Retrouver le pouvoir sur sa vie et ses acte
http://www.humanite.fr/journal/2004-11-11/2004-11-11-449683
Le dernier ouvrage de Gérard Mendel se veut une réponse
au « mal-être de nos contemporains ». Devant le
succès des recettes psychologiques du « développement
personnel » et après que les « États généraux
de la psychiatrie » ont signalé, en 2003, le refus
des professionnels de se voir réduits à administrer
des « médicaments de l’esprit », Mendel
pointe la cause du mal derrière le symptôme : l’individu
occidental se trouve à un tournant de son histoire, sommé
de construire seul le sens de sa vie. Des valeurs et une morale
sont alors indispensables, estime Mendel. Mais comment s’aiguiller
lorsque la philosophie morale universaliste depuis Kant se heurte
au relativisme mis en lumière par la sociologie, que les
cadres religieux et sexués s’effritent dans la société
« post-patriarcale », que la « valeur argent »
règne sans partage ? Dans un moyen terme entre morale individuelle
et morale collective (celle des grands mouvements politiques, qui
ont longtemps nié la place des singularités), Mendel
en appelle à une « anthropologie générale
» qui articule, à l’image de toute l’oeuvre
mendélienne les ressorts de la psychologie individuelle et
les déterminismes sociaux. Que peut l’homme en fonction
du niveau d’« indice de répression » qui
caractérise chaque société dans un contexte
historique précis ? L’expérience d’intervention
de terrain de Mendel le conduit à cette conclusion : tout
d’abord objectiver le réel, puis établir un
rapport « individu-collectif-société »
qui permette à chacun de retrouver la maîtrise de ses
actes. « L’acte pouvoir » de Mendel trouverait
ainsi sa traduction politique dans une véritable démocratie
participative.
David Zerbib
Une démocratie régénérée
http://www.humanite.fr/journal/2003-11-03/2003-11-03-381827
Pourquoi la démocratie et en panne. Construite la démocratie
participative, de Gérard Mendel, Éditions La Découverte,
2003, 17 euros.
Déclin, stagnation, impasse : depuis le " séisme
politique " qu’ont provoqué les élections
de l’an dernier, les commentateurs multiplient les qualificatifs
susceptibles de rendre compte du triste état de la société
française. Soyons plus modestes et bornons-nous à
constater la réalité de la crise qui, quotidiennement,
vient perturber la vie du pays : crise de la représentation
perturbée par la distance qui s’approfondit entre la
majorité de la population et les organisations censées
les représenter ; crise plus générale de la
démocratie, dont profite l’extrême droite.
L’accumulation de difficultés qui en résulte,
impose à tous ceux qui n’ont pas renoncé à
se battre pour une autre société de rechercher les
causes de cette accentuation de difficultés. C’est
là la condition de l’élaboration d’une
solution positive pour la masse des exploités et des opprimés.
D.
Les travaux de Gérard Mendel sont bien connus. Psychanalyste,
l’auteur est le fondateur de la sociopsychanalyse ; il en
a exprimé les principes et les résultats dans plus
de vingt livres, qui, tous, font référence à
des travaux de groupes attachés à étudier les
expériences concrètes. Les rapports internes d’organisations
aussi diverses que des syndicats, des sections de partis politiques,
des entreprises, des institutions scolaires, etc. L’objectif
ainsi poursuivi est de rendre compte des rapports qu’entretiennent
les membres des groupes avec les pouvoirs qui s’exercent sur
eux dans la société et au sein même de leur
organisation. Ces rapports ne sont pas uniquement passifs ; ils
engagent une pratique qui a sa propre logique. Et Gérard
Mendel exprime la dynamique créée dans l’action
collective en formulant un concept : " l’acte-pouvoir
". " L’acte-pouvoir concerne le pouvoir sur ses
propres actes... Tout acte exerce un pouvoir sur la part de réalité
où il intervient, c’est le pouvoir de l’acte.
Selon les cas, l’acteur possède sur cet acte plus ou
moins de pouvoir : c’est le pouvoir sur l’acte. "
Pareille approche permet de parvenir à une vision non statique
de la vie des collectivités. Ainsi, les rapports internes
dans une organisation politique ne sont pas seulement perçus
par l’intermédiaire des discours qui leur confèrent
une définition officielle ; leur liaison avec la pratique
du pouvoir s’appuie sur les déterminations conscientes
et inconscientes des participants. Aussi bien la compréhension
de l’actepouvoir ouvre-t-elle la possibilité d’une
amélioration, d’un élargissement des conditions
d’action des membres du groupe.
Et Gérard Mendel débouche quasi " naturellement
" sur des perspectives de pratique sociale globale. Conscient
des limites de la démocratie " délégative
" telle qu’elle fonctionne dans les régimes parlementaires,
il propose son élargissement - sa mutation en fait - en une
" démocratie participative ", dont les principes
sont largement inspirés par l’expérience effectuée
dans les groupes où l’actepouvoir constitue un objectif
essentiel.
" Sur ces fondements, la nouveauté que va apporter
la démocratie participative est un fonctionnement non délégatif
et non hiérarchique. Sa visée propre est certes un
meilleur fonctionnement des institutions. Mais, à notre sens,
la visée principale est ailleurs, dans l’établissement
d’un lien social particulier entre l’individu et les
collectifs auxquels il appartient, et par extension avec la société
" (p. 47). En d’autres termes, la recherche du pouvoir
dans et sur l’action des groupes établit une base solide
à la démocratie. Et l’on peut envisager que
" le processus s’étende peu à peu à
l’ensemble des liens sociaux, de l’école à
l’entreprise économique, des partis politiques aux
syndicats, des associations aux maisons de retraite " (p. 227).
Gérard Mendel a donc en perspective une société
que l’on peut qualifier d’autogérée, dans
la mesure où elle est fondée sur l’autonomie
des individus et des groupes. Sa contribution au débat est,
sous cet angle, intéressante, car elle traite des problèmes
à propos desquels la gauche et le mouvement ouvrier ont rencontré
leurs plus grandes difficultés. La volonté de lier
l’avenir au contrôle immédiat des actions collectives
est un apport certain aux débats actuels sur le mouvement
social dans ses rapports avec la politique.
Reste un problème majeur, que Gérard Mendel n’aborde
pas systématiquement dans ce livre (1) et qu’on peut
résumer rapidement ainsi : la généralisation
des expériences de démocratie participative se heurte
au poids de l’idéologie dominante que les structures
mêmes du pouvoir dans la société nourrissent
et renforcent. C’est là l’obstacle majeur à
une transformation globale de la société. Il ne peut
être surmonté que par la prise de conscience collective
qui peut naître de luttes d’ensemble, politiques et
sociales.
Gérard Mendel n’aborde guère la question. La
critique globale de l’ordre existant reste à élaborer.
Avis aux militants.
Denis Berger.
(1) On peut trouver des réflexions utiles de l’auteur
dans un de ses derniers ouvrages, Une histoire de l’autorité.
permanences et variations. La Découverte, 2003.
Article paru dans l'édition du Journal l’Humanité
3 novembre 2003.
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