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Origine : http://www.cndp.fr/revuevei/beranger.htm
À chaque méthode pédagogique est lié un certain type d’autorité.
Dans quelles conditions l’exercice de l’autorité favorise-t-il
effectivement l’apprentissage et la socialisation de l’enfant
?
Les stratégies des enseignants s’appuient sur deux grands
registres d’attitudes : le registre préventif et le registre
répressif, contenant chacun plusieurs indicateurs. On peut ainsi
dégager une échelle de modèles d’autorité.
L’école française va-t-elle dépasser ses contradictions
et " produire " une autorité fondée sur les dimensions de la relation,
du groupe, de l’institution, et non plus centrée avant tout
sur l’enseignant et l’enseignement ?
" Quand on ne parvient pas à se fabriquer des transcendances de
bonne qualité, on se rabat sur les produits de remplacement. "
Yves Barel (" L’intégration, le sens, le lien social ", conférence,
1990).
1. Autorité et rapport à l’autorité : recherche d’une
" définition compréhensive "
L’autorité peut être située comme le pouvoir de (se) faire
obéir, sans contrainte physique. L’étymologie nous montre
bien qu’il s’agit d’un lien moral spécifique,
où la personne qui fait autorité est autorisée de fait à exercer
cette autorité, autant qu’elle s’y autorise (XIe
siècle), dans la pleine reconnaissance réciproque. L’autorité
est en effet ce lien moral spécifique que les Romains distinguaient
– comme auctoritas – de la potestas, pouvoir légal,
ou encore puissance publique. Cette séparation indique avec netteté
que la puissance ou le pouvoir administratifs, voire politiques,
ne suffisent pas à déterminer cette ascendance, cette influence,
qui caractérisent l’autorité des " chefs ", des " leaders
", plus ou moins naturels.
En fait, l’autorité est un phénomène social, psychologique,
où celui ou celle qui fait autorité est investi(e) à la fois d’une
compétence identifiable sur le terrain, mais en même temps d’une
capacité à représenter des idées, les institutions, qui probablement
le (la) désignent au respect et à l’affection publics. C’est
ce qui rend cette position difficile et problématique, entre le
charisme d’une autorité personnelle, dont un leader tout aussi
bien négatif peut être imprégné, et l’exercice tyrannique
de la personnalité autoritaire. L’autorité de certaines personnes
est alors une résultante complexe, où dominent la maîtrise (d’une
compétence) et la capacité (à représenter l’institution sociale)
de l’" élu ", mais dans la double volonté de reconnaissance
et d’aliénation, dans la sécurité, du nombre.
2. Autorité et rapport à l’autorité : quelques repères
2.1. En termes de droit, il est clair que la substitution
de l’autorité parentale à la " puissance paternelle " (1971)
a marqué un tournant dans la démocratisation des rapports culturels
et des rapports sociaux d’identité, illustrant l’intention
d’une institutionnalisation plus collective de l’autorité,
mais aussi marquant le passage d’une société à tendance autoritaire
à une société libérale, avec toute l’opacité sociologique
qui s’y rattache.
Notons que la crise économique a depuis lors radicalisé les problèmes
liés à l’adolescence ou à la responsabilité familiale et que
le développement des droits de l’enfant, joint à un certain
flottement des institutions, a contribué à vider l’autorité
traditionnelle et le rapport (ancestral) à l’autorité de leur
sens historique. La famille, comme l’école, sont dès lors
nécessairement de vraies questions sociales, renvoyées, en pratique,
à la jurisprudence, entre une conception où l’institution
tient de fait la puissance publique, en terme de droit " romain
", et une conception où l’institution implique la négociation
et la contractualisation – libérales – dans l’approche
pragmatique d’un droit plus " anglo-saxon ".
2.2. En termes de sociologie, les auteurs s’accordent
à souligner que nous sommes aujourd’hui pris dans le délitement
d’un modèle de société intégrée, totale, volontariste, pensée
et reconnue par tous comme transcendante à l’individu, modèle
bien représenté par Durkheim, et un modèle de société inter-individuelle
dominée par la liberté personnelle et l’intérêt de l’individu.
C’est le contexte même de l’idéologie sociale d’aujourd’hui,
" individualiste ", dans laquelle la société de consommation se
défait en partie sur le pouvoir d’achat et la croissance,
toujours plus limités. Dans des périodes sociales de ce type, où
la crise étend l’insécurité et l’anxiété au système,
on comprend alors mieux que les réflexes et les attitudes aussi
bien autoritaires qu’antiautoritaires puissent être ouvertement,
voire violemment, revendiqués. En même temps que les grenouilles
ont besoin d’un roi, elles lui refusent l’affiliation
et l’allégeance. Le flottement des images parentales, des
références sociales et scolaires, la banalisation de l’État,
déportent sur l’institution l’ambivalence actuelle du
rapport à l’autorité et renforcent le déterminisme individuel,
au détriment du statut sociologique de la règle et de la loi collectives.
On oscille de la croyance au doute et le rapport à l’autorité
se déconstitue par incertitude.
2.3. En termes de psychologie sociale, de psychologie,
de psychanalyse, on peut penser que l’autorité est
aussi nécessaire aux enfants que l’affection, et que l’absence
d’autorité déstructure, installe dans l’anxiété et l’inconsistance.
Encore faut-il s’entendre sur l’autorité et, si comme
G. Mendel on y voit un archaïsme parental inconscient, il est certain
qu’on préférera la fermeté, la rigueur, l’attitude et
le rôle de la décision, au parangon incarné d’autorité. On
sait cependant que le rapport à la loi introduit à une société et
que la violence ordinaire – que nous retrouvons dans une certaine
ignorance ou un certain mépris du lien social, quasi systématisés
–, s’est enracinée dans le premier entourage, familial
et voisinant. On peut d’ailleurs plus facilement produire
une analyse des carences – ou des abus – d’autorité,
que des dispositions ou du dispositif qui font l’autorité.
Ainsi, on peut noter que les réactions à l’autorité " formelle
", chez des jeunes de moins de 16 ans, assimilent parfois sans nuance
policiers et enseignants comme des représentants, ou des représentations,
de cette autorité formelle, c’est-à-dire publique, qui sans
doute a perdu de sa crédibilité et de son pouvoir social. Toutes
choses égales par ailleurs, les attaques contre " l’institution
" – au sens où nous l’avons entendue ici –, à
la fois infantiles et sociales, rassemblent clairement les attaques
contre les édifices publics, les abribus, les commissariats et les
écoles – plutôt les collèges d’ailleurs, lieux préadolescents
et adolescents, donc " pré-sociaux ". Les violences contre l’autorité
seraient-elles des violences qui visent l’institution, en
tant que symbole du lien social reconnu ?
3. Autorité et pédagogie
Si l’on suppose que l’autorité en classe facilite l’acte
éducatif, les points de rencontre entre autorité et pédagogie vont
s’articuler autour de deux points : le savoir (et avec lui
l’évolution des méthodes pédagogiques) et la socialisation.
Considérons ici que l’autorité est nécessaire pour enseigner
: pas de transmission du savoir dans la confusion, pas d’apprentissage
ni de consolidation de celui-ci dans le bruit et le désordre. Découvrir,
lire, apprendre, compter, mémoriser, doivent s’effectuer dans
un minimum d’organisation. Sur le plan de la socialisation,
l’autorité semble aussi souhaitée : pour apprendre à vivre
en société, il est nécessaire de respecter des règles contribuant
au respect de la liberté des uns et des autres.
Le savoir
L’apprentissage
Une étude de S. Weber (1) auprès de parents brésiliens montre combien
l’autorité est perçue comme participant de la finalité de
faire acquérir un savoir. Se soumettre, obéir, sont considérés comme
des éléments favorables non seulement à l’acquisition mais
aussi à la consolidation des connaissances. Ici apparaît un premier
lien entre autorité et pédagogie : l’acquisition de connaissances
et leur maintien dans la durée. L’autorité a donc pour fonction
un contrôle qualitatif de l’apprentissage et des acquisitions.
En outre, on peut noter que les contraintes liées à l’autorité
du maître bénéficient d’une légitimité parentale, variant
selon les milieux familiaux. La question de la légitimité de l’autorité
se pose alors dans deux cas de figure. Premier cas : dans un milieu
parental dans lequel l’autorité répressive bénéficie d’une
forte acceptation, un échec d’apprentissage dû à une carence
d’autorité du maître sera perçu comme sensible. Deuxième cas
: enseigner dans un milieu où la " répression " ne sera pas légitimée.
Ici, l’enseignant est contraint d’évoluer sur le plan
pédagogique. Il existe donc chez des enseignants, professant dans
certains types d’environnements, une contrainte implicite
exigeant de leur part une évolution pédagogique d’où l’autorité
coercitive devra être exclue. Cette contrainte peut être aussi institutionnelle.
Notre lien est donc celui du savoir. En fait, " l’autorité
est bel et bien une articulation des trois axes du triangle pédagogique
" (2). Rappelons que J. Houssaye décrit la situation pédagogique
comme un triangle composé des trois éléments (savoir, enseignant,
élève) dont deux se constituent comme sujet tandis que le troisième
tient la place du mort. Ce triangle s’inscrit dans un cercle
représentant l’institution. Trois processus se dégagent :
" enseigner ", qui privilégie l’axe enseignant-savoir et donne
aux élèves la place du mort ; le processus " apprendre ", privilégiant
l’axe élève-savoir et excluant le maître ; et " former ",
qui privilégie l’axe " enseignant-élève ", et donne au savoir
la place du mort. C’est sur ce dernier axe que se tient l’autorité,
dans la mesure où elle se joue dans les rapports maître-élève. Par
conséquent, le rapport maître-élève dépend déjà du rapport élève-savoir,
" à l’exclusion " du maître. Mais, en même temps, le système
justificatif de l’autorité relève du processus " enseigner
", c’est-à-dire du rapport du maître au savoir. L’effet
de " transcendance " du savoir peut ici ne jouer que pour l’enseignant
modèle.
Enfin, si l’autorité permet l’acquisition du savoir,
son but est autant de favoriser l’autonomie du sujet. C’est
là une contradiction éducative supplémentaire : maintenir hétéronome
un sujet – parfois de façon coercitive – pour le rendre,
au bout du compte, autonome. Ce " double lien " enseignant et éducateur
est un paradigme paradoxal plus spécifiquement français –
bien illustré par des expressions qu’emploient par exemple
des spécialistes allemands, parlant de l’enseignement " frontal
" de nos écoles.
L’évolution des méthodes pédagogiques
Si l’autorité peut favoriser l’apprentissage,
il devient nécessaire de prendre en considération l’évolution
des méthodes pédagogiques. A. Prost (3) a noté que les problèmes
de discipline, attribués généralement à l’accès des enfants
défavorisés dans l’enseignement secondaire, tiennent en large
partie aux modifications des méthodes d’éducation. Le rapport
de l’enfant – quelle que soit sa condition sociale –
à l’adulte a changé, induisant aussi un nouveau rapport d’autorité,
pas nécessairement occulté, mais nécessairement différent.
Lorsque l’enseignant était détenteur quasi exclusif du savoir
transmis à l’école, l’autorité du maître se fondait
sur ce savoir, qui lui attribuait un charisme ayant pour origine
– d’après G. Ferry (1972) – " la transcendance
sacerdotale attribuée par la dimension sacrée de la mission de professeur
et par sa position de médiateur, la transcendance de sa personne
morale, la transcendance du don pédagogique reposant sur une vocation
engendrée par l’amour, la transcendance d’un compromis
qui exigeait le dévouement total et désintéressé et la transcendance,
enfin, du parcours culturel qui faisait du professeur le porteur
d’un modèle que les disciples recevaient par imprégnation
" (4). En réalité, c’est toute la relation pédagogique, liée
à la détention d’un savoir possédé par l’enseignant
et non par les élèves, qui engendre une relation de domination,
sinon de violence. Les caractéristiques de cette relation pédagogique
sont axées autour du couple savoir-pouvoir, le savoir légitimant
le pouvoir social attribué à l’enseignant. Et l’intentionnalité
de l’acte pédagogique aboutit à la notion d’influence
: transmettre son savoir et transformer l’autre. Cette asymétrie
institutionnalisée est encore renforcée par les limites imposées,
du temps et de l’espace scolaire.
S’il est vrai que, dans la relation pédagogique, l’autorité
du maître s’appuie sur des savoirs collectifs et des acquis
personnels, il est donc nécessaire de rechercher d’autres
formes d’autorité : distance vis-à-vis de la personnalité
du maître, concertation, confiance, coopération. Mais ces nouvelles
formes ne pourront exister sans des méthodes, desquelles dépendront
de nouvelles formes d’autorité. Ainsi, Freinet a compris que
la discipline du groupe est structurée, voire dynamisée, lorsqu’elle
est la conséquence d’une bonne organisation du travail coopératif
et du climat moral, et non le fruit d’une volonté extérieure.
Le maintien d’une autorité résulte alors d’une tâche
collective, de l’organisation du travail, et de la relation
pédagogique qui leur convient.
On peut établir un lien curieux entre méthodes pédagogiques et
autorité en classe, grâce à un aperçu historique. Rappelons, à cet
effet, la période de grands choix et de modifications de méthodes
au début du XIXe siècle (1830) : la querelle entre les modes individuel,
simultané et mutuel. Le mode individuel, majoritairement pratiqué
par les instituteurs, consiste à appeler à tour de rôle chaque élève
dans le but de le faire lire, pour finalement le renvoyer à sa place
et faire venir un autre élève. La discipline y est quasiment impossible,
puisque l’enseignant est dans l’impossibilité de mobiliser
les attentions en permanence (5), ce qui aboutit à une coercition
accrue et une abondance de punitions.
Quant au mode mutuel, il consiste à réunir dans une même classe
huit sections de quinze élèves en fonction de leur niveau dans chaque
matière. Les exercices, gradués, s’effectuent sous la conduite
de " moniteurs ", choisis parmi les meilleurs élèves. Le maître,
" véritable chef d’orchestre, coordonne du haut de sa chaire
cette machine complexe, par un système de signaux visuels et sonores
" (6). La discipline s’effectue au moyen d’une émulation
par placements et changements de places, selon la qualité du travail
fourni. Le maître se charge de déléguer son autorité en nommant
quelques élèves qui instruiront le procès et prononceront la sentence.
L’enfant doit alors apprendre à contrôler ses élans, son comportement.
Un changement de pédagogie s’amorce avec le mode simultané,
introduisant une discipline plus humaine. En 1834, les statuts de
Guizot, inspirés des frères congréganistes des écoles chrétiennes,
préconisent une répartition des élèves en trois divisions, selon
l’âge et le niveau. Le maître enseigne simultanément à tous
les élèves d’une même division. La gestion du groupe est facilitée,
mais " l’obéissance y devient la première vertu, car obéir
en classe, c’est soumettre sa volonté et son jugement à un
homme qui représente Dieu " (7). L’autorité se traduit alors
par une distance affective. Dès lors, le problème de l’autorité
s’inscrit dans la pédagogie et sera lié à la diminution des
effectifs. Le système se développe et se perfectionne dans les villes
jusqu’à ce que, en 1868, Octave Gréard impose aux écoliers
de l’académie de Paris une division en trois cours (élémentaire,
moyen, supérieur), à chacun desquels on attribue un programme précis.
Jules Ferry étend ce modèle au pays entier en 1882. L’autorité
quitte le domaine de la justice et du maintien de l’ordre,
pour celui des conditions d’apprentissage et de savoir. Qu’en
est-il des pratiques actuelles ?
Prost (8) souligne que, depuis l’instauration des lois laïques,
les textes officiels ont régulièrement prôné la démarche intuitive
et la méthode active, alors que dans la pratique, les enseignants
continuent d’affirmer la démarche impositive et la méthode
de la contrainte. Vincent (in : Houssaye [J.], p. 53), en 1980,
suite à une étude sur les pratiques actuelles, a relevé les contradictions
des deux systèmes : dialogues et punitions. Ainsi, en école élémentaire,
il est courant de pratiquer des travaux de groupes, nécessitant
une organisation spatiale spécifique : tables face à face... Ce
choix de travail favorise la communication entre élèves, mais rend
difficile l’obtention du silence. " Or, leçons et interrogations
demeurent collectives, et les élèves sont réprimandés lorsqu’ils
parlent. " Dès lors, un enseignement collectif, structuré, cadré
dans ses moindres détails, s’avère à la fois plus facile et
rassurant.
La socialisation
Autre lien : la socialisation. L’autorité a pour
fonction d’acculturer, de faire accéder à un savoir et à des
attitudes de moins en moins " infantiles ", et de permettre à l’enfant
de vivre une évolution qui le lie à la société et au tout premier
abord à ses compagnons de classe. Si, pour Durkheim, la discipline
constituait la forme scolaire de la moralité, " la socialisation
est ici considérée comme le processus par lequel la société impose
à l’enfant ses règles et ses normes " (9). Durkheim justifie
ici une pédagogie d’autorité, voire autoritaire.
Mais le problème de la socialisation est aussi caractérisé par
la gestion de la classe. Or, cette gestion passe nécessairement
par une pédagogie dont les effets varieront : de l’approche
expositive traditionnelle laissant peu de place à la socialisation,
jusqu’aux pédagogies nouvelles favorisant les interactions,
la communication intragroupe, ou la personnalisation – Lléventail
est large. On peut donc penser qu’une méthode pédagogique
implique un type d’autorité favorisant, ou non, la socialisation.
Ainsi, Legrand (10) nous montre que les textes officiels de 1978
insistent sur le comportement, les habitudes à prendre, l’importance
de la socialisation, aboutissant à recommander en classe l’instauration
d’une " vie scolaire " où le maître " deviendra l’"
animateur ", le metteur en œuvre de structures socialisantes
: coopératives scolaires, projets, travaux d’équipe, et ce
dans l’ensemble des activités scolaires ". Il resterait à
vérifier si ces textes datant de vingt ans sont appliqués !
Vers de nouvelles finalités de l’autorité dans la
relation pédagogique ?
Si l’exercice d’une autorité suggère une aide
à la construction du psychisme, une voie d’accès propice à
l’apprentissage et à la socialisation de l’enfant, elle
suggère en même temps tout le contraire ! Une relation d’autorité,
telle qu’elle est traditionnellement exercée, constitue en
effet, pour un pédagogue comme Gloton (11), un obstacle à une véritable
élaboration de la connaissance – et donc au rapport au savoir
– comme au progrès opératoire de l’intelligence, lequel
exige la communication la plus libre de l’enfant avec autrui
(camarades, adultes). L’autorité décrite ici freine donc bien
la socialisation... Nous retrouvons notre paradoxe, où chaque pédagogue
oublie la " part du maître ", comme aurait dit Freinet, sa part,
et bien sûr sa propre maîtrise du pouvoir. Faire l’école,
ou faire école ?… ajoute Jean Oury, dans la préface de De
la classe coopérative à la pédagogie institutionnelle.
Piaget (12) s’annonçait convaincu des idées de réciprocité
et d’égalité chez l’enfant de 7 à 12 ans ; une coopération
prévalant sur un système de sanctions arbitraires. Une nouvelle
éducation est prônée (Gloton, Houssaye...), au sein de laquelle
l’enfant émerge de son statut d’enfant en faisant l’apprentissage
de nouvelles responsabilités, des pouvoirs à exercer, des influences.
La perspective de l’interaction autorité-éducation nouvelle
laisse alors envisager de nouvelles finalités au sein de la relation
pédagogique.
L’approche de ces liens entre pédagogie et autorité permet
d’élaborer deux hypothèses générales :
– l’application d’une méthode pédagogique implique
l’instauration d’un certain type d’autorité ;
– l’apprentissage et la socialisation de l’enfant
dépendent d’une relation d’autorité, " médiée " par
une pédagogie.
Nous allons le vérifier par la recherche conduite en Sciences de
l’éducation, à Paris-X-Nanterre, par Patrick Béranger.
4. Les relations pédagogiques devant l’autorité
Nous pouvons alors parler de stratégies – la stratégie "
sous-tend une action ", dixit D. Gayet (13), comme vecteur d’autorité.
Ces stratégies s’appuient sur des " registres ", " préventifs
" ou " répressifs ", utilisés par l’enseignant selon deux
critères principaux : sa propre réceptivité, ou plasticité ; le
climat de la relation pédagogique. Quelles que soient la pédagogie
utilisée et la personnalité de l’enseignant, il est possible
de mettre en évidence plusieurs variantes, interchangeables selon
les circonstances.
Partons du constat suivant :
– pour établir une autorité, l’enseignant agit sur
un ou plusieurs registres d’attitudes ;
– moins le groupe-classe répond aux attentes du maître, plus
celui-ci renforce son autorité (ou ce qu’il croit être de
l’autorité), en travaillant sur un ou plusieurs de ces registres.
L’étude théorique laisse apparaître plusieurs dimensions
:
– structurelle : relative aux lieu et temps, à l’organisation
de la classe (spatiotemporelle, matérielle...) ;
– affective : relative à la réceptivité émotionnelle de l’enseignant
;
– pédagogique : relative à la mise en place de pratiques
qui diffèrent, mais peuvent alterner ;
– comportementale : celle des enseignés.
Enfin, les indicateurs d’autorité s’articulent autour
de trois axes :
– verbal ;
– comportemental ;
– organisationnel.
La recherche a été poursuivie dans une perspective psychosociologique.
L’analyse de contenu laissa apparaître l’existence de
deux registres – prévention, répression – contenant
chacun plusieurs indicateurs. Le premier registre – préventif
– concerne les attitudes d’enseignants tentant d’imposer
des règles, de les réitérer, de prendre des mesures voulant limiter
des débordements comportementaux, de l’élève ou du groupe,
ou de différer une répression envisagée, au cœur même de l’enseignement.
La prévention peut viser des comportements, comme elle peut vouloir
réfreiner l’intensité de la relation, par un contournement
de type organisationnel et pédagogique. Elle passe donc soit par
la relation duelle, frontale, soit par la médiation, selon le type
de pédagogie institué par le maître.
Le registre préventif
La dissuasion : dispensée de façon ponctuelle, elle est
généralement déterminée dans le temps, en début de période scolaire
(année, trimestre, semaine, jour...), afin d’énoncer ou de
répéter les règles de classe et/ou les exigences de l’enseignant.
Sa fonction est préventive, visant à informer l’enseigné,
dans un but de non-transgression des règles. L’autorité "
dissuasive " fait alors partie d’une stratégie de l’enseignant,
qui vise à créer une série de représentations chez l’enseigné.
Ce que les enfants perçoivent d’une personne au début d’une
relation " fait " cette relation.
La motivation : revendiquée abstraitement, elle ne va plus de soi
! Comment sortir l’enfant de l’ennui, et donc limiter
les débordements possibles, liés à cet ennui ? Mais comment " mettre
en œuvre " la motivation, notamment dans le cadre des matières
fondamentales, qui sont d’abord les matières des maîtres et
des professeurs ? Parfois, la motivation peut faire partie d’une
forme de contrat moral entre l’enfant et l’enseignant
: on motive l’élève en proposant une activité attendue, après
l’exécution d’un travail exigé. Nous ne quittons pas
le conditionnement, mais il est soit personnalisé, soit situationnel.
Le " chantage " social : mesures utilisées par l’enseignant
pour obtenir un type de comportement de l’enseigné (récompenses
matérielles ou affectives, suppressions, références à une autorité
extérieure à la classe...). Il peut s’effectuer par l’intermédiaire
de récompenses affectives, pouvant prendre une forme matérielle
ou gestuelle. Mais le chantage peut aussi porter sur la suppression
de la matière enseignée... Le dernier aspect du chantage énoncé
par les enseignants porte sur la référence, notamment aux parents
– parfois au moyen d’un système évaluatif sophistiqué
– ou au directeur d’établissement... (Il n’y a
chantage que lorsque les critères d’évaluation ne sont ni
connus, ni expliqués, ni discutés.) Notons que la référence constitue
à la fois un chantage préventif et une forme d’autorité répressive,
lorsque la menace liée au référent est appliquée.
L’autonomisation : elle passe par la responsabilisation et
la délégation de certains pouvoirs. La responsabilisation de l’enfant
ou du groupe permet de garantir l’ordre, la sécurité et l’application
des règles de communication au sein de la classe. La délégation
de responsabilités, quand on est maître de la classe, consiste à
" supporter l’idée de ne pas avoir tout pouvoir ".
L’explicitation : l’enseignant justifie ses interdictions,
consignes, ordres, dans le but d’une prise de conscience de
l’enseigné. Notons que la règle instaurée par l’enseignant
doit conserver un caractère irréversible. Ce qui est dit, est dit.
On voit bien alors le dilemme, entre le maître et la classe, si
l’autorité ne repose pas sur la " loi ".
L’élaboration de la relation enseignant-enseigné : aucun
enseignant n’échappe à cette élaboration. On pourrait ici
parler d’une élaboration et d’une perlaboration de la
relation pédagogique.
L’organisation pédagogique : elle s’établit grâce à
l’apport du maître et se construit selon plusieurs paramètres.
La préparation de la classe semble nécessaire pour obtenir une autorité
stable et procure de l’assurance à l’enseignant débutant.
Les matières enseignées, voire le type d’application (oral
ou écrit) influent sur le climat de la classe. Certaines matières,
telles que les matières d’éveil et de création artistique,
soulèvent des propos contradictoires : vécues comme étant propices
à des débordements (le chant), tandis que d’autres, telle
l’informatique, procurent à l’enfant – dans la
représentation des enseignants – l’" impression de ne
pas travailler ". Le sport canalise les énergies, au point de préserver
des conflits, et les activités d’expression (théâtre...) constituent
un exutoire. Ici, le deuxième degré et le collège sont pratiquement
préfigurés ! La souplesse pédagogique s’oppose à l’acharnement
pédagogique de l’enseignant, et se compose de plusieurs éléments
: l’arrêt d’activités ; leur changement ; les activités
de transition (chant, jeux) ; la variabilité des situations d’apprentissage
(collectives, interactives, individuelles, individualisées) ; le
respect des zones proximales de développement (l’individualisation
bien pensée) ; l’adaptation à long terme de l’enseignant.
Les méthodes pédagogiques : les enseignants pratiquant la pédagogie
institutionnelle ou des méthodes actives l’associent à une
verbalisation dans la classe : " exprimer les choses " ; ce qui
n’exclut pas le rôle déterminant du maître dans l’exercice
d’une autorité, cumulant les rôles de référent, de détenteur
de connaissance, de garant de la loi, et favorisant l’explicitation.
Les travaux de groupes, les ateliers, nécessitent une organisation
et donc une autorité, disséminée ou déléguée, sans que celle-ci
demande à être installée sur le rapport de forces.
L’aménagement spatial (position des tables, tableaux, bureaux...)
favorise l’attention des élèves et la qualité d’apprentissage,
tout en créant une adéquation avec le type de communication mis
en place. Ainsi, à chaque situation pédagogique et type d’activité
engagés correspond une organisation spatiale précise : emplacement
précis des tables pour les travaux de groupes ; coin " repos " ;
permanences " changer d’air "... En réservant des espaces
aménagés, pour une occupation à effectif limité, on favorise l’isolement
de l’enfant en cas de conflit, la régression quand celle-ci
est nécessaire, ou l’assouvissement de la curiosité intellectuelle.
Une école, un établissement, peuvent le faire.
Le temps, la durée : il est possible de sécuriser ses élèves en
ritualisant certaines activités : l’enseigné connaît à l’avance
les activités qui ponctueront la journée, grâce à un emploi du temps…
La durée des séquences est adaptée au temps de concentration de
l’enfant : un quart d’heure, une demi-heure, trois quarts
d’heure ; l’emploi du temps est un " emploi de vie scolaire
", en définitive.
La relation positive et le renforcement : certains enseignants
préfèrent valoriser, encourager l’élève. D’autres, en
terrain difficile, en feront une " attitude ".
La médiation, pour tous, sert à différer, à contourner, l’affrontement.
Certains recourent aux contrats de comportement, d’enseignement.
Notons que certains enseignants tentent de prévenir la violence
en exerçant une autorité " civique ". Celle-ci veut instaurer la
justice au sein des relations d’enseignement : le maître est
alors le garant de la sécurité de chacun et des relations sociales.
Les médiations, dès lors, s’imposent. Autrement dit, la prévention
de la violence passe non seulement par l’absence de violence
de l’enseignant, mais par une autorité non répressive, " structurale
", " en réseau ". Considérée dans l’optique du registre préventif,
l’autorité apparaît davantage comme une mise en réseau " sociétaire
", préservant les relations sociales, régulant les phénomènes de
violence, pour mieux autonomiser et libérer l’enfant dans
sa quête de savoir.
Le registre répressif
La verbalisation de la répression : le langage constitue
un outil facilitant la répression. On pourrait presque prétendre
que réprimer, c’est dire, bien avant agir. Rappelons toutefois
que le refus n’est pas à proprement parler répressif, mais
un lien direct favorisant l’accès au principe de réalité.
Syntaxe, vocabulaire, niveau de langue, constituent le " caractère
" du discours. Le choix délibéré, du mot qui marque, importe. Modes
et temps : le verbe est employé aux subjonctif ou impératif présents
et, lorsque l’enseignant réprimande, en utilisant le mode
indicatif, c’est au futur proche ou au présent. Le ton et
les variations qui l’accompagnent (degrés de directivité)
semblent déterminants. L’augmentation du volume vocal est
utile, si son utilisation reste ponctuelle. Mais deux enseignantes
s’accordent à affirmer qu’élever la voix n’est
pas une fin en soi. Le cri du maître peut être synonyme d’affrontement.
La rigidité pédagogique s’apparente à un " système de forces
" ; l’élève ne doit ni se déplacer ni parler (l’exigence
du silence complet) et l’enseignant ne met jamais en suspens
une activité pédagogique prévue ou commencée.
L’absence de confiance envers l’enseigné constitue
une amorce de la répression. L’enseignant accroît sa surveillance.
La menace, dont le contenu doit être appliqué en cas de transgression
de l’élève.
La sanction est appliquée selon diverses procédures : la confiscation
de biens, alimentaires ou symboliques (jeton, monnaie factice...)
(notons que cette confiscation tient lieu, pour l’enseignant
en pédagogie institutionnelle, de réparation, discutée et institutionnalisée
en groupe) ; la mise à l’écart de l’enseigné, qui a
lieu dans la classe, hors de la classe (couloir), dans une autre
classe, dans un groupe dont l’âge moyen est inférieur à celui
de l’élève sanctionné, ou à l’extérieur de l’école
; le rejet de l’enfant ; l’imposition punitive d’un
comportement ; l’exigence d’une tâche (pensum...).
La surcharge de travail : elle est décrite comme un moyen de provoquer
une crainte chez l’enseigné, tout en faisant partie d’un
processus logique d’enseignement (dû aux programmes, à la
préparation d’examens...).
La banalisation de l’échec ou de la souffrance apparente
de l’élève.
Le renforcement évaluatif : l’évaluation illustre la volonté
de pouvoir et d’autorité du maître, conscient d’atteindre
deux publics – les élèves et leur environnement familial ;
la crainte inspirée par l’évaluation provient essentiellement
de sa communication aux parents. Si le système s’avère insuffisant,
le maître a la possibilité de renforcer son système évaluatif :
codage, notes, lettres, catégories (travail, comportement, assiduité,
motivation...), appréciations, peuvent permuter, voire se surajouter
à un système existant. Et certaines modifications peuvent toujours
être apportées quant au support même de l’évaluation (cahier,
carnet, carte), ainsi qu’à la fréquence de celle-ci. L’évaluation
induit donc la crainte, de par son ouverture au monde extérieur
à l’école ; on peut alors dire qu’une autorité existe
quand certains éléments propres à la vie interne de l’école
sont soumis au regard de l’autre : subir l’autorité,
c’est avant tout être vu, voire jugé. Par ailleurs, une évaluation
renforcée à ce point ne peut qu’aboutir à une sélection, même
implicite.
La répression ne se limite pas à provoquer l’arrêt d’un
effet ou à ralentir le progrès d’un comportement : elle vise,
plus ou moins implicitement, la soumission de l’enseigné.
On peut supposer que certains indicateurs obtiennent, plus que d’autres,
des effets répressifs : surveillance ; menace et sanction ; renforcement
évaluatif ; surcharge de travail. Il conviendrait, pour prouver
ces hypothèses, de procéder à une recherche quant aux représentations
des enfants. Certains chercheurs, tels Johnson et Bany (14), par
l’intermédiaire d’une approche psychosociologique du
groupe-classe, ont décrit les effets négatifs d’une autorité
répressive : si les résultats ont quelquefois des effets immédiats,
ils ne sont jamais durables. Toute tentative de répression engendre
une résistance de la part du groupe, qui peut renforcer son unité
(dans l’exemple d’un groupe cohérent) : ou bien il se
replie sur lui-même, ou bien il se révolte ouvertement. Les réactions
varient : attitude négative et hostilité ouverte, climat de tension,
angoisse. On assiste parfois à une docilité apparente exprimant
une attitude d’hyperdépendance à l’égard du maître,
ou bien à de l’apathie, de l’indifférence ou de l’ennui.
Sur le plan psychanalytique, Freud (15) a noté que la répression
forcée de puissants instincts, par des moyens externes, n’a
jamais eu sur l’enfant l’effet d’une pure suppression
de ces instincts ni celui de leur maîtrise. Par ailleurs, cette
répression crée chez l’enfant une attitude soumise : l’autorité
du maître bénéficie alors d’une confusion des sentiments de
l’élève (crainte-amour), ce que remarquait déjà Cousinet (16).
Toutefois, il semble important de préciser que le refus du maître
n’est pas synonyme de répression, comme le notent A.-M. et
F. Imbert (17). Répression et frustration diffèrent. Avant la psychanalyse,
Rousseau (18) a suggéré l’idée d’une frustration nécessaire
à l’équilibre de l’enfant : " Savez-vous quel est le
plus sûr moyen de rendre votre enfant misérable ? C’est de
l’accoutumer à tout obtenir ; car ses désirs croissant incessamment
par la facilité de les satisfaire, tôt ou tard, l’impuissance
vous forcera malgré vous d’en venir au refus ; et ce refus
inaccoutumé lui donnera plus de tourment que la privation même de
ce qu’il désire. "
Du point de vue psychanalytique, il ne convient pas d’essayer
de résoudre les difficultés des enfants en évitant systématiquement
de les frustrer. Pour Mélanie Klein (19), une frustration considérée
comme non nécessaire, ou arbitraire, témoignant d’un manque
d’amour et de compréhension, peut être nocive ; mais : " Il
est important de se rendre compte que le développement de l’enfant
dépend de son aptitude à trouver le moyen de supporter les frustrations
inévitables et nécessaires qui, dans une grande mesure, participent
à la formation de ce développement. " La frustration – au
moins une certaine résistance en face de l’enfant –
se justifie aussi dans le champ pédagogique, comme l’a écrit
A. de Péretti (20), réfutant l’idée de faciliter systématiquement
les parcours des jeunes.
Rappelons en outre que la majorité des enseignants soumis aux entretiens
ont parlé d’autorité " naturelle ", que C. Pujade-Renaud (21)
a décrite comme acquise, davantage qu’innée, reposant sur
des facteurs précis, voire stratégiques, tels que l’utilisation
de l’espace, la maîtrise du regard et de la voix, le travail
de la tension et de la mise en scène. J. Filloux (22), quant à elle,
parle de " l’artifice du mythe d’une " autorité naturelle
" portée par le regard de l’enseignant ", c’est-à-dire
d’un rapport d’hypnose dont les enseignés ne doivent
pas être conscients. L’autorité naturelle vise alors à un
effacement de tout exercice manifeste de l’autorité, qui n’a
pas besoin d’instrument pour être reconnue. Pourtant, l’autorité
naturelle est dénoncée comme une intervention totale : " [...] Par
le don total de l’enseignant, elle appelle en échange le don
total de l’élève et, par le rôle du regard et de la clairvoyance,
elle figure l’action d’une personne toute-puissante
sur un sujet impuissant (rôle de l’hypnose). Elle procède
ainsi d’un processus d’idéalisation et de toute-puissance
qui met en scène, dans un clivage de l’objet, l’enseignant
comme bon objet idéalisé, père bienveillant et nourricier, en opposition
avec une image de père castrateur, qui punit, sanctionne, réprime,
etc. (père de la Horde) ; et l’on comprend pourquoi on ne
saurait d’aucune manière admettre que des problèmes de discipline
se posent pour soi et que l’on " doive exercer son autorité
". "
Certains chercheurs, tel M. Lobrot (23) parlent du talent comme
d’un aspect du " discours terroriste " ; le professeur qui,
de ce fait, plaît à son auditoire, entraîne de façon positive la
réceptivité de l’élève vis-à-vis du discours, mais aussi une
tendance à la passivité, une absence de réaction et de contradiction
: " Si, dans un groupe, on peut me contredire, c’est, je crois,
que la personne commence à penser par elle-même. " Encore une fois,
la véritable autorité favorise la liberté de penser et d’agir,
plutôt que l’enfermement dans la séduction.
Notons que l’enseignant n’a pas qu’une pratique
de l’autorité ; il en module plusieurs, au cours de fluctuations
inhérentes à sa propre réceptivité et aux différentes interactions
au sein du groupe. Par ailleurs, il n’a pas nécessairement
conscience des indicateurs d’autorité qu’il véhicule,
ni de leurs conséquences. Précisons, enfin, que les registres d’autorité
cités plus haut naissent rarement spontanément comme recours défensif
face au désordre de l’élève ou du groupe-classe. L’enseignant
élabore une stratégie, favorisée par les expériences antérieures.
Il semble clair que le choix de méthodes pédagogiques constitue
une stratégie, non seulement vis-à-vis de la question de l’apprentissage,
mais vis-à-vis de l’autorité elle-même. On choisit a priori
la pédagogie qui nous convient. Et on peut en rester là. La soumission
à l’autorité est la norme a priori.
Au départ, la fonction enseignante prédispose le maître à construire
sa relation à l’élève sur le principe d’autorité, voire
à recourir à des modèles et à des moyens autoritaires en permanence,
pour trois raisons essentielles :
– le maître est omniscient et omnipotent ;
– il assure un enseignement collectif, ce qui nécessite un
maintien de l’ordre ;
– l’enseignant est un ancien enfant, conditionné à
l’autorité et par l’autorité dans son enfance, naturellement
enclin à user des moyens qu’il a vu utilisés dans son enfance
et dont il a pris l’habitude, pour répondre aux situations
conflictuelles qu’il peut rencontrer dans son enseignement
et qui mettent en cause le principe d’autorité intériorisé,
internalisé, et figé par l’école elle-même.
Soit il est possible de considérer que le maître doit remplir personnellement
certaines conditions pour affirmer son autorité, soit on suppose
que l’enseignant sait mettre en œuvre, de manière plus
ou moins implicite, les moyens lui permettant de l’affirmer.
Dans le premier cas, Durkheim (24) affirme que certaines qualités
personnelles sont nécessaires au maître : l’esprit de décision
pour faire appliquer les règles, la volonté, ainsi que le ressenti
et la certitude du bien-fondé de la décision : " Ce n’est
pas du dehors, de la crainte qu’il inspire, que le maître
doit tenir son autorité : c’est de lui-même. " Il faut donc
que le maître possède ce sentiment de confiance en lui-même conféré
par " la grandeur de sa tâche " (ibid.). Dans le deuxième cas, c’est
la formation qui l’emporte.
5. Quelques modèles d’autorité
À partir des exemples cités plus haut, et suite à nos investigations,
nous sommes en mesure de dégager une échelle de modèles d’autorité.
L’enseignant autoritaire
Modèle 1 : l’enseignant autoritaire
L’autoritaire strict (c’est-à-dire exigeant, rigide,
intransigeant) a deux possibilités d’expression : l’autorité
dans ses aspects purement relationnels, ou bien dans la pédagogie
et le contenu du travail scolaire. En réalité, l’enseignant
fait preuve d’inflexibilité, soit dans sa communication à
l’élève (injonction…) et dans l’exigence d’un
certain type de comportement de l’élève, soit dans sa demande
pédagogique.
– Autoritaire strict (centré sur les comportements) : exigence
vis-à-vis du comportement des élèves.
1. Commandement strict et affirmation de soi : injonction, exigence
qualitative et quantitative réitérée :
• indicateurs de refus en cas de débordement comportemental
de l’élève : injonctions, augmentation du volume vocal, changement
de tonalité, effets gestuels, mimiques menaçantes (regard...), langage
susceptible de passer de la prévention (rappel des règles, menace,
référence à des personnalités extérieures...) à la répression (sanction,
exclusion...).
2. Souplesse pédagogique éventuelle (un tel enseignant pouvant
être très exigeant sur le plan comportemental mais très peu sur
le plan pédagogique) :
• changement d’activité en cas de signes de lassitude
ou d’agitation du groupe ;
• signes de patience en cas d’erreur de l’élève
(nouvelles explications, entretiens duels...).
3. Degré d’explicitation des règles ou commandements : peu
ou pas explicités.
4. Orientation spatiale du maître : omniprésence, proximité (parcourant
les rangs...), ou distance-surveillance (assis au bureau, en faction
au tableau ou à un quelconque autre endroit de la classe...).
5. Langage : tournures reflétant la rigidité face à l’écart
comportemental.
– Autoritaire strict (centré sur la pédagogie) : exigence
vis-à-vis de l’apprentissage, de la production.
1. Commandement strict et affirmation de soi : injonction, exigence
qualitative et quantitative permanente.
2. Rigidité pédagogique :
• poursuite des activités quel que soit le degré de
lassitude ou d’agitation du groupe ;
• signes d’impatience en cas d’erreur de
l’élève.
3. Degré d’explicitation des règles ou commandements : peu
ou pas explicités ;
• degré d’explicitation des exercices demandés
: explicités ou non.
4. Orientation spatiale du maître : proximité (surveillant les
travaux d’élèves).
5. Langage : tournures interrogatives permettant de vérifier la
compréhension de l’élève, ou tournures restrictives vis-à-vis
de la qualité d’un travail.
Modèle 2 : l’enseignant autoritaire charismatique
Le charisme est, rappelons-le, la qualité extraordinaire d’un
homme, supposée ou réelle. En réalité, ce modèle est avant tout
affaire de représentation. On peut considérer, toutefois, que la
personnalité charismatique est celle qui affirme son irréductibilité.
Par exemple, par :
– la physiologie (taille, poids…) ;
– les apparences : vestimentaires, apprêtement (coiffure,
maquillage...) ;
– les déplacements, la gestuelle, les mimiques (sourires,
grimaces...) ;
– le contact physique avec les élèves (poser une main
sur la tête, le bras, l’avant-bras, la main, dans le dos…
donner un [léger] coup de poing sur l’épaule en signe d’encouragement…)
;
– le langage : formules humoristiques, ton affirmé ;
– les règles de classe : acceptations sans discussion
possible de la part des élèves ;
– la séduction : persuasion, connivence... Ensemble
de facteurs plus ou moins heureusement combinés.
Modèle 3 : l’enseignant autoritaire " tyranique "
Ce modèle reflète les attitudes d’enseignants qui finissent,
en fin de compte, par laisser le groupe-classe s’autogérer
de façon sauvage et non préparée.
1. Commandement : passant de l’exigence tyrannique (exaspération,
caractère péremptoire du message) à l’indulgence excessive
(exaspération, lassitude, rejet, démission...).
2. Alternance de rigidité et de souplesse pédagogiques.
3. Degré d’explicitation des règles ou commandements : variant
du caractère péremptoire non explicité à la discussion-débat.
4. Organisation spatiale : fluctuante. Signes d’abandon :
position la plus extérieure possible au groupe, ou, au contraire,
proximité.
5. Langage : passant des explications ou consignes péremptoires
aux questions ou remarques reflétant la demande d’adhésion
de l’élève ou du groupe (" Vous êtes d’accord ? ").
Modèle 4 : l’enseignant autoritaire " indulgent "
Il s’agit d’un enseignant faisant preuve de rigueur
dans l’élaboration des règles et de leur rappel, ce qui agit
de façon préventive, pas seulement à court terme : avant de quitter
l’école primaire, affirme Cullingford (25), " les enfants
sont déjà conscients de la fragilité des règles et ont déjà appris
à manipuler le professeur " (in : Estrela [M.-T.], p. 82) ; cela
renforce la nécessité de la mise en application de règles simples,
explicitées, rappelées et immuables, c’est-à-dire avec une
fermeté dans leur application, et dont la transgression exige systématiquement
une mise au point (rappel, explicitation). Mais l’autoritaire
souple laisse apparaître des signes d’indulgence dans le cas
de certains débordements comportementaux ou d’accumulation
d’erreurs scolaires (parfois liés à des profils précis d’élèves
; on peut alors parler de souplesse ou de compréhension psychologique).
– Autoritaire souple (centré sur les comportements) : enseignant
peu axé sur la discipline quotidienne.
1. Commandement : injonction, exigence alternant avec des signes
d’indulgence (laissant apparaître des débordements en contradiction
avec le message initial...).
2. Souplesse pédagogique : variable.
3. Degré d’explicitation des règles ou commandements : variable.
4. Orientation spatiale du maître : en relation avec le comportement
des élèves :
• passant d’une proximité importante (surveillance
accrue des réactions, passage dans les rangs…) à une distance
marquée (position statique (assis au bureau…) ; activité démarquée
de celle des élèves (correction de cahiers… ignorance du bruit,
des déplacements…).
5. Langage : passant de la menace ou du rappel de règles à l’indulgence,
voire à la banalisation de leurs transgressions.
– Autoritaire souple (centré sur la pédagogie) : enseignant
dont l’exigence varie suivant l’aspect qualitatif de
la production.
1. Consignes pédagogiques : strictes en début de séance ou d’exercice,
passant à une mise à distance, une abstention face aux sollicitations
ou aux échecs des élèves.
2. Modifiant le déroulement d’une leçon en cas de crise,
ou changeant d’activité si nécessaire, s’adaptant à
la situation (se penchant vers un élève ou s’asseyant à son
côté dans le but de fournir une explication…).
3. Degré d’explicitation aux élèves : courbe descendante
dans le temps (abondance d’explications, puis diminution).
4. Orientation spatiale du maître : proximité en début de séance
(surveillance des travaux), suivie d’une distanciation (jusqu’à
l’éventualité de l’adoption d’une position statique).
5. Langage : passant de la formulation de consignes et recommandations
à des rappels de plus en plus espacés dans le temps.
L’enseignant d’autorité
Modèle 5 : le " pédagogue "
Il fait passer son autorité derrière l’organisation pédagogique
et spatiale de la classe. La nécessité des règles à observer agit
dans le but de favoriser l’acquisition de connaissances, la
résolution de problèmes, la production. On assiste à une relativisation
de l’aspect formel de la règle, où l’enseignant tolère
des écarts comportementaux qui ne troublent pas outre mesure les
tâches que l’élève doit accomplir. Le respect des règles est
exigé au nom de l’accomplissement de la tâche et de sa qualité.
Ici, l’autorité n’est pas seulement affaire de personnalité,
de stratégie d’attitudes (registres), mais dépend plutôt de
l’organisation pédagogique de la classe, telle que Freinet
la décrivait. Estrela (26) relate une étude datant de 1982, réalisée
par Emmer et Evertson auprès de classes de la Junior High School
: les bons organisateurs y sont décrits comme des enseignants établissant
clairement les règles et donnant des directives précises, formulant
précisément leurs expectatives à l’égard des comportements
des élèves, leur répondant de manière consistante, intervenant plus
promptement pour parer à l’écart et utilisant plus fréquemment
les règles en situation d’indiscipline. En revanche, les professeurs
qui sont de mauvais organisateurs utilisent des règles vagues qui
ne peuvent pas être consolidées, donnent des directives imprécises,
communiquent leurs attentes de façon ambiguë, répondent de façon
inconsistante aux écarts des élèves, ignorent ces écarts de façon
répétée, n’évoquent pas leurs conséquences et réagissent avec
lenteur. " La fonction organisatrice assumée par le professeur a
par conséquent un effet préventif de l’indiscipline. "
1. Commandement : axé sur la qualité et la quantité de la production
à fournir. Les consignes sont précises. Le contenu du travail et
son rappel font disparaître ou contourne la notion de discipline.
2. Rigidité/souplesse pédagogique : degré d’exigence variant
selon les capacités et réussites scolaires des enseignés.
3. Explicitation : pédagogie se voulant axée sur la compétence
: souci de clarté. Nombreuses mises en situation, explications,
argumentations, répétitions, interrogations sur le contenu de la
leçon et sur la compréhension des élèves, avant les exercices d’application.
4. Organisation spatiale : indices de préparation :
• disposition des tables élaborée, non traditionnelle
;
• orientation et déplacements du maître : grande proximité,
ou au contraire éloignement, selon le type de pédagogie utilisée.
5. Pédagogie :
• méthodes : traditionnelle, ou " nouvelle " (au sens
des pédagogies nouvelles, actives, institutionnelles) ;
• outils utilisés par l’enseignant : variés (tableau,
cahiers-classeurs de préparations, fichiers, vidéos, diapositives…)
;
• techniques d’enseignement : adaptées à des objectifs
pédagogiques précis – technique collective, recherche par
groupe, travaux socialisants (échanges), individuelle, individualisée.
Modèle 6 : le " démocrate "
La plupart des maîtres qui délèguent leur pouvoir pratiquent généralement
une pédagogie non traditionnelle, ou composée d’éléments appartenant
aux pédagogies nouvelles. Mais le maître demeure garant du groupe
(autorité-responsabilité).
1. Commandement :
• initial (début d’année, de trimestre, de semaine
ou de journée) ;
• puis absence de commandement ; rappel de règles, injonctions
éventuelles dans le but d’un retour au calme ;
• attribution au groupe ou à certains de ses membres
de responsabilités tournant autour de l’autorité.
Effacement final du commandement autoritaire du maître au profit
d’une coordination.
2. Souplesse pédagogique correspondant à la pédagogie mise en place.
3. Explicitation des règles : régulière en cas de débordement ou
de conflit.
4. Organisation spatiale : en rapport direct avec la pédagogie
utilisée. Parfois, organisée par le groupe lui-même.
5. Pédagogie : mise en autogestion, élaboration d’un contrat
de travail, aide individuelle.
6. Médiations : conseil de coopérative…
Modèle 7 : le coopérateur
Le modèle coopératif est celui qui efface l’aspect normatif
au profit d’une entraide permettant une prise de conscience
au sein du groupe et la mise en responsabilité face aux lois de
la classe. L’enseignant participe, conseille, catalyse, favorise
l’émergence d’une autonomie disciplinaire.
1. Commandement :
• injonctions, menaces, rappels des règles en cas de
débordement ;
• amène le groupe à autocritiquer son comportement,
à diagnostiquer et à résoudre ses problèmes ;
• aide le groupe à améliorer ses techniques de résolution
des conflits ;
• conseille le groupe dans le choix de ses buts et intentions.
2. Souplesse pédagogique : autonomie, respect des rythmes individuels,
des tendances du groupe.
3. Explicitation des règles, rappel de celles-ci en groupe, et
parfois par le groupe (pédagogie institutionnelle).
4. Organisation spatiale : en rapport avec la pédagogie utilisée.
5. Pédagogie : autogestion, contrat de travail, aide individuelle.
Enseignant autoritaire… enseignant d’autorité. Vers
un enseignant " autorisé ", par sa pédagogie, et par ses compétences
d’organisation, de relation ? Les enjeux de l’" autre
école " sont cruciaux.
6. Se défaire de l’autorité ? Refaire l’autorité
? Ou socialiser l’école ?
Ce qui frappe, en particulier dans cette exploration des attitudes
et des formes d’autorité à l’école, à peine ébauchée,
c’est la méconnaissance, voire l’ignorance à l’école
des dimensions de la relation, du groupe, de l’institution.
Être enseignant aujourd’hui, c’est être progressivement
un expert en savoir(s), en relation(s), en institution(s). Nous
le disons, en France, depuis 1966 et le colloque d’Amiens
; depuis la naissance des Sciences de l’éducation ; nous l’avons
redécouvert furtivement avec les IUFM. Et pourtant, les faux dilemmes
continuent de décentrer l’école de sa double mission nationale,
éducative et enseignante. Les débats sur l’effondrement de
l’autorité sont du même tonneau que les débats sur l’effondrement
du savoir, de l’éducation, de l’école. C’est de
mutations sociétales qu’il s’agit.
Une autre recherche, européenne, que nous venons de terminer (27),
nous a montré avec netteté que nous sommes les seuls en Europe à
rester fixés sur nos contradictions, à agiter comme des drapeaux
nos paradoxes, à ne pas vouloir dépasser nos dilemmes. Éduquer "
ou " enseigner n’est pas une question pour la très grande
majorité des enseignants anglais et allemands interrogés, qui répondent
éduquer " et " enseigner. Nos classes sont ainsi parmi les plus
fermées, les plus centrées sur l’enseignant, l’enseignement
; celles où la relation et la parole trouvent le moins facilement
leur place. Obnubilés par le Savoir, et la République, nous passons
souvent à côté des élèves en chair et en os. Le caporalisme français
s’exerce avec la force d’un système figé sur ses hiérarchies,
ses statuts, à l’écart des réalités, des familles, des quartiers.
Les meilleurs écoles et établissements sensibles l’ont compris,
qui remaillent avec obstination le tissu social, sociétal, qui fait
l’école. Ils y gagnent le respect, et une école à la mesure
de sa société, nous dirions volontiers une école " militante ",
c’est-à-dire combattante, qui réussit plus difficilement,
mais réussit.
L’autorité fait-elle problème ? Formuler de cette façon la
question, c’est engager aussitôt des représentations culturelles
dont on saisit toute la relativité, lorsque l’on bascule de
la France à l’Allemagne, à l’Angleterre, aux Pays-Bas,
à la Belgique ou à la Suisse. N’est-il pas temps de nous dégager
d’une histoire dont les grands paradigmes sont en crise ?
Notre école serait " à nouveau " élitaire, sursélective, parfois
discriminatrice, voire peut-être raciste. Nous en avons désormais
les résultats sous les yeux. Les études et les recherches sur ces
points convergent.
L’autorité à l’école ? On a vu comment les enseignants
se débattent entre des modèles dominants enracinés dans l’histoire
sociale et scolaire, littéralement " psychofamilialisés ", et des
modèles critiques à dominante démocratique, qui continuent de ne
pas paraître évidents à l’école, et en général dans les institutions.
Malheureusement pour nous, continuer à débattre dans le cadre de
l’école actuelle tient du double discours, de surcroît pervers.
En fait, nous avons les réponses, et nous les avons vu poindre.
La " pédagogie ", entendue dans son étymologie d’accompagnement
structuré, structural, des apprentissages, ne peut-elle faire autorité
(28) ? Les pédagogies nouvelles, actives, institutionnelles, démontrent
chaque jour à la fois la force de la position enseignante : garantie
adulte, guidance didactique, influence culturelle, dans ce groupe
" à grandir " qu’est une classe ; et sa fragilité radicale,
son isolement, si elle ne se pense pas elle-même en groupe, dans
l’exercice social d’une distance au savoir qui pourrait
autoriser que l’expert enseignant et le tiers social viennent
à coïncider, liant la compétence à la relation. Une autre recherche
de maîtrise et de DEA fait ainsi apparaître que les meilleures stratégies
des enseignants devant la violence en classe et à l’école
sont celles d’experts, là encore, praticiens de l’ordinaire,
mais rompus au déplacement, au différé, à la règle et à la loi,
à la parole en commun : à la " pédagogie " (29). Eux " produisent
" de l’autorité. Quelle autorité ?
La question est le cœur du dilemme. On peut schématiquement
la matérialiser selon trois axes :
– Un " lien social personnalisé ", capable de porter la règle
et la loi, la représentation " institutionnelle ", et la compétence.
– Une éthique, qui peut en substance se résumer ainsi, pour
tous :
• dire ;
• tenir ce que l’on dit ;
• ne pas nuire.
– Une morale au quotidien, qui amène clairement à :
• définir un langage commun ;
• arrêter des lieux de compétence : pour travailler ; décider
; critiquer… ;
• fixer des limites ;
• se donner des règles, en fonction de la loi sociale et
culturelle ; à l’école... en famille ?... dans la vie ?...
Nous terminerons par une définition de l’autorité en classe,
telle qu’elle s’est élaborée dans la recherche utilisée
ici, à la lumière de nos dernières analyses et des instructions
officielles (qui, somme toute, sont parlantes) :
" L’autorité en classe est le pouvoir d’obtenir un
certain comportement de la part d’un élève, d’élèves,
ou d’un groupe-classe, sans recours à des contraintes physiques
ou morales discriminatoires (liées aux propriétés physiques, familiales,
sociales, ethniques, politiques, religieuses...), ou à l’humiliation.
"
Ainsi, l’autorité en classe est à penser en dehors de toute
violence physique, et de toute forme de coercition personnalisée
a priori. L’autorité en classe, selon les textes, a des fonctions
progressives qui doivent demeurer présentes à l’esprit des
enseignants :
– le respect de l’individu : la mentalisation et la
réflexion autour des injonctions et mesures de commandement ; l’interdiction
de toute violence physique, verbale, et de toute mesure discriminatoire
ou vexatoire ;
– l’éducation de la socialisation, au moyen de règles
et de lois : l’apprentissage du " vivre-ensemble " ;
– la garantie d’une protection physique et morale du
groupe : le maître reste garant de la sécurité matérielle et mentale
de chacun ;
– la " libération " accompagnée de l’enfant, en favorisant
son autonomie et sa responsabilité ;
– la décentralisation progressive de l’autorité personnelle
du maître ; seules les règles et les lois demeurent des points d’appui
permanents ; avec le temps et l’âge, avec l’école, les
enseignants eux-mêmes changent.
On voit bien que cette définition de l’autorité en classe
exclut tout amalgame entre autorité et pouvoir personnel, autorité
et châtiment, autorité et discipline (celle-ci est alors considérée
comme un ensemble de règles tacites, ou de règlements écrits, destinés
à assurer le bon ordre et la régularité de l’" institution
", à [s’]autoriser un certain mode de relation collective).
Patrick BÉRANGER
Jacques PAIN
Cet article prolonge d’une part un groupe de travail sur
" L’autorité à l’école ", qui a été initié par des parlementaires,
puis des responsables académiques, d’autre part, une maîtrise
et un DEA soutenus à Paris-X, en Sciences de l’éducation,
sur " L’enseignant et l’autorité ". (Le projet de recherche
engagé à Paris-X portait plus précisément sur le premier degré,
mais nous l’avons ici élargi au deuxième degré).
NOTES
(1) Weber (S.), Modèles dominants et aspirations à l’éducation.
Un exemple au Brésil, Paris, CNRS, 1976.
(2) Houssaye (J.), Autorité et éducation. Entre savoir et socialisation,
le sens de l’éducation, Paris, ESF, 1996, p. 39.
(3) Prost (A.), Éducation, société et politiques, Paris, Le Seuil,
1992.
(4) In EstrEla (M.-T.), Autorité et discipline à l’école,
Paris, ESF, 1994, p. 37.
(5) Prost (A.), L’enseignement en France. 1800-1967, Paris,
A. Colin, 1968.
(6) Gaulupeau (Y.), La France à l’école, Paris, Gallimard,
1992, p. 70.
(7) Houssaye (J.), op. cit., p. 47.
(8) Prost (A.), 1968, op. cit.
(9) Houssaye (J.), op. cit., p. 58.
(10) Legrand (L.), " Enseigner la morale aujourd’hui ", Revue
française de pédagogie, n° 97, p. 55, 56.
(11) Gloton (R)., L’Autorité à la dérive, Paris, Casterman,
1974, p. 50.
(12) Piaget (J.), Le Jugement moral chez l’enfant, Paris,
Puf, 1969, p. 174.
(13) Gayet (D.), Modèles éducatifs et relations pédagogiques, Paris,
A. Colin, 1995, p. 11.
(14) Johnson (L.-V)., Bany (M.-A.), Conduite et animation de la
classe, Paris, Dunod, 1974, p. 313.
(15) Freud (S.), The claims of psycho-analysis to scientific interest,
Standard Edition, t. XIII, p. 189-190, 1913, traduit de l’anglais
in Imbert (A.-M. et F.), L’École à la recherche d’une
nouvelle autorité, Paris, A. Colin, 1973, p. 286.
(16) Cousinet (R.), La Formation de l’éducateur, Paris, Puf,
1952.
(17) Imbert (A.-M. et F.), L’École à la recherche d’une
nouvelle autorité, op. cit., p. 250.
(18) Rousseau (J.-J.), Émile, Paris, Garnier, 1970, p. 73-74.
(19) Klein (M.), L’Amour et la haine, Paris, Payot, 1989,
p. 96-97.
(20) de Péretti (A.), " Autorité et pouvoir dans la classe ", Préparons
l’avenir, n° 24, décembre 1989.
(21) Pujade-Renaud (C.), Le Corps de l’enseignant dans la
classe, Paris, ESF, 1983, p. 52-79.
(22) Filloux (J.), Du contrat pédagogique, Paris, Dunod, 1974,
p. 120-127.
(23) Lobrot (M.), L’École des parents, 1971, n° 7, p. 42-46.
(24) Durkheim (E.), L’Éducation morale, Paris, Puf, 1963,
p. 130. Voir aussi Filloux (J.-C.), Durkheim et l’éducation,
Paris, Puf, 1994.
(25) Cullingford (D.), " School rules and children’s attitudes
to discipline ", Educational Research, vol. 30, n° 1, 1988, p. 3-9,
in Estrela (M.-T.), op. cit.
(26) Estrela (M.-T.), op. cit., p. 81.
(27) Pain (J.), Barrier (E.), Robin (D.), " Violences à l’école.
Allemagne, Angleterre, France ". Une étude comparative européenne
de douze établissements du deuxième degré, Vigneux, Matrice, 1997.
(28) Voir " Les classiques de la pédagogie institutionnelle ",
aux éditions Matrice (71, rue des Camélias, 91270 Vigneux), qui
éditent ou rééditent les livres de base du courant de pédagogie
institutionnelle " psychanalytique ". Entre autres : " Qui c’est
l’conseil ", de Pochet (C.), Oury (F.), Oury (J.) ; Une journée
dans une classe coopérative. Le désir retrouvé, de Laffitte (R.)
; Chronique de l’école caserne, de Pain (J.), Oury (J.)
(29) Casanova (R.), Paris-X, Sciences de l’éducation, 1996-1997.
Une thèse est en cours.
Ville École Intégration n° 112 - mars 1998 MENRT, CNDP 1998
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