité (nous sommes tous conditionnés, c'est la volonté d'agir dessus, la démarche, qui fait la différence entre un autoritaire réel et quelqu'un avec des conditionnements autoritaires), nous sommes là face à un problème de taille.
Le conditionnement à la soumission est moins dénoncé, mais aussi responsable. Il y a donc un gros travail personnel que chacun d'entre nous doit faire pour essayer de ne pas retomber dans ces schémas à cause desquels, soit les autres sont dévalorisés car on se considère comme supérieur, soit nous nous complaisons dans des relations de soumission. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, et l'état actuel des rapports humains au sein des organisations syndicales ou politiques déclarant avoir un rapport avec l'anarchisme n'est guère encourageant, autant le dire franchement. Je mesure combien nos préoccupations sont décalées des préoccupations de millions de personnes, comme je mesure à quel point la soumission est intériorisée. Mais je sais également que nos préoccupations sont totalement en phase avec la réalité vécue par ces mêmes millions de personnes. La domination s'exprime partout dans notre société, et nous sommes nombreux à la subir. Passer du défoulement sur celui qui occupe un rang inférieur dans une hiérarchie quelconque, au rejet de l'autorité et de la soumission est cependant une nécessité vitale pour notre bien-être collectif. Celui qui a subi l'autorité à l'école, dans la famille, au travail, peut très bien s'en rendre compte par lui-même. Pour favoriser cette prise de conscience nous avons choisi l'outil syndical, mais sans jouer la carte de la facilité. Même si notre combat est rude, je suis au moins sûr d'une chose. Une organisation syndicale qui prétendrait s'opposer au capitalisme, dont le respect de l'autorité est un pilier, mais qui refuserait d'affronter ses propres difficultés, ne pourrait que devenir partie prenante du capitalisme : elle en développerait les tares au fur et à mesure de son développement. Cette organisation ne serait d'aucune utilité aux travailleurs, elle devrait au contraire être rejetée par eux. C'est une des raisons qui m'a poussé à poser le problème de la soumission à l'autorité.


Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen a publié une brochure sur
" L’autoritarisme dans les organisations libertaires, Formes et remèdes "
Leurs coordonnées :
Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste
B P 257
1403 Caen Cedex

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