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À deux voix
Les neurosciences démontrent- elles la psychanalyse ?
Gérard Pommier, Michel Imbert

origine : http://www.vivantinfo.com/uploads/media/Neurosciences_psychanalyse_01.pdf


Dialogue autour du livre « Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse » (Flammarion), entre son auteur, Gérard Pommier, médecin psychiatre, psychanalyste et maître de conférences à l'université de Nantes, et Michel Imbert, neurobiologiste, professeur émérite à l'université Paris 6, président du Conseil scientifique du département de biologie de l'Ecole normale supérieure, et conseiller éditorial de Vivant.

« Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse ». Le titre de votre livre peut surprendre dans la mesure où les neurosciences traitent du fonctionnement du cerveau, des mécanismes qui font que « la matière devient conscience », pour reprendre le titre d'un ouvrage du neurologue Gerald Edelman, alors que la psychanalyse s'intéresse au « sujet » et à l'inconscient.

Gérard Pommier
On continue d'avoir en tête, tout à fait à tort, l'idée pré-psychanalytique d'une division entre corps et esprit, ou entre cerveau et esprit, qui n'était pas du tout dans le projet de Sigmund Freud. Freud est parti de l'observation du corps pour s'apercevoir qu'un certain nombre de ses effecteurs étaient « en dehors du corps » et même, jusqu'à un certain point, fabriquaient ce corps ; mais il n'a jamais posé une séparation du corps et de l'esprit. La théorie psychanalytique ne s'oppose pas à l'approche scientifique, elle n'est pas du tout une doctrine spiritualiste ; il s'agit d'une théorie profondément évolutive que Freud a remaniée bien des fois. Il disait lui-même que la théorie « tombe à l'improviste dans notre maison » à un certain moment d'élaboration des résultats ; un certain nombre de cas qui se répètent ont la même valeur qu'un expérimentation scientifique, ce en quoi nous nous réclamons de la science.
Les méthodes de cette élaboration sont, à mon sens, tout à fait recevables par la communauté scientifique à condition qu'elle veuille bien admettre qu'il existe des données d'expérimentation qui ne sont pas du même ordre que celles des sciences dites dures. Celles-ci, d'ailleurs, ne deviennent « dures » qu'au moment où elles sont communiquées puisqu'elles sont inventives et donc hypersubjectives au moment de leur création par les chercheurs. Le mathématicien Henri Poincaré a ainsi souligné l'importance de l'inconscient dans l'invention des mathématiques. C'est seulement lorsque le problème est solutionné et devient une thèse, qu'il perd de sa subjectivité pour s'objectiver.

Freud a donc élaboré des concepts qui tentaient de montrer que le corps est limité dans sa capacité de création par quelque chose qui est « hors du corps ». Ainsi, dès 1903, il faisait l'hypothèse du difficile concept de « pulsion », tout en disant qu'il s'agissait d'une mythologie dont il n'avait pas les preuves. Or il me semble aujourd'hui que les neurosciences démontrent cette mythologie ; elles montrent comment le corps est fabriqué par la matérialité du langage, qui permet le refoulement de l'excès pulsionnel. Par exemple, les expériences de Roger Sperry (1913-1994, prix Nobel de médecine en 1981) sur les sujets split brain, au cerveau dédoublé, personnes dont les deux hémisphères cérébraux ont été séparés chirurgicalement pour traiter l'épilepsie, ont montré que le cerveau gauche concentre les activités du langage et de la logique, alors que le cerveau droit utilise les impressions sensorielles et les émotions. Cette division n'est pas interprétable, de l'avis des psychanalystes, sans le concept de pulsion, qui est accroché aux sensations. L'hémisphère droit est le point d'appui de cette pulsion. Celle-ci trouve son écho dans l'hémisphère gauche, via la symbolisation par le langage, et la pulsion peut être ainsi refoulée par la parole et par la signification qu'elle lui donne.

Michel Imbert
Le terme « démontrent » de votre titre me semble trop fort. Certes, il n'y a pas d'incompatibilité théorique forte entre les neurosciences, en particulier « Les cognitives, et la psychanalyse. Mais selon moi, c'est la psychanalyse qui psychanalystes vient nourrir les neurosciences et non ces dernières qui apporteraient à la psychanalyse une scientificité dont elle se passe très bien. Je suis savent bien que le d'accord pour dire que la science « dure » comporte un élément de sujet a un corps et création au sens poétique ou artistique, ou des rencontres fortuites qui participent à la création subjective. Mais la science obéit aussi à des que, bien entendu, règles, elle se soumet notamment à l'expérience. C'est là le reproche qu'on a pu faire à la psychanalyse : contrairement à la science, on ne peut ce corps comprend jamais montrer qu'elle se trompe parce que le psychanalyste aura toujours un certain nombre le dernier mot...


G.P Pourquoi donc ? Freud a changé de point de vue théorique plusieurs fois au cours de sa vie.

Le problème n'est pas là, mais dans d'effecteurs. pharmacologiques.

M.I.

Oui, mais il existe une difficulté lorsque l'on parle de psychanalyse. On la causalité qui trouve chez Freud, neurologue anatomiste qui a eu le premier l'idée des détermine la mise synapses, une pensée scientifique. Mais ce que le public entend en général par psychanalyse, c'est ce qu'en ont fait ses successeurs, qui ont en route de ces masqué le travail « biologisant » de Freud. Et c'est pourquoi l'opposition entre les neurosciences et la psychanalyse est devenue criante au XXe effecteurs. » siècle.

G.P.

Encore une fois, les psychanalystes savent très bien que le sujet a un corps et que, bien entendu, ce corps comprend un certain nombre d'effecteurs pharmacologiques. Le problème n'est pas là, mais dans la causalité qui détermine la mise en route de ces effecteurs.

Revenons au langage. Où est le point de jonction entre neurosciences et psychanalyse ? G.P.

Le point de jonction est de type phénoménal. Jean-Pierre Changeux et Antoine Danchin ont montré, en 1973, qu'il existe une sélection par dégénérescence des fibres nerveuses innervant les muscles chez la grenouille, après la naissance. Extrapolé aux aires du langage, ce phénomène d'attrition signifie que seuls se développent les neurones qui correspondent à l'audition de certains sons. Les neurones correspondant à des sonorités qui n'existent pas dans la langue dégénèrent tandis que les autres prospèrent. Cela prouve de manière irremplaçable la matérialité du langage et son effet très important sur le corps, c'est-à-dire sur le développement du cerveau.

M.I.

Tout fonctionnement organique agit sur le développement du cerveau.

Par exemple, c'est l'utilisation par l'organisme de ce qu'il voit dans un comportement adapté qui permet le développement du système visuel.

Si l'on ne fait pas quelque chose de ce qu'on voit, cela ne sert à rien de voir. C'est vrai également du langage. Je ne pense pas qu'il puisse y avoir de conscience non thétique, c'est-à-dire de conscience réflexive, de conscience comme qualia, le fait de sentir cela ou cela, sans langage. Cette conscience a une structure narrative. Ce n'est pas vrai de la conscience thétique, la partie spontanée, non réflexive, de la conscience, celle qui nous met en présence de quelque chose. Si je suis donc d'accord pour mettre le langage au centre du processus de conscience, je ne vous suis pas lorsque vous affirmez que c'est grâce au langage que le cerveau se développe.

Neurone pyramidal B. Gähwiler/EDAB G.P.

Pourtant, ce n'est pas le tout qu'il y ait une enregistrement sélectif des sons grâce au bain de langage apporté par l'entourage. Encore faut-il qu'il y ait un message communiqué par la mère et la reconnaissance du sujet de ce message. Il y a un sujet dans la machine grâce au langage. Toute la suite des apprentissages vient de qu'il y a eu langage et sujet de ce langage. Il y a bien un génétisme chez l'être humain, mais il reste lettre morte tant qu'il n'y a pas ce retournement ¬ le sujet prend les commandes ¬ grâce à ce mode de transmission particulier qu'est le langage.

Par-delà de ce qui peut rapprocher les neurosciences et la psychanalyse à propos du rôle structurant du langage, les scientifiques entretiennent en revanche une confusion, dites-vous, sur l'inconscient. Que voulez-vous dire ?

G.P.

Beaucoup de scientifiques confondent le pilotage automatique avec l'inconscient, ou l'inhibition volontaire de souvenirs et le refoulement inconscient [1]. Ils assimilent l'inconscient au « préconscient » ou au « non- conscient », c'est-à-dire à tous les mécanismes de l'organisme qui fonctionnent sans que l'on y prête attention, ou ceux qui sont suffisamment habituels pour être automatisés.

Bien sûr, le mot inconscient n'appartient à personne. L'important est de comprendre que l'inconscient psychanalytique résulte de ce que le sujet ne veut pas savoir, de quelque chose qui lui fait horreur ou qui le traumatise. Il le refoule à cause de sa valeur traumatisante, d'où des conséquences symptomatiques (le symptôme est le produit du refoulement) ou, à l'inverse, structurantes. Par exemple, les petits enfants refoulent des désirs qu'ils n'arrivent pas à satisfaire. C'est éminemment culturel. Et c'est ce qui les lance dans les apprentissages scolaires : ils veulent savoir justement parce qu'il ne peuvent savoir autre chose.

M.I.

En tant que neurobiologiste prudent, je n'emploie jamais le terme inconscient et lui préfère le terme « non- conscient », au sens de ce qui échappe à notre connaissance. Je suis non pas sceptique mais neutre par rapport à la définition psychanalytique de l'inconscient. L'inconscient y a valeur de réalité, il est hypostasié, mais seulement par les effets dont il est la cause. Or je suis réticent à hypostasier des instances (des composantes) dont je ne peux rien savoir autrement que par la façon dont elles s'expriment.

G.P.

Freud lui-même est revenu sur ces questions de terminologie. Il n'a pas considéré très longtemps l'inconscient comme une instance. Très « Conscience et rapidement, il l'a compris comme ce qui qualifie des processus. Des processus sont inconscients en tant que le sujet ne se rend pas compte de inconscient sont ce qu'il est en train de faire. Par exemple, un sujet tente de se suicider le indissolublement jour anniversaire d'un traumatisme : il n'est pas conscient de cette coïncidence. Dans ce processus, il n'y a bien évidemment aucune liés : à l'intérieur instance, pas de « petit sac » du refoulé caché quelque part dans le du conscient, il y a cerveau. Cette idée serait très critiquable, en effet. C'est vrai que la psychanalyse hypostasie constamment le terme inconscient, par facilité de quelque chose que langage. Mais dans la pratique réelle, il n'y a pas le conscient et puis, dans un autre endroit, l'inconscient. Conscience et inconscient sont le sujet ignore indissolublement liés : à l'intérieur du conscient, il y a quelque chose que le dans ce qu'il dit ou sujet ignore dans ce qu'il dit ou fait, qui est l'inconscient.

fait, qui est M.I.

l'inconscient. » A ce propos, un phénomène très discuté en neurosciences me paraît pertinent : c'est ce qu'un neuropsychologue américain d'Oxford, Larry Weiskrantz, a appelé le blindsight, la vision aveugle [2]. Des patients aveugles par suite de lésions du cortex visuel sont capables de pointer une cible. Si on leur demande de dire s'il y a quelque chose dans leur champ visuel, ils répondent négativement, en cohérence avec le fait qu'ils « savent » qu'ils sont aveugles. En revanche, si on leur dit de pointer dans l'espace un point lumineux qui apparaît dans leur champ visuel, il le désignent assez précisément sans que l'on puisse invoquer le hasard. Le sujet « voit » sans avoir la possibilité de voir. Est-ce selon vous un mécanisme qui se rapprocherait de l'inconscient ? G.P.

Pour s'en assurer on ne peut pas se référer à ce type d'expérimentation, trop ponctuelle. En revanche, certains types de cécité s'inscrivent dans une structure inconsciente, par exemple les conséquences neurophysiologiques de la cécité hystérique ¬ selon Freud, les symptômes hystériques proviennent du conflit entre les critères que l'individu s'applique pour vivre en société et un désir refoulé. Ce qui intéresse les psychanalystes, c'est ce qui fait qu'un sujet ne voit plus pour des raisons qui tiennent à sa propre visibilité.

Gérard Pommier, vous critiquez aussi certaines attitudes réductionnistes des neurosciences mais également les excès psychanalytiques, que vous regroupez sous l'expression de « psychisme machine ».

G.P.

L'idéologie de l'homme machine n'est pas toujours le fait des Conscience, Helena Richardot, 1992 1993 Helena RICHARDOT scientifiques. Elle correspond au vieux rêve de la programmation ou du Golem ; l'homme serait prévisible, malléable, réparable, ce qui nous innocente de notre subjectivité et de nos prises de position : ce n'est pas ma faute, ce sont mes gènes ou ma programmation neuronale. C'est une idéologie qui est très congruente avec une idéologie plus générale dans notre société qui consiste à trouver la solution à tous les problèmes, par une espèce de machinisation du corps.

Cette idéologie n'est pas celle, loin de là, de tous les neuroscientifiques mais elle a le vent en poupe, notamment suite aux ouvrages de Jean-Pierre Changeux et Jean-Didier Vincent. De même lorsque Antonio Damasio déclare : « Ce que nous appelons "relations sociales" ou "culture" ne vient que de nos cerveaux. Ce sont les cerveaux qui produisent et véhiculent des comportements, des romans, des poèmes ou des lois. » [3]. Personne n'a jamais vu un cerveau humain qui se développe en dehors de la société. Les légendes des enfants-loups ne reposent sur aucune preuve historique. C'est un mythe de croire que le cerveau humain se suffit à lui-même pour apprendre.

« Tout autisme a M.I.

un correspondant On peut le dire de tout organisme. On n'a jamais vu une souris se biologique. De développer en dehors de ses congénères dans des situations naturelles.

nombreuses G.P.

études Ce que je veux dire, c'est que le bagage génétique de l'être humain ne réalise ses potentialités qu'à la condition de la subjectivation par le épidémiologiques langage. Il faut mettre un sujet dans la machine, grâce à l'entourage, pour montrent d'ailleurs que les potentialités génétiques se réalisent. Au contraire, un poulain sait tout de suite marcher...

qu'il existe une origine M.I.

Un bébé humain aussi, mais il n'a pas la maturation neuronale pour le multigénique de faire. Un bébé marchera que l'on lui apprenne ou pas. Sous contrôle génétique et épigénétique, un système nerveux grossièrement dessiné se l'autisme ou des met en place que l'expérience sociale ou autre ne viendra qu'affiner. Il n'y autismes. » a pas de création par le social. Le plan du système nerveux résulte de la mise en place d'un héritage, d'une mémoire phylogénétique. Mais ce n'est pas uniquement l'interaction, le langage, qui fait le cerveau. Ne pourrait-on imaginer un être humain qui se développe sans langage ? G.P.

Je ne vois pas que cette hypothèse puisse être vérifiée. Il reste que le langage est la clé de la subjectivation, qui est elle-même la condition de tous les autres apprentissages.

De ce point de vue, comment interprétez-vous les résultats scientifiques obtenus sur l'autisme ? G.P.

Il existe plusieurs sortes d'autisme. D'abord, certainement, un ou des autismes d'origine organique ; également, probablement, des autismes qui tiennent à la place d'un sujet par rapport à sa mère ou son père, place qui l'amène à un négativisme : ces autistes sont déterminés par une certaine demande de leurs parents à laquelle ils se refusent absolument ; par exemple on ne peut pas attraper leur regard. D'autres formes d'autisme sont liés à un retard dans la maîtrise du langage qui peut être rattrapé et qui n'empêche pas ces personnes de réussir leur vie.

M.I.

Votre description est paradoxale par rapport à la position moniste de Freud. Il n'y a pas d'un côté le corps, l'esprit de l'autre. S'il y a une manifestation d'autisme, elle tient à la fois de l'un et de l'autre. Je ne vous suivrais donc pas dans la distinction que vous faites entre un autisme à cause organique et un autisme qui n'en aurait pas. Pour moi, tout autisme a un correspondant biologique.

De nombreuses études épidémiologiques montrent d'ailleurs qu'il existe une origine multigénique de l'autisme ou des autismes. Il faut sortir de ce malentendu si l'on ne veut pas retomber dans l'acharnement de certains parents d'autistes contre les psychanalystes, qui étaient traités de nazis parce qu'ils culpabilisaient les parents alors que l'autisme pouvait avoir des causes organiques.

G.P.

La critique contre le point de vue psychanalytique de culpabilisation des parents, notamment des mères, me paraît tout à fait fondée. On peut la rapporter à un réductionnisme psychanalytique, que j'appelle aussi le Le garçon, Amedeo Modigliani, 1918 © DR « psychisme machine », qui est tout aussi critiquable que le réductionnisme neuroscientifique dont je parlais. Freud a inventé le terme de « sur-détermination » pour relativiser la détermination par le milieu : le sujet sur-détermine le bain dans lequel il se trouve. La responsabilité ne peut être impartie purement et simplement aux parents comme si on le rendait innocent.

Cela dit, dans certains cas, les parents d'autistes peuvent déterminer psychiquement leur enfant en lui transmettant des angoisses, des façons d'être auxquelles l'enfant réagit par un comportement autiste. Il existe par exemple des expérimentations sur l'anorexie du nourrisson. On voit bien que certains nourrissons, dès le deuxième ou le troisième jour, refusent la nourriture pour ce qu'elle symbolise et représente dans leur rapport à leur mère. Si cette anorexie est abordée sous l'angle de la relation mère-enfant, le trouble disparaît.

M.I.

Mais alors, comment conciliez-vous cette observation avec le fait que le nourrisson n'a pas de langage ? Il n'a pas encore la subjectivité qui lui permettrait de jouer de cette relation.

G.P.

Il est tout de suite sous la coupe de la façon dont sa mère se comporte avec lui, à laquelle il réagit en tant que sujet.

M.I.

Mais de même que l'on observe que les enfants singes dépérissent si l'attachement à la mère est rompu, on n'a pas besoin de passer par l'idée de subjectivité ou de sujet pour rendre compte de cette anorexie, qui est très différente de l'anorexie de l'adolescente. Elle peut simplement découler d'une incompatibilité physiologique entre les signaux olfactifs ou autres émis et reçus par le bébé et la mère, qui font que le nourrisson arrête de se nourrir.

G.P.

Mais c'est le sujet qui refuse de se nourrir. S'il y a refus, il y a sujet. Le premier signe de la subjectivité humaine est cette capacité de dire non, par le cri. Le sujet, c'est-à-dire celui qui est capable de dire non, est là dès le départ.

M.I.

Pourtant, il y a des chatons qui refusent de se nourrir. Ils n'ont pas la force de téter ou ils sont repoussés par la mère. On n'a pas besoin, pour expliquer ce comportement, de faire appel au Je, au sujet.

La vie, Jan Saudek, 1966.

G.P.

© Jan Saudek Ce qui est en quelque sorte mis en fonction dans l'anorexie du nourrisson, c'est la valeur psychique de l'aliment dans la relation mère enfant. Il y a des gradients dans la valeur psychique de l'aliment qui ne sont pas les mêmes pour l'animal et pour l'être humain. C'est cette valeur psychique, pulsionnelle, qui « étaye » la nourriture, pour reprendre les termes de Freud (le plaisir de la succion du sein étant étroitement lié à la satisfaction du besoin de nourriture, la pulsion sexuelle « s'étaye » sur ce besoin). C'est ce qui fait qu'un enfant accepte la nourriture. Sans cette valeur psychique, l'enfant meurt. Selon l'OMS, parmi les enfants abandonnés à la naissance, neuf sur dix meurent, même s'ils sont recueillis par une institution.

M.I.

Dans « Naître humain » [4], Jacques Mehler et Emmanuel Dupoux indiquent que tout ce qui va faire l'être humain est prêt avant la naissance, dès que le système nerveux est prêt à fonctionner. Pour ma part, je suis philosophiquement plutôt d'accord avec Francis Ponge (« l'homme est l'avenir de l'homme », que cite Sartre) pour penser qu'il n'est pas naturel d'être humain. Cela dit, du point de vue de l'économie des moyens dans les explications que la science doit donner des phénomènes, il me semble plus juste d'expliquer l'anorexie du nourrisson non pas en faisant appel à un caractère non naturel, c'est-à-dire à l'apparition du sujet par la relation avec la mère, mais à des causes naturelles.

Sur le rêve, vous critiquez sévèrement, Gérard Pommier, la position des neuroscientifiques, tel Michel Jouvet, qui voient le rêve comme une activité provoquée par l'activation périodique de certaines cellules cérébrales, responsable du sommeil paradoxal. Vous regrettez qu'ils étudient trop peu les résultats de la psychanalyse, qui font penser que le rêve est avant tout l'expression des désirs du sujet.

Adam par lui-même, Rudolf Hausner G.P.

© DR Une expérience banale que nous pouvons tous faire est que nous rêvons à n'importe quel moment du sommeil et non pas seulement pendant le sommeil paradoxal. Le rêve se produit en fait chaque fois que la conscience baisse.

M.I.

C'est vrai que cette affirmation scientifique du rêve pendant les brèves périodes de sommeil paradoxal m'a toujours étonné. On pourrait affirmer exactement le contraire, à savoir que le rêve apparaît durant le sommeil lent. C'est en fait aussi invérifiable que l'affirmation précédente. Je pourrais développer cette assertion paradoxale, mais le temps me manque.

G.P.

Le processus est sans doute plus simple. Dès lors que la conscience baisse, le rêve s'enclenche à partir de ce dont le sujet se souvient au moment de s'endormir, d'associations qui n'étant plus focalisées par la conscience, se libèrent, de souvenirs d'enfance, de réalisation de ses désirs. Le rêve devient alors la réalisation de ce qui tracasse le sujet ou de ses désirs, ou de ce qui l'a traumatisé. L'expérimentation psychanalytique démontre tous les jours la pertinence de cette conception.

M.I.

Pour ma part, je n'ai évidemment pas de réponse claire. Le cerveau est un système dynamique très complexe, qui est en permanence en activité. Or « Le rêve est la l'essentiel de cette activité ne vient pas de la périphérie : elle est « top- réalisation de ce down ». L'information est surtout descendante, non montante. Ce qui fait l'unité de la conscience thétique (spontanée, celle d'un objet devant soi qui tracasse le par exemple), c'est ce que les psychologues appellent le « liage » des sujet ou de ses caractères perceptifs : le cerveau est capable, grâce à des mécanismes non encore totalement connus, de lier des caractéristiques d'items et de désirs, ou de ce constituer l'unité de la perception.

qui l'a traumatisé.

Or dans le sommeil, les caractères perceptifs se désolidarisent, se L'expérimentation délient ; cela donne plus de liberté. Par exemple, on dissocie les couleurs des objets de leur surface : le ciel est rouge, les feuilles bleues, une voix psychanalytique appartient tout à coup à quelqu'un d'autre. De ce point de vue, le rêve démontre tous les n'est donc pas différent de la perception, comme le disait déjà Descartes.

Ce qui est différent c'est sa structure et son contenu. Et là, c'est clairement jours la pertinence la psychanalyse qui apporte le plus d'éléments d'interprétation.

de cette conception. » Cette idée de dissociation et de liberté peut-elle être rapprochée de celle de plasticité, plasticité cérébrale ou neuronale ? G.P.

Pour les psychanalystes, la plasticité est essentiellement pulsionnelle : les pulsions peuvent s'échanger entre elles en fonction de ce que les objets symbolisent. On passe d'une pulsion orale à une pulsion scopique (liée aux images) : on mange du regard, on attrape avec les yeux. La plasticité neuronale rend certainement compte de cette plasticité. En fait, la caractéristique de la pulsion est d'investir toutes nos sensations et perceptions. C'est parce qu'il y a cet investissement pulsionnel que nous sommes conscients de nos perceptions ; autrement dit, nous subjectivons nos perceptions grâce à la pulsion. On ne peut pas comprendre ce qu'est une hallucination si l'on ne voit pas qu'il y a au préalable cet investissement généralisé du dehors par la pulsion qui, dans certaines circonstances, peut s'animer toute seule. La pulsion est alors capable de répercuter la sensation comme si elle représentait l'ensemble du système perception - pulsion / conscience.

Propos recueillis par Jean-Jacques Perrier



[1] Voir par exemple M.C. Anderson et al. (2004) Science 303(5655):232-235.

[2] L. Weiskrantz (2004) Prog. Brain Res. 144:229-241.

[3] L'Express, 13 juin 2004,
http://livres.lexpress.fr/entretien.asp/idC=8568/idR=5/idTC=4/idG=0.

[4] J. Mehler & E. Dupoux (1990) Naître humain, Odile Jacob, nvelle éd. 2002.


Pour aller plus loin l A. Zeman (2001) Consciousness, Brain 124(7):1263-1289.

http://brain.oupjournals.org/

Articles de la revue Carnet Psy ¡ Didier Houzel, Peut-on parler d'attention inconsciente ?

http://www.carnetpsy.com/Archives/Recherches/Items/p27.htm

Bernard Golse, L'intersubjectivité

http://www.carnetpsy.com/Archives/Recherches/Items/p41.htm

Pierre Jacob, John Searle, Conscience, inconscient et intentionnalité.

À propos de La Redécouverte de l'esprit
http://www.carnetpsy.com/Archives/Recherches/Items/p14.htm

CogNet, The Brain Sciences Connection, MIT http://cognet.mit.edu

Revues de psychologie et psychiatrie, BiblioVIE, CNRS

http://bibliovie.inist.fr/revues_chercher.php?dom=MED&sousdom=PSY

Vivant Editions
http://www.vivantinfo.com