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Origine : http://www.travail-social.com/oasismag/article.php3?id_article=386
Qu’en est-il de l’autorité dans le cadre de
la prise en charge d’adolescents en internat éducatif,
mais aussi de jeunes enfants car, dit-on, les petits « s’y
mettent également »... L’autorité, véritable
« tarte à la crème » du discours ambiant
depuis maintenant quelques années dans le champ éducatif,
ou sérieux débat masquant en arrière plan une
vraie difficulté des équipes éducatives encadrant
des adolescents ? Telle est la réflexion que nous proposons
d’installer ici.
Tout d’abord, rappelons qu’admettre qu’il se
passe quelque chose de spécifique sur la question de l’autorité
avec nos adolescents, c’est oublier l’histoire. Oublier
que depuis la nuit des temps l’adulte s’est plaint de
ces jeunes qui n’écoutent rien ou se conduisent en
« Apache » comme l’atteste l’un des mouvements
du début du XXe siècle en France ou des bandes terrorisaient
le tout Paris. Rappelons également ce que disait l’un
des pères de la sociologie, E.Durkheim [1], stigmatisant
l’adolescent pour son appétit sexuel le poussant à
la violence. Enfin, rappelons ce qu’Aristote disait de la
jeunesse : « Les jeunes gens, de par leur caractère,
sont enclins au désir et capable de faire ce qu’ils
désirent. Parmi les désirs du corps, c’est surtout
pour les désirs amoureux qu’ils ont du penchant, et
ils ne savent pas se maîtriser. Il sont inconstants et se
dégoûtent vite de ce qu’ils ont désiré...
Vives sont leurs volontés, mais sans durée, comme
les accès de faim et de soif chez les malades... Leur ardeur
les domine...En tout ils mettent de l’excès »
.
Nous ne faisons pas nôtre l’idée que l’autorité
serait, en cette période, spécifiquement bafouée.
La question est depuis toujours posée, elle continuera à
se poser éternellement pour au moins une raison : Se soumettre
à l’autorité (en un mot obéir) est, chez
tout à chacun, désagréable car obligeant, entre
autres, le passage du principe de plaisir au principe de réalité
[2] et au renoncement pulsionnel. Nous proposons maintenant de penser
la problématique de l’autorité chez l’éducateur
[3] en charge d’adolescents autour de trois mots-clefs : l’alliance,
la position et la limite.
Pour débuter posons d’emblée deux idées
sans lesquelles le débat sur l’autorité dans
l’éducation ne peut avoir, à nos yeux, de sens.
La confrontation et l’exercice de l’autorité
est signe de bienveillance adressé aux adolescents. Bienveillance
en ce sens qu’il barre la route au champ des possibles, qu’il
oblige au renoncement (le renoncement pulsionnel cher à S.
Freud [4] et par lequel l’homme est passé de l’état
animal à celui d’être de culture), et qu’il
permet en conséquence qu’advienne un sujet tant social
que psychique mature, libre et responsable. Si nous sommes d’accord
avec cette proposition, nous pouvons alors continuer. Seconde idée,
l’adolescence porte en elle la problématique même
de la confrontation à l’autorité. Lorsque cette
adolescence se déroule sur le terreau d’une enfance
souffrante comme c’est le cas pour les adolescents que l’éducateur
rencontre, elle est alors augmentée par divers traumatismes
issus d’un environnement défaillant, insécure,
engendré par des parcours de vie chaotiques. Nous ne pouvons
ici revenir sur cette thématique largement publiée
au travers des travaux psychanalytiques et renvoyons le lecteur
vers l’abondante bibliographie sur l’adolescence et
la psychopathologie de l’adolescence.
Ontongenèse de l’autorité
Reprenons la thèse Freudienne sur la naissance de l’autorité
au cours du développement de l’enfant. S.Freud postule
chez l’enfant un impérieux besoin d’amour et
la crainte de le perdre comme fondement de l’autorité
dans l’acte d’obéissance ; « La crédulité
de l’amour devient une source importante, sinon la source
originelle de l’autorité ». [5] « Le mal
au début est-ce pourquoi on n’est menacé de
perdre l’amour ». [6]
G.Mendel, dans son Histoire de l’autorité [2003],
pose l’hypothèse d’une terrifiante crainte d’être
abandonné, d’une crainte profondément ancrée
chez l’enfant de perdre l’objet d’amour, c’est
à dire ses parents. Là se situeraient les raisons
de son obéissance, les raisons pour lesquelles il se soumet
à l’autorité. G.Mendel pose l’autorité
comme symptôme du sentiment abandonnique. [7] Sous la crainte
de perdre l’amour de ses parents, l’enfant se soumet
et obéit.
L’alliance
Avec l’aide des thèses Freudienne et Mendélienne
nous proposons l’idée suivante : Pour qu’un adolescent
confié à un internat éducatif adhère
à l’autorité des adultes, c-a-d à celle
des éducateurs (ce qui, rappelons-le est, en soi, un effort
toujours remis au travail), il faut, peu ou prou qu’il est
quelque chose à perdre s’il ne se soumet pas ou qu’il
ait « quelque chose » à gagner s’il se
soumet. Du reste, ne dit-on pas d’une personne « qu’elle
n’a plus rien à perdre » et qu’en conséquence
l’univers de tous les possibles lui est ouvert ? Ce «
quelque chose » mérite ici d’être défini,
car il est coeur de la problématique. Ce qui risque d’être
perdu ce peut être la place au foyer [8] , la perte d’une
relation singulière tissée avec un éducateur,
perdre la bienveillance d’une équipe éducative,
d’un foyer ; foyer et bienveillance étant entendus
ici comme le holding et le hanlding winnicottien. [9] Nous retenons
de notre expérience éducative et d’encadrement
que, sans alliance avec l’adolescent (alliance au sens où
l’adolescent a quelque chose à gagner dans la relation
avec l’institution mais déclenchant dans le même
temps de possibles conflits de loyauté dans la relation avec
ses parents) il semble bien difficile de créer ce sentiment
du « quelque chose » à perdre sur lequel se fonderait
l’adhésion à l’autorité. Ici se
situe, pour partie, la problématique de l’autorité
du côté de l’adolescent.
La position
Venons-en maintenant au centre de notre propos, en introduisant
l’autorité du côté de l’éducateur.
L’autorité est alors avant tout affaire de positions.
Position interne (le sujet psychique), position externe (la fonction
assignée). De cette dialectique (car les deux positions s’entremêlent)
naît une position d’autorité. Si l’une
des deux est mise à mal, c’est tout l’édifice
qui chancelle pour parfois sombrer comme l’atteste la fermeture
d’établissements où, pour parler vite, les adolescents
avaient pris le pourvoir. Qu’entendons-nous par position ?
La position interne a trait au ressort psychique de l’éducateur.
Nous parlons ici de ce qu’il en est de la part consciente
et inconsciente « d’indestructibilité »
du sujet face à l’attaque de l’autorité
vécue psychiquement par le sujet comme attaque du sujet.
La question de la position psychique de l’éducateur
face aux transgressions est ici centrale pour comprendre ce qui
se joue lorsque l’éducateur est au prise avec le «
oui » ou le « non » en tant que réponse
potentielle à donner (sachant que le non déclenchera
les hostilités). En un mot un éducateur qui a peur,
qui n’est pas suffisamment sûr de sa position (en tant
qu’il ne sera pas détruit pas les transgressions) ne
peut produire quelconque autorité. Il ne peut faire autorité.
L’autorité ne peut s’exercer sereinement et
donc produire des effets dans la réalité de l’action
éducative qu’à condition d’être
portée par un sentiment conscient et inconscient que l’attaque
portée par l’adolescent (la transgression, l’acte
violent) ne pourra ébranler ni la conviction éducative
intrinsèque, ni les ressorts psychiques de l’éducateur,
et encore moins les positions éducatives défendues
dans l’établissement (le pas de côté,
le contre-pied, la bienveillance par exemple). Si cette position
est tenue, elle produira dans la plupart des cas, à court
ou moyen terme, des effets.
Exercer l’autorité auprès d’adolescents
le plus souvent déchirés par des histoires de vies
qu’aucun romancier ne songerait imaginer, c’est porter
au plus profond de soi-même ce sentiment que rien ne pourra
me faire disparaître en cas d’attaque, car la recherche
de l’adolescent est bien celle-là comme nous l’a
enseigné Winnicott. [10] Paraître et être «
indestructible » face aux attaques adolescentes est faire
autorité... Touché, affecté, l’éducateur
entrera dans des replis défensifs, comme accéder à
toutes les demandes pour éviter l’affrontement, ou
encore « il (l’adolescent) n’a plus sa place ici
».
Là se pose la question du soutien concédé
à l’éducateur. Soutien de l’équipe
(quels outils ?), soutien de l’encadrement (comment prend-on
en compte le vécu psychique de l’éducateur face
au malaise qui naîtra immanquablement ?). S’il y a déficit
de la position interne pour quelques raisons que ce soient soit
par défaillance propre du sujet, soit par défaillance
du soutien apporté à l’éducateur, nul
doute que l’exercice de l’autorité vacillera
plongeant dans le même temps l’adolescent dans ses affres
(fantasmes de toute puissance, prima du principe de plaisir, autodestruction).
La position externe, elle, renvoie à la fonction assignée
par l’institution au sujet. Ici, il est maintenant question
de la position cadre (chef de service, directeur), car point d’exercice
de l’autorité en internat éducatif si le cap
n’est pas clairement identifié et suffisamment visible
et lisible. La position (au sens de l’organisation) participe
ainsi de l’exercice de l’autorité car renvoyant
vers la légitimité dans l’exercice de l’autorité.
En considérant l’internat éducatif comme lieu
oedipien, c’est-à-dire comme lieu où vont se
jouer et se rejouer les enjeux de la petite enfance chez l’adolescent
(et n’oublions pas que l’histoire des adolescents que
l’éducateur rencontre est le plus souvent particulièrement
douloureuse), il est alors pertinent de penser la vie de l’institution
autour du schéma organisationnel (la triade) dégagé
par la psychanalyse. Ainsi, la position cadre (et plus particulièrement
celle de la personne exerçant la fonction de direction sans
distinction de sexe) se situe alors dans l’énoncé
de la limite, là où il n’est pas possible de
se rendre pour l’adolescent comme pour tous membres de l’équipe
éducative. En un mot une position paternelle en ce sens qu’elle
nomme la limite. Si cet énoncé est flou, peu lisible,
énonçant des injonctions contradictoires [11], ou
porté par un sujet en fragilité personnelle, l’autorité
sera alors sérieusement mise à mal. Il revient donc
à l’équipe encadrante deux missions : celle
du soutien et celle du cap fixé, de l’énoncé
de la limite, car limites, il est nécessaire de dire sinon
la Loi (celle à laquelle les Hommes [12] sont soumis), elle,
se chargera de la marquer et il sera alors peut-être trop
tard pour penser et agir quelques actions éducatives que
ce soient.
Réflexions sur la limite
Dans le cadre de la prise en charge d’adolescents, il semble
difficile (et cela n’est en fait pas souhaitable) d’exercer
l’autorité sans énoncer la limite. Alors quelles
limites pour quelles fonctions dans l’action éducative
auprès d’adolescents ?
Deux positions semblent se présenter à nous : L’une
est celle qui consiste à énoncer que malgré
toutes les transgressions qui pourront avoir lieu de la part de
l’adolescent rien ne viendra ébranler la position institutionnelle
et celui-ci aura toujours sa place (sans préjudice d’éventuels
actes relevant de l’intervention judiciaire). La Loi (concept
éminemment versatile car ce qui est autorisé un jour
ne l’est plus le lendemain, en ce sens la notion de délinquance
est pure création) est alors la seule limite que se fixe
l’institution. En un mot, attendons que l’adolescent
comprenne que ses attaques du cadre ne mettra pas définitivement
en péril sa place et sera dans l’après-coup
(au sens psychanalytique du concept) repris pour en dégager
les sens conscients et inconscients. Une première expérience
eut lieue au début du XXe siècle avec Aicchorn. [13]
Ici se situe, à notre sens, l’une des formes de l’exercice
de l’autorité dans le champ éducatif spécialisé
car renvoyant à l’adolescent la part indestructible
des adultes l’entourant comme forme d’autorité
et de bienveillance. La limite est ainsi renvoyée non plus
sur l’institution et ses représentants, mais sur celle
de l’adolescent lui-même puisque la seule limite fixée
serait la disparition de l’institution sous les « coups
de boutoirs » de l’adolescent. Si elle survit (mais
certaines meurent), elle fera alors autorité auprès
de l’adolescent. De nombreuses situations cliniques peuvent
illustrer cette thèse.
L’autre position est celle qui consiste à fixer des
limites internes à l’établissement (en réalité
les limites propres de chaque sujet exerçant dans l’institution
venant s’incarner dans le décalogue institutionnel).
Limites, qui, si elles sont dépassées, provoquent
des réponses variées. Mais que se passe-t-il alors
si transgression de la limite il y a ? Ici se situe, nous semble-t-il,
le noeud du problème pour les équipes éducatives.
Le débat incessant sur la sanction ressurgit et nous le qualifions
de véritable « tarte à la crème »
car s’écartant du débat sur l’autorité.
Comment exercer une autorité sans que, dans le même
temps, la question de la sanction ne soit posée ? Véritable
pis-aller cette question (et la réponse « Pavlovienne
» transgression = sanction) ne répond en rien au problème
posé de l’autorité. Nous soutenons ici que la
vraie question est celle des limites que se fixe l’institution
admettant dans le même temps qu’elles ne sont que l’incarnation
dans la réalité des propres limites des individus
dans la prise en charge des adolescents. Ces limites doivent alors
être définies (cf. Le règlement de fonctionnement
et le règlement intérieur) et approuvées, même
à minima, par les professionnels exerçant dans l’établissement.
Elles peuvent être légitimes en ce sens elles fondent
le projet d’établissement et permettent à tout
à chacun de se repérer. Le « revers de la médaille
» est qu’en cas de transgressions s’enclenche
presque automatiquement un « appel à sanction »
; Un appel au père dirons-nous. Père chargé
de faire respecter les limites par l’usage de la sanction.
Ses sanctions ne sont finalement que le fruit de l’édition
des limites qui elles-mêmes créent la notion de transgression,
comme la Loi crée le délit. La boucle est ainsi bouclée.
Nous avons tenté d’éclairer un peu le débat
sur l’autorité dans le champ de l’éducation
spécialisé (et plus particulièrement dans le
cadre de la prise en charge d’adolescents en internat éducatif)
en retenant les idées d’alliance, de positions et de
limites. Conscient des limites de notre propos, (le sujet à
lui seul nécessiterait un ouvrage) nous notons que tout approfondissement
de cette discussion participe également à son brouillage
car éveillant la complexité du sujet mettant à
mal, dans le même temps, les idées reçues. Concluons
sur notre conviction forgée à la lueur de notre expérience
: l’exercice de l’autorité dans le cadre de la
prise en charge d’adolescents est avant tout affaire de positions
internes, de positions et de dispositions psychiques à résister
face aux attaques adolescentes plus que de positions institutionnelles
même si celles-ci facilitent à minima son exercice.
C’est pourquoi, en renvoyant l’exercice de l’autorité
sur les limites internes du sujet (c-a-d les professionnels en charge
des adolescents) nous devons ré-affirmé l’indispensable
travail consistant à accompagner les éducateurs (soutien,
écoute, parole) dans cette démarche personnelle qui
consiste, un jour, à faire autorité.
[1] In Le suicide. P.U.F.
[2] Lire sur le sujet la 7ième conférence d’A.Aichhorn
dans ouvrage Jeunes en souffrance.
[3] Entendu ici comme titre générique sans distinction
de sexe.
[4] S. Freud. Totem et Tabou.
[5] S. Freud in Trois essais sur la théorie sexuelle.
[6] S .Freud in Le malaise dans la culture.
[7] G.Mendel in Une histoire de l’autorité.
[8] Ici se trouve l’un des fondements du discours sur la
place du jeune entendu dans les internats ; en un mot « virons-le
»
[9] D.W. Winnicott in Processus de maturation chez l’enfant.
[10] Lire ou relire sur le sujet l’article « La délinquance
signe d’espoir » in Conversations ordinaires.
[11] Lire sur le sujet H. Searl in L’effort pour rendre l’autre
fou.
[12] Entendu ici au sens anthropologique
[13] A.Aichhorn. Jeunes en souffrance.
Bibliographie
AICHHORN.A. -1925- Jeunes en souffrance. Champ social. Collection
psychanalyse.
ARISTOTE. Art et Réthorique cit in L’adolescent dans
l’histoire de la psychanalyse.In press. 2003.
DURKHEIM.E. Le suicide. P.U.F.
FREUD.S -1912- Totem et Tabou. Oeuvres complètes. P.U.F
FREUD.S. -1905- Trois essais sur la théorie sexuelle. P.U.F
FREUD.S. -1936- Le malaise dans la culture oeuvres complètes.
P.U.F
MENDELG. -2001- Une histoire de l’autorité. La découverte.
SEARL.H. L’effort pour rendre l’autre fou. Gallimard.
W INNICOTT. D.W - Processus de maturation chez l’enfant. Payot.
La délinquance signe d’espoir in Conversations ordinaires.
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