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Texte extrait de " L’autoritarisme dans les organisations
libertaires, Formes et remèdes "
brochure publiée par Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste
de Caen
Cet article a pour but de contribuer aux réflexions sur le
pouvoir dans les organisations anarchistes en amenant une autre facette
: le pouvoir des hommes sur les femmes lié à une discrimination
sexiste.
Malgré des efforts constants de beaucoup d'hommes et de
femmes sur leurs conditionnements, le pouvoir des hommes sur les
femmes dans les organisations libertaires reste une réalité
qui n'est pas toujours réfléchie et dénoncée
comme il faudrait, c'est-à-dire dans un cadre de débat
où chacun devrait pouvoir évoluer, mais qui l'est
dans le cadre du rapport de force et de la confrontation. Ces rapports
de force, où l'affectif prime sur la réflexion, ne
peuvent mener qu'au retranchement de chacun derrière ses
positions, ce qui empêche la plupart du temps la compréhension
des problèmes et, à terme, leur résolution.
Il faut bien avoir conscience que les femmes subissent une double
domination dans notre société : celle du système
hiérarchique constitué d'hommes comme de femmes, et
celle plus particulière des hommes dans les relations humaines
(couples, collègues de travail...) et hiérarchiques
(patrons à travailleuse, par exemple). La domination des
hommes sur les femmes se retrouve à tous les niveaux dont
celui des organisations libertaires, ce qui pose un gros problème
de cohérence par rapport au principe d'antisexisme sur lequel
les militants se sont accordés au départ. Comment
se manifeste le sexisme dans ces organisations et comment tenter
de résoudre ce problème ?
Dans notre société, la qualité individuelle
ne compte pas ; c'est, entre autres, l'identité sexuelle
qui prédétermine la personne. En fonction que l'on
est homme ou femme, des normes nous sont imposées au niveau
de notre comportement et de notre rôle social, sans que la
personnalité de chacun soit prise en compte. Ainsi, la femme
doit être douce, gentille, faible, fragile ; elle doit se
soumettre à l'homme qui est là pour 1s protéger.
Être une femme avec une grande gueule, une forte tête
et des épaules solides c'est se conduire comme un mec, manquer
de féminité, ce qui est dévalorisant : la femme
doit plaire à l'homme, c'est en grosse partie par là
qu'elle est valorisée.
L'homme, lui. doit être fort, protecteur et dominant :
c'est souvent lui qui travaille et ramène le fric à
la maison (ce schéma est peut- être moins vrai aujourd'hui,
mais il reste que beaucoup de couples fonctionnent sur ce mode).
Il doit cacher ses émotions (ne pas pleurer comme une fille),
résister à la douleur, bref, être viril. Ces
normes font partie de notre conditionnement depuis que nous sommes
nés, et même si nous voulons les rejeter, les réflexes
automatiques et inconscients de domination ou de soumission selon
que l'on est homme ou femme ressortent bel et bien.
C'est ce qui peut se passer dans les organisations libertaires, ce
qu'il faut essayer de gérer tant bien que mal en prenant en
compte l'influence de la société dans l'imposition de
ses normes sur les individus.
Au niveau du fonctionnement de ces organisations libertaires
et de ce qu'elles doivent véhiculer vers l'extérieur,
tout le monde pourra s'accorder sur le principe de l’antisexisme
et le rejet de toute norme imposée. Mais il est souvent beaucoup
moins facile d’être cohérent dans les faits et d'agir
selon ce principe. Encore faut-il le reconnaître... Comment
se pose dans les faits le rapport sexiste, parfois justifié
par les hommes eux-mêmes ?
Dans les réunions, par exemple, les hommes ont tendance à
s'imposer parfois plus en tant qu'hommes qu'en tant qu'individus,
notamment lorsqu'une femme prend la parole.
Le rapport de force de l'homme sur la femme peut rapidement se
poser, surtout lorsque la discussion est conflictuelle et qu'il
y a désaccord (" c'est quand même pas une femme
qui va me dire ce qu'il faut faire ! ". Même si la réflexion
ne se fait pas consciemment, il y a cette fierté d'être
un mâle qui veut que l'homme a le dernier mot).
Au-delà de ce problème, les femmes sont en général
moins enclines à prendre la parole surtout dans un groupe
à dominante masculine. Les tours de parole contribuent à
mettre sur un pied d'égalité les participantes et
les participants mais il n'empêche qu'il peut y avoir une
timidité liée à une forte présence masculine
qui peut être, pour certaines, inihibitoire. De ce fait, l'espace
libre est souvent pris par les hommes qui n'ont pas pour la plupart
cette appréhension liée à la présence
féminine (surtout si cette présence est moins importante,
ce qui est souvent le cas), ce qui peut donner l'impression que
les hommes monopolisent la parole, alors que le cadre de fonctionnement
est égalitaire et que chacun a le même accès
à la parole.
Les femmes tenant un discours politique violemment en rejet de
ce genre de comportement, et qui sont farouchement contre le sexisme,
n'en sont pas pour autant libérées de leurs conditionnements
de soumission. Souvent et malgré elles, elles peuvent reproduire
le schéma "homme qui parle et femme qui se tait "
dans les réunions, car une inhibition s'installe au niveau
de la parole du fait d'une présence majoritaire d'hommes.
Ce genre d'attitude ne peut que favoriser l'expression du conditionnement
masculin, dans lequel les hommes profitent des attitudes des femmes
pour s'imposer et jouer à fond dans le créneau du
système dominant/dominée. Cette attitude sexiste rend
alors difficile la désinihibition des femmes et le dépassement
du conditionnement de soumission : le rapport de domination se pose
de fait, et cela, c'est clairement de l'autoritarisme. Quoi de plus
facile que de profiter d'une situation où on a le beau rôle,
où l'on peut se mettre en avant ?
Comment réagissent alors les femmes ?
Au-delà d'une domination intentionnelle à travers
la prise de parole, qui, comme nous Pavons dit, rend difficile les
réactions des femmes, les hommes peuvent avoir aussi parfois
des réflexions ou des comportements sans doute anodins pour
eux mais qui ont tout leur sens pour certaines femmes qui vont les
prendre directement pour des attitudes- sexistes et réagir
de manière conflictuelle, souvent agressive. Les réactions
des femmes vis à vis de- ces réflexions sont souvent
mal perçues par l'entourage masculin qui se défend
de toute attitude sexiste. Mais faut-il leur jeter la pierre parce
qu'elles vont trop loin dans l'interprétation ? Je ne pense
pas. Si elles le prennent ainsi, c'est qu'elles sont devenues réactives
à ce genre de réflexion ou attitude du fait que celles-ci
sont récurrentes et parfois quotidiennes (ce que, bien souvent,
les hommes ne mesurent pas). Et comme on dit " chat échaudé
craint l'eau froide ", ce qui n'a que l'apparence du sexisme
peut faire réagir.
Cela peut se comprendre.
Face à ces réactions de défense, beaucoup
d'hommes font preuve de mauvaise foi en ramenant l'argument : les
féministes sont caricaturales (et hystériques), cela
ne donne pas envie de se pencher sur la question du sexisme. C'est
un peu facile de se retrancher derrière cet argument : même
si certaines féministes forcent le trait et sont effectivement
parfois caricaturales, allant jusqu'à théoriser un
sexisme anti mecs, il n'en reste pas moins que leur lutte est légitime.
Si on fait le parallèle avec les luttes antiracistes, dans
lesquelles on a pu voir de bonnes caricatures et où des groupes
de défense des noirs allaient jusqu'au racisme anti-blanc,
on ne retrouve pas le même discours : les hommes se penchent
bien plus volontiers sur l'anti-racisme, ayant conscience que ce
n'est pas parce que des gens ont mal orienté la lutte que
cette lutte n'est pas réelle et bien fondée au départ
Pour l'antisexisme, la logique est différente. Pourquoi ?
Parce que cela coûte beaucoup plus de remettre en question
sa position de domination dans laquelle on a le beau rôle
: on n'a pas envie d'en sortir car finalement cette position est
confortable...
Alors, on élimine le problème une bonne fois pour
toutes en se disant : "une femme qui revendique l’égalité
entre les sexes est de toute façon une hystérique
ou une mal baisée ".
Connaissant ce discours dégradant par cœur, beaucoup de
femmes en prennent le contre-pied. Comme elles se sentent attaquées,
elles se défendent souvent en agressant les hommes qui ont
ce genre d'attitudes. Là où ces réactions deviennent
problématiques, c'est quand les femmes ne font pas la part
des choses en distinguant ceux qui sont sexistes dans le fond de
ceux qui tentent d'agir sur leurs conditionnements, mais qui se
plantent.
Les réactions des femmes n’encouragent pas les hommes à
se remettre en question.
Certaines réactions féminines peuvent être
démesurées. Elles peuvent refuser de prendre en compte
les conditionnements masculins, et le travail que certains hommes
font dessus. Le risque de telles réactions c'est d'entrer
dans le conflit ouvert et agressif de part et d'autre, avec du coup
l'impossibilité de se comprendre mutuellement. Des mecs qui
ont réellement envie d'agir sur leurs conditionnements peuvent
très vite être dégoûtés et découragés
car trop agressés par des femmes constamment sur la défensive.
En effet, on peut avoir des pensées et des attitudes sexistes,
cela veut-il dire que l'on est à cataloguer comme sexiste
? On ne se trouve pas toujours avec des gens qui ont un pur recul
sur leurs conditionnements grâce à une prise de conscience
et une réflexion sur le sujet.
Mais condamner toute attitude sexiste sans essayer de relativiser
les choses, et être dans l'agression permanente, c'est s'empêcher
d'agir avec une grosse majorité de personnes en refusant
leur capacité à évoluer, en refusant de leur
accorder le droit à l'erreur, ce qui n'a aucun sens si l'on
est révolutionnaire.
Il ne faut pas oublier de dire et de reconnaître la réalité
de ce que peuvent vivre certains mecs, qui, même s'ils ont
comme tout le monde un conditionnement sexiste ont réellement
conscience de ce qu'il est et font des efforts dessus : en tant
que mec, ils peuvent subir directement les normes imposées
par le sexisme, en ce qu'il véhicule un stéréotype
idéal de l'homme fort, l'homme viril, celui qui protège
et qui doit être maître de ses émotions, par
exemple. L’exigence de la société (ce qu'elle véhicule
à travers la pub et toute l'idéologie dominante) est
d'une puissance redoutable : de fait le conditionnement est là
au départ, parce que — je suppose, bien que je ne sois pas
un mec, mais j'ai déjà entendu des mecs en parler
- quand on est un ado un peu con comme le sont une majorité
à un certain âge et qu'on se réunit entre mecs
pour " parler nana ", c'est bien, devant les copains,
d'en avoir déjà " sauté " une voire
plusieurs (c'est encore mieux). Concurrencer les autres mecs au
niveau de la puissance sexuelle, c'est aussi un mode d'affirmation
'de soi pour un mec. Et cette affirmation passe par la dévalorisation
de la femme, dans le fait qu'elle se trouve à être
un objet utilisé pour cette valorisation. Même quand
l'ado devient plus vieux, même si les concours sont terminés,
il n'en reste pas moins que la notion de puissance reste et qu'elle
s'appuie sur la sexualité, et donc sur la femme. Le système
prend bien le relais dans la pub, la télé et ses émissions
à la con.
Ce problème de conditionnement au départ prend
une importance énorme avec le temps et s'ancre dans les mentalités
pour orienter même la façon de vivre (schéma
du modèle dominant du couple où la femme est à
la maison pour s'occuper des enfants, faire le ménage et
la bouffe et où l'homme travaille et ramène le fric).
Des hommes résistent cependant à la pression du système
(et à la pression du regard des autres - mecs ou nanas, d'ailleurs
- hyper normatif et qui dévalorise la " déviance
") en tentant, en en discutant avec des femmes ou des hommes
préoccupés par le problème, d'agir /sur leurs
conditionnements.
Ce n'est pas une tâche aisée d'autant plus qu'il
est moins facile d'agir dessus et de remettre en question un conditionnement
qui offre une facilité : oppresser les femmes pour avoir
une place de dominant et ainsi être valorisé par ses
semblables est une position relativement confortable. Il faut donc
éviter de tomber dans la paranoïa, et essayer de faire
la part des choses entre les mecs qui veulent évoluer et
les mecs qui s'en foutent, même si cela demande un effort
et une prise sur soi qui n'est pas toujours. Facile. Malheureusement,
c'est souvent dans l'émotionnel que les femmes réagissent,
et pas toujours dans le réfléchi et le mesuré.
Comment tenter de résoudre ce problème, notamment
dans une organisation libertaire ?
Les femmes doivent clairement poser et dénoncer les comportements
qu'elles ne peuvent accepter, en expliquant pourquoi, sans forcément
et à chaque fois ruer dans les brancards et rentrer dans
le conflit.
Évidemment, cela nécessite de la part des hommes
une écoute - et surtout (ce qui est certainement le plus
dur) d'accepter qu'ils soient remis en question là-dessus.
Ils ne doivent pas présupposer, parce qu'ils ont une conscience
nette du problème du sexisme, parce qu'ils sont anars où
sous d'autres prétextes, qu'il ne peuvent pas avoir d'attitude
sexiste.
De la même manière, les femmes doivent avoir pleinement
conscience de leur conditionnement de soumission, et essayer d'agir
dessus au maximum pour ne pas justement laisser un espace trop large
à l'homme pour que celui-ci exerce sa domination.
Les efforts sont donc à faire tant par les hommes, qui,
confrontés à des conditionnements de soumission doivent
non seulement aider les femmes à s'exprimer en leur laissant
l'espace pour le faire, mais en plus éviter de laisser aller
leurs propres conditionnements prendre le dessus, et par les femmes
qui doivent faire l'effort de dépasser leurs conditionnements
et en plus rester vigilante et ne pas hésiter à intervenir
en posant les problèmes de sexisme et d'autorité.
Rien ne peut être garant d'un respect mutuel entre hommes et
femmes et d'une absence d'autorité, et surtout pas l'étiquette
" anarchiste " ou encore " antisexiste ". Il est
beaucoup plus difficile de se libérer de nos conditionnements
; c'est en partant sur les bases du dialogue et non du conflit larvé
et jamais discuté que pourront réellement se poser et
se résoudre les problèmes d'autorité quels qu'ils
soient.
Laurence
Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen a publié
une brochure sur
" L’autoritarisme dans les organisations libertaires, Formes
et remèdes "
Leurs coordonnées :
Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste
B P 257
1403 Caen Cedex
s.ia @ laposte.net
Plusieurs textes sont issus des travaux du GARAS
Groupe d’Action et de Réflexion Anarcho-Syndicaliste
Garas c/o Sarthe Libertaire
Maison des Associations
Salle n° 23
4, Rue d’Arcole
72000 Le Mans
garas_tours @ hotmail.com
D’autres textes émanent des groupes de squatteurs/euses dont
les adresses sont indiquées à la fin des textes
L’Infokiosque de la Charade, place du 8 février 1962, 38400
Saint Martin d'Hères.
charade @ squat.net
http://charade.squat.net
Sans-Titre est un réseau d'individus et de collectifs pratiquant
l'autogestion de diverses manières. Comme nous avons trouvé
ce bulletin dans un squat rennais, l'Elkuserie, nous vous donnons
leurs coordonnées (on va pas reproduire toute la liste quand
même) : L'Elkuserie 138 bd Magineot 35000 Rennes.
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