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"Les plus gros pourvoyeurs de libéralités sont
aujourd'hui les associations caritatives (Ligue contre le cancer,
Arc, AFM, Sidaction) ou des fondations, voire certains instituts comme
l'Insee."
Site de la confédération des jeunes chercheurs :
http://cjc.jeunes-chercheurs.org/
http://www.lefigaro.fr/sciences/20050301.FIG0288.html
RECHERCHE
Ils dénoncent le financement des thèses par libéralités
qui les privent de droits sociaux
Le travail au noir des jeunes chercheurs
La Rochelle : de notre envoyée spéciale Anne Jouan
[01 mars 2005]
Un an après la parution de son rapport sur le travail au
noir des thésards en France, la Confédération
des jeunes chercheurs (CJC) tenait le week-end dernier son conseil
d'administration à La Rochelle. L'occasion pour ses membres
de faire le point sur la résorption des «libé
ralités», appellation pour désigner le mode
de financement sans contrat de travail d'un doctorat ou d'un post-doctorat
(période pouvant aller jusqu'à plusieurs années
après soutenance de la thèse, NDLR).
Les jeunes chercheurs touchant des libéralités sont
généralement payés en un ou deux versements
annuels et non en mensualités. Cette «rémunération»
ne leur permet pas de bénéficier de couverture sociale
comme l'assurance-maladie, les accidents du travail, le congé
parental, l'assurance-chômage et la retraite. Sans compter
que pour les jeunes chercheurs, les libéralités les
enferment dans une position d'étudiant et non de «professionnel
de la recherche», ce qui leur interdit de faire valoir à
l'embauche leurs années de thèse comme expérience
professionnelle.
Ce mode de financement existe depuis toujours. Mais c'est le mouvement
des chercheurs de l'an dernier ainsi que la réforme des retraites,
avec l'allongement de la durée de cotisation, qui ont sonné
l'heure de sa remise en question.
Parmi les pourvoyeurs de libéralités, les Régions.
Gérard Blanchard, vice-président du conseil scientifique
de l'université de La Rochelle, a expliqué samedi
que depuis le dernier trimestre 2004, les libéralités
payées par la Région sont transformées en salaires
et que, fin 2005, il n'y en aura «théoriquement plus
en Poitou-Charentes, quelle que soit la discipline».
La situation évolue pour les associations caritatives. Une
convention a été signée début 2004 entre
l'Arc, la Ligue contre le cancer, l'AFM et le ministère de
la Recherche, visant à transformer les libéralités
en salaires. Avec ce dispositif, les associations versent l'équivalent
du salaire brut à l'université qui paie le jeune chercheur,
et les cotisations sociales patronales sont prises en charge par
l'Etat. «Le dispositif mis en place par le ministère
de la Recherche, même s'il reste modeste quantitativement,
montre bien qu'il y a une volonté politique d'aller vers
une généralisation des salaires», note le président
de l'Arc, Michel Lucas. Il annonce qu'il n'y aura plus de libéralités
à l'Arc en 2006.
Seul le Sidaction a décidé de ne pas entrer dans
le dispositif ministériel. «Il ne concerne que les
doctorants et pas les post-doc. Or cette population constitue la
majorité des bénéficiaires de nos libéralités»,
explique Alexandra Wotawa, du Sidaction.
Les associations caritatives ne sont pas les seules pourvoyeuses
de libéralités. Des doctorants de l'école des
Mines d'Albi et de Saint-Etienne étaient également
présents à La Rochelle. Les Mines, dont le ministère
de tutelle est l'Industrie, comptent environ 900 doctorants dont
un tiers payé par des «bourses école»,
soit des libéralités. L'an dernier, ces thésards,
avec à leur tête ceux des Mines d'Albi, se sont mobilisés
pour que ce système prenne fin et que ces «bourses»
soient transformées en salaire. Depuis, la 3e année
de thèse est passée sous statut salarié, mais
pas les deux premières. Par ailleurs, les heures de cours
dispensées par ces doctorants des Mines ne sont pas rétribuées,
ce qui, pour l'Inspection du travail d'Albi, que nous avons contactée,
s'apparente à du «travail dissimulé».
Du côté du ministère de la Recherche, l'objectif
affiché est de «supprimer toutes les libéralités.
Cette question sera réglée dans le cadre de la loi
de programmation», assure-t-on au cabinet de François
d'Aubert. Mais Florent Olivier ne partage pas cet optimisme, pour
lui, les libéralités ne sont pas prêtes de disparaître.
«Le ministère de la Recherche est pour mais la décision
finale reste entre les mains de François Fillon. Et le protocole
d'accord entre les associations caritatives et le ministère
ne permet de transformer que 150 libéralités en salaires.»
Dans le rapport de l'an dernier, la Confédération
des jeunes chercheurs évoquait l'existence de 10 000 libéralités...
http://www.lefigaro.fr/sciences/20050301.FIG0289.html
De 500 à 2 100 euros par mois
A. J. [01 mars 2005]
Le travail des chercheurs est d'autant plus recherché qu'il
est moins bien rétribué. Les plus gros pourvoyeurs
de libéralités sont aujourd'hui les associations caritatives
(Ligue contre le cancer, Arc, AFM, Sidaction) ou des fondations,
voire certains instituts comme l'Insee. Egalement concerné,
le ministère des Affaires étrangères via «les
bourses Egide» (pour les doctorants étrangers venant
faire leur thèse en France) et pour les jeunes chercheurs
français partant préparer leur thèse à
l'étranger («bourses Lavoisier»). Sans oublier
le ministère de l'Industrie, pour les 280 doctorants «bourses-école»
des Mines. Le Sénat finance également des thèses
par libéralités, ainsi que les collectivités
territoriales.
Leur montant varie de 500 à 2 100 € par mois, sachant
que la rémunération médiane se situe aux alentours
de 1 300 € soit l'équivalent d'une allocation de recherche.
Cette dernière a été mise en place en 1976,
ce qui marque le début de la professionnalisation du doctorat.
http://www.lefigaro.fr/sciences/20050301.FIG0290.html
Estelle Durand, doctorante en neuropsychologie
«J'ai l'impression de m'être fait arnaquer»
A. J. [01 mars 2005]
Les recherches d'Estelle Durand, 28 ans, concernent la compréhension
et le traitement des maladies mentales. Ses deux premières
années de thèse ont été entièrement
bénévoles, sans financement aucun. Elle a donc multiplié
les petits boulots : caissière, cours (notamment à
l'Institut des jeunes aveugles). «J'ai pris ce que j'ai trouvé,
il faut bien payer son loyer», explique la jeune femme qui
habite un studio de 13 m2 au 7e étage «avec sanitaires
sur le palier».
Pour gagner sa vie, elle a été aussi secrétaire
de son laboratoire pour un salaire net de 600 € mensuels. A
partir de janvier 2004 et pendant un an, elle a touché une
libéralité de la Fondation pour la recherche médicale
(FRM) à hauteur de 15 000 euros pour l'année, en quatre
versements. Cette libéralité a pris fin en décembre
dernier. Estelle s'est inscrite au chômage, qu'elle touche
sur les vacations de secrétariat du laboratoire, soit 450
€ mensuels. Sans ces remplacements, elle aurait perçu
le RMI. «Dans ce cas, j'aurais arrêté ma thèse.»
Sa motivation et celle de son laboratoire de recherche ne semblent
pas identiques : la sienne consiste à terminer rapidement
sa thèse, celle de son labo, à ce qu'elle publie un
maximum.
Estelle pense arrêter la recherche. «Ça ne me
correspond pas et l'avenir qui nous est proposé, si tant
est qu'il y ait un avenir dans la recherche, ne coïncide pas
à mes attentes.» Désabusée, elle lance
: «C'est un métier qui rend malheureux et, aujourd'hui,
je suis à saturation. Si c'était à refaire,
je ne me lancerais pas dans une thèse sans financement. A
l'arrivée, j'ai l'impression de m'être fait arnaquer.
Je travaille dans un laboratoire Inserm, mes publications sont estampillées
Inserm, mais je n'ai rien à voir avec l'Inserm. Si on retirait
tous les articles Inserm écrits sans financement, il n'en
resterait pas beaucoup !»
Au-delà de sa propre situation, Estelle dénonce tout
un système : «Il faut que les gens comprennent que
quand il y a travail, il doit y avoir salaire. Le système
des libéralités est discriminatoire à cause
des congés de maternité. Si on enchaîne les
libéralités, on ne fait jamais d'enfant. On parle
toujours des «cerveaux» à propos des chercheurs,
et on a tendance à oublier que ce sont des êtres humains.»
intellos-precaires at rezo.net
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http://listes.rezo.net/mailman/listinfo/intellos-precaires
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