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LE SEXISME DANS LES ORGANISATIONS LIBERTAIRES UNE AUTRE EXPRESSION DU POUVOIR
Laurence


Texte extrait de " L’autoritarisme dans les organisations libertaires, Formes et remèdes "
brochure publiée par Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen
Cet article a pour but de contribuer aux réflexions sur le pouvoir dans les organisations anarchistes en amenant une autre facette : le pouvoir des hommes sur les femmes lié à une discrimination sexiste.

Malgré des efforts constants de beaucoup d'hommes et de femmes sur leurs conditionnements, le pouvoir des hommes sur les femmes dans les organisations libertaires reste une réalité qui n'est pas toujours réfléchie et dénoncée comme il faudrait, c'est-à-dire dans un cadre de débat où chacun devrait pouvoir évoluer, mais qui l'est dans le cadre du rapport de force et de la confrontation. Ces rapports de force, où l'affectif prime sur la réflexion, ne peuvent mener qu'au retranchement de chacun derrière ses positions, ce qui empêche la plupart du temps la compréhension des problèmes et, à terme, leur résolution.

Il faut bien avoir conscience que les femmes subissent une double domination dans notre société : celle du système hiérarchique constitué d'hommes comme de femmes, et celle plus particulière des hommes dans les relations humaines (couples, collègues de travail...) et hiérarchiques (patrons à travailleuse, par exemple). La domination des hommes sur les femmes se retrouve à tous les niveaux dont celui des organisations libertaires, ce qui pose un gros problème de cohérence par rapport au principe d'antisexisme sur lequel les militants se sont accordés au départ. Comment se manifeste le sexisme dans ces organisations et comment tenter de résoudre ce problème ?



Dans notre société, la qualité individuelle ne compte pas ; c'est, entre autres, l'identité sexuelle qui prédétermine la personne. En fonction que l'on est homme ou femme, des normes nous sont imposées au niveau de notre comportement et de notre rôle social, sans que la personnalité de chacun soit prise en compte. Ainsi, la femme doit être douce, gentille, faible, fragile ; elle doit se soumettre à l'homme qui est là pour 1s protéger. Être une femme avec une grande gueule, une forte tête et des épaules solides c'est se conduire comme un mec, manquer de féminité, ce qui est dévalorisant : la femme doit plaire à l'homme, c'est en grosse partie par là qu'elle est valorisée.

L'homme, lui. doit être fort, protecteur et dominant : c'est souvent lui qui travaille et ramène le fric à la maison (ce schéma est peut- être moins vrai aujourd'hui, mais il reste que beaucoup de couples fonctionnent sur ce mode). Il doit cacher ses émotions (ne pas pleurer comme une fille), résister à la douleur, bref, être viril. Ces normes font partie de notre conditionnement depuis que nous sommes nés, et même si nous voulons les rejeter, les réflexes automatiques et inconscients de domination ou de soumission selon que l'on est homme ou femme ressortent bel et bien.

C'est ce qui peut se passer dans les organisations libertaires, ce qu'il faut essayer de gérer tant bien que mal en prenant en compte l'influence de la société dans l'imposition de ses normes sur les individus.

Au niveau du fonctionnement de ces organisations libertaires et de ce qu'elles doivent véhiculer vers l'extérieur, tout le monde pourra s'accorder sur le principe de l’antisexisme et le rejet de toute norme imposée. Mais il est souvent beaucoup moins facile d’être cohérent dans les faits et d'agir selon ce principe. Encore faut-il le reconnaître... Comment se pose dans les faits le rapport sexiste, parfois justifié par les hommes eux-mêmes ?

Dans les réunions, par exemple, les hommes ont tendance à s'imposer parfois plus en tant qu'hommes qu'en tant qu'individus, notamment lorsqu'une femme prend la parole.

Le rapport de force de l'homme sur la femme peut rapidement se poser, surtout lorsque la discussion est conflictuelle et qu'il y a désaccord (" c'est quand même pas une femme qui va me dire ce qu'il faut faire ! ". Même si la réflexion ne se fait pas consciemment, il y a cette fierté d'être un mâle qui veut que l'homme a le dernier mot).

Au-delà de ce problème, les femmes sont en général moins enclines à prendre la parole surtout dans un groupe à dominante masculine. Les tours de parole contribuent à mettre sur un pied d'égalité les participantes et les participants mais il n'empêche qu'il peut y avoir une timidité liée à une forte présence masculine qui peut être, pour certaines, inihibitoire. De ce fait, l'espace libre est souvent pris par les hommes qui n'ont pas pour la plupart cette appréhension liée à la présence féminine (surtout si cette présence est moins importante, ce qui est souvent le cas), ce qui peut donner l'impression que les hommes monopolisent la parole, alors que le cadre de fonctionnement est égalitaire et que chacun a le même accès à la parole.

Les femmes tenant un discours politique violemment en rejet de ce genre de comportement, et qui sont farouchement contre le sexisme, n'en sont pas pour autant libérées de leurs conditionnements de soumission. Souvent et malgré elles, elles peuvent reproduire le schéma "homme qui parle et femme qui se tait " dans les réunions, car une inhibition s'installe au niveau de la parole du fait d'une présence majoritaire d'hommes. Ce genre d'attitude ne peut que favoriser l'expression du conditionnement masculin, dans lequel les hommes profitent des attitudes des femmes pour s'imposer et jouer à fond dans le créneau du système dominant/dominée. Cette attitude sexiste rend alors difficile la désinihibition des femmes et le dépassement du conditionnement de soumission : le rapport de domination se pose de fait, et cela, c'est clairement de l'autoritarisme. Quoi de plus facile que de profiter d'une situation où on a le beau rôle, où l'on peut se mettre en avant ?

Comment réagissent alors les femmes ?


Au-delà d'une domination intentionnelle à travers la prise de parole, qui, comme nous Pavons dit, rend difficile les réactions des femmes, les hommes peuvent avoir aussi parfois des réflexions ou des comportements sans doute anodins pour eux mais qui ont tout leur sens pour certaines femmes qui vont les prendre directement pour des attitudes- sexistes et réagir de manière conflictuelle, souvent agressive. Les réactions des femmes vis à vis de- ces réflexions sont souvent mal perçues par l'entourage masculin qui se défend de toute attitude sexiste. Mais faut-il leur jeter la pierre parce qu'elles vont trop loin dans l'interprétation ? Je ne pense pas. Si elles le prennent ainsi, c'est qu'elles sont devenues réactives à ce genre de réflexion ou attitude du fait que celles-ci sont récurrentes et parfois quotidiennes (ce que, bien souvent, les hommes ne mesurent pas). Et comme on dit " chat échaudé craint l'eau froide ", ce qui n'a que l'apparence du sexisme peut faire réagir.

Cela peut se comprendre.

Face à ces réactions de défense, beaucoup d'hommes font preuve de mauvaise foi en ramenant l'argument : les féministes sont caricaturales (et hystériques), cela ne donne pas envie de se pencher sur la question du sexisme. C'est un peu facile de se retrancher derrière cet argument : même si certaines féministes forcent le trait et sont effectivement parfois caricaturales, allant jusqu'à théoriser un sexisme anti mecs, il n'en reste pas moins que leur lutte est légitime. Si on fait le parallèle avec les luttes antiracistes, dans lesquelles on a pu voir de bonnes caricatures et où des groupes de défense des noirs allaient jusqu'au racisme anti-blanc, on ne retrouve pas le même discours : les hommes se penchent bien plus volontiers sur l'anti-racisme, ayant conscience que ce n'est pas parce que des gens ont mal orienté la lutte que cette lutte n'est pas réelle et bien fondée au départ Pour l'antisexisme, la logique est différente. Pourquoi ? Parce que cela coûte beaucoup plus de remettre en question sa position de domination dans laquelle on a le beau rôle : on n'a pas envie d'en sortir car finalement cette position est confortable...

Alors, on élimine le problème une bonne fois pour toutes en se disant : "une femme qui revendique l’égalité entre les sexes est de toute façon une hystérique ou une mal baisée ".

Connaissant ce discours dégradant par cœur, beaucoup de femmes en prennent le contre-pied. Comme elles se sentent attaquées, elles se défendent souvent en agressant les hommes qui ont ce genre d'attitudes. Là où ces réactions deviennent problématiques, c'est quand les femmes ne font pas la part des choses en distinguant ceux qui sont sexistes dans le fond de ceux qui tentent d'agir sur leurs conditionnements, mais qui se plantent.

Les réactions des femmes n’encouragent pas les hommes à se remettre en question.


Certaines réactions féminines peuvent être démesurées. Elles peuvent refuser de prendre en compte les conditionnements masculins, et le travail que certains hommes font dessus. Le risque de telles réactions c'est d'entrer dans le conflit ouvert et agressif de part et d'autre, avec du coup l'impossibilité de se comprendre mutuellement. Des mecs qui ont réellement envie d'agir sur leurs conditionnements peuvent très vite être dégoûtés et découragés car trop agressés par des femmes constamment sur la défensive. En effet, on peut avoir des pensées et des attitudes sexistes, cela veut-il dire que l'on est à cataloguer comme sexiste ? On ne se trouve pas toujours avec des gens qui ont un pur recul sur leurs conditionnements grâce à une prise de conscience et une réflexion sur le sujet.

Mais condamner toute attitude sexiste sans essayer de relativiser les choses, et être dans l'agression permanente, c'est s'empêcher d'agir avec une grosse majorité de personnes en refusant leur capacité à évoluer, en refusant de leur accorder le droit à l'erreur, ce qui n'a aucun sens si l'on est révolutionnaire.

Il ne faut pas oublier de dire et de reconnaître la réalité de ce que peuvent vivre certains mecs, qui, même s'ils ont comme tout le monde un conditionnement sexiste ont réellement conscience de ce qu'il est et font des efforts dessus : en tant que mec, ils peuvent subir directement les normes imposées par le sexisme, en ce qu'il véhicule un stéréotype idéal de l'homme fort, l'homme viril, celui qui protège et qui doit être maître de ses émotions, par exemple. L’exigence de la société (ce qu'elle véhicule à travers la pub et toute l'idéologie dominante) est d'une puissance redoutable : de fait le conditionnement est là au départ, parce que — je suppose, bien que je ne sois pas un mec, mais j'ai déjà entendu des mecs en parler - quand on est un ado un peu con comme le sont une majorité à un certain âge et qu'on se réunit entre mecs pour " parler nana ", c'est bien, devant les copains, d'en avoir déjà " sauté " une voire plusieurs (c'est encore mieux). Concurrencer les autres mecs au niveau de la puissance sexuelle, c'est aussi un mode d'affirmation 'de soi pour un mec. Et cette affirmation passe par la dévalorisation de la femme, dans le fait qu'elle se trouve à être un objet utilisé pour cette valorisation. Même quand l'ado devient plus vieux, même si les concours sont terminés, il n'en reste pas moins que la notion de puissance reste et qu'elle s'appuie sur la sexualité, et donc sur la femme. Le système prend bien le relais dans la pub, la télé et ses émissions à la con.

Ce problème de conditionnement au départ prend une importance énorme avec le temps et s'ancre dans les mentalités pour orienter même la façon de vivre (schéma du modèle dominant du couple où la femme est à la maison pour s'occuper des enfants, faire le ménage et la bouffe et où l'homme travaille et ramène le fric). Des hommes résistent cependant à la pression du système (et à la pression du regard des autres - mecs ou nanas, d'ailleurs - hyper normatif et qui dévalorise la " déviance ") en tentant, en en discutant avec des femmes ou des hommes préoccupés par le problème, d'agir /sur leurs conditionnements.

Ce n'est pas une tâche aisée d'autant plus qu'il est moins facile d'agir dessus et de remettre en question un conditionnement qui offre une facilité : oppresser les femmes pour avoir une place de dominant et ainsi être valorisé par ses semblables est une position relativement confortable. Il faut donc éviter de tomber dans la paranoïa, et essayer de faire la part des choses entre les mecs qui veulent évoluer et les mecs qui s'en foutent, même si cela demande un effort et une prise sur soi qui n'est pas toujours. Facile. Malheureusement, c'est souvent dans l'émotionnel que les femmes réagissent, et pas toujours dans le réfléchi et le mesuré.

Comment tenter de résoudre ce problème, notamment dans une organisation libertaire ?

Les femmes doivent clairement poser et dénoncer les comportements qu'elles ne peuvent accepter, en expliquant pourquoi, sans forcément et à chaque fois ruer dans les brancards et rentrer dans le conflit.

Évidemment, cela nécessite de la part des hommes une écoute - et surtout (ce qui est certainement le plus dur) d'accepter qu'ils soient remis en question là-dessus. Ils ne doivent pas présupposer, parce qu'ils ont une conscience nette du problème du sexisme, parce qu'ils sont anars où sous d'autres prétextes, qu'il ne peuvent pas avoir d'attitude sexiste.

De la même manière, les femmes doivent avoir pleinement conscience de leur conditionnement de soumission, et essayer d'agir dessus au maximum pour ne pas justement laisser un espace trop large à l'homme pour que celui-ci exerce sa domination.

Les efforts sont donc à faire tant par les hommes, qui, confrontés à des conditionnements de soumission doivent non seulement aider les femmes à s'exprimer en leur laissant l'espace pour le faire, mais en plus éviter de laisser aller leurs propres conditionnements prendre le dessus, et par les femmes qui doivent faire l'effort de dépasser leurs conditionnements et en plus rester vigilante et ne pas hésiter à intervenir en posant les problèmes de sexisme et d'autorité.

Rien ne peut être garant d'un respect mutuel entre hommes et femmes et d'une absence d'autorité, et surtout pas l'étiquette " anarchiste " ou encore " antisexiste ". Il est beaucoup plus difficile de se libérer de nos conditionnements ; c'est en partant sur les bases du dialogue et non du conflit larvé et jamais discuté que pourront réellement se poser et se résoudre les problèmes d'autorité quels qu'ils soient.


Laurence
Le Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste de Caen a publié une brochure sur
" L’autoritarisme dans les organisations libertaires, Formes et remèdes "
Leurs coordonnées :
Syndicat Intercorporatif Anarchosyndicaliste
B P 257
1403 Caen Cedex

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