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Texte extrait de " L’autoritarisme dans les organisations
libertaires, Formes et remèdes "
brochure publiée par Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste
de Caen
Comme le titre l'indique, et c'est une position que nous partageons
au GARAS, l'autorité peut sévir dans des regroupements
se proclamant contre l'autorité.
C'est une contradiction énorme, et pourtant elle existe.
On peut même trouver des textes dénonçant les
abus d'autorité venant de la part d'individus ou de groupes
qui ne rêvent que d'une chose : remplacer ceux qui à
un moment donné dominent le regroupement. Difficile parfois
d'y voir clair, et dans ce cas on peut essayer de bien lire les
textes et comparer ce qui y est dit à la réalité.
Se référer à la base du regroupement, sa raison
d'être, permet également d'opérer un tri en
dégageant des incohérences entre le discours et la
pratique de telle ou telle partie. Cela n'exclue pas les possibilités
de se tromper, mais limite la casse. Ceci dit, malgré toutes
les précautions que l'on peut prendre, il faut bien garder
à l'esprit que l'on peut manipuler un texte pour en changer
le sens, et que dans la pratique beaucoup de choses permettent au
pouvoir de s'exercer. C'est ce que je vais essayer d'aborder.
Je ne chercherai pas à démontrer longuement et avec
de nombreux exemples que l'autorité existe dans de nombreux
regroupements se déclarant fermement anti-autoritaires, à
chacun de regarder de l'extérieur pour se faire une idée,
ou de l'intérieur de son propre groupe. D'ailleurs les nombreuses
scissions, exclusions, problèmes internes, départs
plus ou moins volontaires des regroupements militants, ont permis
de produire suffisamment de textes sur le sujet (qui sont supposés
rester internes la plupart du temps), qui montrent que la réalité
est souvent bien différente de ce qui est affirmé
dans les journaux libertaires. Mais est-ce si surprenant de constater
que des rapports de domination et de soumission existent au sein
de regroupements constitués d'individus ayant grandi dans
une société autoritaire ? Qui peut nier que notre
éducation (donnée par l'état), notre environnement
familial, la société dans laquelle nous avons évolué,
nous ont influencés ? Ces trois choses, pour ne citer qu'elles,
s'organisent sur des modèles autoritaires. Le discours qui
justifie l'autorité du père, de l'état, du
patron, ne vient que défendre cet état de fait : l'environnement
dont nous sommes issus est autoritaire par définition, et
la soumission y est donc monnaie courante. Que nous le voulions
ou non, nous avons donc été marqués dans notre
psychologie, nous avons vécu et nous sommes construits mentalement
dans un monde autoritaire. Cela ne peut que laisser des traces,
même si l'on est très conscient du problème.
Alors autant ne pas s'étonner, ou nier ce que l'on peut observer
dans différents groupes, surtout s'il s'agit de le refuser
activement. Le premier pas pour réagir contre l'autorité,
et la soumission qui en découle, est à mon avis de
prendre conscience de son propre conditionnement comme de celui
de tout un chacun, puisque nous avons tous baigné dans cette
société malsaine.
Cependant, puisqu'il existe des regroupements ayant pour but de
lutter contre l'autorité, comment se fait-il qu'aucun d'entre
eux n'arrive à l'heure actuelle à résoudre
les problèmes qui y sont liés, et à atteindre
une audience qui dépasse le stade du groupuscule ?
Constat sur les groupes
Difficulté à remettre le groupe en cause ; reproduction
de la société autoritaire au sein même du groupe
anti-autoritaire
Pour tenter de résoudre un problème, la première
étape est de prendre conscience du problème. Cela
peut paraître évident, mais dans la pratique, cette
première étape est bien souvent l'occasion de nombreux
blocages. Reconnaître une telle contradiction coûte
énormément, car elle semble remettre en cause l'existence
même d'un groupe qui se déclare contre notre société
autoritaire. Difficile d'admettre que l'on a pu reproduire chez
soi ce que l'on reproche aux pires crapules de la classe dominante.
Plus difficile encore à admettre : comme on est impliqué
dans son groupe, on a forcément une part de responsabilité
dans cette situation très embarrassante. Schématiquement,
on peut dire qu'il existe une situation courante au sein des groupes
: on a une partie exerçant l'autorité, une autre la
dénonçant, et une majorité qui opte pour une
attitude passive.
On retrouve donc exactement ce que l'on peut observer dans notre
société depuis des lustres. Simple comme analyse,
mais néanmoins réelle à mes yeux. Je ne prétends
pas, comme je l'ai dit plus haut, qu'il n'y a que d'honnêtes
dénonciateurs du pouvoir, et que la majorité qui opte
pour la passivité à un moment donné est homogène.
La partie dominante n'est pas forcément homogène non
plus, et les alliances liées au maintien de son emprise sur
le groupe peuvent varier (tout comme le discours) en fonction des
circonstances. Là encore, pas de grande différence
avec le fonctionnement de notre société divisée
en classes, les classes n'étant pas homogènes et présentant
des contradictions.
L'organisation libertaire : un refuge possible pour survivre dans
notre société
Les points de blocages à la reconnaissance de l'existence
de l'autorité et à sa soumission sont nombreux, certains
individus faisant parfois tout ce qu'ils peuvent pour éviter
que l'on aborde le sujet. Ces points de blocages sont multiples
et font que l'autorité est parfois un tabou dans les milieux
libertaires. On peut observer un schéma classique : on critique
d'autant plus fortement les autres, c'est à dire la société
autoritaire, les partis, les bureaucraties diverses, que l'on se
critique d'autant moins soi-même. Le regroupement auquel on
appartient est la bulle à l'intérieur de laquelle
on respire, il ne saurait être question d'admettre que son
air soit pollué. L'organisation politique ou syndicale à
orientation libertaire sont donc vécus dans ce cas comme
des moyens de supporter et d'échapper à la société
que l'on rejette, mais deviennent en réalité des lieux
d'enfermement puisqu'il est très difficile de les remettre
en question : la critique est réservée pour l'extérieur.
C'est ainsi que l'on peut assister à la mise en place de
groupes parfaitement autoritaires qui sont convaincus de lutter
contre l'autorité.
Détaillons les blocages qui empêchent les individus
de se positionner clairement sur des problèmes de pouvoir
Le rôle des copains Philippe Coutant et Gabelle en parlent
dans leurs articles publiés précédemment (voir
lettres de liaison n°2 et 3), et c'est un point à ne
pas négliger. Nous ne sommes pas de purs êtres rationnels
qui raisonnons uniquement en fonction de la réalité,
et l'existence de relations affinitaires vient parfois brouiller
notre vision des choses. Il sera beaucoup plus facile de dénoncer
une attitude autoritaire venant de quelqu'un que l'on n'aime pas
plutôt que venant d'un ami. Encore une fois, cela peut paraître
être une banalité dit ainsi, mais dans la pratique,
combien de fois pouvons-nous observer qu'untel laisse passer plus
facilement un comportement inacceptable sans trop broncher parce
qu'il y a de l'affectif en jeu ? Il est parfois délicat de
contredire un ami, de le remettre en question (surtout devant le
groupe), car cela pourrait être perçu comme une trahison
de l'amitié, de la relation privilégiée qu'on
a avec elle ou lui. Rester sur la critique des faits et des idées
est essentiel si on veut limiter les réactions émotionnelles
incontrôlées, ou de mettre en jeu une relation à
laquelle on tient. Pourtant, par peur de remettre en cause cette
relation, on peut être amené à se taire là
où il aurait fallu intervenir.
La volonté d'intégration dans le groupe : problème
de l'image que l'on veut donner de soi, importance du regard des
autres
Si on revient sur la difficulté à poser un problème
d'autorité ou de soumission par rapport à une per
sonne qu'on apprécie, le problème de l'image que l'on
va donner de cette personne au groupe intervient immédiatement.
Dans le cas d'un comportement de soumission, il est difficile de
faire comprendre à quelqu'un qu'il accepte un peu trop facilement
tout ce qui vient d'une personnalité forte dans le groupe,
car cela donne de lui l'image d'un soumis qui suit sans réfléchir
ce que d'autres disent. Dans le cas d'un comportement autoritaire,
ce type d'attitude étant combattu par les anarchistes, dire
de quelqu'un qu'il a des comportements autoritaires est dévalorisant
par rapport au groupe, et donc difficile à entendre, et encore
plus à admettre. Mais pourquoi la critique, lorsqu'elle se
base sur des faits réels, est elle si pénible à
accepter, y compris venant de proches ?
Chacun d'entre nous a été élevé en société,
entouré dès le départ par d'autres individus.
Les personnes nous ayant élevé par exemple, ont forcément
constitué des modèles au début de notre vie,
ils ont été des points de repères pour nous
construire. Nous avons eu une relation privilégiée
avec eux, affective, et du coup les réactions qu'ont pu avoir
ces personnes envers nous ont été très importantes
à nos yeux, déterminantes. On a cherché à
être accepté par elles, donc à avoir des signes
d'encouragement, d'affection, de valorisation, de récompense,
et nous avons au contraire cherché à éviter
les réactions négatives, de rejet, de punition, de
désapprobation. Durant notre vie, nous conservons ce fonctionnement
par rapport aux gens que nous apprécions, nous cherchons
à leur plaire, nous attendons des signes positifs de leur
part. Ce comportement se reproduit également dans le groupe,
car si on a choisi de s'y intégrer c'est que l'on considère
être en phase avec lui, qu'on apprécie ses idées,
ses pratiques. La famille n'est pas un espace choisi, mais un groupe
politique ou syndical, si. On va donc d'autant plus se penser en
accord avec lui, et d'autant plus difficilement accepter un décalage
ou une remise en cause.
Pour revenir aux copains, si on peut accepter dans un cadre privé,
d'individu à individu, certaines critiques, il devient par
contre dur de les encaisser devant le groupe, car elles viennent
de quelqu'un qui est supposé bien nous connaître, et
dont on ne s'attend pas à ce qu'il nous remette en cause
devant les autres. L'image que l'on donne de soi, la recherche d'intégration
au groupe, de signes d'acceptation ou de mise en valeur, est alors
éventuellement mise en péril. Dans ce cas, soit l'individu
prend du recul et accepte de réfléchir à la
critique qu'on lui formule (quitte à prendre le temps de
le faire en dehors des réunions), soit il réagit de
manière émotive car il sent que son image dans le
groupe est trop brusquement remise en cause. Il faut aussi prendre
en compte que nous n'avons pas une conscience absolue de nos comportements,
que nous nous imaginons rarement avec tous nos défauts. Nous
ne souhaitons pas avoir une image négative de nous-mêmes,
et cela ne nous aide pas toujours à écouter les critiques,
même amicales.
Pourtant, c'est en acceptant les critiques que l'on s'améliore
et qu'on est mieux accepté par les autres ensuite, à
la condition que celles-ci soient formulées dans le respect
et se basent au moins sur une part de vérité.
Éventuelle mise en place d'un esprit de groupe, d'une norme
A partir de cette volonté d'intégration de l'individu
dans le groupe, on peut voir apparaître des comportements
d'adaptation au discours et à la pratique du groupe purement
formels. La personne ne s'approprie pas les méthodes du groupe
mais les imite pour être acceptée. Par exemple, si
le groupe est anti-raciste, la personne va être anti-raciste
dans le discours, mais ne va pas chercher à se demander pourquoi
le groupe rejette le racisme. Résultat, cette personne n'a
pas de démarche réelle pour rejeter les conditionnements
racistes de notre société chauvine et nationaliste.
Au quotidien cela ne se verra pas, mais dans des situations concrètes
cela pourra faire la différence ; surtout si la personne
n'a pas eu une expérience lui permettant d'évoluer
(la lutte avec un immigré au coude à coude contre
un plan de licencie ment, par exemple). Si on n'a pas une réflexion,
ou une expérience pratique qui nous permette d'évoluer
sur un sujet, alors on se contente d'une adhésion formelle
à des principes. Il peut se passer la même chose dans
un syndicat autogéré. Chacun a son propre rythme pour
évoluer, et il ne saurait être question d'exiger un
examen de conscience avant de faire adhérer quelqu'un, mais
il ne faut pas sous-estimer la reproduction de nos conditionnements,
qui ne peut être contrecarrée par une adhésion
formelle à des idées ou pratiques sur lesquelles on
ne se pose pas de questions. A partir de là, on peut voir
des gens être contre l'autorité et pour l'autogestion,
car c'est ce qui représente le groupe auquel ils ont choisi
d'appartenir, mais plus par reproduction d'une norme que par appropriation
d'idées et de pratiques. Évidemment, face à
des comportements autoritaires ou de soumission, cela n'aide pas
à mettre les problèmes sur la table...
L'esprit de groupe garanti par le, ou les dominants, pousse les
dominés à défendre le dominant dans son rôle
de protecteur
L'apparition d'une norme, d'un ensemble d'idées et de pratiques
qui doivent être reproduites par le groupe, car elles constituent
son identité, ne favorise pas l'évolution d'un groupe
ou sa capacité à se remettre en question. Par contre,
elle peut aider à l'apparition d'un esprit de groupe incarné
par un, ou des représentants, qui chercheront à influencer
et orienter sans le dire cet esprit de groupe. Ensuite, plus le
chef défendra l'identité du groupe, plus il sera perçu
comme le rempart, le pilier indispensable. Si jamais on critique
la personne dominante, on risque de se mettre à dos plusieurs
personnes qui n'étaient pas visées par la critique,
mais se sont senties visées, ou tout simplement impliquées
par la critique car le groupe est mis en danger à travers
son, ou ses dominants. En critiquant la personne (ou la structure
dominante dans une organisation), on a remis en cause ce qui, pour
certains, est la garantie que le groupe est ce qu'il est et va le
rester. Dans le fond, les personnes qui vont défendre coûte
que coûte leur leader, ou tout simplement nier les problèmes
d'autorité, se sentent incapables d'agir par elles-mêmes,
en toute autonomie : elles ont besoin du chef pour garantir leur
structure (il y a sûrement un problème de confiance
en soi, tout à fait compréhensible dans une société
de spécialistes et de dominants qui passe son temps à
nous dévaloriser, pour mieux nous soumettre à ceux
qui savent et ceux qui sont forts).
La peur de nuire au groupe
Parmi les points de blocage qui empêchent la mise à
plat des problèmes, on a le sentiment que si on parle, on
va tout briser. On risque de causer du tort à son organisation,
on va remettre en cause un équilibre, on va peut-être
nous le reprocher (les dominants s'en chargeront en général),
on risque d'obtenir un résultat pire que la situation présente.
La peur de prendre des initiatives, de s'impliquer, de risquer que
la situation soit pire encore, nous empêche souvent de tenter
quoi que ce soit. Ce facteur est souvent amplifié par le
nombre d'années de participation à une structure.
La volonté de ne pas casser l'organisation, d'éviter
les exclusions, les scissions éventuelles, les conflits qui
en découlent, feront préférer l'unité
de façade et la survie du groupe à la cohérence.
Le rôle du dominant
Nous avons parlé de la place du dominant dans le groupe :
il est le protecteur, la garantie de l'identité du groupe.
Cette place, il va chercher à la garder, aussi bien vis-à-vis
de ceux qui voudraient le remplacer dans ce rôle, que de ceux
qui critiquent sa position sincèrement.
Il dispose pour cela de deux outils essentiels, la distribution
de récompenses (de signes gratifiants) et la marginalisation.
La récompense, Philippe Coutant en parle très bien
dans son article sur la " chefferie militante " (voir
LLN°2). Il n'est pas difficile de comprendre qu'en présence
d'un chef, votre place dans le groupe dépend de l'appréciation
qu'il porte sur vous, de la situation de soumission que vous entretenez
avec lui en évitant de trop le contredire. Un conflit avec
le dominant est un acte qui a des conséquences sur son acceptation
par les autres membres du groupe. Si les divergences deviennent
trop importantes, que vous refusez de vous plier à la pensée
dominante dans le groupe que le chef formule au nom de tous (même
s'il ne le dit pas ouvertement), vous serez alors progressivement
mis à l'écart. Vous obtiendrez également un
statut, celui de traître dans le pire des cas, mais au minimum
d'individu " suspect " (selon votre degré d'indépendance).
Ce schéma, on le retrouve très bien dans le monde
du travail, bien qu'il soit accompagné de sanctions plus
appuyées, car la hiérarchie y est formellement présente
et assumée (contrairement aux milieux anarcho-syndicalistes
et anarchistes où l'hypocrisie et la dissimulation règnent).
Le syndicaliste (à moins d'être un collabo associé
à la bonne marche de l'entreprise) est présenté
par la direction comme un trouble-fête, un indésirable
qui met en péril la santé de l'entreprise : il brise
la "bonne ambiance" de travail, il perturbe tout le monde,
n'amène que des désagréments, à tort
de s'opposer ainsi à des décisions qui lui échappent...
L'attitude du dominé face à la pression du dominant
II y en aura toujours pour être perturbés dans le
train-train de la soumission, des qui préfèrent ne
pas se poser trop de question et aller dans le sens du courant.
Leur réaction est souvent motivée par un désir
de tranquillité dans la soumission : peu importe la réalité
et ses contraintes, du moment qu'on a la paix avec le chef.
Comme Gabelle le fait remarquer ajuste titre dans son article paru
dans la lettre n°3, on a " l'habitude de se taire face
aux chefs au nom de la préservation de sa tranquillité
personnelle et de celle de la cohésion du groupe ".
Les conditionnements évoqués dans l'introduction jouent
à plein régime pour nous empêcher d'intervenir
et d'assumer le conflit avec le dominant. La situation de conflit
nous est souvent désagréable, difficile à assumer,
et nous préférons nous y soustraire dans beaucoup
de cas. Ce qui nous place également dans une position délicate,
c'est notre manque d'expérience dans la gestion des rapports
de force, auxquels le dominant est bien évidemment habitué.
Ceci dit, l'expérience, ça s'acquiert, quitte à
s'entraider pour faire face à une situation. Malheureusement,
au lieu de se regrouper pour être plus forts, les dominés
ont parfois tendance à se décourager et à rester
isolés. Comme on dit, si tu te tiens tranquille, t'auras
pas de problèmes...
L'être humain justifie quasiment toujours ses actes par un
discours ; le dominé aussi
Comment va se justifier la soumission dans des organisations prétendant
fonctionner sur des bases auto gérées ? Voici quelques-unes
des explications rencontrées. Évidemment, on ne rencontre
jamais de gens qui admettent sincèrement qu'ils sont soumis,
car c'est une image peu valorisante qu'ils donneraient d'eux-mêmes
(même si dans la pratique ils acceptent tout et n'importe
quoi).
Un des discours possible, c'est celui qui consiste à dire
qu'on est libre de faire ce que l'on veut, et que lorsque l'on est
d'accord avec le dominant du groupe, c'est en toute liberté.
On se gardera bien de parler de dominant ou d'autoritaire ; éventuellement
on reconnaîtra qu'il y a certains problèmes, et encore...
Pourtant, dans la pratique, on pourra constater qu'il existe des
problèmes de transgression des règles collectives
par les dominants, des passe-droits... Les personnes dominées
adoptent souvent une attitude de respect des autres et des accords
collectifs, mais, étant incapables de tenir le rapport de
force, elles refuseront de voir que les dominants ne respectent
rien de ce qui leur tient à cœur, où justifieront
cet état de fait en argumentant qu'on ne peut rien changer.
Ils mettront en avant le fait qu'en ce qui les concerne la présence
de supposés dominants ne les empêchent pas d'agir par
eux-mêmes, et minimiseront l'impact des problèmes qu'entraînent
les dominants sur le groupe.
Pour d'autres, il y aura production d'un discours qui mettra en
avant le travail concret, sur le terrain. La gestion collective
de son groupe local ou de sa propre organisation serait totalement
secondaire : chercher à s'impliquer dans un fonctionnement
collectif, équivaudrait à se perdre en querelles inutiles
lorsqu'il y a des problèmes. Attitude confortable, lorsqu'on
est pas concerné directement ou que l'on se voile la face.
Mais cela ne résout rien, et les conséquences d'une
telle attitude ne manqueront pas de resurgir plus tard : par exemple,
beaucoup de nouveaux adhérents venus sur l'apparence d'une
organisation autogérée, repartiront lorsqu'ils auront
pris conscience de l'endroit où ils ont mis les pieds. Cette
position privilégiant à l'excès le travail
concret au détriment de la cohérence, peut être
comparée à celle de travailleurs qui refusent de remettre
en cause leur exploitation et préfèrent s'intéresser
uniquement à des préoccupations immédiates
: la marche du capitalisme ne manquera pas de les rattraper lorsqu'ils
seront licenciés, perdront des avantages, verront leurs salaires
diminués, subiront un accident de travail lié a la
productivité... On peut nier l'exploitation comme la domination
en se rattachant à l'immédiat, cette vue à
court terme n'empêche pas leurs conséquences de survenir.
On peut également entendre un discours idéologique
ou ultra théorique, qui nous emmène dans des considérations
détachées du réel. Se diluer dans la production
de concepts et de théories qui n'en finissent plus permet
de s'éloigner efficacement des problèmes.
Philippe Coutant a également parlé du sentiment que
l'on ne peut rien changer, que c'est toujours pareil. Certains vont
jusqu'à transformer ce sentiment en discours, en prétendant
que de toute façon l'autorité se reproduit toujours
et qu'on y peut rien. Venant de la part d'un patron cela n'est guère
surprenant de monsieur x ça fait déjà chier,
mais de la part de supposés anarcho-syndicalistes ou libertaires
on croit rêver. Et pourtant c'est arrivé. Si un individu
en arrive à ce stade là, qu'il ne se leurre pas lui-même
et ne trompe pas les autres par la même occasion : il n'a
plus rien à voir avec l'anarcho-syndicalisme ou l'anarchisme.
Ce ne sont là que quelques exemples, je n'ai pas la prétention
d'être complet.
Le problème des sanctions, du rapport de force dans les
organisations autogérées se réclamant de l'anti-autoritarisme
L'article de Gabelle paru dans la lettre n°3 résume
bien tout le problème dont souffrent des personnes se réclamant
de pratiques anti-autoritaires. Il semblerait que sanctionner des
personnes soit autoritaire par définition. Donc, j'en déduis
que se défendre face à une agression est autoritaire.
Quelle solution me reste-t-il alors face à un autoritaire
? La fuite ? Ce qui équivaut à laisser faire les dominants
sans même tenter d'agir. Le dialogue avec quelqu'un qui désire
uniquement m'imposer ses vues, et se moque pas mal de ce que je
peux lui dire ? Ce serait sans effet.
Il y a une confusion entre la volonté de punir pour assouvir
une frustration, de se défouler sur l'autre, et la nécessité
de réagir face à l'agression. Cette confusion est
certainement influencée par un conditionnement catholique,
dont la meilleure image est celle de l'autre couillon qui tend la
joue alors qu'il vient déjà de s'en prendre une. Ce
conditionnement nous est toujours véhiculé par le
citoyennisme (souvent par la famille aussi), qui nous pousse à
rejeter toute forme de violence, tout en se gardant bien de nous
montrer comment la classe dominante l'utilise pour maintenir sa
position.
Reproduisant leur conditionnement au lieu de lutter contre, on a
malheureusement des militants qui se soumettent, tout en véhiculant
la conception utopique d'un fonctionnement et d'une société
où tout se réglerait par le dialogue. Ne pas admettre
les conflits entre les individus, les nécessaires rapports
de force à tenir, et ne pas vouloir mettre en pratique les
mesures à opposer aux volontés autoritaires, témoigne
d'un conditionnement à la soumission encouragé et
entretenu par les religions.
Conclusion
S'il ne faut pas hurler au loup dès que des comportements
peuvent être assimilés à de l'autorité
(nous sommes tous conditionnés, c'est la volonté d'agir
dessus, la démarche, qui fait la différence entre
un autoritaire réel et quelqu'un avec des conditionnements
autoritaires), nous sommes là face à un problème
de taille.
Le conditionnement à la soumission est moins dénoncé,
mais aussi responsable. Il y a donc un gros travail personnel que
chacun d'entre nous doit faire pour essayer de ne pas retomber dans
ces schémas à cause desquels, soit les autres sont
dévalorisés car on se considère comme supérieur,
soit nous nous complaisons dans des relations de soumission. Cela
ne se fera pas du jour au lendemain, et l'état actuel des
rapports humains au sein des organisations syndicales ou politiques
déclarant avoir un rapport avec l'anarchisme n'est guère
encourageant, autant le dire franchement. Je mesure combien nos
préoccupations sont décalées des préoccupations
de millions de personnes, comme je mesure à quel point la
soumission est intériorisée. Mais je sais également
que nos préoccupations sont totalement en phase avec la réalité
vécue par ces mêmes millions de personnes. La domination
s'exprime partout dans notre société, et nous sommes
nombreux à la subir. Passer du défoulement sur celui
qui occupe un rang inférieur dans une hiérarchie quelconque,
au rejet de l'autorité et de la soumission est cependant
une nécessité vitale pour notre bien-être collectif.
Celui qui a subi l'autorité à l'école, dans
la famille, au travail, peut très bien s'en rendre compte
par lui-même. Pour favoriser cette prise de conscience nous
avons choisi l'outil syndical, mais sans jouer la carte de la facilité.
Même si notre combat est rude, je suis au moins sûr
d'une chose. Une organisation syndicale qui prétendrait s'opposer
au capitalisme, dont le respect de l'autorité est un pilier,
mais qui refuserait d'affronter ses propres difficultés,
ne pourrait que devenir partie prenante du capitalisme : elle en
développerait les tares au fur et à mesure de son
développement. Cette organisation ne serait d'aucune utilité
aux travailleurs, elle devrait au contraire être rejetée
par eux. C'est une des raisons qui m'a poussé à poser
le problème de la soumission à l'autorité.
Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen a publié
une brochure sur
" L’autoritarisme dans les organisations libertaires,
Formes et remèdes "
Leurs coordonnées :
Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste
B P 257
1403 Caen Cedex
s.ia@laposte.net
Plusieurs textes sont issus des travaux du GARAS
Groupe d’Action et de Réflexion Anarcho-Syndicaliste
Garas c/o Sarthe Libertaire
Maison des Associations
Salle n° 23
4, Rue d’Arcole
72000 Le Mans
garas_tours@hotmail.com
D’autres textes émanent des groupes de squatteurs/euses dont
les adresses sont indiquées à la fin des textes
L’Infokiosque de la Charade, place du 8 février 1962, 38400
Saint Martin d'Hères.
charade@squat.net
http://charade.squat.net
Sans-Titre est un réseau d'individus et de collectifs pratiquant
l'autogestion de diverses manières. Comme nous avons trouvé
ce bulletin dans un squat rennais, l'Elkuserie, L'Elkuserie 138
bd Magineot 35000 Rennes.
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