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La "ligne Tobback" maintenue mais "humanisée"
Psychanalyse et politiques
Guillermo Rubio


2 èmes Journées de Tarbes Malaise dans la civilisation, octobre 1998
La "ligne Tobback" maintenue mais "humanisée".
(Titre principal d'un journal européen)

La ligne Tobback : -la politique d'asile de l'ancien ministre de l'intérieur (qui vient de démissionner)- maintenu, mais humanisé.

Après la mort tragique de Sémira Adamu, une jeune nigérienne tuée par asphyxie par les gendarmes après pression d'un coussin sur le visage afin de faciliter son expulsion forcée du territoire, le gouvernement a décidé d'humaniser les procédures d'expulsion. Il ne s'agit pas de l'excès d'un policier, mais de l'effet d'une pratique courante et connue du Ministère de l'intérieur et du Sénat. Un ancien ministre de l'intérieur avait déclaré il y a quelque temps : "le coussin est une technique efficace et qui ne fait courir aucun danger grave".

Maintenant que cette explication s'est avérée trop optimiste et que les procédures du coussin sur le visage et des coups de matraque sur les réfugiés ont réussi à tuer, le gouvernement a décidé d'engager des psychologues et des assistants sociaux pour humaniser sa politique d'expulsion.

De leur côté, "les psys réagissent" : "des représentants des universités et de ligues de santé mentale s'insurgent. Ils soulignent que les psychologues et les psychiatres travaillent pour soulager la souffrance morale des gens, et les travailleurs sociaux pour améliorer leurs conditions de vie. Il leur paraît inconcevable qu'ils soient mandatés et payés par ceux qui sont à l'origine d'une partie de ces souffrances".

J'ai choisi cet événement pour commencer à parler aujourd'hui de politique. Je ne vais pas encore définir ce terme, je voudrai plutôt le laisser en suspens. Mais je vais essayer avant tout de comprendre quelque chose à la politique des Etats pour lesquels nous travaillons. Tenter d'analyser les conditions sociales et politiques de nos pratiques avant de prendre un position quelconque.

Ce fait est très illustratif parce qu'il nous montre -comme dans une photographie- le moment ou l'Etat fait appel aux psys.

Malheureusement on ne peut pas faire grande chose. Comme le dit Freud dans "Malaise dans la civilisation" : Quant à l'application thérapeutique de nos connaissances... à quoi servirait donc l'analyse le plus pénétrante de la névrose sociale, puisque personne n'aurait l'autorité nécessaire pour imposer à la collectivité la thérapeutique voulue? En dépit de toutes ces difficultés, on peut s'attendre à ce qu'un jour quelqu'un s'enhardise à entreprendre dans ce sens la pathologie des sociétés civilisées.

L'Etat fait appel aux psys parce qu'il se trouve dans une position pour le moins embarrassante. Il vient de commettre un meurtre. Il vient de transgresser la loi que lui même doit soutenir; la loi primordiale du "tu ne tueras point".

La fonction politique de l'Etat consiste fondamentalement à protéger ses citoyens et à régler ses rapports au moyen de la loi. Ce sont les objectifs de la civilisation et du père tel que Freud l'explique dans "Malaise dans la civilisation". : le programme de la civilisation consiste à éviter la souffrance et atteindre le bonheur. De l'autre côté, la fonction principale du père, du père symbolique, est incarner la loi.

De quelle loi s'agit il?

Freud situe l'origine de la civilisation dans le mythe du parricide de Totem et tabou. Au début il y avait le proto-père, le père de la horde primitive. Figure de la jouissance sexuelle illimitée, qui détenait le pouvoir du plus fort et jouissait de toutes les femelles. Un pouvoir démesuré qui conduit les individus à le tuer collectivement.

Dans un deuxième moment, le meurtre est suivi de l'instauration d'un totem, d'un symbole du père mort, qui va venir désormais signifier l'interdit de tuer le père et les règles des échanges sexuels à travers toute une série de tabous associés au totem. Le totem instaure la place du père symbolique qui introduit la fonction de la loi dans la communauté.

Ce qu'il faut retenir dans cette construction est que la fonction du père symbolique est celle de régler le mode de satisfaction des pulsions agressives et sexuelles des individus. De la même façon, si nous prenons ce mythe de totem et tabou au sérieux, comme le moment d'éclosion de l'organisation sociale, nous pouvons penser que dans nos sociétés l'exercice de la politique de l'Etat consiste aussi à régler le mode de satisfaction des individus.

Je vais partir donc de cette première affirmation : la politique a avoir avec la jouissances des sujets. Elle essaye de répondre à la question de comment faire avec la satisfaction pulsionnelle des individus dans le cadre de la civilisation. En cela elle concerne autant le public que le privé. Elle se place comme articulation et sans solution de continuité entre la collectivité et le sujet.

Satisfaction pulsionnelle veut dire satisfaction des deux grands groupes de pulsion établis par Freud, d'un côte les pulsions de vie, l'Eros, qui tend à conserver la substance vivante et à l'agrèger en unités toujours plus grandes. De l'autre côté les pulsions de mort, Thanatos, la pulsion agressive, qui tend à dissoudre ces unités et à les ramener a leur état le plus primitif, c'est à dire, à l'état inorganique.

Pour Freud cette dernière constitue le facteur principal de perturbation dans nos rapports sociaux. La pulsion de mort est l'entrave la plus redoutable de la civilisation.

Dans le cas Tobback, l'Etat a laisse apparaître l'horreur de la cruauté et de la pulsion de mort mise en oeuvre. Une mauvais rencontre, une irruption de l'horreur qui a provoqué sa propre division subjective : "on ne pensait pas que ces pratiques pourraient mettre en péril la vie", "on avait mal calculé" dit le ministre de l'intérieur.

Mais cet Etat ne veut pas savoir. Il n'est pas prêt à s'interroger sur la cause de ses actes ni à mesurer la portée de sa politique. De toute façon ce qu'il aurait à savoir, tout le monde le sait : Les flux migratoires sont l'effet direct de la situation de misère dans laquelle sombre une très grande partie de la population mondiale depuis le triomphe de la mondialisation du marché libéral. La solution de ce type de problèmes globaux passe par l'élaboration de réponses globales qui modifient les rapports économiques. Ce n'est pas un secret non plus que les grandes directives économiques et politiques sont prises par des instances telles que la Banque mondiale, le Fond monétaire international (FMI) ou d'autres, et que les Etats sont obligés de les suivre, d'élaborer leurs politiques et de modifier leurs modèles sociaux en fonction de ces directives. Dans ce sens nos Etats ressemblent beaucoup à l'Etat décrit par Engels. Je le cite : "...l'Etat est, en règle générale, l'Etat de la classe la plus puissante, de celle qui domine au point de vue économique et qui, grâce à lui, devient aussi classe politiquement dominante et acquiert ainsi de nouveaux moyens pour mater et exploiter la classe opprimée..." .

Le meurtre de Sémira relève de l'exercice du pouvoir et non de celui de l'autorité. Il relève du moment où le policier, impuissant, fait recours à la force. Je prends ceci comme une métaphore, comme la métaphore d'un Etat qui soumis au marché devient féroce et qui a perdu son autorité parce que ses actes ne correspondent pas aux idéaux qui le soutient. Autrement dit parce qu'il n'est pas à l'auteur des valeurs éthiques de la société.

Sans doute, pourrait-il dire en sa défense qu'il se trouve dans une mauvais situation. Qu'il doit faire face à l'immigration massive des réfugiés provenant du tiers monde. Il doit reconduire les flux migratoires en dehors de ses frontières parce que l'immigration massive menacerait la stabilité et l'existence de l'Etat comme tel. A partir de l'idée de l'existence d'un lien directe entre le chômage et l'immigration, la raison d'Etat qui guide ces politiques de rapatriement serait la défense même de la nation.

C'est pour cela peut être qu'il préfère ne pas mettre en question sa politique et demander plutôt aux psys d'humaniser son action.

Qu'est-ce que ça veut dire : humaniser son action? remettre en place l'idéal humanitaire.

L'Idéal humanitaire, l'idéal de l'amour, est la proposition de la civilisation pour dériver la satisfaction par les voies de l'Eros, du narcissisme et de l'identification.

L'édifice de la civilisation repose sur le principe du renoncement à la satisfaction des pulsions, mais la seule application de la loi et du refoulement ne suffisent pas pour la restreindre. L'Idéal social et l'amour proposent à l'individu une voie de satisfaction possible à travers la modification des conditions nécessaires. Concrètement; elle propose la sublimation des pulsions dans le travail et la création : les activités psychiques élevées, scientifiques, artistiques ou idéologiques, ou encore leur transformation en courant de tendresse, de fraternité et d'amitié (pulsions inhibées quant au but) permettent une satisfaction détournée, possible dans le lien social et favorables au progrès culturel.

Dans Psychologie des foules et analyse du moi, Freud explique comment la fonction de l'Idéal organise la foule autour de lui dans la constitution de la communauté. L'Idéal est le pivot de l'organisation sociale. Il prolonge l'Idéal du moi des membres d'une collectivité et fonctionne pour eux comme modèle de conduite.

Il apporte aussi une série de traits d'identification; tels que la race, la nationalité, la religion, etc. qui vont permettre aux individus de s'y identifier symboliquement et de se reconnaître les uns aux autres comme appartenant à un même clan. Cette identification symbolique va permettre ensuite l'identification imaginaire des individus entre eux et la consolidation de la communauté.

A la base de la culture, Freud fait de l'amour et de la libido le ciment qui agglutine et permet de faire lien social aux individus. L'exigence "d'aimer son prochain comme soi-même" -dit-il- constitue l'idéal fondamental des sociétés civilisées. Le père est censée aimer également tous les membres de la communauté, et à son tour, ceux-ci l'aiment et s'aiment tous mutuellement. C'est l'Eros qui se trouve à la base du lien social. L'amour dans le lien social -nous rappelle Freud- est ce que le Christ lui-même affirme expressément : ce que vous avez fait à l'un de ces plus petits d'entre mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.

Mais le recours à l'Idéal n'épuise pas non plus la question de la satisfaction pulsionnelle. Il y a toujours un reste, une exigence de satisfaction agressive qui ne peut pas être admise dans le monde d'Eros.

Une façon de résoudre ce reste est le diriger vers l'extérieur.

Il est toujours possible d'unir les uns aux autres par les liens de l'amour à la seule condition qu'il en reste d'autres pour recevoir les "coups" -dit Freud.. C'est à dire que là où la collectivité s'agglutine autour d'une vérité unique et de l'amour entre les semblables, il va avoir, pour une question logique, un autre groupe d'individus qui ne partage pas ses identifications. L'étranger devient alors l'objet de la pulsion de mort sur lequel vont se satisfaire l'hostilité et l'agression. C'est le "narcissisme des petites différences", le phénomène de la ségrégation qui constitue la contrepartie de la fraternité. C'est à dire que plus une collectivité s'installe dans l'Idéal et dans l'amour, plus elle sera obligée de diriger ses tendances destructive vers l'extérieur. C'est le modèle de politique totalitaire basée sur la logique du tout.

Le dernier destin possible de la satisfaction est le retournement de la pulsion de mort contre le propre Moi du sujet sous les formes de la culpabilité et du besoin de punition. Freud l'explique ainsi : une partie du moi, le Surmoi, s'identifie à l'autorité externe, l'autorité s'intériorise, et agit comme conscience moral. Elle surveille non seulement les actes, mais aussi les désirs du moi, et le punit au moyen du sensations d'angoisse, de malaise, ou en le faisant punir par la réalité extérieur.

Mais le Surmoi nous pose un paradoxe : plus l'homme est vertueux, plus il se sent coupable. Plus, il renonce à la satisfaction, plus le Surmoi devient féroce et cruel avec lui. "L'action exercée sur la conscience par ce renoncement -dit Freud- est telle que toute fraction d'agressivité que nous nous abstenons de satisfaire est reprise par le Surmoi qui accentue sa propre agressivité contre le Moi".

En conclusion : la civilisation impose un renoncement à la satisfaction directe de la pulsion. Les idéaux sociaux proposent une voie de dérivation de la satisfaction via l'amour et le travail. Me ceci ne suffit pas à apprivoiser la pulsion ni à résoudre la question de la jouissance des individus. Il reste toujours une partie pulsionnelle mortifere qui réclame à être satisfaite. Et le plus important de ce texte est que même si l'individu accepte finalement de renoncer à la pulsion, celle-ci va de toute façon se satisfaire à travers le Surmoi et en plus contre l'individu même.

"Notre intention toutefois -dit Freud à la fin- était bien de présenter le sentiment de culpabilité comme le problème capital du développement de la civilisation, et de faire voir en outre pourquoi le progrès de celle-ci doit être payé par une perte de bonheur due au renforcement de ce sentiment".

C'est à dire que Thanatos va toujours se satisfaire d'une façon ou d'une autre. C'est le problème principal : les voies possibles de satisfaction de la pulsion; la question de la jouissance humaine, qui est comme je viens de dire la question fondamentale de la politique.

Malaise dans la civilisation a été écrit il y a exactement 70 ans.

Est-il encore d'actualité ?

L'actualité du malaise de notre époque n'est pas tellement la question de la cohésion de la foule autour d'un idéal ou le sentiment de culpabilité. Actuellement nous vivons plutôt ceci : que l'Idéal n'arrive pas à régler la jouissances des individus et que la pulsion de mort fait retour dans le réel. Le thanatos freudien se présentifie actuellement dans la misère du tiers monde, dans les génocides et les migrations; dans tous les phénomènes d'exclusion, de ségrégation ou de violence directe. Il se présentifie aussi dans nos sociétés de plusieurs façons et notamment à travers ce qu'on appelle les nouveaux symptômes : la toxicomanie, l'exclusion social, la dépression, etc.

On est alors obligés de se demander qu'est ce qui a changé en 70 ans ? Quelle est la cause de ce changement ?

Je pense sans doute et vous serriez d'accord, qu'il s'agit du changement produit par l'instauration du nouveau ordre mondial et de la mondialisation neo-libéral. Un nouveau ordre qui impose d'autres lois et notamment les lois du marché au-dessus des lois du père. Dès lors la société ne s'appuie plus sur une logique basée sur l'éthique comme dans la société décrite dans Malaise, où la loi du père freudien situe Eros du côte du bien et Thanatos du côte du mal. La logique du marché par contre s'intéresse à ce qui rapporte et à ce qui ne rapporte pas. Voilà une première différence.

Ce que le capitalisme introduit dans le schéma de Freud est l'existence d'un objet produit par la science et la technologie qui pourrait permettre aux individus la satisfaction pulsionnelle par le moyen de la civilisation et à l'intérieur de celle-ci. Des objets comme par exemple les médicaments qui agissent directement sur le corps et qui promettent une récupération de satisfaction (viagra) ou ceux qui permettent d'imaginer avoir un accès "virtuel" à la jouissance; c'est tout ce qui tourne autour de l'idéal incarné par Bill Gates.

Ce que la science et le capitalisme introduisent c'est une nouvelle politique. Un nouveau mode de traitement de la satisfaction et de la jouissance qui ne passe pas par l'interdit ou la dérivation vers le lien social comme dans la société de Freud. Un nouveau mode qui consiste à proposer des objets à travers lesquels la pulsion pourrait se satisfaire. Des objets de satisfaction.

Si vous vouliez un exemple je parlerai de la toxicomanie parce qu'elle "donne -comme le dit Marie-Jean Sauret- une idée précise de ce qu'est un sujet compléménté par un produit de la science". L'introduction de la politique capitaliste dans le marché du traitement des toxicomanies a produit un déplacement des idéaux thérapeutiques. Un déplacement qui va de l'abstinence, c'est à dire, du refus de satisfaction propre à la loi du père, à la substitution, qui consiste à régler la jouissance par le biais d'un objet de jouissance. Cette fois ci proposé par l'Etat.

Ceci semble une contradiction.

La question qui se trouve à la base de Malaise dans la civilisation est le destin du père de l'horde primitive. Le destin de la satisfaction pulsionnelle. Le sujet renonce à la satisfaction pour entrer dans la civilisation, c'est la thèse de Freud, et cette satisfaction à la quelle il a renoncé lui revient d'une façon déplaisante, comme un malaise. Ceci dans la politique du père.

Mais dans le capitalisme le destin de cette aspiration à la satisfaction est toute autre. Le sujet renonce à la satisfaction de toute manière, mais elle est récupérée par le capitaliste sous forme de plus-value. C'est ce qui dit Lacan à partir de Marx quant il fait l'équivalence entre plus-de-jouir, c'est à dire entre ce qui permet la satisfaction de la pulsion, et la plus-value, l'accumulation du capital par le capitaliste qui exploite l'ouvrier.

La jouissance perdue par l'ouvrier dans son travail est récupérée par le capitaliste. Il jouit de l'ouvrier et de ses produits, il les vend, et obtient des bénéfices, mais -et ceci est important- il ne paye pas. C'est ce qui dit Lacan dans L'Envers de la psychanalyse:

"Le riche a une propriété. Il achète tout, en somme -enfin, il achète beaucoup. Mais je voudrais que vous méditiez sur ceci, c'est qu'il ne paye pas.

On s'imagine qu'il paye, pour des raisons comptables qui tiennent à la transformation du plus -de-jouir en plus-value. Mais d'abord, chacun sait que la; plus-value, il se l'additionne très régulièrement. Il n y a pas de circulation de plus de jouir."

Tout ce que l'ouvrier récupère actuellement sont des objets de consommation.

Ceci est l'essentiel de la politique du capitalisme quant au traitement du malaise, il le substitue par des objets de consommation et reste avec les bénéfices. Pour sa part, le Surmoi actuel se montre ici clairement tel que Lacan le définit, comme un impératif de jouissance qui pourrait dire "agit d'une façon tel que ton action te procure de plus en plus de jouissance".

En ce qui concerne la civilisation et le lien social, l'objet de consommation introduit un mode de satisfaction auto-érotique qui ne nécessite pas de l'autre. L'individu n'a plus besoin de passer par le semblable ni par l'amour pour récupérer la jouissance. De ce fait, il produit le déclin de la loi du père et de l'Idéal humanitaire soutenus jusqu'ici par l'Etat. Cela explique -me semble-t-il- qu'après le meurtre de Sémira, l'Etat belge demande aux psys d'humaniser sa politique.

Le capitalisme introduit aussi une nouvelle façon de faire communauté et de ranger les sujets en fonction de leurs modes de jouissance. Il promeut des signifiants issues du discours de la science ou désignant certains objets de consommation qui fonctionnent comme des nouveaux Idéal-du-moi et qui identifient les sujets. C'est le cas par exemple de la toxicomanie, qui produit des collectivités d'individus -les dits toxicomanes- identifiés et complétés par leur mode de jouissance. On pourrait dire ici que la jouissance partagée fait lien social.

Mais le plus important c'est que la politique capitaliste ré-introduit la pulsion de mort dans la civilisation. Si dans la politique du père la pulsion de mort retourne sous le mode de la culpabilité, dans celle du capitalisme ce retour se fait sous le mode de la misère et de l'horreur. Autrement dit sous la manière dont les sujets sont pris en tant qu'objets de la jouissance de l'Autre.

Le déclin de la fonction paternelle implique le retour de la pulsion de mort puisque sa fonction est précisément le règlement et l'interdiction de celle-ci. Il implique aussi le déplacement des rapports humains vers l'imaginaire, vers l'identification des individus les uns aux autres. En absence du pivot symbolique du père, l'imaginaire se déclenche et produit, pour une question structurale, le "ou toi ou moi", de l'agressivité et la mort. Dans "Malaise dans la civilisation" Freud nous parle déjà de ce phénomène qu'il appelle "état particulier de misère psychologique".

"Indépendamment des obligations imposées par la restriction des pulsions instinctives, obligations auxquelles nous sommes préparés, nous sommes obligés d'envisager aussi le danger suscité par un état particulier qu'on peut appeler "la misère psychologique de la masse". Ce danger devient de plus menaçants quand le lien social est créé principalement par l'identification des membres d'une société les uns aux autres, alors que certaines personnalités à tempérament de chefs ne parviennent pas, d'autre part, à jouer ce rôle important qui doit leur revenir dans la formation d'une masse. L'Etat actuel de l'Amérique fournirait une bonne occasion d'étudier ce redoutable préjudice porté à la civilisation. Je résiste à la tentation de me lancer dans la critique de la civilisation américaine, ne tenant pas à donner l'impression de vouloir moi-même user de méthodes américaines".

Finalement, l'accumulation de richesse du capitaliste produit directement la misère et l'horreur comme manifestation de Thanatos dans la civilisation.

Politique capitaliste et politique du père. Nous pourrions aussi dire, globalisation neo-libéral et politique d'Etat.

Il me semble que le cas que je vous ai amené (Sémira, Thobback) montre bien cette tension entre deux politiques : d'un côte les effets du capitalisme, la misère et les flux migratoires qui essaient de traverser les frontières de l'espace Shengen, et de l'autre, l'Etat, de plus en plus affaibli qui s'efforce de régler la montée de thanatos. Je vous ai parlé du cas d'une réfugiée, mais j'aurais pu aussi vous parler d'un cas de toxicomanie. Le problème est le même. Un Etat soumis aux lois du marché qui s'investi de plus en plus dans le contrôle social et la répression. Dans le plan économique, un bon index de cela est le déplacement de capital des budgets tels que éducation, culture et sécurité social aux ministères de justice et intérieur. C'est l'Etat sécuritaire centré sur la gestion des risques. Sur une gestion des risques que j'entend comme la gestion des nouveaux modes de jouissance et de misère produits par le capitalisme.

Nos Etats ne mettent pas en question la politique capitaliste et c'est là où ils trahissent leur fonction dans la civilisation. Ils s'adressent plutôt aux Psys pour qu'ils aident la police à faire son boulot. Pour qu'ils y introduisent de l'humanitaire. Qu'est -ce que ça veut dire? Enrober, introduire quelque chose pour que les réfugiés retournent dans leur pays -pour trouver peut être la mort, mais pas chez nous- sans qu'il soit nécessaire de faire recours à la violence.

Comment ne pas penser ici à cette affirmation de Lacan dans "Télévision" à propos des psy qui dit : "se coltiner la misère... c'est entrer dans le discours qui la conditionne, ne serait-ce qu'au titre d'y protester.

Au reste les psycho -quels qu'ils soient, qui s'emploient à votre supposé coltinage, n'ont pas à protester, mais à collaborer. Qu'ils le sachent ou pas, c'est ce qu'ils font.

Ce d'autant moins qu'à rapporter cette misère au discours du capitaliste, je dénonce celui-ci.

Parce qu'à le dénoncer je le renforce, - de le normer, soit de le perfectionner.".

C'est à dire, qu'être mandaté par l'Etat pour traiter les nouveaux symptômes sociaux suppose de s'employer à collaborer avec l'Etat à la politique mortifère du capitalisme.

Quelle position politique, alors?



2 èmes Journées de Tarbes Malaise dans la civilisation, octobre 1998
Psychanalyse et politiques

Le lien d'origine : http://users.skynet.be/Psychanalyse.Politique/1/polrubio1fr.htm