Origine http://www.ai.univ-paris8.fr/corpus/lapassade/cyberpun.htm
Le terme "Cyberpunk" est formé de deux composantes:
* "cyber" désigne la "cybernétique"
(art de gouverner) et, de là, les nouvelles technologies
associées notamment à l'informatique;
* "punk" renvoie au mouvement de contre-culture qui porte
ce nom.
a) un mouvement littéraire :
Le terme "cyberpunk" a été inventé
en 1984 par Gardner Dozois, directeur de la revue de science fiction
Asimov SF Magazine, pour désigner un nouveau courant de la
science fiction qu'il avait d'abord appelée en 1981 "punk
SF" (la même année 1981, un auteur de sciences
fiction, William Gibson, utilisait pour la première fois
le terme "cyberspace").
b) une contre-culture :
Ce terme, cyberpunk, désigne aussi un mouvement de contre-culture
dont les écrivains de sciences fiction "cyberpunk"
sont eux aussi partie prenante, mais qui prend un sens plus général
(c'est pourquoi l'anthologie cyberpunk italienne "cyberpunk",
après une première partie consacrée au courant
ittéraire qui porte ce nom, consacre une seconde partie à
la contre-culture de même nom).
comme les beatnicks...
Cette évolution est semblable à celle qui s'était
produite au temps des beatniks: le terme avait désigné
d'abord un groupe restreint d"écrivains, de poètes
américains dont Burrows, qui à une grande audience
chez les cyberpunks - avant d'être l'étiquette d'un
vaste mouvement juvénile de contre-culture.
Des punks aux cyberpunks: un retournement
Pourquoi cette association, en apparence paradoxale (d'où
le succès de l'étiquette...) entre les termes "cyber"
- (qui fait référence directe et positive, on va le
voir, aux nouvelles technologies) et "punk", (qui renvoie,
lui, à un mouvement qui semblait plutôt opposé
à ces technologies)?
* pour les punks des années 70, les nouvelles technologies
associées à l'informatique sont aliénantes:
ces punks n'avaient aucun espoir dans le futur de l'humanité
(d'où l'expression fameuse: "no future!" et leur
"outil de communication" était leur propre corps
utilisé selon un mode provocateur;
* pour les cyberpunks au contraire, ces nouvelles technologies
peuvent être libératrices, elles portent en elle un
espoir de transformation de la vie sociale et de libération.
Ce reversement - du pessimisme punk à l'optimisme "cyberpunk"
quant à la technologie s'effectue déjà, relativement,
dans les ouvrages de sciences fiction regroupés sous l'étiquette
"cyberpunk" - Gibson, Sterling, et autres - où
elles ne sont plus nécessairement l'anticipation d'un usage
terrifiant de la technique future; il est encore accentué
dans le courant de contre- culture qui prolonge le message de la
nouvelle science-fiction et l'élargit.
Un mouvement international
Les écrivains cyberpunk ont donné les orientations
essentielles: chez eux, par exemple, souvent, les personnages des
romans SF sont dans les réseaux télématiques
(les recherches technologiques, associant informatique et vidéo,
sur les "réalités virtuelles" et/ou "artificielles"
sont une source de ces innovations littéraires ("realité
artificielle": je suis "dans" l'écran avec
la balle virtuelle, je peux jouer contre un adversaire semi-virtuel,
même si un handicap physique m'interdit ce déplacement
et ces performances.
Avec les techniques permettant de produire une "réalité
virtuelle", de la gérer ("cyber") et de l'habiter,
on crée un "imaginaire" actif dont la production,
la gestion (à l'aide du dispositif inventé par Jerry
Lanier) et les contenus peuvent rappeler l'époque du psychédélisme
(du LSD et autres substances hallucinogènes permettant des
voyages): d'où l'expression " cyberpunk psychédélique"
(d'où l'adhésion de Timothy Leary, célèbre
gourou du psychédélisme des années 60, au cyberpunk).
(Voir à ce sujet, dans l'anthologie de Shake, "un manifeste
pour la recréation du monde" signé Clark Fraser).
Par ce néo-psychédélisme, la mémoire
du mouvement hyppie est elle aussi présente chez les cyberpunks
mais c'est toujours au prix d'un retournement:
* les hippies étaient en "grève totale contre
la société de consommation" (Feltrinelli) ;
* le cyberpunk prend le monde technologique tel qu'il est même
s'il est conduit - comme le font les hackers - à en détourner
le fonctionnement.
Les premières expressions du mouvement se développent
à Austin (Texas) dès 1975, puis en Allemagne - avec
les "techno-anarchistes" - à partir de 1980 et
en Italie - en particulier autour de la revue underground "Decoder"
de Milan - à partir de 1986.
En France, à notre connaissance du moins, ce mouvement serait
encore pratiquement inexistant, du moins sous la forme contre-culturelle
qu'il a pris chez nos voisins avec revues, rencontres régulières,
etc. Cela tient sans doute au fait que nous sommes moins directement
en prise avec ce type de mouvements qui naissent souvent aux USA
et prennent un sens nouveau en s'installant en Europe, comme on
le voit Allemagne et en Italie.
Hip Hop et Cyberpunk
Certaines innovations technologiques des années 70 n'étaient
pas totalement absentes des univers de la contre-culture plus anciennes:
par exemple, le stroboscope était associé, pour ses
effets visuels, à la musique psychédélique
des années 70.
C'est cependant plus récemment qu'elles sont parties intégrantes
de la culture alternative: la technologie associée à
la musique rock, et plus récemment les procédés
du sampling - collage sonore - dans la production des "instrumentaux"
(ou "tempo") de rap en sont des exemples. Bruce STERLING,
dans "Mozart", souligne ce lien étroit entre le
cyber-punk, la pop music et la pop culture.
Qu'entend-on ici par "nouvelles technologies"? Pourquoi
sont elles vues comme potentiellement "libératrices"?
a) Cette étiquette convient, en particulier, pour désigner
le magnétoscope, la vidéo, les ordinateurs individuels
- une publicité de Apple conduit Gibbson à parler
de "cyberspace" en 1981 - les usages interactifs et alternatifs
des vidéotels/minitels, qui prennent place parmi les "instruments"
du "village global" pour parler comme Mac Luhan, dont
la pensée est très présente dans le mouvement).
Elle désigne des innovations qu'il ne faut pas limiter au
champ de la communication au sens déjà traditionnel
du terme; elles participent de la production de la société
(les communications de masse ont socialisé beaucoup de gens).
b) l'information peut devenir aussi un élément de
libération et on donne souvent en exemple les hackers (pirates
de l'informatique) dont le but n'est pas d'être un "espion
industriel" mais de libérer l'information (en prenant
des risques pouvant aller jusqu'à l'emprisonnement: Bruce
Sterling, dans un inteview que publie Decoder, raconte comment la
fabrication d'un jeu vidéo - vidéogamme - peut conduire
à des ennuis sérieux avec la police.
L'exemple italien: cyberpunk, contre-culture et politique
En Italie, les nouvelles orientations de la contre culture internationale
- hip hop, cyberpunk - sont surdéterminées par un
contexte politico-idéologique spécifique: à
savoir l'existence d'une sorte "d'ultra-gauche" vivante
et active dont l'une des bases se trouve dans les "centres
sociaux occupés et autogérés" dont le
réseau est présent sur tout le territoire.
Les italiens de la revue underground "Decoder" et les
militants (et rockers) des "centres sociaux autogérés"
font la jonction entre hip hop et cyberpunk. Ces centres étaient
le point de rencontre - toujours variable selon les situations -
de la politique et de la contre-culture: en particulier de ce qu'on
a pu désigner, à l'ultra-gauche italienne, en termes
d'autonomia (autonomie ouvrière dans les années 60,
autonomie tout court, aujourd'hui, - le terme à transité
par les autonomen allemands qui avaient d'abord pris ce terme aux
italiens).
Au début des années 80, c'est le rock alternatif,
le rock punk et l'ensemble de la culture punk qui constituent souvent
le décor culturel des centres et le mode d'expression d'un
radicalisme politique. En 1990, un rap italien très engagé
et très spécifique prend le relais: contrairement
à ce qui se passe, par exemple, en France, c'est l'engagement
politique, la dénonciation politique violente qui constituent
la spécificité de ce rap et non la recherche du succès
mass-médiatique et la soumission aux normes du show bis (avec
la mise en texte obligée de quelques thèmes devenus
souvent des clichés). Le graphisme hip hop est lui aussi
très présent dans les mêmes Centres sociaux
d'Italie. Le mouvement universitaire de "la Pantera" (1990)
a eu un rôle catalyseur et amplificateur dans cette orientation,
en rupture avec un premier hip hop italien des années 80
qui était plus soumis au "modèle américain"
(de la zulu nation, notamment). Le courant cyberpunk italien se
développe dans le même contexte. Willian Gibson, qui
participait aux rencontres de Venise en novembre 1990, sur "la
réalité virtuelle" a été étonné
et "amusé", disait-il, par cette version italienne
de ce courant dont il est un "acteur" de premier plan:
interviewé par un journaliste du quotidien "Il Manifesto"
(27 nov. 1990) il définissait les cyberpunks de Milan comme
des gens de "type post-marxiste-politico-punk-anarcho- philosophes".
Ouvrages utiles à consulter
# Préface de : Mozart en verres miroirs : un texte-manifeste
de Bruce STERLING, qui est l'un des principaux écrivains
et théoriciens de ce mouvement.
# Anthologie de textes "Cyberpunk" publiée aux
Editions underground Shake (Milan 1990) fait le bilan de ce mouvement
l'année même où les cyberpunk de la nouvelle
contre-culture se réunissent à Venise.
# Revue "Decoder", Milan.
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