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À propos de "Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse" (livre de G.Pommier)
Pierre Danhaive - 12/01/2005

Origine : http://www.freud-lacan.com/articles/article.php?id_article=00808


Le corps ne serait-il qu'une machine dont la science pourra un jour élucider, voire traiter toutes les composantes? La physiologie du cerveau, la génétique, l'endocrinologie, pourront-elles percer le " secret de l'âme ", localiser l'inconscient, trouver enfin le centre de commande de cet incroyable enchevêtrement de neurones, bref, réaliser cette quadrature du cercle : objectiver le sujet ?

C'est oublier, écrit Gérard Pommier (*), que sujet et organisme s'appareillent grâce à la matérialité du langage : la pulsion, en effet anime le psychique en même temps qu'elle intègre le somatique. Concept psychanalytique, "la pulsion introduit une nouveauté radicale : elle dialectise au point de l'invalider toute opposition du mental et du cérébral". Si "les neurosciences [...] montrent malgré elles comment le langage modélise le corps beaucoup plus profondément que le symptôme hystérique le laissait supposer, [...] elles obligent les psychanalystes à choisir leur camp, car il faut reconnaître que certains d'entre eux ont renoncé à la nature scientifique de leur discipline pour lui préférer les délices de l'amour de transfert et les certitudes de la secte."

Si le support de la parole est lui aussi matériel, qu'est-ce donc que la conscience ? Qu'est-ce qu'un sujet ?

Les neurosciences sont formelles : la parole entendue puis prononcée est préalable à tout apprentissage, à toute expansion des capacités proprement humaine. Le cerveau est tributaire de son exercice, de son utilisation, "la raison d'exister du neurone se trouve hors du corps." La fonction langagière crée l'organisme. Dit autrement : c'est de l'Autre que vient le sujet. La " sur maturation " neurologique appelle un branchement au-dehors pour finaliser les connections synaptiques : la néoténie propre à l'homme n'est pas ici ci que l'on croyait. Le milieu où croît le sujet humain, son "Umvelt" est, pourrait-on dire un bouillon de culture, et sa croissance est continue. Le phénomène d'attrition démontre que l'accroissement quantitatif du stock neuronal se transmet héréditairement : si les potentialités du langage ne sont pas utilisées par cerveau dans un certain délai, il perd une partie de ses possibilités.

Mais quel est alors le sujet de ces apprentissages ?

Pourquoi acceptons-nous d'échanger nos représentations de choses contre les représentations de mots de l'Autre ? Pourquoi et comment nos sensations pulsionnelles mémorisées sont-elles refoulées pour parler la langue commune ?

"Du "Je" au "Tu", une grammaire d'amour donne un sens à un certain son et, à cette condition, le vocabulaire se développe. Comme le sens des sons n'apparaît que grâce à la syntaxe, le développement des neurones lui-même en devient tributaire. Chose immatérielle, la grammaire modèle la flexion des sons, dont le rythme et le débit permettent la croissance des nerfs." C'est donc en disant "je" à un "tu" qui l' entend, que le sujet, stimulé par le désir de l'Autre, apprend, avec le refoulement de ce désir, à s'engager dans la parole. C'est en s'identifiant grâce à la parole que naît le sujet, C'est l'appropriation de son propre nom que raconte le mythe oedipien. Pour Gérard Pommier, le nom propre est "totémique" , au sens freudien : mise à mort et dévoration incorporation du père. " Je" ne parle qu'au nom du totem. Le sujet est celui de la parole, c'est hors du corps que se joue la nomination. Culture et identification modèlent le corps, l'érigent et orientent son fonctionnement. "...le centre de commande se trouve [...]"dehors ", bien que sa matérialisation paraisse se trouver " dedans "".

Certes, le code génétique est l'armature qui propose potentialités et contraintes, mais celles-ci sont modélisées, exploitées (ou non) par la culture. Chez l'homme "les potentialités des gênes restent lettre morte sans la parole". Le langage constitue un instrument d'information supérieur à celui des gênes.- Pensons à la reproduction sexuelle réorganisée par le langage au point que le choix du genre ne dépende même plus de l'anatomie.- Ce saut évolutif brutal pourrait se comparer, écrit G.Pommier, au passage de l'écriture idéographique à l'écriture alphabétique. Toujours est-il que parler de la " part animale "de l'humain semble un vain mot, tant il est vrai que ce saut est qualitatif. Le changement complet du système d'information, de l'animal à l'homme, va induire des remaniements avec, entre autre, la latéralisation cérébrale : "la pulsion est refoulée par la parole selon un circuit dont on peut suivre la trace de l'hémisphère droit à l'hémisphère gauche".

Le recouvrement des aires sensori-motrices par une aire psychique trouve sa preuve dans la formation du symptôme, le langage des sourds-muets, la langue et l'écriture japonaise, le phénomène du " membre fantôme ", celui dit d'"hémi négligence", etc. Plus encore, ces observations donnent une indication sur ceci : les sensations ne deviennent conscientes qu'en fonction de leur investissement pulsionnel. Celui-ci est un précurseur de la conscience dans la mesure où, comme l'avait pressenti Freud, un jugement d'attribution (i.e. ceci est bon ou mauvais) est préalable à la conscience (jugement d'existence).

Nous savons que la pulsion, dont dépend le corps psychique, est modelée par la demande maternelle, qui passe par les besoins de l'enfant. Si celui-ci a faim, le sein s'érigera tout naturellement en premier objet de désir... qui est en même temps l'instrument du désir de la mère car il médiatise sa demande de faire de son manque, où l'enfant trouve sa place, un phallus gonflé (de lait). Dans un temps premier, l'enfant veut ce qui est voulu de lui, il hallucine le sein, cet objet qui rempli le vide que poursuit la pulsion orale, puis les autres pulsions (1).

La frontière pulsionnelle, écrit G.Pommier, constitue la limite " psychosomatique " sur laquelle le psychique se retourne en organique... et sans laquelle il n'y aurait pas de psychique. La poussée, constante comme on sait représente une demande toujours plus grande animant le corps du dehors -psychiquement- et dont la pression, entraînant trop de déplaisir dans le plaisir (2), cause le "refoulement primordial", le "rejet" (3) -c'est du moins ainsi que nous lisons G.Pommier-. Les pulsions ainsi rejetées investissent et animent le monde des sensations, ce "corps psychique" contamine l'ensemble de ce qui est perçu. Cette "perception fausse" donne sa base à l'animisme de la pensée enfantine ou aux religions dites primitives. C'est elle aussi qui permet d'expliquer les hallucinations.

"Le si puissant corps psychique résulte du refoulement d'un " rien " (le phallus rêvé par la mère), force d'un vide avide de tout".

Les symptômes résultent de l'inadéquation entre la logique du psychique et celle de l'organisme, i.e. : si un problème psychique ne trouve pas la solution de ses contradictions à son propre niveau (le langage), il se rétracte sur le corps.

Anatomiquement, on peut observer que les activités pulsionnelles sont localisées dans les aires corticales droites et celles de la parole à gauche. On peut aussi montrer une vectorialisation droite/gauche de la pulsion vers la parole. La latéralisation correspond à une nécessité du refoulement, le chiasme intracérébral "incarne" celui-ci. "Tout se passe comme si le corps devait répartir entre deux lieux le rapport contrarié entre image et signifiant. Cette jonction des aires corticales sensori-motrices et de l'aire du langage n'existe pas chez l'animal", pas de différence de potentiel entre le pulsionnel et le langagier : pas de conscience.

L'acte de parole effectue le refoulement de l'excès pulsionnel en passant du son au sens : "les mots résonnent avant de raisonner". Les mots s'adossent à d'autres mots, échappant ainsi à l'univers des choses, et la Chose s'éloigne. Ainsi, comme la conscience, la pensée se sépare du réel extérieur dont elle protège, elle le nomme pour pallier son innommable. "La mémoire humaine s'organise en fonction du refoulement de l'image au profit de la littéralité de ses traits caractéristiques. [...] l'homme se sent séparé de ce qu'il perçoit". Symbolisant la pulsion, le sujet s'installe dans sa spacio-temporalité. L'homme a définitivement "quitté" le jardin d'Eden et son "improbable animalité".

L'inconscient n'est pas à séparer de la conscience, inutile d'en chercher la localisation cérébrale, il présentifie la tension grammaticale, quand ça parle, et "la pensée (consciente) donne un sujet à des sensations qui, n'eût été le verbe, l'auraient annulé".

Mais, écrit G.Pommier, ceci n'est que le premier temps du refoulement ; en effet, les "mots ne font sens qu'au moment où ils sont associés dans une phrase adressée à un semblable, réel ou fictif".

La différence de potentiel entre l'aire psychique pulsionnelle et l'aire psychique du langage produit de la parole, et donc du sujet, dans le rapport au semblable. "Le "sujet" est cette étincelle qui pense et parle dans cette tension". Comme on le voit, le sujet est en dehors de la machine, résultante de cette différence de potentiel qu'instaure la proximité de deux corps : il ek-siste, le sujet de l'inconscient est le même que celui de la conscience.

G.Pommier nous rappelle que "l'homme n'a conscience d'aucune sensation sans la médiation du symbole", car c'est le symbole lui-même qui fonde l'événement d'origine. La signification phallique (pour la mère) du corps du petit d'homme est un symbole traumatisant, c'est ce trauma (un innommable), soutenu par la pulsion ($<>D), qui pousse à parler. C'est par amour, et pour écranter un amour trop grand que, pour un sujet, les sons prennent sens, que les choses sont nommées. "La pulsion est au service du symbole, et c'est en fonction de sa puissance que la mémorisation s'engrange". Poussée de symbole en symbole, la mémoire humaine est contrainte à l'invention et à la fiction ; ce qu'elle défend est un centre vide : le symbole du trauma premier (refoulé).

Soulignons-le une fois encore : pour G.Pommier, " le traumatisme signe l'acte de naissance paradoxal du sujet" face au refoulé, i.e. une contradiction insoluble comme l'amour et la haine, l'espace et le temps : un oxymore où a pris place un symbole "atemporel".

C'est ce symbole que cherche à retrouver la cure analytique, non pour le comprendre, mais pour rendre son sujet à la scène traumatique et libérer le corps, tenu en otage en l'absence de ce sujet. Un sujet deux fois divisé : d'abord par sa propre jouissance, et aussi entre conscient et inconscient. Ici encore, le sujet est l'étincelle qui répond à une différence de potentiel, car la conscience réclame le refoulement de la pulsion et le sujet est le lieu de cet acte (le refoulement) et de la conscience qu'il permet.

L'existence du sujet est préalable à la conscience : qui parle est extérieur à ce dont il est conscient.- Ceci n'est pas sans évoquer le sujet transcendantal des philosophes.- Ce qui fait l'homme le dénature de toujours.

Suit un chapitre sur les malentendus du mot inconscient, où G.Pommier nous rappelle qu' "un souvenir reste inconscient, non lorsqu'il est oublié, mais lorsqu'un sujet ne parvient pas à en prendre la mesure" ; et que ce qui fait l'inconscient c'est l'absence de sujet de certaines images, symboles ou souvenirs, présents cependant à la mémoire. Car, si la conscience ne saisit que le non contradictoire, une image (de rêve, par exemple) peut exprimer la contradiction, de même qu'un symptôme. Le refoulé (contradiction) n'est pas déposé dans un autre lieu, il reste lisible à la surface de la parole.

Le refoulement s'articule "selon l'ordonnancement du complexe d'Oedipe", car " le nom propre ancre le sujet à son corps selon le double axe de sa filiation (le patronyme) et de son appartenance sexuelle (son prénom). L'enfant doit prendre violemment le nom que son père lui donne pour s'identifier à lui. Amour-haîne : oxymore encore !

C'est à ce niveau que surgissent les images du rêve (victoire de la pulsion), qui est structuré comme le langage dont il triomphe. C'est de ce point de vue que le rêve réalise le désir : victoire provisoire de la jouissance.

Rappelons-le une dernière fois : la conscience résulte anatomo-physiologiquement d'une disparité d'excitation entre plusieurs aires cérébrales, une différence de potentiel, telle que la symbolise Lacan au départ de son graphe du désir. Ceci est prouvé par les neurosciences, bien malgré elles (4).

De même, si le lobe préfrontal a un rôle intégrateur des fonctions, si, aux dires des neurophysiologistes, il joue un rôle dans le caractère et l'affectivité, il sera pour nous la traduction dans l'organique de la fonction d'intégration psychique du narcissisme, c'est-à-dire la subjectivation du moi réflexif. C'est à son niveau que peut être détectée par les scientifiques la dépense d'énergie que réclame le refoulement (i.e. le passage de droite à gauche) : un affect, de même que peut être mesuré le temps que demande l'opération : délai qui permet la confrontation de la perception avec un autre événement déjà mémorisé ; le sujet peut ainsi s'extraire de l'immédiateté de sa perception. Le lobe préfrontal apparaît ainsi comme la plaque tournante entre le cérébral et le psychique, et comme lieu d'action potentiel de la cure analytique.

Le cerveau n'est cependant pas un ordinateur, n'en déplaise aux cognitivistes, car le désir de savoir et son moteur qu'est le refoulement ont pour fonction d'écarter la pulsion sexuelle. La cognition n'émerge pas de la cognition, toujours le sujet perçoit le monde à travers sa réalité psychique, conscient et inconscient ne sont pas séparables. L'inconscient ne fonctionne pas en binaire mais en base trois : il fait symptôme et c'est cette dysharmonie qui fait grandir l'être humain.

La neuroscience, rescapée d'une antique horreur du corps, produit une idéologie, celle de l'homme machine, enfin débarrassée de la pesante éthique du désir. Et avec elle le fantasme de pouvoir réparer tout ce qui ferait obstacle au bonheur du sujet : chirurgie, médicaments, greffes, trituration génétique, clonage, tout lui est bon. Et G.Pommier d'évoquer une pathologie du corps pulsionnel propre à notre époque : boulimie, anorexie, toxicomanie, dépression, certains problèmes sexuels, etc., qui, loin d'être des maladies à part entière sont seulement des symptômes. "Originellement, le corps est sommé de s'égaler au phallus", et l'idéologie des neurosciences semble tendre vers ce but, sorte de victoire de la pulsion de mort.

Mais la psychanalyse aussi secrète une idéologie, celle du psychisme machine. Son sujet est celui de la science de l'inconscient, ici suturé par son symptôme : l'inconscient calcule et pilote le destin. Le psychanalyste a à prendre le parti du sujet contre la scientificité de l'inconscient, jusqu'au point de surdétermination subjective où elle peut se dialectiser.

"Le symptôme abrite un savoir particulier sous une présentation généralisable : chaque expression de l'inconscient condense un traumatisme passé que des symboles actuels remémorent. [...] L'art du psychanalyste consiste à attraper au vol le savoir singulier de l'analysant et à l'extraire du savoir désubjectivé qui l'occulte dans le symptôme". L'étincelle subjective peut défaire l'objectivation du symptôme, et "la structure psychique procède de la façon dont un sujet dit non au désir de l'Autre" : refoulement, déni ou forclusion.

(*) Pommier, Gérard, Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse, Flammarion, Paris, octobre 2004.



(1) C'est pourquoi l'aire de projection des lèvres sur le cortex est si importante, alors que celle du sexe est réduite. "Comme objet de l'Autre, le corps pulsionnel est d'abord une bouche et un anus, et il naît comme sujet à part entière grâce au sexe".

(2) Ce qui qualifie la pulsion

(3) Ausstoßung : Freud in "Die Verneinung".

(4) Si la différence s'annule, si les dites aires sont en phase, le sujet s'annule : épilepsie ou syncope.

Association lacanienne internationale 2006