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Origine : http://epsyweb.com/psycho/toxico/toxico_cigarettes.htm
Ou comment ses angoisses calmer.
De même que tous les êtres civilisés, il m'arrive
de ressentir comme une angoisse et, je l'avoue, j'ignore souvent
pourquoi. Les rêves que je fais, et que je continuerai à
faire probablement jusqu'à la fin, m'indiquent que mes appétits
restent en manque, qu'il me faudrait plus de tout, plus d'amour,
de puissance, d'argent. Ma gloriole reste en dessous de ses prétentions.
Ma soif de beauté demeure inassouvie. Bref, j'ai tout lieu
d'être énervé. Que faire? Je peux sans aucun
doute m'en prendre à mes semblables, sous prétexte
que ce seraient eux qui écorneraient cette exigeante libido.
Quoi de plus tentant en effet, puisque, d'une manière ou
d'une autre, mon prochain me porte, même involontairement,
quelques préjudices, pour la seule raison qu'il a des appétits
semblables aux miens, m'obligeant par conséquent à
en rabattre sur une part de mes ambitions. Si j'impute mon inéluctable
insuffisance, mon manque-à-être à autrui, je
me donne ainsi le droit de me faire les nerfs sur lui (qu'il soit
noir, juif, fumeur, polluant, etc.). Ce soulageant transfert accompli,
mon angoisse restera probablement intacte, mais comme les individus
salissants ne manquent pas, j'aurai toujours de quoi m'occuper.
Si j'étais plus raisonnable, il faudrait que je m'y prenne
autrement pour me calmer, et je ferais alors comme l'ont fait tous
mes frères civilisés depuis toujours, par tous temps
et sous tous climats, quel que soit l'avancement de leurs cultures.
Il n'en est pas une qui n'offre quelques remèdes à
ces sortes de tourments: café, tabac, vin, etc, autant de
drogues finalement propices à calmer les crispations libidinales,
et donc bénéfiques à la pensée et à
l'action. Je pourrais, par exemple, fumer une cigarette, ou encore
consommer une bière, produits qui sauront me rendre un instant
de tranquillité. Il est donc plus raisonnable de fumer que
de s'en prendre à son voisin, et que de considérer,
par exemple, le "passage à tabac" des fumeurs comme
une solution d'avenir.
Je pourrais ainsi me bercer de cette idée qu'aucune société
humaine n'a jamais subsisté sans drogue, tabac, vin, café,
etc, qui permettent de s'accommoder de l'anxiété inévitablement
engendrée par la vie en groupe. Je penserais, de plus, que
ces remèdes sont destinés à permettre de supporter
l'angoisse, qu'ils aident par conséquent à contrecarrer
les nombreuses maladies provoquées ordinairement par celle-ci.
Si bien qu'il est probable qu'une société où
toute drogue serait proscrite, serait beaucoup plus malade que celles
qui en usent (mais comme il n'a jamais existé de société
qui n'y ait recours, ce cas de figure reste indémontrable
statistiquement).
Pourtant il vaudrait mieux arrêter ces beaux raisonnements,
car les faits sont là, parfois difficiles à regarder
en face ! Ayons donc le courage de faire une petite expérience
!. Faisons ingérer un kilo de tabac à un raton laveur:
la pauvre bête crève aussitôt, lessivée.
Vous en conclurez, à juste titre, que le tabac n'est pas
bon pour la santé. Bien plus! Il en ira pareillement, en
certaines circonstances, même si l'animal ne consomme pas
cette vénéneuse substance. Par exemple, si vous lui
laissez tomber une livre de cigare d'une hauteur de deux mètres
sur l'occiput, il en sera tout étourdi: c'est très
mauvais!
Mais d'autres que nous ont fait de semblables expériences.
Et les conséquences ne se sont pas fait attendre : "Fumer
provoque des maladies graves". C'est le slogan que vous pouvez
lire maintenant sur les paquets de cigarettes et les affiches publicitaires
correspondantes, avertissement résultant d'une obligation
légale, édictée au nom du savoir médical.
La grammaticalité de cette phrase implique qu'il existe une
relation de cause à effet entre le tabac et une maladie.
Or, si une telle corrélation existait, les chiffres devraient
pouvoir le montrer aussitôt. Le cyanure provoque la mort dans
100% des cas : voilà une relation de cause à effet.
Et il est impossible d'écrire une telle relation pour le
tabac, car il n'existe aucune proportionnalité entre telle
ou telle maladie et la consommation de tabac. Si l'on compare par
exemple le nombre de fumeurs et celui des personnes atteintes d'un
cancer du poumon en France, la relation de cause à effet
n'apparaîtra pas avec évidence. Regardons d'autres
statistiques qui semblent démontrer l'existence d'une plus
grande proportion de maladies coronariennes chez les fumeurs. Ces
chiffres n'indiquent pourtant pas un rapport de causalité,
puisque rien ne prouve que ce ne soit pas la même cause, c'est-à-dire
l'angoisse, qui provoque en même temps l'envie de fumer et
les maladies coronariennes : à preuve, les infarctus du myocarde
des non fumeurs, déclenchés par l'angoisse. La plupart
des fumeurs ne présentent pas d'autres maladies que celles
qui sont normalement réparties dans leur classe d'âge
(indépendamment de leurs vices).
Aux Etats Unis, les enquêtes sérieuses, toutes remplies
de chiffres et de diagrammes, abondent, à propos des bonnes
causes comme des mauvaises. Si l'on compare les statistiques de
la rubrique "morts par arme à feu", et celles des
décès dont la cause est imputée au tabac, les
nombreux trépas de la première catégorie (par
balle) impressionneront beaucoup plus que ceux de la seconde (par
fumée). II existe en effet un lien de causalité certain
entre une balle de revolver et la mort de celui qui la reçoit,
lien en tout cas beaucoup plus assuré, sans étude
"scientifique", qu'entre la fumée de cigarette
et les maladies qui, dans un certain nombre de cas, l'accompagnent.
Quoi qu'il en soit, et sans même avoir besoin de ces macabres
comparaisons, on attendrait de la sollicitude des pouvoirs publics
américains, qu'au moment où ils soutiennent de virulentes
campagnes contre le tabagisme, ils interdisent le port d'armes (sauf
en certaines circonstances, les westerns, etc). Eh bien non ! Il
n'est pas question d'interdire à des hommes dignes de ce
nom la liberté de porter une arme, droit constitutionnel
aux Etats-Unis. C'est logique d'ailleurs! Si jamais un fumeur empeste
l'atmosphère, il convient de pouvoir le descendre proprement
comme en cas de légitime défense. L'ordre des causes
et des effets veut donc que l'on commence par supprimer l'agression
tabagique, comme d'ailleurs tout ce qui est sale et mauvais pour
la santé.
Ainsi voit-on une médecine bardée des médailles
de la scientificité tenter de régenter quelques modestes
plaisirs - en des termes d'une telle mauvaise foi que cela donnerait
immédiatement envie de fumer, même à celui qui
ne s'y adonne pas régulièrement. Des assertions identiques
pourraient être faites, -et le seront probablement un jour-,
concernant l'ingestion de vin et d'alcool. Ne peut-on s'attendre
à voir fleurir des arguments aussi extrêmes ? Comme
par exemple : l'alcool n'abîme pas seulement la santé
de celui qui le boit, les vapeurs éthyliques, elles aussi,
sont néfastes, l'haleine de buveurs dans un local fermé
présentant toujours le risque de faire monter le taux d'alcoolémie,
avec les risques de cirrhose subséquents, pour ceux qui,
confinés dans le même lieu, inspirent ces miasmes.
Et comme, enfin, il en va de même concernant la sexualité
et les menaces qui pèsent sur ses ébats, puisque certains
docteurs seraient, parait-il, sur le point de préparer un
décret imposant le port des préservatifs pour tous,
même en l'absence d'érection, on finit par se demander
si la médecine ne vient pas à point nommé relayer
les tenants de l'ordre moral.
Pourquoi tous ces grands mots pour une simple campagne d'hygiène
publique ? Quels sont donc les enjeux qui méritent d'interroger
ce qui se donne comme de louables intentions ? On se demande d'où
nous vient cette furor sanandi ,ce souci de santé si peu
raisonnable, si peu adapté à notre aire, plutôt
catholique, et pourquoi cette importation d'un goût de la
propreté, originaire d'une géographie protestante
intraitable en matière de rédemption et peu encline
à se dispenser de mécanismes ségrégatifs.
Il est bien entendu que la jouissance pulsionnelle d'autrui fatigue
- que celui qui mastique (surtout un chewing-gum) m'exaspère,
toujours suspect qu'il sera de se masturber autoérotiquement
dans mon dos. Ainsi en ira-t-il pour qui mange, boit, fume, respire
dans un certain périmètre autour de ma personne. Et
la masturbation n'est-elle pas mauvaise pour la santé ? N'a-t-on
pas raison en ces conditions de lutter contre la pollution (nocturne)
? De plus, interdire la jouissance d'autrui est une prérogative
paternelle de plein droit. Et, comme seul le père est supposé
jouir, interdire est jouissif. Voilà pourquoi le dieu des
religions monothéistes a d'aussi sataniques suppôts
sur cette terre, colonisant les Eglises comme les laboratoires de
recherche, derniers lieux du sacré contre lesquels il n'est
pas si facile de se montrer athée.
Une telle utilisation de la science caractérise la modernité
. Il y a quelques siècles, c'était plutôt la
religion, qui, bridant les plaisirs en général, condamnait
l'usage des drogues en particulier (le corps du Christ faisant pharmacopée
universelle). Ne prônait-elle pas déjà le safesex,
c'est-à-dire l'amour hétérosexuel monogame
garanti par contrat religieux? Un contradicteur pourrait faire remarquer
que rien n'est plus logique, puisqu'à ces époques
reculées, la science n'était pas aussi développée
que de nos jours. Mais une telle objection prouverait du même
coup que la science vient à la même place que la religion
(dont il semble bien difficile de se passer),et que cette opération
est au service d'un fantasme auquel elle prétend aujourd'hui
apporter des preuves scientifiques "sérieuses",
alors qu'hier il n'en existait que de théologiques. A la
science est désormais impartie d'établir la ligne
de partage entre le bien et le mal, et, par conséquent la
ségrégation entre ceux qui ne savent pas se retenir,
et ceux qui remettent leur jouissance à demain, II est vrai
qu'il ne suffit pas de montrer que la science vient à la
même place que la religion pour établir qu'elle joue
le même rôle. Cette hypothèse restera, à
elle seule, de peu de poids, car ce n'est pas parce qu'une chose
vient à la place d'une autre qu'elle a la même valeur,
puisqu'elle peut aussi signifier un progrès (lorsque du nouveau
remplace l'ancien.)
Cependant, on peut observer que la science n'a pas pris la place
de la religion en une seule foi(s), mais progressivement. Avant
d'en arriver à sa prétention actuelle, elle s'est
pendant longtemps présentée sous un jour messianique,
comme une sorte de religion sécularisée de l'Etre
suprême, destinée à apporter le paradis sur
terre, cadeau plus qu'encombrant, puisqu'il ne va pas sans Enfer
(il existe toujours une église positiviste où officient
des disciples d'Auguste Comte). La science a donc pris, de façon
progressive, le relais d'un fantasme des plus pernicieux, qui consiste
à soutenir que le bonheur nous guette, mais à la condition
d'éradiquer le péché. Elle veille ainsi sur
notre bien-être, toute prête, pour ce faire, à
séparer les bons des méchants, non sans avoir déjà
comptabilisé quelques malencontreux essais avec la médecine
nazie et sa cousine, la science prolétarienne, toutes deux
également destinées à protéger notre
santé et notre pureté(raciale ou idéologique).
S'agit-il vraiment de faits qui méritent d'être rapprochés
? Peut-on mettre sur le même plan le racisme et les mécanismes
de ségrégation que l'on voit actuellement se mettre
en place au nom de la santé publique ? Si l'hygiène
de vie, l'écologie, valent sûrement mieux que le racisme
et si une pancarte "réservé aux fumeurs"
n'a pas de quoi choquer comme le ferait "réservé
aux noirs", il n'en reste pas moins que le discours raciste
ordinaire fait constamment allusion aux maladies qui risquent de
forcer nos frontières en même temps que les étrangers.
Il y a donc lieu de rester attentif à un symptôme,
parmi d'autres qui s'accumulent de manière inquiétante,
d'un retour certain à l'ordre moral. Avec la laïcisation
de la religion se montre une permanence de l'objectif de celle-ci
en dépit des modifications de dénomination des agents
et des causes, permanence qui interroge la notion même de
progrès, si la science est finalement requise pour des tâches
inquisitoriales.
L'écologie avouée du propos anti-tabagique souscrit
à une tradition aussi chrétienne que millénariste,
qui consiste à effrayer tout le monde en annonçant
l'imminence d'une catastrophe définitive, l'homme étant
puni par où il a péché, c'est-à-dire
au titre de son activité pulsionnelle ou sexuelle, Il faut
donc s'insurger contre cette imminence du péché, c'est-à-dire
de la jouissance, non plus au nom de Dieu, mais cette fois-ci de
la science. Ainsi tout un idéalisme de la pureté vient-il
s'emparer de la démonstration scientifique, bien qu'elle
nous ait déjà montré quelques uns de ses épouvantables
ratés avec Staline et Hitler. Ne faut-il pas remarquer que
certains couplets écologiques sur la nature et la préservation
des espèces en voie de disparition sont une transposition
inversée, à certains égards frappante, de la
rêverie nazie sur la pureté germanique (Cf: le dernier
film de Wenders Jusqu'au bout du monde)?
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