CONSIDERATIONS INTRODUCTIVES :
DON ET INTERET : PRIX DES CHOSES DONNEES ET VALEURS DES GENS QUI REÇOIVENT.
Les discours de genre et du féminisme consacrés, discours
dans une large mesure critiques du système social de «la
domination masculine » (BOURDIEU, 1998) sont aussi pour la plupart
des rationalisations de légitimation de la mobilisation sociale
pour «l’égalité dans la différence
» (BADINTER, 1986), pour la parité des sexes en tant qu’expression
de la modernité : « C'est essentiellement la question de
la modernité qui [est] l’enjeu dans le débat sur
le statut de la femme » (SAMANDI 1998 : 4). Dans ces discours
où la femme dispose d'une surface de prise de parole de plus
en plus large, celle-ci dénonce, sans porter de gangs et avec
une ferveur idéologique et militante, son exclusion politique
(DIAW et TOURE, 1998, UNIFEM & IAD nd), sa relégation dans
les sphères de la maternité et du ménage (BARBIER,
1985), son encadrement et/ou enchaînement administratif à
travers la forte discrimination sexuelle dans la distribution des emplois
et des rémunérations (AKUFFO, 1990), son enferment dans
l’univers clos de la satisfaction des pulsions érotiques
de l'homme (YACINE 1992). Au total la femme remet en cause, avec véhémence
et de manière radicale un ordre social phallocratique et patriarcal
: « l’homme l’avait écartée de la vie
publique, et il a construit sans elle notre civilisation (...) une civilisation
masculine, tout ordonnée aux valeurs masculines, où manque
tragiquement ce que la femme pourrait apporter (...), la femme a maintenant
un rôle particulier et important à jouer» (TOURNIER,
1979 : 5 ).
L'exigence de la remontée sociale de la femme se nourrit de la
mise en exergue du «temps long» de la masculinisation des
sociétés. Plus exactement, les constructions intellectuelles
révocatrices de I’ordonnancement androcentrique des relations
sociales/humaines insistent, de façon quasi-unanime, sur la construction
sociale des rôles sexuels. Le sexe, défini comme une catégorie
sociale, est une construction de la phallocratie tout comme la distribution
sexuelle des rôles et des tâches est une production purement
culturelle (BOURDIEU, 1998 : 29 ; SYDIE, 1987 ; FREEDMAN, 1997 ; BIGOMBE,
2000 : 231-271) : «L’ordre social est fondamentalement marqué
par l’androcentrisme et le patriarcat. C’est un système
qui place l'homme en son centre, au sommet des hiérarchies qui
utilisent soit ouvertement, soit de façon subtile tous les mécanismes
institutionnels et idéologiques à sa portée (...)
pour reproduire cette domination des hommes sur les femmes » (MENTHONG,
2000 : 102).
Quoique s’apparentant à un phénomène historique
en ce sens que «la politique du mâle » ou «la
domination masculine » est devenue une «institution (...)
inscrite pendant des millénaires dans l'objectivité des
structures sociales et dans la subjectivité des structures mentales»
(BOURDIEU, 1998:4), la domination des hommes ne saurait équivaloir
à un phénomène naturel, inscrit dans l'en-soi du
monde. La prééminence masculine n'est non plus un phénomène
nécessaire si par ce mot on entend ce qui ne peut ne pas être
ou être autrement tel qu’il est. Elle résulte tout
simplement d’une conjoncture de positionnement favorable au genre
masculin dans la structure des rapports de force et de sens qui trament
la réalité sociale. Si l'actuel «équilibre
des tensions» (ELIAS, 1991) et des positions hommes - femmes n’est
ni naturel ni nécessaire, il est donc marqué du sceau
du réversible dans l'optique de la (re)construction de l'égalité
entre l’homme et la femme (BADINTER, 1986). C’est le principe
de rationalité des productions théoriques qui foisonnent
actuellement sur la thématique du genre. La parité des
sexes sert ici d’utopie critique, de tour d’orientation,
de cadre à priori de rationalisation et de légitimation
des théories et pratiques de genre. « Genderiser »
- Engendering – (IMAM, MAMA et SOW, 1997) aussi bien les sphères
politiques, économiques que les sphères de la production
des savoirs sonne désormais comme un impératif catégorique
au sens kantien, c'est-à-dire comme une loi universelle de l'entreprise
heuristique féministe.
Toutefois cette analyse de la domination des hommes sur les femmes à
partir de la structuration matérielle, organisationnelle et parfois
symbolique du champ social, si elle conduit à une indéniable
critique de la société des hommes avec sa quotidienneté
machiste, ne laisse pas moins dans l’ombre des pans entiers de
la réalité de la domination dont est victime la femme
; compte tenu de la diversité des champs sociaux de réification
anthropologique du genre féminin. P. M’BOW est sans doute
pertinente qui note lucidement : « les théories sur le
genre qui ont émergé depuis bientôt une vingtaine
d’années, et qui se fondent sur la définition de
l’inégalité des sexes comme un produit social et
culturel, ne me semblent pas suffisamment puissantes pour subvertir
les rapports entre les hommes et les femmes » (1999).
En réalité, si, dans un monde qui connaît de profondes
transmutations, la femme s’inscrit dans les dynamiques en cours
comme une force émergente, porteuse et créatrice d’histoire,
il est aussi à remarquer son accommodation, voire sa participation
à la perpétuation de certains dispositifs sociaux de son
infériorisation et de sa domination. Cette domination et cette
participation peuvent ne pas s’avérer des modalités
conscientes et autonomes de l’insertion de la femme dans le divers
social ; eu égard à la nature subtile de la structuration
matérielle et symbolique du champ social marqué par la
domination masculine (BOURDIEU, 1998). Il y a bel et bien comme une
historicité de la minorisation sociale de la majorité
féminine qui rend parfois inévidente une remise en cause
de la part de la femme de certains éléments de l’ordre
social et symbolique participant de la reproduction du phallocratisme.
Pourtant la «rupture du silence » (THORNE – FINCH,
1995) qui accompagne l’ «inscription du genre à l’ordre
du jour » (UNIFEM, NGLS, 1995) ainsi que la revitalisation de
la «pensée féministe » (THONG, 1989) en tant
que «toute analyse, toute action, tout geste posant comme conflictuels
les rapports entre les sexes et visant à en comprendre la nature
ou à en modifier les termes » (ABLITUR et ARMOGATHE, 1977
: 7) devrait pouvoir ne pas laisser à l’abri des phares
du dévoilement quelque lieu commun/banal ou subtil d’exercice
de la domination masculine que ce soit. Plutôt que de cela, c’est
le constat d’une pluralité de lieux communs de validation
de l’assujettissement féminin laissés en friche
par les études sur les femmes qui est à faire. Cet état
de fait qui n’est pas moins une méprise pourrait s’expliquer,
dans une large mesure, par la faible réflexivité qui caractérise
les savoirs et les pratiques actuels de genre et du féminisme.
Dans les discours du féminisme et de genre dominants, il est
faiblement examiné les moyens par lesquels les acteurs féminins
contrôlent, de façon réflexive, ce qu’ils
font et comment la femme utilise les règles et les contraintes
liées à l’androcentrisme, se réapproprie
les ressources que lui offre la conjoncture de la domination masculine,
les usages que la femme fait de ses avantages sociaux de genre dans
la (re)construction de son interaction avec l’homme. Au fondement
de cette faible lisibilité réflexive des dynamiques féministes
semble se trouver la surface on ne peut plus grande prise par ce qu’il
est devenu commode de désigner le «féminisme d’Etat
» (M’BOW, 1999) dans lequel, à travers l’acteur
féminin, s’expriment les enjeux de modernité et
de civilisation politiques : « Enjeu politique et idéologique
central dans ces sociétés secouées par de profondes
mutations, la femme devient aussi une sorte de paramètre politique
dans la différenciation des choix fondamentaux des régimes
en place et une stratégie pour la perpétuation de l'ordre
traditionnel ou au contraire son dépassement » (SAMANDI,
1999 : 3). L’enfermement de la question féminine dans le
volontarisme politique est un élément majeur de la conjoncture
de «la croisée des chemins » (NZOMO, 1999) que traverse
les études de genre en Afrique. Celles-ci souffrent tout aussi
de l'idéologie du complot masculin qui biaise nombre d'analyses.
Pour sortir de ces territoires d'analyse à faible fertilité
heuristique, de nouvelles orientations des études de genre et
du féminisme sont en cours. Parmi celles-ci la domination symbolique
jouit d'un grand attrait. Dans les études sur la domination symbolique,
un aspect reste dominant : celui de la structuration sociale et institutionnelle
de l'ordre social androcentrique avec sa consécration de l’inégalité
entre l’homme et la femme, de la spoliation, de l'exploitation
et de la réification de la catégorie féminine par
celle masculine. La situation est très saisissante en Afrique
où la femme, bien que détenant l’essentiel des leviers
de commande de la production des subsistances, subit toujours ce qu’on
n’est pas loin de considérer comme un esclavage car elle
continue de «vivre par personne interposée, à travers
l’homme » (NIN, 1977). S’il y a ainsi comme une faible
mutation de la vision sociale de la femme, c’est parce que les
symboles et leur profond ancrage dans les interrelations sociales semblent
rester en marge des éclairages théoriques et des actions
pratiques en vue d’une pleine autonomisation de la femme. J. FREEDMAN
a bien perçu le problème, qui se demande si «les
représentations ont changé suffisamment pour comprendre
les nouveaux rapports sociaux qui existent entre les hommes et les femmes
» (FREEDMAN, 1997 : 11). En réalité, la domination
masculine est au aujourd'hui pour l’essentiel une domination symbolique
; c'est-à-dire qu’elle «passe par la construction
des représentations, des images, des stéréotypes
» (FREEDMAN, 1997 : 11). Si la domination masculine est aujourd'hui
essentiellement et fondamentalement symbolique, il convient d’envisager,
de manière forte, une perspective analytique qui tend à
«comprendre les femmes à travers l’analyse des discours
masculins sur elles » (FREEDMAN 1997 : 11).
La présente étude voudrait se situer dans cette perspective
en analysant la galanterie masculine par rapport à sa construction
par l’homme. Il s’agit de tenter une compréhension
des imaginaires masculins des gestes de sociabilité de l’homme
en direction de la femme. L'étude tente d’aller beaucoup
plus en profondeur en essayant de comprendre la façon dont la
femme se construit, se perçoit, se réalise et se satisfait
à l’intérieur des schémas masculins de sa
construction. Par ailleurs une dimension importante de l'étude
s'inscrit dans une « sociostratégie » des représentations
attachées aux moyens masculins de stabilisation de la relation
inégale entre l’homme et la femme. Il s'agit ainsi de faire
dans une certaine mesure une «biographie sociale (en terme de
valeur) des choses» que l'homme «donne » à
la femme.
Comment s’imbriquent dans les univers masculins et féminins
tout à la fois le prix des choses dont bénéficie
la femme sous la forme d’avantages de genre et la valeur des personnes
féminines ?
L'argumentaire de cette étude est celui de la civilisation des
choses : le prix des choses données mesure la valeur des personnes
qui reçoivent. La chose donnée à la femme représente
la valeur féminine objectivée. La galanterie masculine
est une mise en réification des personnes de genre féminin.
Elle est la théâtralisation d’un habitus androcentrique
; habitus fortement réducteur de la femme en une pauvre chose.
En tant que prise en charge de la femme par l’homme, la galanterie
masculine est une stratégie d'érosion de la prise de conscience
par la femme de son conditionnement à sa chosification par l’homme.
Aussi la modernité féminine, c'est-à-dire la dynamique
de libération de la femme implique que celle-ci sorte du monde
des choses de l’homme ; qu’elle sorte du lien social de
domination et de sujétion que structurent les avantages sociaux
de femme qui constituent en fait un dispositif de son encadrement et
de son enchaînement. La tâche est celle de la refondation
du lien civil qui doit être un lien d’équité
et de parité avant d’être un lien de civilité
et de complémentarité.
La «biographie sociale des choses» que l’homme «donne»
à la femme sera inscrite dans une perspective «anthropostratégique».
Le néologisme conceptuel «anthropostratégie »
tente de désigner la mise en interaction dynamique et opératoire
de la démarche anthropologique «dans sa relation symbolique
à l’objet et une symbolique inhérente à la
configuration des objets» (JEUDY, 1997 : 234) concernés
par un processus d'objectivation et d’interprétation et
l'analyse des conduites stratégiques en tant qu'examen de la
manière dont «les acteurs contrôlent de manière
réflexive ce qu’ils font, et comment ils utilisent des
règles et des ressources dans la constitution de l’interaction
» (GIDDENS, 1987 :439). L’«anthropostratégie»
est une mise en exergue des représentations symboliques des «gestes
» masculins à l’endroit des femmes ainsi qu’une
objectivation de la façon dont ces représentations déterminent
et orientent le commerce des relations hommes-femmes. Cette étude
mobilise aussi deux paradigmes qui s'imbriquent dans une perspective
opératoire et complémentaire : l'«aliénation
objective » et l’« habitus social ».
L'«aliénation objective » est un paradigme de H.
MARCUSE qui désigne le processus par lequel «les individus
s'identifient avec l’existence qui leur est imposée et
ils y trouvent réalisation et satisfaction. Cette identification
n’est elle-même qu’un stade plus avancé de
l’aliénation ; elle est devenue tout à fait objective
; le sujet aliéné est absorbé par son existence
aliénée » (MARCUSE, 1968 : 36). L’ «aliénation
objective » renvoyera ici à l’appropriation féminine
de «l’habitus social » androcentrique que constitue
la galanterie masculine. L'habitus est, chez ELIAS, ce que «tout
individu si différent soit-il de tous les autres, partage avec
les autres de sa société » (ELIAS, 1991 : 11). La
propension des femmes à bénéficier de leur avantages
sociaux de genre constitue un véritable «habitus »,
un système de dispositions durables et transposables (BOURDIEU
et WACQUANT, 1992) un fond commun de comportements et de schèmes
de perception et de pensée qui structurent la vision féminine
de l’homme. Il devient difficile pour la femme «civilisée
» dans un tel contexte de voir dans les avantages sociaux de genre,
des moyens de son enrôlement, de sa persécution et finalement
sa domination. Si on considère que la civilisation est la reconnaissance
de la socialisation et de ses valeurs, ce cadre théorique est
susceptible de permettre une discussion fructueuse autour de ce qui
apparaît comme une reconnaissance par la femme des valeurs machistes
qui structurent la quotidienneté.
I – ECONOMIE SYMBOLICO-POLITIQUE DE LA GALANTERIE MASCULINE
Il est indispensable que les hommes disent aux femmes pourquoi ils
se préoccupent tant d'elles parce que, dans le fonctionnement
historique des sociétés humaines, le «souci d’autrui
» (SINGLETON, 1991) n’a nullement été au fondement
du comportement social de l'individu. Tout comportement social de l’individu
est transactionnel et stratégique en ce sens qu'il vise toujours
à faire évoluer une situation profitable à soi,
à atteindre des buts et à réaliser des objectifs
que se fixe l’individu. Ces buts et objectifs doivent être
compris en termes de gains sociaux dans un contexte de pluralité
des intérêts individuels qui transforment le champ social
en arène de concurrence et en terrain d'expression des rapports
de force. La galanterie masculine, qui désigne la pluralité
des régimes de faveurs et d'avantages que l'homme concède
à la femme, s’inscrit dans une conduite sociale stratégique
et réaliste dont la finalité est l’atteinte de plein
fouet de la «cible» du plaisir masculin que représente
la femme. «
Chaque société, note Y. POIRMEUR, assure la domination
masculine par des voies différentes (...) Ainsi le modèle
de «cour », qui (...) a structuré la «civilisation
des mœurs », a-t-il institué durablement, un certain
rapport entre les hommes et les femmes fait de politesse, de courtoisie
et de galanterie ; celui-ci ; largement diffusé, tient subtilement
les femmes à distance des choses sérieuses et préserve,
en les détournant, le monopole masculin sur les affaires politiques
» (2000 : 317). Il convient ainsi, afin d'avoir une meilleure
compréhension des imaginaires masculins de la gentillesse en
tant que moyen d’assujettissement et technologie d’enrôlement,
d’en faire une économique symbolico-politique susceptible
de mettre en exergue les motivations spécifiques et les intérêts
personnels des «galants » masculins.
A - Gentillesse mâle, investissement et violence.
Dans les approches cognitives, «investir c'est à la fois
engager un capital, occuper une place, charger un objet d'une signification
affective prévalante » (MBAÏSSO ; nd : 25). La galanterie
masculine apparaît bel et bien comme un investissement. A l'intérieur
de celle-ci se joue en effet l'assujettissement et la minorisation sociale
du « deuxième sexe ». En tant que moyen d'encadrement,
la galanterie masculine construit la femme comme «sexe faible»
; «être faible» nécessitant, pour sa survie,
de «vivre par personne interposée, à travers l’homme
» (NIN, 1997). Depuis le dévoilement et l’inscription
des dominations directes et violentes de l’homme sur la femme
(KACZAMEK, 1990 ; FRENCH, 1992 ; DAYRAS, 1995) dans le registre de la
décivilisation des mœurs civiles et domestiques, la galanterie
masculine apparaît comme l’une des ressources subtiles mises
en œuvre par l'homme dans l’optique d'apprivoiser la femme
et de s’assurer de ses largesses sexuelles/érotiques. Il
apparaît donc important de creuser les diverses rationalités
au cœur de la galanterie masculine et de mettre en perspective
la pluralité des stratégies qui en constituent le sens.
Pour ce qui est des divers types de rationalité inhérents
à la posture élégante et civilisée adoptée
spontanément par l'homme en face de la femme, elles sont toutes
instrumentales c’est-à-dire qu’à l'intérieur
de celles-ci se déploient des finalités a priori de domination
et de réification de la femme.
La raison de la galanterie masculine s'affirme d’abord comme une
raison réifiante, chosifiante. La civilisation masculine des
mille et une faveurs et avantages accordés à la femme
en raison de son être de femme et imaginée et perçue
comme orifice ne se fonde pas sur la considération de la femme
comme «fin en soi » au sens kantien du terme ; c'est-à-dire
comme ce qui possède une valeur en soi (KANT, 1986). Il y a,
pour paraphraser P. BOURDIEU, comme «une complicité ontologique
» (BOURDIEU, 1994 : 154) entre le genre féminin, le recevoir-des-choses-de-l’homme
et la réification de la femme. Il y «prévalence
des orifices et des protubérances » (MBEMBE, 2000 : 144)
dans la pratique sociale de la galanterie masculine. Le goût ou
l’appétit des orifices féminins est un habitus masculin
et détermine les élans altruistes de l’homme, les
largesses, les délicatesses et les faveurs accordées à
la femme en tant que possesseuse d’orifices. Ainsi céder
sa place à la femme à l’intérieur d’un
bus ou d’une salle d’attente, prendre sur soi le règlement
de la note d’un pot pris en compagnie de la femme, donner argent
de poche et cadeaux divers, réaliser nombre d’achats pour
le compte de cette dernière ne sont nullement des gestes qui
traduisent une «bonne volonté » masculine ; si on
entend «bonne volonté » au sens kantien : «
ce qui fait que la bonne volonté est telle, ce ne sont pas ses
œuvres ou ses succès, ce n’est pas son aptitude à
atteindre tel ou tel but proposé, c’est seulement le vouloir
; c’est-à-dire que c'est en soi qu’elle est bonne
» (KANT, 1986 : 89). Si la galanterie masculine n’est pas
une bonne volonté, elle est comme cela a déjà été
indiqué un investissement dans le marché des orifices
féminins. Les préoccupations masculines à l'égard
du genre féminin sont donc des conduites stratégiques
mues sinon par le désir de possession de la femme du moins d'accès
à ses paradis érotiques. Qui ne se souvient en effet du
troc proposé par le chanteur français Georges BRASSENS
dans l’une de ses chansons célèbres : « le
petit point de parapluie contre le petit coin de paradis » ? Le
discours masculin d’évaluation de ce troc, discours éminemment
corrupteur, a persuadé la femme qu’elle « ne perd
pas au change ». Il s'agit là bel et bien d’une corruption
symbolique parce que, dans ce commerce, l'homme troque toujours un objet
contre le corps de la femme. C'est ici qu’il convient de revenir
sur l’argumentaire principal de cette étude pour souligner
que le prix des choses que l’homme donne à la femme mesure,
voire même dépasse, la valeur des personnes féminines.
Le rapport de l’homme à la femme dans la galanterie masculine
est un rapport à la chose. Entre l’homme et la femme, le
rapport n’est pas celui du « je-tu » mais plutôt
celui « je-cela » (TOURNIER, 1979 : 15-25). Ce n’est
point un rapport, une relation de face à face entre deux consciences
libres ; mais plutôt un face à face entre une conscience,
un pour-soi et un en-soi-pour-autrui . La diversité des régimes
de faveurs et d’avantages que la société des hommes
accorde au sexe de la femme couvre et découvre une raison pragmatique
– en tant que saisie des opportunités concrètes
qui s’offrent à un acteur. Raison de l’efficacité,
c’est-à-dire de la production de l’effet attendu,
la raison pragmatique l'est aussi. Dans le cas qui est ici analysé,
la raison pragmatique de la galanterie masculine s'inscrit dans une
stratégie d’encerclement, d'enrôlement de la femme
par l’arrimage de sa valeur personnelle aux choses qu’elle
reçoit de l’homme. Les entretiens menés dans le
cadre de cette étude révèlent que les hommes, dans
leur majorité, préfèrent être perçus
par les femmes comme « efficaces », « vigoureux »,
« puissants » et moins comme « gentils » ou
« galants ». Comme on peut le constater, les représentations
féminines de la masculinité préférés
par les hommes sont celles qui ont une forte saveur virile, phallocratique.
La galanterie masculine obéit tout aussi à une raison
marchande et comptable (HUFTY, 1998). L’homme, la plupart du temps,
procède à une comptabilisation des choses que la femme
reçoit de lui en termes de gages sexuels. La raison comptable
est une raison instrumentale qui insère la personne de la femme,
mieux le corps de la femme dans la sphère d’une marchandise.
C’est la « marchandisation » de la femme (LOUIS, 1999
: 13-15) ; une « marchandisation » dans laquelle la femme
ne détermine nullement de façon autonome son propre prix.
Le sexe comme bien commercialisable acquiert une préciosité
car comme le souligne A. APPADURAÏ, l’échange économique
crée la valeur : la valeur est attachée aux marchandises
échangées et le lien entre marchandise et valeur est une
création politique (1986 : 3-4). La politique étant de
sexe masculin (SINDJOUN et OWONA NGUINI, 2000 : 13-17), la détermination
de la valeur des orifices féminins est une prérogative
masculine.
Au total la raison altruiste masculine n'est pas une raison civilisée
; c’est-à-dire fondée sur la bonne volonté
en tant que visée des fins universelles. Dans la raison altruiste
masculine, la solidarité, le « souci d'autrui »,
l’entraide se sont effacés au profit de l'efficacité
et de la calculabilité de la « raison comptable »
qui, dans la dynamique des échanges entre l’homme et la
femme, a pour plus haute destination pratique de fonder la rétribution
de l'effort de la galanterie masculine en offres érotiques. Pour
ce qui est des stratégies, la galanterie masculine est un moyen
et une forme d’assujettissement et de validation de la minorisation
sociale du « deuxième sexe ». Dans ce sens, la galanterie
masculine se donne d’abord à voir comme une prise en charge
de la femme par l'homme. C'est l’institutionnalisation sociale
des égards, des délicatesses bref d'une société
de cour qui entoure la femme. Dans la société de cour
que symbolise la galanterie masculine, la femme bénéficie
d’une position distinctive ; mais il ne s'agit pas dune distinction
de type bourdieusien marquée par la démarcation et l’ascendance.
L'institutionnalisation de la galanterie masculine rime plutôt
avec la banalisation de «la domination masculine ». En effet,
toute domination, pour sa perpétuation, tente toujours de se
structurer sur le mode de la banalité au sens que A. MBEMBE donne
à cette expression : « Est de l’ordre de la banalité,
ce qui est attendu, parce qu’il se répète sans grande
surprise, dans les faits et gestes de tous les jours » (2000:
137). Et à I. RAMONET d’ajouter qu’«on domine
d’autant mieux que le dominé demeure inconscient (...).
La relation de domination n’est plus seulement fondée sur
la suprématie de la force [mais aussi sur ]le contrôle
des esprits (...). Le grand enjeu consiste à domestiquer les
âmes » (2000 : 5).
La galanterie masculine est une stratégie de domination, de domestication
des âmes parce qu’elle procède à une déresponsabilisation
sociale de la femme. Elle est un moyen de domination durable parce que
la femme ne saurait revendiquer une autonomie/émancipation dans
un contexte où elle se fait prendre en charge quotidiennement,
étant entendu que la prise en charge équivaut sinon à
une défaillance de soi du moins à une hétérénomisation
de soi.
Structuration sociale de la dépendance de la femme à l'égard
de l'homme, la galanterie masculine est aussi la construction de l'homme
en principal allocataire des utilités sociales de survie et d'atteinte
du bonheur - comme « contentement de son état » (KANT,
1986 : 1988) – de la femme. Dans la galanterie masculine, la femme
ne tourne nullement autour d'elle-même et pour elle-même
: elle gravite plutôt autour de l’homme et pour l’homme.
B - Galanterie masculine, droit de propriété et droit
de disposer.
En tant qu’ensemble de dispositions de bienveillance et de sollicitude
que l'homme manifeste à l'endroit de la femme, la galanterie
masculine, dans la perspective des conduites stratégiques, est,
dans une large mesure, une pratique sociale de capture/appropriation
du corps féminin. La gentillesse mâle est la structuration
d'une coutume, d'un droit légitime d'utiliser et de disposer
des territoires du jouir dont regorge le corps féminin. La galanterie
masculine fonctionne globalement sinon comme le prix du moins comme
la modalité d'accès à l'univers génital
féminin. Jauge de la « virilité d’un homme
» comme à Soweto en Afrique du Sud, « témoignage
» - en tant que la preuve ou le signe de l’intention (offre)
érotique comme dans les milieux populaires camerounais - la bienveillance
masculine relève du registre de la recherche du contact physique
et charnel avec le corps de la femme ; contact qui doit culminer dans
l’intromission. Dans les imaginaires masculins de la galanterie,
l’intromission apparaît comme une compensation légitime
de l’homme du fait de la non-participation de la femme au financement/acquisition
des utilités sociales de survie quotidienne.
La galanterie masculine est l’adoucissement de la domination masculine,
la parure dorée de la chosification sexuelle de la femme ; de
sa transformation en simple espace du jouir masculin. A l’intérieur
de la politesse, de la courtoisie, de la magnanimité et de la
sollicitude de l’homme à l’endroit de la femme, se
joue la construction de la femme en objet érotique. La femme
elle-même s’y construit la figure d’objet d’échange,
de bien économique « écoulable » dans le marché
sexuel masculin. La valeur de la marchandise des orifices se détermine
dans et par l’échange, dans et par le commerce des symboles
érotiques. En tout cas l'intensité de la galanterie masculine,
la qualité de la prise en charge est fonction de ce qu'on pourrait
appeler la densité érotique de la femme ; ou de la régularité
et des divers modes d'accomplissement de l’intromission. Ces deux
faits, la constance de la galanterie et la régularité
des intromissions ou des « pointages » déterminent
au Cameroun la qualité du « titulaire » en tant qu'occupant
ou monopoleur exclusif du poste génital de la femme. Etre le
« titulaire » d’une « petite » (femme)
au Cameroun, c’est jouir du droit d'entrée quasi-exclusif
dans son champ intime ; c'est avoir l'opportunité quasi-monopolistique
de se livrer en tout temps et en tout lieu, à des jeux érotiques
avec cette dernière. La qualité de titulaire confère,
dans une large mesure, une noblesse virile à l'homme.
Dans les sociétés où, traditionnellement, la femme
se possède, il est aisé de comprendre pourquoi l'homme
fonde son droit de propriété et d'usage de la femme sur
les choses (valeurs) que la femme reçoit de lui. Cette observation
de A. ASHFORTH faite dans une étude sur la virilité à
Soweto et portant sur les conditionnalités féminines d'ouverture
du robinet des charmes aux hommes a sans doute aujourd’hui une
valeur transociétale : « si un jeune homme déclare
son amour et dépense son argent pour une fille, il considérera
qu’il a fait valoir des droits de propriété sur
elle. C’est-à-dire que dans la mesure où elle accepte
ses présents, il considère qu’elle consent à
avoir des relations sexuelles, il estime qu’il est en droit d’accéder
à ses parties intimes » (1999 : 62). Le droit de propriété
fonde également celui de la disciplinarisation en tant que soumission
et domination hégémonique de l’homme sur la femme.
La violence masculine est ainsi « chosement » fondée
c'est-à-dire qu’elle s’enracine et se nourrit des
choses que la femme reçoit de l’homme. Dans la plupart
des cas la « correction » ou disciplinarisation de la femme
est fonction de la valeur que l’homme attache aux choses accordées
à la femme. Il convient ainsi d’infléchir les lectures
féministes et idéologico-militantes qui mettent un accent
dramatique sur « la guerre faite aux femmes » (FRENCH, 1992)
pour aussi lire « la violence faite aux femmes » (BRUNCH,
1996) comme la rançon de l’ethos ou de l’habitus
féminin du recevoir ou d’exiger des choses – en termes
de gages sexuels – aux hommes. Nombreuses sont à ce sujet
les études qui démontrent clairement que, dans l’histoire
matrimoniale africaine, c’est le versement de la dot qui légitime
et autorise l’homme à « porter main » sur la
femme du reste objet sexuel et procréatrice banale : «
... la plupart (...) des (...) gens acceptent la légitimité
du « droit » fondamental d’un homme à discipliner
sa femme (...). Le droit général d'un mari à punir
physiquement si nécessaire, est cependant largement considéré
comme admis (...). Le petit ami qui n’a pas payé le lobola
(dot) se verra refuser ce droit » (ASHFORT, 1999 : 67).
Par ailleurs, à travers la galanterie masculine a cours, pour
ainsi dire la négociation et la signature du « pacte sexuel
» ; du « contrat érotique ». De manière
générale, il est un principe cardinal de fonctionnement
du commerce amical entre l'homme et la femme qui veut que la femme qui
souscrit à la bienveillance mâle en acceptant les éléments
routiniers de son expression – présents, conseils, protection,
prise en charge - s'engage dans cette acceptation à dévoiler,
en guise de rétribution ou de contre partie légitime,
ses charmes à son « galant ». C'est une règle
à laquelle la femme ne saurait déroger tout simplement
comme passant sans conséquence. Prendre les choses de l’homme
et rechigner à se laisser « couper », à «
mettre ses jambes sous la forme de la lettre V », bref à
se mettre à califourchon est un acte répréhensible.
Ainsi, dans les paradis nocturnes de Yaoundé et Douala au Cameroun,
la solidarité masculine fonctionne de manière mécanique
en cas de répression des escroqueries féminines. Parlant
de l'expérience sud-africaine, ASHFORTH note : « on m’a
raconté l’histoire des femmes qui, après avoir accepté
des bières offertes par un homme dans un shebeen (bar populaire),
puis avoir décidé qu’elles ne voulaient pas avoir
des relations sexuelles avec celui qui avait payé, se sont entendues
dire par le tenancier du shebeen à qui elles demandaient de l’aide
: « vous avez bouffé son argent, alors allez-y »
» (1999 : 62).
La gentillesse mâle dévoile ainsi son vrai visage comme
étant un perpétuel négoce sexuel. Ce négoce
a travaillé à la structuration d’un contrat tacite
mais objectif qui procède à une distribution des tâches
dans le négoce : l’homme paye les utilités et les
superfluités sociales de prestige et de survie de la femme qui
se constitue propriété – exclusive ? – de
l’homme – payeur. Au Cameroun, dans la compréhension
populaire, quand devant une femme l’homme frappe du poing sur
la poitrine en affirmant « c’est moi qui paye », il
affirme littéralement un droit de possession. Par le geste du
frapper du poing sur la poitrine, l’homme dit en effet.: «
c'est ma possession ». Dans le contrat sexuel qu'est la galanterie
masculine, il y a un processus de construction et/ou d'autoconstruction
de la femme en «chose » de l'homme ; en objet de sa jouissance
; en terrain de ses exercices ludico-érotiques ; bref la femme
se construit en territoire sexuel de l’homme. Dans la «transaction
collusive » que constitue le négoce sexuel de la galanterie
masculine, «la mission de la femme» revient à celle
de «casseuse de bambou » comme on peut le constater dans
les chansons populaires de femmes au Cameroun. Le «bambou »,
c’est «muscle viril », le pénis en érection
que l’éjaculation «casse ». « Casser
le bambou » est un gynécée qui concourt dans une
certaine mesure à la structuration d’une identité
féminine en terme d’ « homo erotikos ».
En définitive, la galanterie masculine, dans les imaginaires
masculins, prend corps sous la forme prévalante d'un droit de
propriété de l’homme-galant sur les zones érogènes
de la femme. Droit de propriété rime, c’est une
lapalissade, avec droit d’usage. Dans la galanterie, l'homme se
construit, de la part de la femme, la «figure du père »
telle que J. M. ELA (ELA, 1991) la met en exergue chez «le potentat
colonial» (MBEMBE, 2000). Le galant jouit de l'avantage paternel
sur les fruits d'en haut et sur les orifices d'en bas de la femme. C'est
la domination érotique ou pour reprendre une catégorie
de A. MBEMBE, «l’intimité de la tyrannie »
(MBEMBE, 2000 : 175) exercée par «la domination masculine
». La domination ou la tyrannie masculine intime, c'est celle
qui est inscrite dans les choses utiles certes mais non nécessaires
que la femme reçoit de l'homme avec émerveillement aveugle
et enthousiasme naïf. De sorte que les choses qu’elle reçoit
mesure la préciosité de son corps.
La domination masculine par le biais de la galanterie est une domination
amicale. Le mode de domination propre à la galanterie mâle
en tant que habitus androcentrique est, pour reprendre une manière
d’écrire de A. MBEMBE, parlant de choses pas très
lointaines, spécifié par le fait qu’il s’agit,
«en même temps qu’un régime de contraintes,
une pratique de convivialité et une stylistique de la connivence
» (MBEMBE, 2000 : 175).
II - ANDROCENTRISME DE L’ORDRE SYMBOLIQUE FEMININ ET DOMINATION
MASCULINE PROBLEMATIQUE : L'HYPOTHESE DE «l’ALIENATION OBJECTIVE
».
Les cadres féminins de perception et de représentation
de la femme restent encore dans une large mesure, malgré les
dynamiques visibles d’autonomisaion de la femme par la médiation
des entreprises comme celle de l’entrepreneuriat féminin
(BATIBONAK, 2000 :251-271l), des cadres largement androcentriques. En
réalité, la logique androcentrique détermine et
fonde les représentations des femmes sur elles-mêmes et
sur les hommes. C'est globalement par rapport à l'homme que la
femme mesure la qualité et la densité de son être-dans-la-société.
La figure masculine idéale pour la femme, c'est l'homme qui «libère
les choses » comme on le dit dans le langage populaire des milieux
féminins de Yaoundé. L'homme qui «libère
les choses » c’est l'homme allocataire des utilités
de prestige et de survie à l’aune desquelles la femme éprouve
et prouve sa féminité, détermine sa valeur et tant
que femme. Se définir, se satisfaire et se mesurer au travers
des choses qu’on reçoit de l'homme sinon en guise d’avantages
du moins en attributs de genre s’apparente à un habitus
féminin. Le contentement de soi de la femme au moyen des choses
« libérées » par l’homme est une manière
d’être féminine qui persiste en dépit de la
nette régression des références phallocratiques
dans la société. C’est la réappropriation
et la légitimation féminines d’un habitus phallocratique
de sorte que, paradoxalement, la femme devient la gardienne d’un
ordre social androcentrique et machiste.
A - Les femmes «hommes-en-tête » : la construction
et la légitimation féminines de l’androcentrisme.
La biographie sociale de la galanterie a montré qu’elle
est née du besoin de légitimation de la noblesse masculine
qui semble s’articuler autour de deux processus majeurs : «
la distinction » de l’homme par rapport à la femme
et la prise en charge comme processus de déresponsabilisation/désubjectivisation
de celle-ci par celui-là. La galanterie masculine comme pratique
androcentrique peut être lue à travers le paradigme de
la «mobilisation » : « on parlera de mobilisation
lorsque des ressources données s’inséreront dans
une ligne d’action » (DOBRY 1995 : 21). Les «mobilisations
» ont une dimension stratégique : « la dimension
stratégique des mobilisations renvoie au fait que l’ «
activation des ressources » est un processus dans lequel intervient
la médiation des calculs de la part des acteurs sociaux »
(DOBRY, 1995 : 28). La galanterie masculine comme stratégie renvoie
à l’insertion de la courtoisie, de la politesse, de la
gentillesse dans les stratégies masculine d’endormissement
et de sujétion de la femme. Les dépenses et «témoignages
» de toutes sortes ; bref les divers «gestes » à
l’endroit des femmes apparaissent comme des coups masculins ;
c’est à dire comme des «actes individuels ou collectifs
qui (ont) pour propriété d’affecter (...) le comportement
» des femmes ; d’affecter leur «situation existentielle
» (DOBRY, 1995 : 27). La galanterie masculine atteint d’autant
plus la «situation existentielle » de la femme qu’il
s’agit d’un «fait social » qui, de son affirmation
historique comme une marque de la supériorité masculine,
s’est progressivement transmué en une exigence féminine.
La galanterie masculine comme exigence féminine, c’est
la «libération des choses » par l’homme comme
préalable à tout commerce érotique. Certaines analyses
à référentiels éthiques parlent ainsi de
l’insertion, par la femme, de son corps dans la sphère
d’une marchandise (LOUIS, 1999 : 13-15). La galanterie mâle
comme exigence féminine se lit en termes de «commerce des
charmes » (ELA, 1994). Le retournement du fusils de la galanterie
masculine semble un fait majeur dans l’histoire des relations
hommes-femmes en rapport avec la consommation du sexe. Le problème
ou l’aporie à ce niveau, c’est que le retournement
du fusils de la galanterie mâle ne semble nullement équivaloir
à une espèce de retournement copernicien permettant à
la femme de tourner autour d’elle-même et pour elle-même
.
Le retournement du fusils de la galanterie semble plutôt procéder
par renversement de «la distinction » bourdieusienne (BOURDIEU,
1971) : elle permet la démarcation de la femme certes, mais nullement
sa transcendance. Il semble plutôt travailler à sa vassalition.
Il convient en effet de souligner ce paradoxe majeur à savoir
que la galanterie masculine, qui fonctionne comme un effet du pouvoir
féminin, n'est pas le moteur de l’émancipation de
la femme mais elle est le foyer même de construction, d’expansion,
de sécularision de la logique de la domination mâle. Les
militants de la «cause des femmes » et les chercheurs en
relations de genre devraient prendre conscience du fait que l'exigence
féminine de la galanterie masculine ne conduit pas à la
consécration de l’effort de la femme à créer
les conditions d’instauration d’un univers gynandromorphique
selon la figure du «l’un est l'autre » qu’énonce
E. BADINTER (1986) dans son analyse «des relations entre l'homme
et la femme ».
La construction ou l’érection de la galanterie masculine
en marque de la «civilisation des mœurs » courtisanes
apparaît comme le processus par lequel la femme s’hétérénomise
; se soustrait à son affirmation comme valeur en soi ; inscrit
sa valeur humaine dans les références purement matérielles.
Les valorisations féminines de soi semblent ainsi se faire sous
le mode paradoxal de la chosification de soi, de la marchandisation
ou du troc de soi ; du pour-soi par l'en soi. L’affirmation de
la femme à travers la médiation des choses qui proviennent
du sexe masculin est une (re)production de l’androcentrisme. La
femme accroche sa valeur et son destin aux choses de l’homme.
On peut convoquer ici, pour une meilleure compréhension de cette
conduite la catégorie sartrienne de «la mauvaise foi »
(SARTRE, 1943). « La mauvaise foi est mensonge à soi et
sur soi ; celui à qui l’on ment et celui qui ment doivent
être une seule et même personne » (AUDRY, 19 : 40)
Dans ses courtisaneries l’homme amène la femme à
se mentir à elle-même et sur elle-même.
La civilisation matérielle androcentrique des femmes, c’est
aussi la reconstruction et la légitimation par celles-ci du modèle
historique de hiérarchisation sociale des positions masculine
et féminine. L’ordonnancement historique de la société
est structurateur d’une hiérarchisation qui consacre la
supériorité de l’homme sur la femme. La galanterie
s’affirme ainsi comme un principe hiérarchisant. Au moyen
de la gentillesse, les galants masculins, par divers «témoignages
» ou diverses «libérations », «achètent
des approbations définies largement comme des marques de supériorité
sociale données par le bénéficiaire (féminin)
du don ». En réalité, les femmes s’auto-assujettissent
dans l’acte perpétuel du recevoir. Car recevoir - lorsque
le reçu se compose des utilités et des nécessités
de suivie, c'est théâtraliser la dépendance ou l’infériorité
par rapport au donateur. Recevoir dans ces conditions, c'est affirmer
ou ratifier une position d'infériorité et de subalterne.
Le fait de donner des choses apparaît ici comme un attribut de
la position de transcendance. Donner c’est construire une image
de paternité par rapport à celui qui reçoit. Pour
tout dire, l’érection, par l’habitus féminin,
des choses comme des portes d’entrée, des voies de pénétration
sur la vaste cour féminine, sur le jardin des fleurs féminines
tourne à la plus complète servitude de la femme. Il n’est
point de choses exigées et reçues de l’homme qui
ne tournent à la plus complète servitude de la femme.
Le confort féminin battit sur les choses de l’homme enchaîne
la femme.
Pour avoir la pleine mesure du phénomène, il convient
de relativiser ce qui est annoncé comme une «conversion
de l’habitus masculin ». Malgré le réel «changement
de culture masculine (...) révélateur de la révision
des valeurs et pratiques » (MENTHONG, 2000 : 138), il demeure
que la symbolique des choses qui peuplent l’univers des rapports
de sexe reste, et c’est une constante masculine, marquée
par ce qu’on peut appeler le «code des orifices ».
La galanterie est un code d’accès aux orifices. Elle est
un code de bonne conduite stratégique visant la capture, la domestication
et la possession réificatrice de la femme. La galanterie, c’est
le moyen qui permet «aux hommes (...) de louer un sexe ou une
bouche » (MONTREYNAUD, 1999 : 19-21). Les femmes semblent bien
conscientes de ces non-dits de la gentillesse mâle. Au cours des
entretiens menés dans le cadre de cette étude, la plupart
des femmes interrogées, quoique s’estimant capables de
«repousser » ou de «résister » aux avances
des gentilles gens, affirment néanmoins le faire avec regret
tout en vivant par ailleurs ce regret comme un mea culpa. A la question
de savoir quel serait le fondement de ce regret et de cette culpabilisation
sentie/vécue, les femmes, dans leur réponse, mettent en
avant la galanterie ou la gentillesse préalablement acceptée
; c’est-à-dire les choses préalablement reçues.
La femme a ainsi elle-même une réception purement «libidineuse
» ; une symbolique sexuelle des «témoignages »
masculins.
Dans la perspective « anthropostratégique » de la
relation symbolique à l’objet et de la symbolique inhérente
à une configuration d’objets (JEUDY, 1997), les choses
de l’homme, dans l’univers féminin lui-même,
sont, dans une sémantique symbolique, une présentification
de quelque chose autre. Elles renvoient à un autre type de commerce
entre l’homme et la femme. Les choses « libérées
» par l’homme, dans la perception féminine, voilent
et dévoilent une symbolique du lit, du Mont de Venus. La galanterie,
pour paraphraser F. EBOUSSI BOULAGA, parlant d’autres choses,
parle un « langage ésotérique qui n’est que
le secret (de la ) véritable maçonnerie » (EBOUSSI,
1991) qu’est l’intromission. Malgré la ferme volonté
de la femme de s’émanciper par le biais du travail en tant
que « le travail permet parfois de compenser l’échec
d’une union (...), assure une certaine indépendance économique
(...), donne à la femme la possibilité de s’épanouir(...),
d’être utile à la société » (DENIEL
1985, 15-16), il reste que la femme construit toujours son utilité
et arrime sa valeur aux choses de l’homme. D’ailleurs il
est à relativiser le désir d’affranchissement de
l’homme comme motivation cardinale au cœur du mouvement social
féminin. C’est ce qu’on peut en tout cas constater
dans les résultats de l’enquête de S. BATIBONAK sur
l’esprit de l’entrepreneuriat féminin au Cameroun.
A la question sur les « motifs de la création de l’entreprise
», seulement 9% affirment le faire parce que « Mon mari
ne s’occupe pas de moi ». Plus de 75% affirment avoir voulu
subvenir aux « besoins réels » de leur progéniture
tandis que 52% disent vouloir « contribuer aux charges familiales
» (BATIBONAK, 2000 : 246). C'est toujours l'image de la femme
au foyer, pourvoyeuse de la sollicitude et du bien être familial
qui domine les représentations féminines de l’entrepreneuriat
féminin.
Des entretiens avec des femmes tenancières de « circuits
», « gargotes » et «restaurants » dans
la ville de Yaoundé, il découle que « l'entrepreneuriat
féminin » ressortit beaucoup plus du registre d’augmentation,
par la femme, de sa valeur en tant que chose sexuelle : « Quand
on est propriétaire de ses propres affaires, on ne peut plus
aller avec n’importe qui et à n’importe quel prix
». On le constate tout aussi bien dans les « night club
» où les femmes de joie, pour augmenter leur valeur et
prix, et sa valeur en tant que chose sexuelle en entreprenant ; la finalité
étant de « participer aux charges familiales ».
Au total l’univers symbolique féminin reste fortement androcentrique.
Le mouvement social féminin, malgré sa force subversive
de l’ordre social phallocratique n’a pas pour téléologie
l’avènement d’une gynécocratie ; d’un
règne des femmes. La femme n’entrevoit pas, comme horizon
de sa lutte, la conquête du poste de commandement politique et
social même si le discours sur la parité prend de plus
en plus d’ampleur (VIENNOT, 1999) et que la femme, dans maints
cas s’impose et se fait de plus en plus accepter comme chef de
famille ( BARBIER, 1995 ; BISILLAT, 1996 ; DROY, 1990 ; RISS, 1989).
La femme reste encore dans une large mesure une « femme homme-en
–tête » ; une femme masculinement déterminée.
Accéder à sa prise en charge par l’homme, tourner
autour de l’homme et pour l’homme reste l’horizon
non dévoilé des combats féminins. En cardinalisant
le référentiel masculin dans sa médiation à
elle-même, la femme devient pour ainsi dire la gardienne du temple
machiste. Il y a ainsi comme une osmose entre domination masculine et
supériorisation/transcendentalisation masculine par la femme.
La femme participe pleinement à la construction du rôle
dominant de l’homme et travaille à la reproduction de la
domination masculine. La femme n’est ni neutre, ni innocente,
encore moins la simple victime du procès de la masculinisation
transhistorique de l’espace sociétal. Il convient ici de
relativiser le blanchissement de la femme dans la structuration sociale
de l’androcentrisme ; blanchissement qui anime maintes études
et enquêtes et dont ce passage de P. TOURNIER peut être
tenu pour spécimen : « i l’homme a construit cette
société des choses, c’est qu’il était
seul à le faire (…) ; du fait que la femme a été
mise à l’écart, du fait qu’elle n’a
plus guère jouer de rôle dans l’évolution
de la culture. celle-ci s’est infléchie du côté
des valeurs masculines, la puissance, la raison, la technique (...).
Tout au long de l'ère moderne, une société vouée
aux valeurs masculines méprise et rejette la femme et une société
où la femme n 'exerce plus d'influence s’ordonne de plus
en plus à des valeurs masculines » (TOURNIER, 1979 : 27).
La femme n’est nullement irresponsable dans le procès de
sa domination par l’homme. Elle n’est pas simple victime
résignée. L’androcentrisme est social et gynandromorphique.
Parce que la femme y trouve satisfaction et réalisation il est
possible de faire une biographie féminine de la domination masculine.
B - Sexe féminin de l’androcentrisme et réflexivité
féminine : «l’aliénation objective»
ou l’autonomie aliénée.
Que l’androcentrisme soit de sexe féminin, cela voudrait
précisément dire qu’elle n’est pas une génération
exclusivement masculine. L’androcentrisme est aussi dans une large
mesure, une production féminine. Le caractère gynandromorphique
de l’andromorphisme déjà souligné a traduit
le fait qu’il est une coproduction du « masculin-féminin
». D’où peut être, comme l’affirme M.
AROUX (1993), « la guerre impossible » entre les deux genres.
Comment donc, dans une symbolique féminine androcentrique, se
pose le problème de la réflexivité féminine
; c’est-à-dire le processus ou la modalité de construction
de la figure subjective de la femme par elle-même? Cette question
de la construction de la figure subjective de la femme dans un contexte
symbolique androcentrique se pose d’une part sur le plan théorique
où la femme s’affirme comme sujet historique caractérisé
par la rationalité, la liberté et l’historicité
et d’autre part sur le plan praxéologique où la
femme tente de faire usage de manière autonome des ressources
et des contraintes liées à son interaction avec l’homme.
Sur ces points, on avance l'hypothèse de « l’aliénation
objective » et de l’autonomie aliénée.
Que le positionnement de soi de la femme à l’intérieur
de la société androcentrique se décline sous le
mode de « l’aliénation objective » - au sens
marcusien - renvoie au fait que la femme s’identise dans son identification
avec l’existence qui lui est socialement imposée et qui
lui assigne la fonction d'auxiliaire de l'homme, d'agent en complément
d’effectif au ministère masculin. L’objectivité
de l’aliénation ressortit du fait que la femme trouve pleinement
réalisation et satisfaction dans cette position d’auxiliaire
de l’homme ; que la femme « aliénée est absorbée
par son existence aliénée » (MARCUSE, 1968 : 36).
L’autonomie de la femme à l’intérieur de «l’aliénation
objective» s’apparente à la liberté qu’a
le client d'un restaurant devant le menu. Le menu délimite le
champ des possibles dégustatifs en ce sens qu’il clôture
l'offre sans le consentement ou même l'avis préalable du
client. D'où le second versant de l'hypothèse qui avance
l'idée de l'autonomie aliénée. L'autonomie aliénée,
c'est la conduite du mouvement d’émancipation de la femme
à travers les instruments forgés, proposés et autorisés
par l’homme. Dit autrement, les stratégies et moyens légitimes
d'expression de la femme sont ceux qui se présentent sous la
forme des moyens d’assujettissement et de spoliation masculins
retournés. Il y a comme une impossibilité structurelle
de sortir du référentiel masculin des moyens de lutte
; de forger des moyens et stratégies alternatifs d’émancipation
de la femme autres que la revendication paritaire (BIHR et PFEFFERKORN,
1999 : 30-32 ; VIENNOT, 1999 : 74-77), la valorisation politique FREEDMAN,
1992), l'appel à l'éradication des violences domestiques
(THORNE-FINCH, 1995) corporelles – excision – (MONGA, 1999
; ELRICH, 1986) le gommage des discriminations professionnelles (MARUANI,
1999 : 34-36).
Néanmoins, la femme continue ses avancées dans l’espace
public du reste phallocentriste. Comment se construit l’autonomie/la
réflexivité féminine dans un tel espace? G. BIDIMA
suggère que : «agir dans l’espace public, c’est
sonder l’espace entre le «je» et «autrui».
Réagir dans l’espace public, c’est borner ou dilater
son espace de représentation. Mûrir dans l’espace
Public, c’est s’ouvrir à l’espace de l’imaginaire
institué qui n’a de cesse que d'étouffer l’instituant»
(2000 : 100). Il surgit ainsi tout naturellement la question de la réaction
et de la maturité de la femme dans l'espace public qu’elle
affirme androcentrique. Y a -t- il aujourd’hui en Afrique, «réaction»
et procès de « maturation » de la femme dans l’espace
public en cours de sédimentation ?
Dans l’espace public émergent, il y a bel et bien action,
réaction et maturation de la femme même si cette dynamique
semble avoir une influence marginale sur e modèle d’interdépendance
historique entre l’homme et la femme. Dans la structure des rapports
de dépendance entre l’homme et la femme il y a une rotation
sous la forme d’un immobilisme cataleptique des positions des
acteurs féminins et masculins autour des dispositifs et valeurs
à forte valeur ajoutée androcentrique. La dynamique des
positions dans la « figuration » homme – femme ne
semble pas se faire en faveur de la femme. La civilisation des choses
qui marque l’univers féminin ne permet pas la pleine «
réaction » de la femme en tant que processus de dilatation
de son univers de représentation androcentriquement structuré.
Dans la civilisation matérielle, la femme ne s’auto-positionne
pas ; elle est positionnée. Sa réussite sociale ne résulte
pas d’un effort d’auto-dépassement mais elle est
plutôt tributaire de son insertion dans les réseaux masculins.
Dans une mesure relativement large, l’homme jouit toujours de
la parole autorisée dans le management de l’émancipation
sociale de la femme.
Il y a pour tout dire une canalisation masculine de la critique féminine
de l’ordre social phallocentrique. De sorte que l’homme
reste l’alpha et l’oméga de la fronde social féministe.
Au commencement des débats de genre et du féminisme se
trouve l’homme. A l’horizon des mouvements de libération
de la femme se trouve encore l’homme au mode de vie duquel doit
se prévaloir «aussi» la femme. Il n’y a pas,
dans la conduite stratégique des mouvements féminins,
d’alternative au modèle historique de positionnement social
de l’homme. La «situation existentielle» de l’homme
est l’utopie mobilisatrice de ce qu'on peut appeler, pour pasticher
J. COPANS , la longue marche de la modernité féminine.
POUR CONCLURE :
GENTILLESSE MALE, « DELICIEUX DESPOTISME ». SORTIR DE LA
CONCEPTION NAÏVE DE LA CONDUITE SOCIALE MASCULINE.
La circulation internationale des problématiques de reconsidération
et d’émancipation sociales de la femme a inscrit l’analyse
du genre dans le corpus de ce que P. BOURDIEU et L. WACQUANT nomment
« la nouvelle vulgate planétaire » (2000 : 6-7).
La vulgate de genre s’élabore autour de discours qui se
construisent sur de pétitions de principe. Les pétitions
de principe dominantes dans les explications de la domination de genre
sont la violence, la discrimination, l’exclusion etc. On explique
par ce qui demande à être expliqué. Cette étude
a tenté un retournement de perspective analytique. Au lieu d’attribuer
hâtivement l’impérialisme masculin et la domination
de genre aux violences physiques et symboliques exercées sur
la femme, elle recherche plutôt à mettre en exergue ce
qui fonde la violence masculine dans la relation homme-femme. La violence
masculine se fonde globalement sur les choses que la femme reçoit
de l’homme en tant qu’exigence de la civilisation des mœurs
courtisanes.
C’est à travers ces choses que la société
machiste inscrit la domination de genre ; fonde l’impérialisme
masculin et structure une violence symbolique qui «s’appuie,
comme le souligne P. BOURDIEU et L. WACQUANT (2000), sur une relation
de communication (...) pour extorquer la soumission » des femmes.
Le lien d'origine :
http://www.polis.sciencespobordeaux.fr/vol10ns/arti8.html