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Dialogue autour du livre « Comment les neurosciences démontrent
la psychanalyse » (Flammarion), entre son auteur, Gérard
Pommier, médecin psychiatre, psychanalyste et maître
de conférences à l'université de Nantes, et
Michel Imbert, neurobiologiste, professeur émérite
à l'université Paris 6, président du Conseil
scientifique du département de biologie de l'Ecole normale
supérieure, et conseiller éditorial de Vivant.
« Comment les neurosciences démontrent la psychanalyse
». Le titre de votre livre peut surprendre dans la mesure
où les neurosciences traitent du fonctionnement du cerveau,
des mécanismes qui font que « la matière devient
conscience », pour reprendre le titre d'un ouvrage du neurologue
Gerald Edelman, alors que la psychanalyse s'intéresse au
« sujet » et à l'inconscient.
Gérard Pommier
On continue d'avoir en tête, tout à fait à tort,
l'idée pré-psychanalytique d'une division entre corps
et esprit, ou entre cerveau et esprit, qui n'était pas du
tout dans le projet de Sigmund Freud. Freud est parti de l'observation
du corps pour s'apercevoir qu'un certain nombre de ses effecteurs
étaient « en dehors du corps » et même,
jusqu'à un certain point, fabriquaient ce corps ; mais il
n'a jamais posé une séparation du corps et de l'esprit.
La théorie psychanalytique ne s'oppose pas à l'approche
scientifique, elle n'est pas du tout une doctrine spiritualiste
; il s'agit d'une théorie profondément évolutive
que Freud a remaniée bien des fois. Il disait lui-même
que la théorie « tombe à l'improviste dans notre
maison » à un certain moment d'élaboration des
résultats ; un certain nombre de cas qui se répètent
ont la même valeur qu'un expérimentation scientifique,
ce en quoi nous nous réclamons de la science.
Les méthodes de cette élaboration sont, à mon
sens, tout à fait recevables par la communauté scientifique
à condition qu'elle veuille bien admettre qu'il existe des
données d'expérimentation qui ne sont pas du même
ordre que celles des sciences dites dures. Celles-ci, d'ailleurs,
ne deviennent « dures » qu'au moment où elles
sont communiquées puisqu'elles sont inventives et donc hypersubjectives
au moment de leur création par les chercheurs. Le mathématicien
Henri Poincaré a ainsi souligné l'importance de l'inconscient
dans l'invention des mathématiques. C'est seulement lorsque
le problème est solutionné et devient une thèse,
qu'il perd de sa subjectivité pour s'objectiver.
Freud a donc élaboré des concepts qui tentaient de
montrer que le corps est limité dans sa capacité de
création par quelque chose qui est « hors du corps
». Ainsi, dès 1903, il faisait l'hypothèse du
difficile concept de « pulsion », tout en disant qu'il
s'agissait d'une mythologie dont il n'avait pas les preuves. Or
il me semble aujourd'hui que les neurosciences démontrent
cette mythologie ; elles montrent comment le corps est fabriqué
par la matérialité du langage, qui permet le refoulement
de l'excès pulsionnel. Par exemple, les expériences
de Roger Sperry (1913-1994, prix Nobel de médecine en 1981)
sur les sujets split brain, au cerveau dédoublé, personnes
dont les deux hémisphères cérébraux
ont été séparés chirurgicalement pour
traiter l'épilepsie, ont montré que le cerveau gauche
concentre les activités du langage et de la logique, alors
que le cerveau droit utilise les impressions sensorielles et les
émotions. Cette division n'est pas interprétable,
de l'avis des psychanalystes, sans le concept de pulsion, qui est
accroché aux sensations. L'hémisphère droit
est le point d'appui de cette pulsion. Celle-ci trouve son écho
dans l'hémisphère gauche, via la symbolisation par
le langage, et la pulsion peut être ainsi refoulée
par la parole et par la signification qu'elle lui donne.
Michel Imbert
Le terme « démontrent » de votre titre me semble
trop fort. Certes, il n'y a pas d'incompatibilité théorique
forte entre les neurosciences, en particulier « Les cognitives,
et la psychanalyse. Mais selon moi, c'est la psychanalyse qui psychanalystes
vient nourrir les neurosciences et non ces dernières qui
apporteraient à la psychanalyse une scientificité
dont elle se passe très bien. Je suis savent bien que le
d'accord pour dire que la science « dure » comporte
un élément de sujet a un corps et création
au sens poétique ou artistique, ou des rencontres fortuites
qui participent à la création subjective. Mais la
science obéit aussi à des que, bien entendu, règles,
elle se soumet notamment à l'expérience. C'est là
le reproche qu'on a pu faire à la psychanalyse : contrairement
à la science, on ne peut ce corps comprend jamais montrer
qu'elle se trompe parce que le psychanalyste aura toujours un certain
nombre le dernier mot...
G.P Pourquoi donc ? Freud a changé de point de vue théorique
plusieurs fois au cours de sa vie.
Le problème n'est pas là, mais dans d'effecteurs.
pharmacologiques.
M.I.
Oui, mais il existe une difficulté lorsque l'on parle de
psychanalyse. On la causalité qui trouve chez Freud, neurologue
anatomiste qui a eu le premier l'idée des détermine
la mise synapses, une pensée scientifique. Mais ce que le
public entend en général par psychanalyse, c'est ce
qu'en ont fait ses successeurs, qui ont en route de ces masqué
le travail « biologisant » de Freud. Et c'est pourquoi
l'opposition entre les neurosciences et la psychanalyse est devenue
criante au XXe effecteurs. » siècle.
G.P.
Encore une fois, les psychanalystes savent très bien que
le sujet a un corps et que, bien entendu, ce corps comprend un certain
nombre d'effecteurs pharmacologiques. Le problème n'est pas
là, mais dans la causalité qui détermine la
mise en route de ces effecteurs.
Revenons au langage. Où est le point de jonction entre neurosciences
et psychanalyse ? G.P.
Le point de jonction est de type phénoménal. Jean-Pierre
Changeux et Antoine Danchin ont montré, en 1973, qu'il existe
une sélection par dégénérescence des
fibres nerveuses innervant les muscles chez la grenouille, après
la naissance. Extrapolé aux aires du langage, ce phénomène
d'attrition signifie que seuls se développent les neurones
qui correspondent à l'audition de certains sons. Les neurones
correspondant à des sonorités qui n'existent pas dans
la langue dégénèrent tandis que les autres
prospèrent. Cela prouve de manière irremplaçable
la matérialité du langage et son effet très
important sur le corps, c'est-à-dire sur le développement
du cerveau.
M.I.
Tout fonctionnement organique agit sur le développement
du cerveau.
Par exemple, c'est l'utilisation par l'organisme de ce qu'il voit
dans un comportement adapté qui permet le développement
du système visuel.
Si l'on ne fait pas quelque chose de ce qu'on voit, cela ne sert
à rien de voir. C'est vrai également du langage. Je
ne pense pas qu'il puisse y avoir de conscience non thétique,
c'est-à-dire de conscience réflexive, de conscience
comme qualia, le fait de sentir cela ou cela, sans langage. Cette
conscience a une structure narrative. Ce n'est pas vrai de la conscience
thétique, la partie spontanée, non réflexive,
de la conscience, celle qui nous met en présence de quelque
chose. Si je suis donc d'accord pour mettre le langage au centre
du processus de conscience, je ne vous suis pas lorsque vous affirmez
que c'est grâce au langage que le cerveau se développe.
Neurone pyramidal B. Gähwiler/EDAB G.P.
Pourtant, ce n'est pas le tout qu'il y ait une enregistrement sélectif
des sons grâce au bain de langage apporté par l'entourage.
Encore faut-il qu'il y ait un message communiqué par la mère
et la reconnaissance du sujet de ce message. Il y a un sujet dans
la machine grâce au langage. Toute la suite des apprentissages
vient de qu'il y a eu langage et sujet de ce langage. Il y a bien
un génétisme chez l'être humain, mais il reste
lettre morte tant qu'il n'y a pas ce retournement ¬ le sujet
prend les commandes ¬ grâce à ce mode de transmission
particulier qu'est le langage.
Par-delà de ce qui peut rapprocher les neurosciences et
la psychanalyse à propos du rôle structurant du langage,
les scientifiques entretiennent en revanche une confusion, dites-vous,
sur l'inconscient. Que voulez-vous dire ?
G.P.
Beaucoup de scientifiques confondent le pilotage automatique avec
l'inconscient, ou l'inhibition volontaire de souvenirs et le refoulement
inconscient [1]. Ils assimilent l'inconscient au « préconscient
» ou au « non- conscient », c'est-à-dire
à tous les mécanismes de l'organisme qui fonctionnent
sans que l'on y prête attention, ou ceux qui sont suffisamment
habituels pour être automatisés.
Bien sûr, le mot inconscient n'appartient à personne.
L'important est de comprendre que l'inconscient psychanalytique
résulte de ce que le sujet ne veut pas savoir, de quelque
chose qui lui fait horreur ou qui le traumatise. Il le refoule à
cause de sa valeur traumatisante, d'où des conséquences
symptomatiques (le symptôme est le produit du refoulement)
ou, à l'inverse, structurantes. Par exemple, les petits enfants
refoulent des désirs qu'ils n'arrivent pas à satisfaire.
C'est éminemment culturel. Et c'est ce qui les lance dans
les apprentissages scolaires : ils veulent savoir justement parce
qu'il ne peuvent savoir autre chose.
M.I.
En tant que neurobiologiste prudent, je n'emploie jamais le terme
inconscient et lui préfère le terme « non- conscient
», au sens de ce qui échappe à notre connaissance.
Je suis non pas sceptique mais neutre par rapport à la définition
psychanalytique de l'inconscient. L'inconscient y a valeur de réalité,
il est hypostasié, mais seulement par les effets dont il
est la cause. Or je suis réticent à hypostasier des
instances (des composantes) dont je ne peux rien savoir autrement
que par la façon dont elles s'expriment.
G.P.
Freud lui-même est revenu sur ces questions de terminologie.
Il n'a pas considéré très longtemps l'inconscient
comme une instance. Très « Conscience et rapidement,
il l'a compris comme ce qui qualifie des processus. Des processus
sont inconscients en tant que le sujet ne se rend pas compte de
inconscient sont ce qu'il est en train de faire. Par exemple, un
sujet tente de se suicider le indissolublement jour anniversaire
d'un traumatisme : il n'est pas conscient de cette coïncidence.
Dans ce processus, il n'y a bien évidemment aucune liés
: à l'intérieur instance, pas de « petit sac
» du refoulé caché quelque part dans le du conscient,
il y a cerveau. Cette idée serait très critiquable,
en effet. C'est vrai que la psychanalyse hypostasie constamment
le terme inconscient, par facilité de quelque chose que langage.
Mais dans la pratique réelle, il n'y a pas le conscient et
puis, dans un autre endroit, l'inconscient. Conscience et inconscient
sont le sujet ignore indissolublement liés : à l'intérieur
du conscient, il y a quelque chose que le dans ce qu'il dit ou sujet
ignore dans ce qu'il dit ou fait, qui est l'inconscient.
fait, qui est M.I.
l'inconscient. » A ce propos, un phénomène
très discuté en neurosciences me paraît pertinent
: c'est ce qu'un neuropsychologue américain d'Oxford, Larry
Weiskrantz, a appelé le blindsight, la vision aveugle [2].
Des patients aveugles par suite de lésions du cortex visuel
sont capables de pointer une cible. Si on leur demande de dire s'il
y a quelque chose dans leur champ visuel, ils répondent négativement,
en cohérence avec le fait qu'ils « savent » qu'ils
sont aveugles. En revanche, si on leur dit de pointer dans l'espace
un point lumineux qui apparaît dans leur champ visuel, il
le désignent assez précisément sans que l'on
puisse invoquer le hasard. Le sujet « voit » sans avoir
la possibilité de voir. Est-ce selon vous un mécanisme
qui se rapprocherait de l'inconscient ? G.P.
Pour s'en assurer on ne peut pas se référer à
ce type d'expérimentation, trop ponctuelle. En revanche,
certains types de cécité s'inscrivent dans une structure
inconsciente, par exemple les conséquences neurophysiologiques
de la cécité hystérique ¬ selon Freud,
les symptômes hystériques proviennent du conflit entre
les critères que l'individu s'applique pour vivre en société
et un désir refoulé. Ce qui intéresse les psychanalystes,
c'est ce qui fait qu'un sujet ne voit plus pour des raisons qui
tiennent à sa propre visibilité.
Gérard Pommier, vous critiquez aussi certaines attitudes
réductionnistes des neurosciences mais également les
excès psychanalytiques, que vous regroupez sous l'expression
de « psychisme machine ».
G.P.
L'idéologie de l'homme machine n'est pas toujours le fait
des Conscience, Helena Richardot, 1992 1993 Helena RICHARDOT scientifiques.
Elle correspond au vieux rêve de la programmation ou du Golem
; l'homme serait prévisible, malléable, réparable,
ce qui nous innocente de notre subjectivité et de nos prises
de position : ce n'est pas ma faute, ce sont mes gènes ou
ma programmation neuronale. C'est une idéologie qui est très
congruente avec une idéologie plus générale
dans notre société qui consiste à trouver la
solution à tous les problèmes, par une espèce
de machinisation du corps.
Cette idéologie n'est pas celle, loin de là, de tous
les neuroscientifiques mais elle a le vent en poupe, notamment suite
aux ouvrages de Jean-Pierre Changeux et Jean-Didier Vincent. De
même lorsque Antonio Damasio déclare : « Ce que
nous appelons "relations sociales" ou "culture"
ne vient que de nos cerveaux. Ce sont les cerveaux qui produisent
et véhiculent des comportements, des romans, des poèmes
ou des lois. » [3]. Personne n'a jamais vu un cerveau humain
qui se développe en dehors de la société. Les
légendes des enfants-loups ne reposent sur aucune preuve
historique. C'est un mythe de croire que le cerveau humain se suffit
à lui-même pour apprendre.
« Tout autisme a M.I.
un correspondant On peut le dire de tout organisme. On n'a jamais
vu une souris se biologique. De développer en dehors de ses
congénères dans des situations naturelles.
nombreuses G.P.
études Ce que je veux dire, c'est que le bagage génétique
de l'être humain ne réalise ses potentialités
qu'à la condition de la subjectivation par le épidémiologiques
langage. Il faut mettre un sujet dans la machine, grâce à
l'entourage, pour montrent d'ailleurs que les potentialités
génétiques se réalisent. Au contraire, un poulain
sait tout de suite marcher...
qu'il existe une origine M.I.
Un bébé humain aussi, mais il n'a pas la maturation
neuronale pour le multigénique de faire. Un bébé
marchera que l'on lui apprenne ou pas. Sous contrôle génétique
et épigénétique, un système nerveux
grossièrement dessiné se l'autisme ou des met en place
que l'expérience sociale ou autre ne viendra qu'affiner.
Il n'y autismes. » a pas de création par le social.
Le plan du système nerveux résulte de la mise en place
d'un héritage, d'une mémoire phylogénétique.
Mais ce n'est pas uniquement l'interaction, le langage, qui fait
le cerveau. Ne pourrait-on imaginer un être humain qui se
développe sans langage ? G.P.
Je ne vois pas que cette hypothèse puisse être vérifiée.
Il reste que le langage est la clé de la subjectivation,
qui est elle-même la condition de tous les autres apprentissages.
De ce point de vue, comment interprétez-vous les résultats
scientifiques obtenus sur l'autisme ? G.P.
Il existe plusieurs sortes d'autisme. D'abord, certainement, un
ou des autismes d'origine organique ; également, probablement,
des autismes qui tiennent à la place d'un sujet par rapport
à sa mère ou son père, place qui l'amène
à un négativisme : ces autistes sont déterminés
par une certaine demande de leurs parents à laquelle ils
se refusent absolument ; par exemple on ne peut pas attraper leur
regard. D'autres formes d'autisme sont liés à un retard
dans la maîtrise du langage qui peut être rattrapé
et qui n'empêche pas ces personnes de réussir leur
vie.
M.I.
Votre description est paradoxale par rapport à la position
moniste de Freud. Il n'y a pas d'un côté le corps,
l'esprit de l'autre. S'il y a une manifestation d'autisme, elle
tient à la fois de l'un et de l'autre. Je ne vous suivrais
donc pas dans la distinction que vous faites entre un autisme à
cause organique et un autisme qui n'en aurait pas. Pour moi, tout
autisme a un correspondant biologique.
De nombreuses études épidémiologiques montrent
d'ailleurs qu'il existe une origine multigénique de l'autisme
ou des autismes. Il faut sortir de ce malentendu si l'on ne veut
pas retomber dans l'acharnement de certains parents d'autistes contre
les psychanalystes, qui étaient traités de nazis parce
qu'ils culpabilisaient les parents alors que l'autisme pouvait avoir
des causes organiques.
G.P.
La critique contre le point de vue psychanalytique de culpabilisation
des parents, notamment des mères, me paraît tout à
fait fondée. On peut la rapporter à un réductionnisme
psychanalytique, que j'appelle aussi le Le garçon, Amedeo
Modigliani, 1918 © DR « psychisme machine », qui
est tout aussi critiquable que le réductionnisme neuroscientifique
dont je parlais. Freud a inventé le terme de « sur-détermination
» pour relativiser la détermination par le milieu :
le sujet sur-détermine le bain dans lequel il se trouve.
La responsabilité ne peut être impartie purement et
simplement aux parents comme si on le rendait innocent.
Cela dit, dans certains cas, les parents d'autistes peuvent déterminer
psychiquement leur enfant en lui transmettant des angoisses, des
façons d'être auxquelles l'enfant réagit par
un comportement autiste. Il existe par exemple des expérimentations
sur l'anorexie du nourrisson. On voit bien que certains nourrissons,
dès le deuxième ou le troisième jour, refusent
la nourriture pour ce qu'elle symbolise et représente dans
leur rapport à leur mère. Si cette anorexie est abordée
sous l'angle de la relation mère-enfant, le trouble disparaît.
M.I.
Mais alors, comment conciliez-vous cette observation avec le fait
que le nourrisson n'a pas de langage ? Il n'a pas encore la subjectivité
qui lui permettrait de jouer de cette relation.
G.P.
Il est tout de suite sous la coupe de la façon dont sa mère
se comporte avec lui, à laquelle il réagit en tant
que sujet.
M.I.
Mais de même que l'on observe que les enfants singes dépérissent
si l'attachement à la mère est rompu, on n'a pas besoin
de passer par l'idée de subjectivité ou de sujet pour
rendre compte de cette anorexie, qui est très différente
de l'anorexie de l'adolescente. Elle peut simplement découler
d'une incompatibilité physiologique entre les signaux olfactifs
ou autres émis et reçus par le bébé
et la mère, qui font que le nourrisson arrête de se
nourrir.
G.P.
Mais c'est le sujet qui refuse de se nourrir. S'il y a refus, il
y a sujet. Le premier signe de la subjectivité humaine est
cette capacité de dire non, par le cri. Le sujet, c'est-à-dire
celui qui est capable de dire non, est là dès le départ.
M.I.
Pourtant, il y a des chatons qui refusent de se nourrir. Ils n'ont
pas la force de téter ou ils sont repoussés par la
mère. On n'a pas besoin, pour expliquer ce comportement,
de faire appel au Je, au sujet.
La vie, Jan Saudek, 1966.
G.P.
© Jan Saudek Ce qui est en quelque sorte mis en fonction dans
l'anorexie du nourrisson, c'est la valeur psychique de l'aliment
dans la relation mère enfant. Il y a des gradients dans la
valeur psychique de l'aliment qui ne sont pas les mêmes pour
l'animal et pour l'être humain. C'est cette valeur psychique,
pulsionnelle, qui « étaye » la nourriture, pour
reprendre les termes de Freud (le plaisir de la succion du sein
étant étroitement lié à la satisfaction
du besoin de nourriture, la pulsion sexuelle « s'étaye
» sur ce besoin). C'est ce qui fait qu'un enfant accepte la
nourriture. Sans cette valeur psychique, l'enfant meurt. Selon l'OMS,
parmi les enfants abandonnés à la naissance, neuf
sur dix meurent, même s'ils sont recueillis par une institution.
M.I.
Dans « Naître humain » [4], Jacques Mehler et
Emmanuel Dupoux indiquent que tout ce qui va faire l'être
humain est prêt avant la naissance, dès que le système
nerveux est prêt à fonctionner. Pour ma part, je suis
philosophiquement plutôt d'accord avec Francis Ponge («
l'homme est l'avenir de l'homme », que cite Sartre) pour penser
qu'il n'est pas naturel d'être humain. Cela dit, du point
de vue de l'économie des moyens dans les explications que
la science doit donner des phénomènes, il me semble
plus juste d'expliquer l'anorexie du nourrisson non pas en faisant
appel à un caractère non naturel, c'est-à-dire
à l'apparition du sujet par la relation avec la mère,
mais à des causes naturelles.
Sur le rêve, vous critiquez sévèrement, Gérard
Pommier, la position des neuroscientifiques, tel Michel Jouvet,
qui voient le rêve comme une activité provoquée
par l'activation périodique de certaines cellules cérébrales,
responsable du sommeil paradoxal. Vous regrettez qu'ils étudient
trop peu les résultats de la psychanalyse, qui font penser
que le rêve est avant tout l'expression des désirs
du sujet.
Adam par lui-même, Rudolf Hausner G.P.
© DR Une expérience banale que nous pouvons tous faire
est que nous rêvons à n'importe quel moment du sommeil
et non pas seulement pendant le sommeil paradoxal. Le rêve
se produit en fait chaque fois que la conscience baisse.
M.I.
C'est vrai que cette affirmation scientifique du rêve pendant
les brèves périodes de sommeil paradoxal m'a toujours
étonné. On pourrait affirmer exactement le contraire,
à savoir que le rêve apparaît durant le sommeil
lent. C'est en fait aussi invérifiable que l'affirmation
précédente. Je pourrais développer cette assertion
paradoxale, mais le temps me manque.
G.P.
Le processus est sans doute plus simple. Dès lors que la
conscience baisse, le rêve s'enclenche à partir de
ce dont le sujet se souvient au moment de s'endormir, d'associations
qui n'étant plus focalisées par la conscience, se
libèrent, de souvenirs d'enfance, de réalisation de
ses désirs. Le rêve devient alors la réalisation
de ce qui tracasse le sujet ou de ses désirs, ou de ce qui
l'a traumatisé. L'expérimentation psychanalytique
démontre tous les jours la pertinence de cette conception.
M.I.
Pour ma part, je n'ai évidemment pas de réponse claire.
Le cerveau est un système dynamique très complexe,
qui est en permanence en activité. Or « Le rêve
est la l'essentiel de cette activité ne vient pas de la périphérie
: elle est « top- réalisation de ce down ». L'information
est surtout descendante, non montante. Ce qui fait l'unité
de la conscience thétique (spontanée, celle d'un objet
devant soi qui tracasse le par exemple), c'est ce que les psychologues
appellent le « liage » des sujet ou de ses caractères
perceptifs : le cerveau est capable, grâce à des mécanismes
non encore totalement connus, de lier des caractéristiques
d'items et de désirs, ou de ce constituer l'unité
de la perception.
qui l'a traumatisé.
Or dans le sommeil, les caractères perceptifs se désolidarisent,
se L'expérimentation délient ; cela donne plus de
liberté. Par exemple, on dissocie les couleurs des objets
de leur surface : le ciel est rouge, les feuilles bleues, une voix
psychanalytique appartient tout à coup à quelqu'un
d'autre. De ce point de vue, le rêve démontre tous
les n'est donc pas différent de la perception, comme le disait
déjà Descartes.
Ce qui est différent c'est sa structure et son contenu.
Et là, c'est clairement jours la pertinence la psychanalyse
qui apporte le plus d'éléments d'interprétation.
de cette conception. » Cette idée de dissociation
et de liberté peut-elle être rapprochée de celle
de plasticité, plasticité cérébrale
ou neuronale ? G.P.
Pour les psychanalystes, la plasticité est essentiellement
pulsionnelle : les pulsions peuvent s'échanger entre elles
en fonction de ce que les objets symbolisent. On passe d'une pulsion
orale à une pulsion scopique (liée aux images) : on
mange du regard, on attrape avec les yeux. La plasticité
neuronale rend certainement compte de cette plasticité. En
fait, la caractéristique de la pulsion est d'investir toutes
nos sensations et perceptions. C'est parce qu'il y a cet investissement
pulsionnel que nous sommes conscients de nos perceptions ; autrement
dit, nous subjectivons nos perceptions grâce à la pulsion.
On ne peut pas comprendre ce qu'est une hallucination si l'on ne
voit pas qu'il y a au préalable cet investissement généralisé
du dehors par la pulsion qui, dans certaines circonstances, peut
s'animer toute seule. La pulsion est alors capable de répercuter
la sensation comme si elle représentait l'ensemble du système
perception - pulsion / conscience.
Propos recueillis par Jean-Jacques Perrier
[1] Voir par exemple M.C. Anderson et al. (2004) Science 303(5655):232-235.
[2] L. Weiskrantz (2004) Prog. Brain Res. 144:229-241.
[3] L'Express, 13 juin 2004,
http://livres.lexpress.fr/entretien.asp/idC=8568/idR=5/idTC=4/idG=0.
[4] J. Mehler & E. Dupoux (1990) Naître humain, Odile
Jacob, nvelle éd. 2002.
Pour aller plus loin l A. Zeman (2001) Consciousness, Brain 124(7):1263-1289.
http://brain.oupjournals.org/
Articles de la revue Carnet Psy ¡ Didier Houzel, Peut-on
parler d'attention inconsciente ?
http://www.carnetpsy.com/Archives/Recherches/Items/p27.htm
Bernard Golse, L'intersubjectivité
http://www.carnetpsy.com/Archives/Recherches/Items/p41.htm
Pierre Jacob, John Searle, Conscience, inconscient et intentionnalité.
À propos de La Redécouverte de l'esprit
http://www.carnetpsy.com/Archives/Recherches/Items/p14.htm
CogNet, The Brain Sciences Connection, MIT http://cognet.mit.edu
Revues de psychologie et psychiatrie, BiblioVIE, CNRS
http://bibliovie.inist.fr/revues_chercher.php?dom=MED&sousdom=PSY
Vivant Editions
http://www.vivantinfo.com
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