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L'autorité et l'école : fin de système
Patrick BÉRANGER (*)
Jacques PAIN (**)
(*) Instituteur.
(**) Professeur de sciences de l’éducation, responsable du secteur de recherche " École, crise, terrains sensibles ".

Origine : http://www.cndp.fr/revuevei/beranger.htm


À chaque méthode pédagogique est lié un certain type d’autorité. Dans quelles conditions l’exercice de l’autorité favorise-t-il effectivement l’apprentissage et la socialisation de l’enfant ?

Les stratégies des enseignants s’appuient sur deux grands registres d’attitudes : le registre préventif et le registre répressif, contenant chacun plusieurs indicateurs. On peut ainsi dégager une échelle de modèles d’autorité.

L’école française va-t-elle dépasser ses contradictions et " produire " une autorité fondée sur les dimensions de la relation, du groupe, de l’institution, et non plus centrée avant tout sur l’enseignant et l’enseignement ?

" Quand on ne parvient pas à se fabriquer des transcendances de bonne qualité, on se rabat sur les produits de remplacement. "
Yves Barel (" L’intégration, le sens, le lien social ", conférence, 1990).

1. Autorité et rapport à l’autorité : recherche d’une " définition compréhensive "

L’autorité peut être située comme le pouvoir de (se) faire obéir, sans contrainte physique. L’étymologie nous montre bien qu’il s’agit d’un lien moral spécifique, où la personne qui fait autorité est autorisée de fait à exercer cette autorité, autant qu’elle s’y autorise (XIe siècle), dans la pleine reconnaissance réciproque. L’autorité est en effet ce lien moral spécifique que les Romains distinguaient – comme auctoritas – de la potestas, pouvoir légal, ou encore puissance publique. Cette séparation indique avec netteté que la puissance ou le pouvoir administratifs, voire politiques, ne suffisent pas à déterminer cette ascendance, cette influence, qui caractérisent l’autorité des " chefs ", des " leaders ", plus ou moins naturels.

En fait, l’autorité est un phénomène social, psychologique, où celui ou celle qui fait autorité est investi(e) à la fois d’une compétence identifiable sur le terrain, mais en même temps d’une capacité à représenter des idées, les institutions, qui probablement le (la) désignent au respect et à l’affection publics. C’est ce qui rend cette position difficile et problématique, entre le charisme d’une autorité personnelle, dont un leader tout aussi bien négatif peut être imprégné, et l’exercice tyrannique de la personnalité autoritaire. L’autorité de certaines personnes est alors une résultante complexe, où dominent la maîtrise (d’une compétence) et la capacité (à représenter l’institution sociale) de l’" élu ", mais dans la double volonté de reconnaissance et d’aliénation, dans la sécurité, du nombre.

 

2. Autorité et rapport à l’autorité : quelques repères

2.1. En termes de droit, il est clair que la substitution de l’autorité parentale à la " puissance paternelle " (1971) a marqué un tournant dans la démocratisation des rapports culturels et des rapports sociaux d’identité, illustrant l’intention d’une institutionnalisation plus collective de l’autorité, mais aussi marquant le passage d’une société à tendance autoritaire à une société libérale, avec toute l’opacité sociologique qui s’y rattache.

Notons que la crise économique a depuis lors radicalisé les problèmes liés à l’adolescence ou à la responsabilité familiale et que le développement des droits de l’enfant, joint à un certain flottement des institutions, a contribué à vider l’autorité traditionnelle et le rapport (ancestral) à l’autorité de leur sens historique. La famille, comme l’école, sont dès lors nécessairement de vraies questions sociales, renvoyées, en pratique, à la jurisprudence, entre une conception où l’institution tient de fait la puissance publique, en terme de droit " romain ", et une conception où l’institution implique la négociation et la contractualisation – libérales – dans l’approche pragmatique d’un droit plus " anglo-saxon ".

2.2. En termes de sociologie, les auteurs s’accordent à souligner que nous sommes aujourd’hui pris dans le délitement d’un modèle de société intégrée, totale, volontariste, pensée et reconnue par tous comme transcendante à l’individu, modèle bien représenté par Durkheim, et un modèle de société inter-individuelle dominée par la liberté personnelle et l’intérêt de l’individu. C’est le contexte même de l’idéologie sociale d’aujourd’hui, " individualiste ", dans laquelle la société de consommation se défait en partie sur le pouvoir d’achat et la croissance, toujours plus limités. Dans des périodes sociales de ce type, où la crise étend l’insécurité et l’anxiété au système, on comprend alors mieux que les réflexes et les attitudes aussi bien autoritaires qu’antiautoritaires puissent être ouvertement, voire violemment, revendiqués. En même temps que les grenouilles ont besoin d’un roi, elles lui refusent l’affiliation et l’allégeance. Le flottement des images parentales, des références sociales et scolaires, la banalisation de l’État, déportent sur l’institution l’ambivalence actuelle du rapport à l’autorité et renforcent le déterminisme individuel, au détriment du statut sociologique de la règle et de la loi collectives. On oscille de la croyance au doute et le rapport à l’autorité se déconstitue par incertitude.

2.3. En termes de psychologie sociale, de psychologie, de psychanalyse, on peut penser que l’autorité est aussi nécessaire aux enfants que l’affection, et que l’absence d’autorité déstructure, installe dans l’anxiété et l’inconsistance. Encore faut-il s’entendre sur l’autorité et, si comme G. Mendel on y voit un archaïsme parental inconscient, il est certain qu’on préférera la fermeté, la rigueur, l’attitude et le rôle de la décision, au parangon incarné d’autorité. On sait cependant que le rapport à la loi introduit à une société et que la violence ordinaire – que nous retrouvons dans une certaine ignorance ou un certain mépris du lien social, quasi systématisés –, s’est enracinée dans le premier entourage, familial et voisinant. On peut d’ailleurs plus facilement produire une analyse des carences – ou des abus – d’autorité, que des dispositions ou du dispositif qui font l’autorité. Ainsi, on peut noter que les réactions à l’autorité " formelle ", chez des jeunes de moins de 16 ans, assimilent parfois sans nuance policiers et enseignants comme des représentants, ou des représentations, de cette autorité formelle, c’est-à-dire publique, qui sans doute a perdu de sa crédibilité et de son pouvoir social. Toutes choses égales par ailleurs, les attaques contre " l’institution " – au sens où nous l’avons entendue ici –, à la fois infantiles et sociales, rassemblent clairement les attaques contre les édifices publics, les abribus, les commissariats et les écoles – plutôt les collèges d’ailleurs, lieux préadolescents et adolescents, donc " pré-sociaux ". Les violences contre l’autorité seraient-elles des violences qui visent l’institution, en tant que symbole du lien social reconnu ?

3. Autorité et pédagogie

Si l’on suppose que l’autorité en classe facilite l’acte éducatif, les points de rencontre entre autorité et pédagogie vont s’articuler autour de deux points : le savoir (et avec lui l’évolution des méthodes pédagogiques) et la socialisation. Considérons ici que l’autorité est nécessaire pour enseigner : pas de transmission du savoir dans la confusion, pas d’apprentissage ni de consolidation de celui-ci dans le bruit et le désordre. Découvrir, lire, apprendre, compter, mémoriser, doivent s’effectuer dans un minimum d’organisation. Sur le plan de la socialisation, l’autorité semble aussi souhaitée : pour apprendre à vivre en société, il est nécessaire de respecter des règles contribuant au respect de la liberté des uns et des autres.

Le savoir

L’apprentissage

Une étude de S. Weber (1) auprès de parents brésiliens montre combien l’autorité est perçue comme participant de la finalité de faire acquérir un savoir. Se soumettre, obéir, sont considérés comme des éléments favorables non seulement à l’acquisition mais aussi à la consolidation des connaissances. Ici apparaît un premier lien entre autorité et pédagogie : l’acquisition de connaissances et leur maintien dans la durée. L’autorité a donc pour fonction un contrôle qualitatif de l’apprentissage et des acquisitions.

En outre, on peut noter que les contraintes liées à l’autorité du maître bénéficient d’une légitimité parentale, variant selon les milieux familiaux. La question de la légitimité de l’autorité se pose alors dans deux cas de figure. Premier cas : dans un milieu parental dans lequel l’autorité répressive bénéficie d’une forte acceptation, un échec d’apprentissage dû à une carence d’autorité du maître sera perçu comme sensible. Deuxième cas : enseigner dans un milieu où la " répression " ne sera pas légitimée. Ici, l’enseignant est contraint d’évoluer sur le plan pédagogique. Il existe donc chez des enseignants, professant dans certains types d’environnements, une contrainte implicite exigeant de leur part une évolution pédagogique d’où l’autorité coercitive devra être exclue. Cette contrainte peut être aussi institutionnelle.

Notre lien est donc celui du savoir. En fait, " l’autorité est bel et bien une articulation des trois axes du triangle pédagogique " (2). Rappelons que J. Houssaye décrit la situation pédagogique comme un triangle composé des trois éléments (savoir, enseignant, élève) dont deux se constituent comme sujet tandis que le troisième tient la place du mort. Ce triangle s’inscrit dans un cercle représentant l’institution. Trois processus se dégagent : " enseigner ", qui privilégie l’axe enseignant-savoir et donne aux élèves la place du mort ; le processus " apprendre ", privilégiant l’axe élève-savoir et excluant le maître ; et " former ", qui privilégie l’axe " enseignant-élève ", et donne au savoir la place du mort. C’est sur ce dernier axe que se tient l’autorité, dans la mesure où elle se joue dans les rapports maître-élève. Par conséquent, le rapport maître-élève dépend déjà du rapport élève-savoir, " à l’exclusion " du maître. Mais, en même temps, le système justificatif de l’autorité relève du processus " enseigner ", c’est-à-dire du rapport du maître au savoir. L’effet de " transcendance " du savoir peut ici ne jouer que pour l’enseignant modèle.

Enfin, si l’autorité permet l’acquisition du savoir, son but est autant de favoriser l’autonomie du sujet. C’est là une contradiction éducative supplémentaire : maintenir hétéronome un sujet – parfois de façon coercitive – pour le rendre, au bout du compte, autonome. Ce " double lien " enseignant et éducateur est un paradigme paradoxal plus spécifiquement français – bien illustré par des expressions qu’emploient par exemple des spécialistes allemands, parlant de l’enseignement " frontal " de nos écoles.

L’évolution des méthodes pédagogiques
Si l’autorité peut favoriser l’apprentissage, il devient nécessaire de prendre en considération l’évolution des méthodes pédagogiques. A. Prost (3) a noté que les problèmes de discipline, attribués généralement à l’accès des enfants défavorisés dans l’enseignement secondaire, tiennent en large partie aux modifications des méthodes d’éducation. Le rapport de l’enfant – quelle que soit sa condition sociale – à l’adulte a changé, induisant aussi un nouveau rapport d’autorité, pas nécessairement occulté, mais nécessairement différent.

Lorsque l’enseignant était détenteur quasi exclusif du savoir transmis à l’école, l’autorité du maître se fondait sur ce savoir, qui lui attribuait un charisme ayant pour origine – d’après G. Ferry (1972) – " la transcendance sacerdotale attribuée par la dimension sacrée de la mission de professeur et par sa position de médiateur, la transcendance de sa personne morale, la transcendance du don pédagogique reposant sur une vocation engendrée par l’amour, la transcendance d’un compromis qui exigeait le dévouement total et désintéressé et la transcendance, enfin, du parcours culturel qui faisait du professeur le porteur d’un modèle que les disciples recevaient par imprégnation " (4). En réalité, c’est toute la relation pédagogique, liée à la détention d’un savoir possédé par l’enseignant et non par les élèves, qui engendre une relation de domination, sinon de violence. Les caractéristiques de cette relation pédagogique sont axées autour du couple savoir-pouvoir, le savoir légitimant le pouvoir social attribué à l’enseignant. Et l’intentionnalité de l’acte pédagogique aboutit à la notion d’influence : transmettre son savoir et transformer l’autre. Cette asymétrie institutionnalisée est encore renforcée par les limites imposées, du temps et de l’espace scolaire.

S’il est vrai que, dans la relation pédagogique, l’autorité du maître s’appuie sur des savoirs collectifs et des acquis personnels, il est donc nécessaire de rechercher d’autres formes d’autorité : distance vis-à-vis de la personnalité du maître, concertation, confiance, coopération. Mais ces nouvelles formes ne pourront exister sans des méthodes, desquelles dépendront de nouvelles formes d’autorité. Ainsi, Freinet a compris que la discipline du groupe est structurée, voire dynamisée, lorsqu’elle est la conséquence d’une bonne organisation du travail coopératif et du climat moral, et non le fruit d’une volonté extérieure. Le maintien d’une autorité résulte alors d’une tâche collective, de l’organisation du travail, et de la relation pédagogique qui leur convient.

On peut établir un lien curieux entre méthodes pédagogiques et autorité en classe, grâce à un aperçu historique. Rappelons, à cet effet, la période de grands choix et de modifications de méthodes au début du XIXe siècle (1830) : la querelle entre les modes individuel, simultané et mutuel. Le mode individuel, majoritairement pratiqué par les instituteurs, consiste à appeler à tour de rôle chaque élève dans le but de le faire lire, pour finalement le renvoyer à sa place et faire venir un autre élève. La discipline y est quasiment impossible, puisque l’enseignant est dans l’impossibilité de mobiliser les attentions en permanence (5), ce qui aboutit à une coercition accrue et une abondance de punitions.

Quant au mode mutuel, il consiste à réunir dans une même classe huit sections de quinze élèves en fonction de leur niveau dans chaque matière. Les exercices, gradués, s’effectuent sous la conduite de " moniteurs ", choisis parmi les meilleurs élèves. Le maître, " véritable chef d’orchestre, coordonne du haut de sa chaire cette machine complexe, par un système de signaux visuels et sonores " (6). La discipline s’effectue au moyen d’une émulation par placements et changements de places, selon la qualité du travail fourni. Le maître se charge de déléguer son autorité en nommant quelques élèves qui instruiront le procès et prononceront la sentence. L’enfant doit alors apprendre à contrôler ses élans, son comportement.

Un changement de pédagogie s’amorce avec le mode simultané, introduisant une discipline plus humaine. En 1834, les statuts de Guizot, inspirés des frères congréganistes des écoles chrétiennes, préconisent une répartition des élèves en trois divisions, selon l’âge et le niveau. Le maître enseigne simultanément à tous les élèves d’une même division. La gestion du groupe est facilitée, mais " l’obéissance y devient la première vertu, car obéir en classe, c’est soumettre sa volonté et son jugement à un homme qui représente Dieu " (7). L’autorité se traduit alors par une distance affective. Dès lors, le problème de l’autorité s’inscrit dans la pédagogie et sera lié à la diminution des effectifs. Le système se développe et se perfectionne dans les villes jusqu’à ce que, en 1868, Octave Gréard impose aux écoliers de l’académie de Paris une division en trois cours (élémentaire, moyen, supérieur), à chacun desquels on attribue un programme précis. Jules Ferry étend ce modèle au pays entier en 1882. L’autorité quitte le domaine de la justice et du maintien de l’ordre, pour celui des conditions d’apprentissage et de savoir. Qu’en est-il des pratiques actuelles ?

Prost (8) souligne que, depuis l’instauration des lois laïques, les textes officiels ont régulièrement prôné la démarche intuitive et la méthode active, alors que dans la pratique, les enseignants continuent d’affirmer la démarche impositive et la méthode de la contrainte. Vincent (in : Houssaye [J.], p. 53), en 1980, suite à une étude sur les pratiques actuelles, a relevé les contradictions des deux systèmes : dialogues et punitions. Ainsi, en école élémentaire, il est courant de pratiquer des travaux de groupes, nécessitant une organisation spatiale spécifique : tables face à face... Ce choix de travail favorise la communication entre élèves, mais rend difficile l’obtention du silence. " Or, leçons et interrogations demeurent collectives, et les élèves sont réprimandés lorsqu’ils parlent. " Dès lors, un enseignement collectif, structuré, cadré dans ses moindres détails, s’avère à la fois plus facile et rassurant.

La socialisation
Autre lien : la socialisation. L’autorité a pour fonction d’acculturer, de faire accéder à un savoir et à des attitudes de moins en moins " infantiles ", et de permettre à l’enfant de vivre une évolution qui le lie à la société et au tout premier abord à ses compagnons de classe. Si, pour Durkheim, la discipline constituait la forme scolaire de la moralité, " la socialisation est ici considérée comme le processus par lequel la société impose à l’enfant ses règles et ses normes " (9). Durkheim justifie ici une pédagogie d’autorité, voire autoritaire.

Mais le problème de la socialisation est aussi caractérisé par la gestion de la classe. Or, cette gestion passe nécessairement par une pédagogie dont les effets varieront : de l’approche expositive traditionnelle laissant peu de place à la socialisation, jusqu’aux pédagogies nouvelles favorisant les interactions, la communication intragroupe, ou la personnalisation – Lléventail est large. On peut donc penser qu’une méthode pédagogique implique un type d’autorité favorisant, ou non, la socialisation.

Ainsi, Legrand (10) nous montre que les textes officiels de 1978 insistent sur le comportement, les habitudes à prendre, l’importance de la socialisation, aboutissant à recommander en classe l’instauration d’une " vie scolaire " où le maître " deviendra l’" animateur ", le metteur en œuvre de structures socialisantes : coopératives scolaires, projets, travaux d’équipe, et ce dans l’ensemble des activités scolaires ". Il resterait à vérifier si ces textes datant de vingt ans sont appliqués !

Vers de nouvelles finalités de l’autorité dans la relation pédagogique ?
Si l’exercice d’une autorité suggère une aide à la construction du psychisme, une voie d’accès propice à l’apprentissage et à la socialisation de l’enfant, elle suggère en même temps tout le contraire ! Une relation d’autorité, telle qu’elle est traditionnellement exercée, constitue en effet, pour un pédagogue comme Gloton (11), un obstacle à une véritable élaboration de la connaissance – et donc au rapport au savoir – comme au progrès opératoire de l’intelligence, lequel exige la communication la plus libre de l’enfant avec autrui (camarades, adultes). L’autorité décrite ici freine donc bien la socialisation... Nous retrouvons notre paradoxe, où chaque pédagogue oublie la " part du maître ", comme aurait dit Freinet, sa part, et bien sûr sa propre maîtrise du pouvoir. Faire l’école, ou faire école ?… ajoute Jean Oury, dans la préface de De la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle.

Piaget (12) s’annonçait convaincu des idées de réciprocité et d’égalité chez l’enfant de 7 à 12 ans ; une coopération prévalant sur un système de sanctions arbitraires. Une nouvelle éducation est prônée (Gloton, Houssaye...), au sein de laquelle l’enfant émerge de son statut d’enfant en faisant l’apprentissage de nouvelles responsabilités, des pouvoirs à exercer, des influences. La perspective de l’interaction autorité-éducation nouvelle laisse alors envisager de nouvelles finalités au sein de la relation pédagogique.

L’approche de ces liens entre pédagogie et autorité permet d’élaborer deux hypothèses générales :

– l’application d’une méthode pédagogique implique l’instauration d’un certain type d’autorité ;

– l’apprentissage et la socialisation de l’enfant dépendent d’une relation d’autorité, " médiée " par une pédagogie.

Nous allons le vérifier par la recherche conduite en Sciences de l’éducation, à Paris-X-Nanterre, par Patrick Béranger.

4. Les relations pédagogiques devant l’autorité

Nous pouvons alors parler de stratégies – la stratégie " sous-tend une action ", dixit D. Gayet (13), comme vecteur d’autorité. Ces stratégies s’appuient sur des " registres ", " préventifs " ou " répressifs ", utilisés par l’enseignant selon deux critères principaux : sa propre réceptivité, ou plasticité ; le climat de la relation pédagogique. Quelles que soient la pédagogie utilisée et la personnalité de l’enseignant, il est possible de mettre en évidence plusieurs variantes, interchangeables selon les circonstances.

Partons du constat suivant :

– pour établir une autorité, l’enseignant agit sur un ou plusieurs registres d’attitudes ;

– moins le groupe-classe répond aux attentes du maître, plus celui-ci renforce son autorité (ou ce qu’il croit être de l’autorité), en travaillant sur un ou plusieurs de ces registres.

L’étude théorique laisse apparaître plusieurs dimensions :

– structurelle : relative aux lieu et temps, à l’organisation de la classe (spatiotemporelle, matérielle...) ;

– affective : relative à la réceptivité émotionnelle de l’enseignant ;

– pédagogique : relative à la mise en place de pratiques qui diffèrent, mais peuvent alterner ;

– comportementale : celle des enseignés.

Enfin, les indicateurs d’autorité s’articulent autour de trois axes :

– verbal ;

– comportemental ;

– organisationnel.

La recherche a été poursuivie dans une perspective psychosociologique. L’analyse de contenu laissa apparaître l’existence de deux registres – prévention, répression – contenant chacun plusieurs indicateurs. Le premier registre – préventif – concerne les attitudes d’enseignants tentant d’imposer des règles, de les réitérer, de prendre des mesures voulant limiter des débordements comportementaux, de l’élève ou du groupe, ou de différer une répression envisagée, au cœur même de l’enseignement. La prévention peut viser des comportements, comme elle peut vouloir réfreiner l’intensité de la relation, par un contournement de type organisationnel et pédagogique. Elle passe donc soit par la relation duelle, frontale, soit par la médiation, selon le type de pédagogie institué par le maître.

Le registre préventif

La dissuasion : dispensée de façon ponctuelle, elle est généralement déterminée dans le temps, en début de période scolaire (année, trimestre, semaine, jour...), afin d’énoncer ou de répéter les règles de classe et/ou les exigences de l’enseignant. Sa fonction est préventive, visant à informer l’enseigné, dans un but de non-transgression des règles. L’autorité " dissuasive " fait alors partie d’une stratégie de l’enseignant, qui vise à créer une série de représentations chez l’enseigné. Ce que les enfants perçoivent d’une personne au début d’une relation " fait " cette relation.

La motivation : revendiquée abstraitement, elle ne va plus de soi ! Comment sortir l’enfant de l’ennui, et donc limiter les débordements possibles, liés à cet ennui ? Mais comment " mettre en œuvre " la motivation, notamment dans le cadre des matières fondamentales, qui sont d’abord les matières des maîtres et des professeurs ? Parfois, la motivation peut faire partie d’une forme de contrat moral entre l’enfant et l’enseignant : on motive l’élève en proposant une activité attendue, après l’exécution d’un travail exigé. Nous ne quittons pas le conditionnement, mais il est soit personnalisé, soit situationnel.

Le " chantage " social : mesures utilisées par l’enseignant pour obtenir un type de comportement de l’enseigné (récompenses matérielles ou affectives, suppressions, références à une autorité extérieure à la classe...). Il peut s’effectuer par l’intermédiaire de récompenses affectives, pouvant prendre une forme matérielle ou gestuelle. Mais le chantage peut aussi porter sur la suppression de la matière enseignée... Le dernier aspect du chantage énoncé par les enseignants porte sur la référence, notamment aux parents – parfois au moyen d’un système évaluatif sophistiqué – ou au directeur d’établissement... (Il n’y a chantage que lorsque les critères d’évaluation ne sont ni connus, ni expliqués, ni discutés.) Notons que la référence constitue à la fois un chantage préventif et une forme d’autorité répressive, lorsque la menace liée au référent est appliquée.

L’autonomisation : elle passe par la responsabilisation et la délégation de certains pouvoirs. La responsabilisation de l’enfant ou du groupe permet de garantir l’ordre, la sécurité et l’application des règles de communication au sein de la classe. La délégation de responsabilités, quand on est maître de la classe, consiste à " supporter l’idée de ne pas avoir tout pouvoir ".

L’explicitation : l’enseignant justifie ses interdictions, consignes, ordres, dans le but d’une prise de conscience de l’enseigné. Notons que la règle instaurée par l’enseignant doit conserver un caractère irréversible. Ce qui est dit, est dit. On voit bien alors le dilemme, entre le maître et la classe, si l’autorité ne repose pas sur la " loi ".

L’élaboration de la relation enseignant-enseigné : aucun enseignant n’échappe à cette élaboration. On pourrait ici parler d’une élaboration et d’une perlaboration de la relation pédagogique.

L’organisation pédagogique : elle s’établit grâce à l’apport du maître et se construit selon plusieurs paramètres. La préparation de la classe semble nécessaire pour obtenir une autorité stable et procure de l’assurance à l’enseignant débutant. Les matières enseignées, voire le type d’application (oral ou écrit) influent sur le climat de la classe. Certaines matières, telles que les matières d’éveil et de création artistique, soulèvent des propos contradictoires : vécues comme étant propices à des débordements (le chant), tandis que d’autres, telle l’informatique, procurent à l’enfant – dans la représentation des enseignants – l’" impression de ne pas travailler ". Le sport canalise les énergies, au point de préserver des conflits, et les activités d’expression (théâtre...) constituent un exutoire. Ici, le deuxième degré et le collège sont pratiquement préfigurés ! La souplesse pédagogique s’oppose à l’acharnement pédagogique de l’enseignant, et se compose de plusieurs éléments : l’arrêt d’activités ; leur changement ; les activités de transition (chant, jeux) ; la variabilité des situations d’apprentissage (collectives, interactives, individuelles, individualisées) ; le respect des zones proximales de développement (l’individualisation bien pensée) ; l’adaptation à long terme de l’enseignant.

Les méthodes pédagogiques : les enseignants pratiquant la pédagogie institutionnelle ou des méthodes actives l’associent à une verbalisation dans la classe : " exprimer les choses " ; ce qui n’exclut pas le rôle déterminant du maître dans l’exercice d’une autorité, cumulant les rôles de référent, de détenteur de connaissance, de garant de la loi, et favorisant l’explicitation. Les travaux de groupes, les ateliers, nécessitent une organisation et donc une autorité, disséminée ou déléguée, sans que celle-ci demande à être installée sur le rapport de forces.

L’aménagement spatial (position des tables, tableaux, bureaux...) favorise l’attention des élèves et la qualité d’apprentissage, tout en créant une adéquation avec le type de communication mis en place. Ainsi, à chaque situation pédagogique et type d’activité engagés correspond une organisation spatiale précise : emplacement précis des tables pour les travaux de groupes ; coin " repos " ; permanences " changer d’air "... En réservant des espaces aménagés, pour une occupation à effectif limité, on favorise l’isolement de l’enfant en cas de conflit, la régression quand celle-ci est nécessaire, ou l’assouvissement de la curiosité intellectuelle. Une école, un établissement, peuvent le faire.

Le temps, la durée : il est possible de sécuriser ses élèves en ritualisant certaines activités : l’enseigné connaît à l’avance les activités qui ponctueront la journée, grâce à un emploi du temps… La durée des séquences est adaptée au temps de concentration de l’enfant : un quart d’heure, une demi-heure, trois quarts d’heure ; l’emploi du temps est un " emploi de vie scolaire ", en définitive.

La relation positive et le renforcement : certains enseignants préfèrent valoriser, encourager l’élève. D’autres, en terrain difficile, en feront une " attitude ".

La médiation, pour tous, sert à différer, à contourner, l’affrontement. Certains recourent aux contrats de comportement, d’enseignement.

Notons que certains enseignants tentent de prévenir la violence en exerçant une autorité " civique ". Celle-ci veut instaurer la justice au sein des relations d’enseignement : le maître est alors le garant de la sécurité de chacun et des relations sociales. Les médiations, dès lors, s’imposent. Autrement dit, la prévention de la violence passe non seulement par l’absence de violence de l’enseignant, mais par une autorité non répressive, " structurale ", " en réseau ". Considérée dans l’optique du registre préventif, l’autorité apparaît davantage comme une mise en réseau " sociétaire ", préservant les relations sociales, régulant les phénomènes de violence, pour mieux autonomiser et libérer l’enfant dans sa quête de savoir.

Le registre répressif

La verbalisation de la répression : le langage constitue un outil facilitant la répression. On pourrait presque prétendre que réprimer, c’est dire, bien avant agir. Rappelons toutefois que le refus n’est pas à proprement parler répressif, mais un lien direct favorisant l’accès au principe de réalité. Syntaxe, vocabulaire, niveau de langue, constituent le " caractère " du discours. Le choix délibéré, du mot qui marque, importe. Modes et temps : le verbe est employé aux subjonctif ou impératif présents et, lorsque l’enseignant réprimande, en utilisant le mode indicatif, c’est au futur proche ou au présent. Le ton et les variations qui l’accompagnent (degrés de directivité) semblent déterminants. L’augmentation du volume vocal est utile, si son utilisation reste ponctuelle. Mais deux enseignantes s’accordent à affirmer qu’élever la voix n’est pas une fin en soi. Le cri du maître peut être synonyme d’affrontement.

La rigidité pédagogique s’apparente à un " système de forces " ; l’élève ne doit ni se déplacer ni parler (l’exigence du silence complet) et l’enseignant ne met jamais en suspens une activité pédagogique prévue ou commencée.

L’absence de confiance envers l’enseigné constitue une amorce de la répression. L’enseignant accroît sa surveillance.

La menace, dont le contenu doit être appliqué en cas de transgression de l’élève.

La sanction est appliquée selon diverses procédures : la confiscation de biens, alimentaires ou symboliques (jeton, monnaie factice...) (notons que cette confiscation tient lieu, pour l’enseignant en pédagogie institutionnelle, de réparation, discutée et institutionnalisée en groupe) ; la mise à l’écart de l’enseigné, qui a lieu dans la classe, hors de la classe (couloir), dans une autre classe, dans un groupe dont l’âge moyen est inférieur à celui de l’élève sanctionné, ou à l’extérieur de l’école ; le rejet de l’enfant ; l’imposition punitive d’un comportement ; l’exigence d’une tâche (pensum...).

La surcharge de travail : elle est décrite comme un moyen de provoquer une crainte chez l’enseigné, tout en faisant partie d’un processus logique d’enseignement (dû aux programmes, à la préparation d’examens...).

La banalisation de l’échec ou de la souffrance apparente de l’élève.

Le renforcement évaluatif : l’évaluation illustre la volonté de pouvoir et d’autorité du maître, conscient d’atteindre deux publics – les élèves et leur environnement familial ; la crainte inspirée par l’évaluation provient essentiellement de sa communication aux parents. Si le système s’avère insuffisant, le maître a la possibilité de renforcer son système évaluatif : codage, notes, lettres, catégories (travail, comportement, assiduité, motivation...), appréciations, peuvent permuter, voire se surajouter à un système existant. Et certaines modifications peuvent toujours être apportées quant au support même de l’évaluation (cahier, carnet, carte), ainsi qu’à la fréquence de celle-ci. L’évaluation induit donc la crainte, de par son ouverture au monde extérieur à l’école ; on peut alors dire qu’une autorité existe quand certains éléments propres à la vie interne de l’école sont soumis au regard de l’autre : subir l’autorité, c’est avant tout être vu, voire jugé. Par ailleurs, une évaluation renforcée à ce point ne peut qu’aboutir à une sélection, même implicite.

La répression ne se limite pas à provoquer l’arrêt d’un effet ou à ralentir le progrès d’un comportement : elle vise, plus ou moins implicitement, la soumission de l’enseigné. On peut supposer que certains indicateurs obtiennent, plus que d’autres, des effets répressifs : surveillance ; menace et sanction ; renforcement évaluatif ; surcharge de travail. Il conviendrait, pour prouver ces hypothèses, de procéder à une recherche quant aux représentations des enfants. Certains chercheurs, tels Johnson et Bany (14), par l’intermédiaire d’une approche psychosociologique du groupe-classe, ont décrit les effets négatifs d’une autorité répressive : si les résultats ont quelquefois des effets immédiats, ils ne sont jamais durables. Toute tentative de répression engendre une résistance de la part du groupe, qui peut renforcer son unité (dans l’exemple d’un groupe cohérent) : ou bien il se replie sur lui-même, ou bien il se révolte ouvertement. Les réactions varient : attitude négative et hostilité ouverte, climat de tension, angoisse. On assiste parfois à une docilité apparente exprimant une attitude d’hyperdépendance à l’égard du maître, ou bien à de l’apathie, de l’indifférence ou de l’ennui.

Sur le plan psychanalytique, Freud (15) a noté que la répression forcée de puissants instincts, par des moyens externes, n’a jamais eu sur l’enfant l’effet d’une pure suppression de ces instincts ni celui de leur maîtrise. Par ailleurs, cette répression crée chez l’enfant une attitude soumise : l’autorité du maître bénéficie alors d’une confusion des sentiments de l’élève (crainte-amour), ce que remarquait déjà Cousinet (16).

Toutefois, il semble important de préciser que le refus du maître n’est pas synonyme de répression, comme le notent A.-M. et F. Imbert (17). Répression et frustration diffèrent. Avant la psychanalyse, Rousseau (18) a suggéré l’idée d’une frustration nécessaire à l’équilibre de l’enfant : " Savez-vous quel est le plus sûr moyen de rendre votre enfant misérable ? C’est de l’accoutumer à tout obtenir ; car ses désirs croissant incessamment par la facilité de les satisfaire, tôt ou tard, l’impuissance vous forcera malgré vous d’en venir au refus ; et ce refus inaccoutumé lui donnera plus de tourment que la privation même de ce qu’il désire. "

Du point de vue psychanalytique, il ne convient pas d’essayer de résoudre les difficultés des enfants en évitant systématiquement de les frustrer. Pour Mélanie Klein (19), une frustration considérée comme non nécessaire, ou arbitraire, témoignant d’un manque d’amour et de compréhension, peut être nocive ; mais : " Il est important de se rendre compte que le développement de l’enfant dépend de son aptitude à trouver le moyen de supporter les frustrations inévitables et nécessaires qui, dans une grande mesure, participent à la formation de ce développement. " La frustration – au moins une certaine résistance en face de l’enfant – se justifie aussi dans le champ pédagogique, comme l’a écrit A. de Péretti (20), réfutant l’idée de faciliter systématiquement les parcours des jeunes.

Rappelons en outre que la majorité des enseignants soumis aux entretiens ont parlé d’autorité " naturelle ", que C. Pujade-Renaud (21) a décrite comme acquise, davantage qu’innée, reposant sur des facteurs précis, voire stratégiques, tels que l’utilisation de l’espace, la maîtrise du regard et de la voix, le travail de la tension et de la mise en scène. J. Filloux (22), quant à elle, parle de " l’artifice du mythe d’une " autorité naturelle " portée par le regard de l’enseignant ", c’est-à-dire d’un rapport d’hypnose dont les enseignés ne doivent pas être conscients. L’autorité naturelle vise alors à un effacement de tout exercice manifeste de l’autorité, qui n’a pas besoin d’instrument pour être reconnue. Pourtant, l’autorité naturelle est dénoncée comme une intervention totale : " [...] Par le don total de l’enseignant, elle appelle en échange le don total de l’élève et, par le rôle du regard et de la clairvoyance, elle figure l’action d’une personne toute-puissante sur un sujet impuissant (rôle de l’hypnose). Elle procède ainsi d’un processus d’idéalisation et de toute-puissance qui met en scène, dans un clivage de l’objet, l’enseignant comme bon objet idéalisé, père bienveillant et nourricier, en opposition avec une image de père castrateur, qui punit, sanctionne, réprime, etc. (père de la Horde) ; et l’on comprend pourquoi on ne saurait d’aucune manière admettre que des problèmes de discipline se posent pour soi et que l’on " doive exercer son autorité ". "

Certains chercheurs, tel M. Lobrot (23) parlent du talent comme d’un aspect du " discours terroriste " ; le professeur qui, de ce fait, plaît à son auditoire, entraîne de façon positive la réceptivité de l’élève vis-à-vis du discours, mais aussi une tendance à la passivité, une absence de réaction et de contradiction : " Si, dans un groupe, on peut me contredire, c’est, je crois, que la personne commence à penser par elle-même. " Encore une fois, la véritable autorité favorise la liberté de penser et d’agir, plutôt que l’enfermement dans la séduction.

Notons que l’enseignant n’a pas qu’une pratique de l’autorité ; il en module plusieurs, au cours de fluctuations inhérentes à sa propre réceptivité et aux différentes interactions au sein du groupe. Par ailleurs, il n’a pas nécessairement conscience des indicateurs d’autorité qu’il véhicule, ni de leurs conséquences. Précisons, enfin, que les registres d’autorité cités plus haut naissent rarement spontanément comme recours défensif face au désordre de l’élève ou du groupe-classe. L’enseignant élabore une stratégie, favorisée par les expériences antérieures. Il semble clair que le choix de méthodes pédagogiques constitue une stratégie, non seulement vis-à-vis de la question de l’apprentissage, mais vis-à-vis de l’autorité elle-même. On choisit a priori la pédagogie qui nous convient. Et on peut en rester là. La soumission à l’autorité est la norme a priori.

Au départ, la fonction enseignante prédispose le maître à construire sa relation à l’élève sur le principe d’autorité, voire à recourir à des modèles et à des moyens autoritaires en permanence, pour trois raisons essentielles :

– le maître est omniscient et omnipotent ;

– il assure un enseignement collectif, ce qui nécessite un maintien de l’ordre ;

– l’enseignant est un ancien enfant, conditionné à l’autorité et par l’autorité dans son enfance, naturellement enclin à user des moyens qu’il a vu utilisés dans son enfance et dont il a pris l’habitude, pour répondre aux situations conflictuelles qu’il peut rencontrer dans son enseignement et qui mettent en cause le principe d’autorité intériorisé, internalisé, et figé par l’école elle-même.

Soit il est possible de considérer que le maître doit remplir personnellement certaines conditions pour affirmer son autorité, soit on suppose que l’enseignant sait mettre en œuvre, de manière plus ou moins implicite, les moyens lui permettant de l’affirmer. Dans le premier cas, Durkheim (24) affirme que certaines qualités personnelles sont nécessaires au maître : l’esprit de décision pour faire appliquer les règles, la volonté, ainsi que le ressenti et la certitude du bien-fondé de la décision : " Ce n’est pas du dehors, de la crainte qu’il inspire, que le maître doit tenir son autorité : c’est de lui-même. " Il faut donc que le maître possède ce sentiment de confiance en lui-même conféré par " la grandeur de sa tâche " (ibid.). Dans le deuxième cas, c’est la formation qui l’emporte.

5. Quelques modèles d’autorité

À partir des exemples cités plus haut, et suite à nos investigations, nous sommes en mesure de dégager une échelle de modèles d’autorité.

L’enseignant autoritaire

Modèle 1 : l’enseignant autoritaire

L’autoritaire strict (c’est-à-dire exigeant, rigide, intransigeant) a deux possibilités d’expression : l’autorité dans ses aspects purement relationnels, ou bien dans la pédagogie et le contenu du travail scolaire. En réalité, l’enseignant fait preuve d’inflexibilité, soit dans sa communication à l’élève (injonction…) et dans l’exigence d’un certain type de comportement de l’élève, soit dans sa demande pédagogique.

– Autoritaire strict (centré sur les comportements) : exigence vis-à-vis du comportement des élèves.

1. Commandement strict et affirmation de soi : injonction, exigence qualitative et quantitative réitérée :

• indicateurs de refus en cas de débordement comportemental de l’élève : injonctions, augmentation du volume vocal, changement de tonalité, effets gestuels, mimiques menaçantes (regard...), langage susceptible de passer de la prévention (rappel des règles, menace, référence à des personnalités extérieures...) à la répression (sanction, exclusion...).

2. Souplesse pédagogique éventuelle (un tel enseignant pouvant être très exigeant sur le plan comportemental mais très peu sur le plan pédagogique) :

• changement d’activité en cas de signes de lassitude ou d’agitation du groupe ;

• signes de patience en cas d’erreur de l’élève (nouvelles explications, entretiens duels...).

3. Degré d’explicitation des règles ou commandements : peu ou pas explicités.

4. Orientation spatiale du maître : omniprésence, proximité (parcourant les rangs...), ou distance-surveillance (assis au bureau, en faction au tableau ou à un quelconque autre endroit de la classe...).

5. Langage : tournures reflétant la rigidité face à l’écart comportemental.

– Autoritaire strict (centré sur la pédagogie) : exigence vis-à-vis de l’apprentissage, de la production.

1. Commandement strict et affirmation de soi : injonction, exigence qualitative et quantitative permanente.

2. Rigidité pédagogique :

• poursuite des activités quel que soit le degré de lassitude ou d’agitation du groupe ;

• signes d’impatience en cas d’erreur de l’élève.

3. Degré d’explicitation des règles ou commandements : peu ou pas explicités ;

• degré d’explicitation des exercices demandés : explicités ou non.

4. Orientation spatiale du maître : proximité (surveillant les travaux d’élèves).

5. Langage : tournures interrogatives permettant de vérifier la compréhension de l’élève, ou tournures restrictives vis-à-vis de la qualité d’un travail.

Modèle 2 : l’enseignant autoritaire charismatique

Le charisme est, rappelons-le, la qualité extraordinaire d’un homme, supposée ou réelle. En réalité, ce modèle est avant tout affaire de représentation. On peut considérer, toutefois, que la personnalité charismatique est celle qui affirme son irréductibilité. Par exemple, par :

–  la physiologie (taille, poids…) ;

–  les apparences : vestimentaires, apprêtement (coiffure, maquillage...) ;

–  les déplacements, la gestuelle, les mimiques (sourires, grimaces...) ;

– le contact physique avec les élèves (poser une main sur la tête, le bras, l’avant-bras, la main, dans le dos… donner un [léger] coup de poing sur l’épaule en signe d’encouragement…) ;

– le langage : formules humoristiques, ton affirmé ;

– les règles de classe : acceptations sans discussion possible de la part des élèves ;

– la séduction : persuasion, connivence... Ensemble de facteurs plus ou moins heureusement combinés.

Modèle 3 : l’enseignant autoritaire " tyranique "

Ce modèle reflète les attitudes d’enseignants qui finissent, en fin de compte, par laisser le groupe-classe s’autogérer de façon sauvage et non préparée.

1. Commandement : passant de l’exigence tyrannique (exaspération, caractère péremptoire du message) à l’indulgence excessive (exaspération, lassitude, rejet, démission...).

2. Alternance de rigidité et de souplesse pédagogiques.

3. Degré d’explicitation des règles ou commandements : variant du caractère péremptoire non explicité à la discussion-débat.

4. Organisation spatiale : fluctuante. Signes d’abandon : position la plus extérieure possible au groupe, ou, au contraire, proximité.

5. Langage : passant des explications ou consignes péremptoires aux questions ou remarques reflétant la demande d’adhésion de l’élève ou du groupe (" Vous êtes d’accord ? ").

Modèle 4 : l’enseignant autoritaire " indulgent "

Il s’agit d’un enseignant faisant preuve de rigueur dans l’élaboration des règles et de leur rappel, ce qui agit de façon préventive, pas seulement à court terme : avant de quitter l’école primaire, affirme Cullingford (25), " les enfants sont déjà conscients de la fragilité des règles et ont déjà appris à manipuler le professeur " (in : Estrela [M.-T.], p. 82) ; cela renforce la nécessité de la mise en application de règles simples, explicitées, rappelées et immuables, c’est-à-dire avec une fermeté dans leur application, et dont la transgression exige systématiquement une mise au point (rappel, explicitation). Mais l’autoritaire souple laisse apparaître des signes d’indulgence dans le cas de certains débordements comportementaux ou d’accumulation d’erreurs scolaires (parfois liés à des profils précis d’élèves ; on peut alors parler de souplesse ou de compréhension psychologique).

– Autoritaire souple (centré sur les comportements) : enseignant peu axé sur la discipline quotidienne.

1. Commandement : injonction, exigence alternant avec des signes d’indulgence (laissant apparaître des débordements en contradiction avec le message initial...).

2. Souplesse pédagogique : variable.

3. Degré d’explicitation des règles ou commandements : variable.

4. Orientation spatiale du maître : en relation avec le comportement des élèves :

• passant d’une proximité importante (surveillance accrue des réactions, passage dans les rangs…) à une distance marquée (position statique (assis au bureau…) ; activité démarquée de celle des élèves (correction de cahiers… ignorance du bruit, des déplacements…).

5. Langage : passant de la menace ou du rappel de règles à l’indulgence, voire à la banalisation de leurs transgressions.

– Autoritaire souple (centré sur la pédagogie) : enseignant dont l’exigence varie suivant l’aspect qualitatif de la production.

1. Consignes pédagogiques : strictes en début de séance ou d’exercice, passant à une mise à distance, une abstention face aux sollicitations ou aux échecs des élèves.

2. Modifiant le déroulement d’une leçon en cas de crise, ou changeant d’activité si nécessaire, s’adaptant à la situation (se penchant vers un élève ou s’asseyant à son côté dans le but de fournir une explication…).

3. Degré d’explicitation aux élèves : courbe descendante dans le temps (abondance d’explications, puis diminution).

4. Orientation spatiale du maître : proximité en début de séance (surveillance des travaux), suivie d’une distanciation (jusqu’à l’éventualité de l’adoption d’une position statique).

5. Langage : passant de la formulation de consignes et recommandations à des rappels de plus en plus espacés dans le temps.

L’enseignant d’autorité

Modèle 5 : le " pédagogue "

Il fait passer son autorité derrière l’organisation pédagogique et spatiale de la classe. La nécessité des règles à observer agit dans le but de favoriser l’acquisition de connaissances, la résolution de problèmes, la production. On assiste à une relativisation de l’aspect formel de la règle, où l’enseignant tolère des écarts comportementaux qui ne troublent pas outre mesure les tâches que l’élève doit accomplir. Le respect des règles est exigé au nom de l’accomplissement de la tâche et de sa qualité. Ici, l’autorité n’est pas seulement affaire de personnalité, de stratégie d’attitudes (registres), mais dépend plutôt de l’organisation pédagogique de la classe, telle que Freinet la décrivait. Estrela (26) relate une étude datant de 1982, réalisée par Emmer et Evertson auprès de classes de la Junior High School : les bons organisateurs y sont décrits comme des enseignants établissant clairement les règles et donnant des directives précises, formulant précisément leurs expectatives à l’égard des comportements des élèves, leur répondant de manière consistante, intervenant plus promptement pour parer à l’écart et utilisant plus fréquemment les règles en situation d’indiscipline. En revanche, les professeurs qui sont de mauvais organisateurs utilisent des règles vagues qui ne peuvent pas être consolidées, donnent des directives imprécises, communiquent leurs attentes de façon ambiguë, répondent de façon inconsistante aux écarts des élèves, ignorent ces écarts de façon répétée, n’évoquent pas leurs conséquences et réagissent avec lenteur. " La fonction organisatrice assumée par le professeur a par conséquent un effet préventif de l’indiscipline. "

1. Commandement : axé sur la qualité et la quantité de la production à fournir. Les consignes sont précises. Le contenu du travail et son rappel font disparaître ou contourne la notion de discipline.

2. Rigidité/souplesse pédagogique : degré d’exigence variant selon les capacités et réussites scolaires des enseignés.

3. Explicitation : pédagogie se voulant axée sur la compétence : souci de clarté. Nombreuses mises en situation, explications, argumentations, répétitions, interrogations sur le contenu de la leçon et sur la compréhension des élèves, avant les exercices d’application.

4. Organisation spatiale : indices de préparation :

• disposition des tables élaborée, non traditionnelle ;

• orientation et déplacements du maître : grande proximité, ou au contraire éloignement, selon le type de pédagogie utilisée.

5. Pédagogie :

• méthodes : traditionnelle, ou " nouvelle " (au sens des pédagogies nouvelles, actives, institutionnelles) ;

• outils utilisés par l’enseignant : variés (tableau, cahiers-classeurs de préparations, fichiers, vidéos, diapositives…) ;

• techniques d’enseignement : adaptées à des objectifs pédagogiques précis – technique collective, recherche par groupe, travaux socialisants (échanges), individuelle, individualisée.

Modèle 6 : le " démocrate "

La plupart des maîtres qui délèguent leur pouvoir pratiquent généralement une pédagogie non traditionnelle, ou composée d’éléments appartenant aux pédagogies nouvelles. Mais le maître demeure garant du groupe (autorité-responsabilité).

1. Commandement :

• initial (début d’année, de trimestre, de semaine ou de journée) ;

• puis absence de commandement ; rappel de règles, injonctions éventuelles dans le but d’un retour au calme ;

• attribution au groupe ou à certains de ses membres de responsabilités tournant autour de l’autorité.

Effacement final du commandement autoritaire du maître au profit d’une coordination.

2. Souplesse pédagogique correspondant à la pédagogie mise en place.

3. Explicitation des règles : régulière en cas de débordement ou de conflit.

4. Organisation spatiale : en rapport direct avec la pédagogie utilisée. Parfois, organisée par le groupe lui-même.

5. Pédagogie : mise en autogestion, élaboration d’un contrat de travail, aide individuelle.

6. Médiations : conseil de coopérative…

Modèle 7 : le coopérateur

Le modèle coopératif est celui qui efface l’aspect normatif au profit d’une entraide permettant une prise de conscience au sein du groupe et la mise en responsabilité face aux lois de la classe. L’enseignant participe, conseille, catalyse, favorise l’émergence d’une autonomie disciplinaire.

1. Commandement :

• injonctions, menaces, rappels des règles en cas de débordement ;

• amène le groupe à autocritiquer son comportement, à diagnostiquer et à résoudre ses problèmes ;

• aide le groupe à améliorer ses techniques de résolution des conflits ;

• conseille le groupe dans le choix de ses buts et intentions.

2. Souplesse pédagogique : autonomie, respect des rythmes individuels, des tendances du groupe.

3. Explicitation des règles, rappel de celles-ci en groupe, et parfois par le groupe (pédagogie institutionnelle).

4. Organisation spatiale : en rapport avec la pédagogie utilisée.

5. Pédagogie : autogestion, contrat de travail, aide individuelle.

Enseignant autoritaire… enseignant d’autorité. Vers un enseignant " autorisé ", par sa pédagogie, et par ses compétences d’organisation, de relation ? Les enjeux de l’" autre école " sont cruciaux.

6. Se défaire de l’autorité ? Refaire l’autorité ? Ou socialiser l’école ?

Ce qui frappe, en particulier dans cette exploration des attitudes et des formes d’autorité à l’école, à peine ébauchée, c’est la méconnaissance, voire l’ignorance à l’école des dimensions de la relation, du groupe, de l’institution. Être enseignant aujourd’hui, c’est être progressivement un expert en savoir(s), en relation(s), en institution(s). Nous le disons, en France, depuis 1966 et le colloque d’Amiens ; depuis la naissance des Sciences de l’éducation ; nous l’avons redécouvert furtivement avec les IUFM. Et pourtant, les faux dilemmes continuent de décentrer l’école de sa double mission nationale, éducative et enseignante. Les débats sur l’effondrement de l’autorité sont du même tonneau que les débats sur l’effondrement du savoir, de l’éducation, de l’école. C’est de mutations sociétales qu’il s’agit.

Une autre recherche, européenne, que nous venons de terminer (27), nous a montré avec netteté que nous sommes les seuls en Europe à rester fixés sur nos contradictions, à agiter comme des drapeaux nos paradoxes, à ne pas vouloir dépasser nos dilemmes. Éduquer " ou " enseigner n’est pas une question pour la très grande majorité des enseignants anglais et allemands interrogés, qui répondent éduquer " et " enseigner. Nos classes sont ainsi parmi les plus fermées, les plus centrées sur l’enseignant, l’enseignement ; celles où la relation et la parole trouvent le moins facilement leur place. Obnubilés par le Savoir, et la République, nous passons souvent à côté des élèves en chair et en os. Le caporalisme français s’exerce avec la force d’un système figé sur ses hiérarchies, ses statuts, à l’écart des réalités, des familles, des quartiers. Les meilleurs écoles et établissements sensibles l’ont compris, qui remaillent avec obstination le tissu social, sociétal, qui fait l’école. Ils y gagnent le respect, et une école à la mesure de sa société, nous dirions volontiers une école " militante ", c’est-à-dire combattante, qui réussit plus difficilement, mais réussit.

L’autorité fait-elle problème ? Formuler de cette façon la question, c’est engager aussitôt des représentations culturelles dont on saisit toute la relativité, lorsque l’on bascule de la France à l’Allemagne, à l’Angleterre, aux Pays-Bas, à la Belgique ou à la Suisse. N’est-il pas temps de nous dégager d’une histoire dont les grands paradigmes sont en crise ? Notre école serait " à nouveau " élitaire, sursélective, parfois discriminatrice, voire peut-être raciste. Nous en avons désormais les résultats sous les yeux. Les études et les recherches sur ces points convergent.

L’autorité à l’école ? On a vu comment les enseignants se débattent entre des modèles dominants enracinés dans l’histoire sociale et scolaire, littéralement " psychofamilialisés ", et des modèles critiques à dominante démocratique, qui continuent de ne pas paraître évidents à l’école, et en général dans les institutions. Malheureusement pour nous, continuer à débattre dans le cadre de l’école actuelle tient du double discours, de surcroît pervers.

En fait, nous avons les réponses, et nous les avons vu poindre. La " pédagogie ", entendue dans son étymologie d’accompagnement structuré, structural, des apprentissages, ne peut-elle faire autorité (28) ? Les pédagogies nouvelles, actives, institutionnelles, démontrent chaque jour à la fois la force de la position enseignante : garantie adulte, guidance didactique, influence culturelle, dans ce groupe " à grandir " qu’est une classe ; et sa fragilité radicale, son isolement, si elle ne se pense pas elle-même en groupe, dans l’exercice social d’une distance au savoir qui pourrait autoriser que l’expert enseignant et le tiers social viennent à coïncider, liant la compétence à la relation. Une autre recherche de maîtrise et de DEA fait ainsi apparaître que les meilleures stratégies des enseignants devant la violence en classe et à l’école sont celles d’experts, là encore, praticiens de l’ordinaire, mais rompus au déplacement, au différé, à la règle et à la loi, à la parole en commun : à la " pédagogie " (29). Eux " produisent " de l’autorité. Quelle autorité ?

La question est le cœur du dilemme. On peut schématiquement la matérialiser selon trois axes :

– Un " lien social personnalisé ", capable de porter la règle et la loi, la représentation " institutionnelle ", et la compétence.

– Une éthique, qui peut en substance se résumer ainsi, pour tous :

• dire ;

• tenir ce que l’on dit ;

• ne pas nuire.

– Une morale au quotidien, qui amène clairement à :

• définir un langage commun ;

• arrêter des lieux de compétence : pour travailler ; décider ; critiquer… ;

• fixer des limites ;

• se donner des règles, en fonction de la loi sociale et culturelle ; à l’école... en famille ?... dans la vie ?...

Nous terminerons par une définition de l’autorité en classe, telle qu’elle s’est élaborée dans la recherche utilisée ici, à la lumière de nos dernières analyses et des instructions officielles (qui, somme toute, sont parlantes) :

" L’autorité en classe est le pouvoir d’obtenir un certain comportement de la part d’un élève, d’élèves, ou d’un groupe-classe, sans recours à des contraintes physiques ou morales discriminatoires (liées aux propriétés physiques, familiales, sociales, ethniques, politiques, religieuses...), ou à l’humiliation. "

Ainsi, l’autorité en classe est à penser en dehors de toute violence physique, et de toute forme de coercition personnalisée a priori. L’autorité en classe, selon les textes, a des fonctions progressives qui doivent demeurer présentes à l’esprit des enseignants :

– le respect de l’individu : la mentalisation et la réflexion autour des injonctions et mesures de commandement ; l’interdiction de toute violence physique, verbale, et de toute mesure discriminatoire ou vexatoire ;

– l’éducation de la socialisation, au moyen de règles et de lois : l’apprentissage du " vivre-ensemble " ;

– la garantie d’une protection physique et morale du groupe : le maître reste garant de la sécurité matérielle et mentale de chacun ;

– la " libération " accompagnée de l’enfant, en favorisant son autonomie et sa responsabilité ;

– la décentralisation progressive de l’autorité personnelle du maître ; seules les règles et les lois demeurent des points d’appui permanents ; avec le temps et l’âge, avec l’école, les enseignants eux-mêmes changent.

On voit bien que cette définition de l’autorité en classe exclut tout amalgame entre autorité et pouvoir personnel, autorité et châtiment, autorité et discipline (celle-ci est alors considérée comme un ensemble de règles tacites, ou de règlements écrits, destinés à assurer le bon ordre et la régularité de l’" institution ", à [s’]autoriser un certain mode de relation collective).

Patrick BÉRANGER

Jacques PAIN

Cet article prolonge d’une part un groupe de travail sur " L’autorité à l’école ", qui a été initié par des parlementaires, puis des responsables académiques, d’autre part, une maîtrise et un DEA soutenus à Paris-X, en Sciences de l’éducation, sur " L’enseignant et l’autorité ". (Le projet de recherche engagé à Paris-X portait plus précisément sur le premier degré, mais nous l’avons ici élargi au deuxième degré).


NOTES

(1) Weber (S.), Modèles dominants et aspirations à l’éducation. Un exemple au Brésil, Paris, CNRS, 1976.

(2) Houssaye (J.), Autorité et éducation. Entre savoir et socialisation, le sens de l’éducation, Paris, ESF, 1996, p. 39.

(3) Prost (A.), Éducation, société et politiques, Paris, Le Seuil, 1992.

(4) In EstrEla (M.-T.), Autorité et discipline à l’école, Paris, ESF, 1994, p. 37.

(5) Prost (A.), L’enseignement en France. 1800-1967, Paris, A. Colin, 1968.

(6) Gaulupeau (Y.), La France à l’école, Paris, Gallimard, 1992, p. 70.

(7) Houssaye (J.), op. cit., p. 47.

(8) Prost (A.), 1968, op. cit.

(9) Houssaye (J.), op. cit., p. 58.

(10) Legrand (L.), " Enseigner la morale aujourd’hui ", Revue française de pédagogie, n° 97, p. 55, 56.

(11) Gloton (R)., L’Autorité à la dérive, Paris, Casterman, 1974, p. 50.

(12) Piaget (J.), Le Jugement moral chez l’enfant, Paris, Puf, 1969, p. 174.

(13) Gayet (D.), Modèles éducatifs et relations pédagogiques, Paris, A. Colin, 1995, p. 11.

(14) Johnson (L.-V)., Bany (M.-A.), Conduite et animation de la classe, Paris, Dunod, 1974, p. 313.

(15) Freud (S.), The claims of psycho-analysis to scientific interest, Standard Edition, t. XIII, p. 189-190, 1913, traduit de l’anglais in Imbert (A.-M. et F.), L’École à la recherche d’une nouvelle autorité, Paris, A. Colin, 1973, p. 286.

(16) Cousinet (R.), La Formation de l’éducateur, Paris, Puf, 1952.

(17) Imbert (A.-M. et F.), L’École à la recherche d’une nouvelle autorité, op. cit., p. 250.

(18) Rousseau (J.-J.), Émile, Paris, Garnier, 1970, p. 73-74.

(19) Klein (M.), L’Amour et la haine, Paris, Payot, 1989, p. 96-97.

(20) de Péretti (A.), " Autorité et pouvoir dans la classe ", Préparons l’avenir, n° 24, décembre 1989.

(21) Pujade-Renaud (C.), Le Corps de l’enseignant dans la classe, Paris, ESF, 1983, p. 52-79.

(22) Filloux (J.), Du contrat pédagogique, Paris, Dunod, 1974, p. 120-127.

(23) Lobrot (M.), L’École des parents, 1971, n° 7, p. 42-46.

(24) Durkheim (E.), L’Éducation morale, Paris, Puf, 1963, p. 130. Voir aussi Filloux (J.-C.), Durkheim et l’éducation, Paris, Puf, 1994.

(25) Cullingford (D.), " School rules and children’s attitudes to discipline ", Educational Research, vol. 30, n° 1, 1988, p. 3-9, in Estrela (M.-T.), op. cit.

(26) Estrela (M.-T.), op. cit., p. 81.

(27) Pain (J.), Barrier (E.), Robin (D.), " Violences à l’école. Allemagne, Angleterre, France ". Une étude comparative européenne de douze établissements du deuxième degré, Vigneux, Matrice, 1997.

(28) Voir " Les classiques de la pédagogie institutionnelle ", aux éditions Matrice (71, rue des Camélias, 91270 Vigneux), qui éditent ou rééditent les livres de base du courant de pédagogie institutionnelle " psychanalytique ". Entre autres : " Qui c’est l’conseil ", de Pochet (C.), Oury (F.), Oury (J.) ; Une journée dans une classe coopérative. Le désir retrouvé, de Laffitte (R.) ; Chronique de l’école caserne, de Pain (J.), Oury (J.)

(29) Casanova (R.), Paris-X, Sciences de l’éducation, 1996-1997. Une thèse est en cours.


Ville École Intégration n° 112 - mars 1998 MENRT, CNDP 1998