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Origine http://pigeard-de-gurbert.com/wp-content/uploads/2010/05/la-norme.doc
En érigeant la fonction en paradigme du vivant, la biologie
l’inscrit dans le champ pratique du fonctionnel et par conséquent
de l’utilisable. Elle rend par là même possible
une utilisation biopolitique du vivant. Et c’est précisément
à l’époque où la biologie se constitue
comme science spécifique que va apparaître une nouvelle
forme de pouvoir politique qui ne s’exerce plus sur les individus
mais sur les populations au sens biologique du terme. Sous la monarchie,
le souverain exerçait son pouvoir sur ses sujets.
Au tournant du XVIIIe et du XIXe siècles, le pouvoir n’a
plus seulement pour champ d’application les individus et les
biens qu’ils possèdent mais les individus en tant que
membres d’une population entendue « comme machine pour
produire, pour produire des richesses, des biens, produire d’autres
individus », selon l’analyse de Foucault dans «
Les mailles du pouvoir » (dans Dits et écrits, tome
IV, p. 193).
Or, ce sont les progrès de la biologie qui ont rendu possible
cette « bio-politique », comme l’appelle Foucault,
en construisant un nouvel objet biologique, celui de population,
qui « ne veut pas dire simplement un groupe humain nombreux,
mais des êtres vivants traversés, commandés,
régis par des processus, des lois biologiques. Une population,
précise encore Foucault, a un taux de natalité, de
mortalité, une population a une courbe d’âge,
a une morbidité, a un état de santé, une population
peut périr ou peut, au contraire, se développer »
(même référence).
Le pouvoir moderne va atteindre « les individus en tant qu’ils
constituent une espèce d’entité biologique »
(même référence). Le vivant devient un objet
politique. En en faisant un objet de savoir, la biologie a rendu
possible sa transformation en objet de pouvoir. L’Etat n’exerce
plus son pouvoir sur des sujets de droit mais sur des individus
et des populations considérés comme des êtres
vivants. D’où l’émergence d’une
politique de la démographie, de la santé ou encore
de la sexualité. Les notions biologiques d’hérédité
et de milieu pénètrent le système pénal,
engendrant « un étrange complexe scientifico-juridique
», comme l’explique Foucault dans Surveiller et punir
(I, chap. 1).
L’époque moderne se caractérise par le fait
que pour elle les questions d’hygiène et de sexualité
– l’interdiction du tabac, le problème
du vieillissement de la population et de la natalité –
ne relèvent plus de la vie privée mais de la sphère
politique. Le corps et le sexe, en tant qu’entités
vivantes, deviennent l’objet de cette biopolitique qui est
armée d’un arsenal technologique de surveillance, de
contrôle et de régulation. Des questions de vie deviennent
des problèmes politiques comme ceux de l’habitat, de
l’hygiène et plus généralement des conditions
de vie. En premier chef, apparaît « le problème
de savoir comment nous pouvons amener les gens à faire plus
d’enfants, ou en tous cas comment nous pouvons régler
le flux de la population, comment nous pouvons également
régler le taux de croissance d’une population, les
migrations.
Et à partir de là, poursuit Foucault dans «
Les mailles du pouvoir » (p. 194), toute une série
de techniques d’observation, parmi lesquelles la statistique,
évidemment, mais aussi tous les grands organismes administratifs,
économiques et politiques, sont chargés de cette régulation
de la population. » Pour que le pouvoir puisse s’exercer
sur la vie même des hommes, il a d’abord fallu que le
vivant soit constitué par la biologie comme un objet doté
de fonctions comme la fonction de reproduction.
C’est en effet « sur la surface de projection de la
biologie que l’homme apparaît comme un être ayant
des fonctions », comme le montre Foucault dans Les mots et
les choses (chap. 10, § III). De ce paradigme biologique de
la fonctionnalité découle celui de la normalité
: l’exercice des fonctions d’un être vivant suppose
des conditions normales d’adaptation au milieu notamment.
La fonction et la norme forment un « couple de concepts »
(même référence) qui va insensiblement déborder
la sphère de la biologie pour investir le domaine de la politique.
L’utilisation politique du concept de normalité importé
de la biologie vise à désigner une nouvelle population
au sein de la population dite « normale », la population
des « anormaux ». Le pouvoir juridique ne s’applique
plus dès lors aux infractions effectivement commises mais
aux individus pris dans leur vie entière. On ne parle plus
de délits mais de « délinquants. » Dans
Surveiller et punir (chap. 1), Foucault écrit : « les
mesures de sûreté ne sont pas destinées à
sanctionner l’infraction, mais à contrôler l’individu
», elles portent « non plus sur ce que les individus
ont fait, mais sur ce qu’ils sont, seront, peuvent être.
»
D’où l’introduction dans le monde juridique
de notions pseudo-biologiques comme « instinct, milieu, hérédité
» qui sont censées « prévoir l’évolution
du sujet » [le sujet]. Le contrôle policier s’exerce
dès avant la naissance, la biopolitique prétendant
énoncer des critères biologiques capables de détecter
les futurs délinquants. La génétique sert de
bras armé du pouvoir policier pour fabriquer le personnage
du « délinquant » dont l’ADN ou l’état
biologique sont censés contenir le programme de ses récidives
futures.
Cette confiscation policière du possible se fonde sur l’utilisation
politique des fonctions biologiques de l’objet vivant. En
faisant du vivant un objet avec ses fonctions et ses normes de fonctionnement,
la biologie a en effet permis à la politique de prendre l’homme,
et non plus le citoyen ou le sujet, dans « les mailles du
pouvoir » : « La vie entre dans le domaine du pouvoir
: mutation capitale, l’une des plus importantes sans doute,
dans l’histoire des sociétés humaines »
(Foucault, « les mailles du pouvoir », p . 194).
Cette biopolitique a pour résultat de ficher les individus
qui ne sont plus dès lors des sujets humains capables de
s’inventer un avenir mais des objets programmés pour
l’anormalité comme d’autres fonctionnent au contraire
« normalement. » D’où le traitement médical
de problèmes qui ne sont pas de nature biologique mais économique
ou sociale. La biopolitique ne se contente plus de la peine juridique
d’enfermement, elle surveille et régule désormais
le fonctionnement biologique des individus.
On voit l’importance et l’actualité de l’analyse
de Foucault selon laquelle « la vie est devenue un objet du
pouvoir » (même référence)
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