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IL EST UTILE DE FUMER
Ou comment ses angoisses calmer.
Gerard Pommier

Origine : http://epsyweb.com/psycho/toxico/toxico_cigarettes.htm


Ou comment ses angoisses calmer.

De même que tous les êtres civilisés, il m'arrive de ressentir comme une angoisse et, je l'avoue, j'ignore souvent pourquoi. Les rêves que je fais, et que je continuerai à faire probablement jusqu'à la fin, m'indiquent que mes appétits restent en manque, qu'il me faudrait plus de tout, plus d'amour, de puissance, d'argent. Ma gloriole reste en dessous de ses prétentions. Ma soif de beauté demeure inassouvie. Bref, j'ai tout lieu d'être énervé. Que faire? Je peux sans aucun doute m'en prendre à mes semblables, sous prétexte que ce seraient eux qui écorneraient cette exigeante libido. Quoi de plus tentant en effet, puisque, d'une manière ou d'une autre, mon prochain me porte, même involontairement, quelques préjudices, pour la seule raison qu'il a des appétits semblables aux miens, m'obligeant par conséquent à en rabattre sur une part de mes ambitions. Si j'impute mon inéluctable insuffisance, mon manque-à-être à autrui, je me donne ainsi le droit de me faire les nerfs sur lui (qu'il soit noir, juif, fumeur, polluant, etc.). Ce soulageant transfert accompli, mon angoisse restera probablement intacte, mais comme les individus salissants ne manquent pas, j'aurai toujours de quoi m'occuper.

Si j'étais plus raisonnable, il faudrait que je m'y prenne autrement pour me calmer, et je ferais alors comme l'ont fait tous mes frères civilisés depuis toujours, par tous temps et sous tous climats, quel que soit l'avancement de leurs cultures. Il n'en est pas une qui n'offre quelques remèdes à ces sortes de tourments: café, tabac, vin, etc, autant de drogues finalement propices à calmer les crispations libidinales, et donc bénéfiques à la pensée et à l'action. Je pourrais, par exemple, fumer une cigarette, ou encore consommer une bière, produits qui sauront me rendre un instant de tranquillité. Il est donc plus raisonnable de fumer que de s'en prendre à son voisin, et que de considérer, par exemple, le "passage à tabac" des fumeurs comme une solution d'avenir.

Je pourrais ainsi me bercer de cette idée qu'aucune société humaine n'a jamais subsisté sans drogue, tabac, vin, café, etc, qui permettent de s'accommoder de l'anxiété inévitablement engendrée par la vie en groupe. Je penserais, de plus, que ces remèdes sont destinés à permettre de supporter l'angoisse, qu'ils aident par conséquent à contrecarrer les nombreuses maladies provoquées ordinairement par celle-ci. Si bien qu'il est probable qu'une société où toute drogue serait proscrite, serait beaucoup plus malade que celles qui en usent (mais comme il n'a jamais existé de société qui n'y ait recours, ce cas de figure reste indémontrable statistiquement).

Pourtant il vaudrait mieux arrêter ces beaux raisonnements, car les faits sont là, parfois difficiles à regarder en face ! Ayons donc le courage de faire une petite expérience !. Faisons ingérer un kilo de tabac à un raton laveur: la pauvre bête crève aussitôt, lessivée. Vous en conclurez, à juste titre, que le tabac n'est pas bon pour la santé. Bien plus! Il en ira pareillement, en certaines circonstances, même si l'animal ne consomme pas cette vénéneuse substance. Par exemple, si vous lui laissez tomber une livre de cigare d'une hauteur de deux mètres sur l'occiput, il en sera tout étourdi: c'est très mauvais!

Mais d'autres que nous ont fait de semblables expériences. Et les conséquences ne se sont pas fait attendre : "Fumer provoque des maladies graves". C'est le slogan que vous pouvez lire maintenant sur les paquets de cigarettes et les affiches publicitaires correspondantes, avertissement résultant d'une obligation légale, édictée au nom du savoir médical. La grammaticalité de cette phrase implique qu'il existe une relation de cause à effet entre le tabac et une maladie. Or, si une telle corrélation existait, les chiffres devraient pouvoir le montrer aussitôt. Le cyanure provoque la mort dans 100% des cas : voilà une relation de cause à effet. Et il est impossible d'écrire une telle relation pour le tabac, car il n'existe aucune proportionnalité entre telle ou telle maladie et la consommation de tabac. Si l'on compare par exemple le nombre de fumeurs et celui des personnes atteintes d'un cancer du poumon en France, la relation de cause à effet n'apparaîtra pas avec évidence. Regardons d'autres statistiques qui semblent démontrer l'existence d'une plus grande proportion de maladies coronariennes chez les fumeurs. Ces chiffres n'indiquent pourtant pas un rapport de causalité, puisque rien ne prouve que ce ne soit pas la même cause, c'est-à-dire l'angoisse, qui provoque en même temps l'envie de fumer et les maladies coronariennes : à preuve, les infarctus du myocarde des non fumeurs, déclenchés par l'angoisse. La plupart des fumeurs ne présentent pas d'autres maladies que celles qui sont normalement réparties dans leur classe d'âge (indépendamment de leurs vices).

Aux Etats Unis, les enquêtes sérieuses, toutes remplies de chiffres et de diagrammes, abondent, à propos des bonnes causes comme des mauvaises. Si l'on compare les statistiques de la rubrique "morts par arme à feu", et celles des décès dont la cause est imputée au tabac, les nombreux trépas de la première catégorie (par balle) impressionneront beaucoup plus que ceux de la seconde (par fumée). II existe en effet un lien de causalité certain entre une balle de revolver et la mort de celui qui la reçoit, lien en tout cas beaucoup plus assuré, sans étude "scientifique", qu'entre la fumée de cigarette et les maladies qui, dans un certain nombre de cas, l'accompagnent. Quoi qu'il en soit, et sans même avoir besoin de ces macabres comparaisons, on attendrait de la sollicitude des pouvoirs publics américains, qu'au moment où ils soutiennent de virulentes campagnes contre le tabagisme, ils interdisent le port d'armes (sauf en certaines circonstances, les westerns, etc). Eh bien non ! Il n'est pas question d'interdire à des hommes dignes de ce nom la liberté de porter une arme, droit constitutionnel aux Etats-Unis. C'est logique d'ailleurs! Si jamais un fumeur empeste l'atmosphère, il convient de pouvoir le descendre proprement comme en cas de légitime défense. L'ordre des causes et des effets veut donc que l'on commence par supprimer l'agression tabagique, comme d'ailleurs tout ce qui est sale et mauvais pour la santé.

Ainsi voit-on une médecine bardée des médailles de la scientificité tenter de régenter quelques modestes plaisirs - en des termes d'une telle mauvaise foi que cela donnerait immédiatement envie de fumer, même à celui qui ne s'y adonne pas régulièrement. Des assertions identiques pourraient être faites, -et le seront probablement un jour-, concernant l'ingestion de vin et d'alcool. Ne peut-on s'attendre à voir fleurir des arguments aussi extrêmes ? Comme par exemple : l'alcool n'abîme pas seulement la santé de celui qui le boit, les vapeurs éthyliques, elles aussi, sont néfastes, l'haleine de buveurs dans un local fermé présentant toujours le risque de faire monter le taux d'alcoolémie, avec les risques de cirrhose subséquents, pour ceux qui, confinés dans le même lieu, inspirent ces miasmes. Et comme, enfin, il en va de même concernant la sexualité et les menaces qui pèsent sur ses ébats, puisque certains docteurs seraient, parait-il, sur le point de préparer un décret imposant le port des préservatifs pour tous, même en l'absence d'érection, on finit par se demander si la médecine ne vient pas à point nommé relayer les tenants de l'ordre moral.

Pourquoi tous ces grands mots pour une simple campagne d'hygiène publique ? Quels sont donc les enjeux qui méritent d'interroger ce qui se donne comme de louables intentions ? On se demande d'où nous vient cette furor sanandi ,ce souci de santé si peu raisonnable, si peu adapté à notre aire, plutôt catholique, et pourquoi cette importation d'un goût de la propreté, originaire d'une géographie protestante intraitable en matière de rédemption et peu encline à se dispenser de mécanismes ségrégatifs. Il est bien entendu que la jouissance pulsionnelle d'autrui fatigue - que celui qui mastique (surtout un chewing-gum) m'exaspère, toujours suspect qu'il sera de se masturber autoérotiquement dans mon dos. Ainsi en ira-t-il pour qui mange, boit, fume, respire dans un certain périmètre autour de ma personne. Et la masturbation n'est-elle pas mauvaise pour la santé ? N'a-t-on pas raison en ces conditions de lutter contre la pollution (nocturne) ? De plus, interdire la jouissance d'autrui est une prérogative paternelle de plein droit. Et, comme seul le père est supposé jouir, interdire est jouissif. Voilà pourquoi le dieu des religions monothéistes a d'aussi sataniques suppôts sur cette terre, colonisant les Eglises comme les laboratoires de recherche, derniers lieux du sacré contre lesquels il n'est pas si facile de se montrer athée.

Une telle utilisation de la science caractérise la modernité . Il y a quelques siècles, c'était plutôt la religion, qui, bridant les plaisirs en général, condamnait l'usage des drogues en particulier (le corps du Christ faisant pharmacopée universelle). Ne prônait-elle pas déjà le safesex, c'est-à-dire l'amour hétérosexuel monogame garanti par contrat religieux? Un contradicteur pourrait faire remarquer que rien n'est plus logique, puisqu'à ces époques reculées, la science n'était pas aussi développée que de nos jours. Mais une telle objection prouverait du même coup que la science vient à la même place que la religion (dont il semble bien difficile de se passer),et que cette opération est au service d'un fantasme auquel elle prétend aujourd'hui apporter des preuves scientifiques "sérieuses", alors qu'hier il n'en existait que de théologiques. A la science est désormais impartie d'établir la ligne de partage entre le bien et le mal, et, par conséquent la ségrégation entre ceux qui ne savent pas se retenir, et ceux qui remettent leur jouissance à demain, II est vrai qu'il ne suffit pas de montrer que la science vient à la même place que la religion pour établir qu'elle joue le même rôle. Cette hypothèse restera, à elle seule, de peu de poids, car ce n'est pas parce qu'une chose vient à la place d'une autre qu'elle a la même valeur, puisqu'elle peut aussi signifier un progrès (lorsque du nouveau remplace l'ancien.)

Cependant, on peut observer que la science n'a pas pris la place de la religion en une seule foi(s), mais progressivement. Avant d'en arriver à sa prétention actuelle, elle s'est pendant longtemps présentée sous un jour messianique, comme une sorte de religion sécularisée de l'Etre suprême, destinée à apporter le paradis sur terre, cadeau plus qu'encombrant, puisqu'il ne va pas sans Enfer (il existe toujours une église positiviste où officient des disciples d'Auguste Comte). La science a donc pris, de façon progressive, le relais d'un fantasme des plus pernicieux, qui consiste à soutenir que le bonheur nous guette, mais à la condition d'éradiquer le péché. Elle veille ainsi sur notre bien-être, toute prête, pour ce faire, à séparer les bons des méchants, non sans avoir déjà comptabilisé quelques malencontreux essais avec la médecine nazie et sa cousine, la science prolétarienne, toutes deux également destinées à protéger notre santé et notre pureté(raciale ou idéologique).

S'agit-il vraiment de faits qui méritent d'être rapprochés ? Peut-on mettre sur le même plan le racisme et les mécanismes de ségrégation que l'on voit actuellement se mettre en place au nom de la santé publique ? Si l'hygiène de vie, l'écologie, valent sûrement mieux que le racisme et si une pancarte "réservé aux fumeurs" n'a pas de quoi choquer comme le ferait "réservé aux noirs", il n'en reste pas moins que le discours raciste ordinaire fait constamment allusion aux maladies qui risquent de forcer nos frontières en même temps que les étrangers.
Il y a donc lieu de rester attentif à un symptôme, parmi d'autres qui s'accumulent de manière inquiétante, d'un retour certain à l'ordre moral. Avec la laïcisation de la religion se montre une permanence de l'objectif de celle-ci en dépit des modifications de dénomination des agents et des causes, permanence qui interroge la notion même de progrès, si la science est finalement requise pour des tâches inquisitoriales.

L'écologie avouée du propos anti-tabagique souscrit à une tradition aussi chrétienne que millénariste, qui consiste à effrayer tout le monde en annonçant l'imminence d'une catastrophe définitive, l'homme étant puni par où il a péché, c'est-à-dire au titre de son activité pulsionnelle ou sexuelle, Il faut donc s'insurger contre cette imminence du péché, c'est-à-dire de la jouissance, non plus au nom de Dieu, mais cette fois-ci de la science. Ainsi tout un idéalisme de la pureté vient-il s'emparer de la démonstration scientifique, bien qu'elle nous ait déjà montré quelques uns de ses épouvantables ratés avec Staline et Hitler. Ne faut-il pas remarquer que certains couplets écologiques sur la nature et la préservation des espèces en voie de disparition sont une transposition inversée, à certains égards frappante, de la rêverie nazie sur la pureté germanique (Cf: le dernier film de Wenders Jusqu'au bout du monde)?