Origine http://www.ai.univ-paris8.fr/corpus/lapassade/ethngrin.htm
INTRODUCTION le travail de terrain (fieldwork)
http://www.ai.univ-paris8.fr/corpus/lapassade/ethngr1.htm
Le travail de terrain (fieldwork) a été pratiqué
d'abord sur des terres lointaines avant de devenir une pratique
courante, du moins aux Etats-Unis, dans l'étude de nos sociétés,
-plus exactement de certains segments, institutions, groupes et
sous-groupes des sociétés urbaines .
L'ethnographie des sociétés modernes, -que les auteurs
français appellent souvent "ethnologie urbaine"-
a été élaborée au début du siècle
par les sociologues de l'Université de Chicago. Ces sociologues
étaient influencés à la fois par le fieldwork
anthropologique, mais aussi par le travail social et par les techniques
du journalisme d'enquête. L' ethnographie sociologique de
Chicago s'est développée tout au long du XXè
siècle, avec les recherches de terrain inspirées par
l'interactionnisme symbolique, les études dites de "communautés",
certaines formes de sociologie du travail...Elle a connu depuis
les années 60 un regain manifeste et la tradition ethnographique
de Chicago s'est s'enrichie des apports de courants voisins, en
particulier la phénoménologie sociale et l'ethnométhodologie.
L'ethnographie selon Woods(1986), est un mélange d'art et
de science:
"les ethnographes ont beaucoup de points communs avec les
romanciers, les historiens sociaux, les journalistes et les producteurs
de programmes de télévision. Shakespeare, Dickens,
D.H.Lawrence(...) entre autres font preuve d'une extraordinaire
habileté ethnographique dans l'acuïté de leurs
observations, la finesse de leur écoute, leur sensibilité
émotionelle, leur capacité de pénétration
des niveaux de réalité, leur pouvoir d'expression,
leur habileté à recréer des scènes et
des formes culturelles et à leur "donner vie" et
finalement, à raconter une histoire avec une structure sous-jacente.
"Les ethnographes doivent cultiver toutes ces aptitudes. Il
ne s'agit pas de leur demander d'écrire des oeuvres de fiction
(...mais de) représenter des formes culturelles comme les
vivent les protagonistes. Cet 'objectif est identique à celui
de certains écrivains,(....). Ce travail implique de l'empathie,
une capacité de "compréhension", -toutes
choses qui sont des capacités surtout artistiques" (P.Woods,
1986).
P. Woods donne d'autres exemples d'objets traités par l'ethnographie:
"un groupe de supporters d'une équipe de football,
une bande de skinners, les membres d'un ordre religieux, une classe
d'enfants de cinq ans aux premiers jours de scolarisation...Chacun
de ces groupes (supporters, skinners, élèves de petite
classe) construit ses propres réalités culturelles
distinctes; pour les comprendre, il faut traverser leurs frontières
et les observer de l'intérieur, ce qui est plus ou moins
difficile étant donné notre propre distance culturelle
par rapport à un groupe étudié".
D'où la nécessité d'une présence plus
ou moins prolongée dans ce groupe, "d'abord pour passer
la frontière et y être accepté, ensuite pour
apprendre sa culture dont une part importante ne sera pas formulée
par eux (...)" La vie en groupe peut impliquer certaines propriétés
constantes qu'il importera de décrire, mais aussi un flux,
un processus avec des oscillations, des ambiguïtés et
incongruences".
L'ethnographie professionnelle est un métier; c'est une
manière de pratiquer la sociologie, non pas spéculative
mais concrète. Mais si ce "métier" s'inscrit
dans la division sociale du travail, on peut également montrer
que dans la vie courante les gens produisent constamment des "
ethnographies "(Garfinkel 1967) Le travail ethnographique de
terrain implique fondamentalement l'observation participante (notion
qui définit à la fois l'ethnographie en son ensemble
et les observations prolongées faites sur le terrain en participant
à la vie des gens), l'entretien ethnographique (qui ne se
conçoit pas, en général, sans dispositif d'observation
participante) et l'analyse de "matériaux" officiels
et personnels ( journaux personnels, lettres, autobiographies et
récits de vie produits conjointement par le chercheur et
le sujet.
Ce cours est divisée en deux parties :
1. Dans la première partie (chap. 1 et 2) on présentera
les principaux généraux de l'enquête ethnographique:
l'observation participante et l'entretien.
2. Dans la seconde partie (chap. 3) on prendra comme exemple l'ethnographie
de l'école.
CONVERSATIONS ET ENTRETIENS ETHNOGRAPHIQUES
http://www.ai.univ-paris8.fr/corpus/lapassade/ethngr2.htm
* Introduction
* Deux pratiques distinctes
* Les techniques de l'entretien ethnographique
Introduction
Le questionnaire à questions fixes et réponses pré-fixées
est peu utilisé en ethnographie; les ethnographes le considèrent,
en général, comme antinomique avec leur propre démarche.
Ils utilisent,par contre, les conversations de terrain et les entretiens
"non structurés".
I. Deux pratiques distinctes
La distinction entre la conversation de terrain et l'entretien ethnographique
n'est pas toujours clairement établie dans les manuels d'
ethnographie. Il y a cependant des exceptions (par ex: Schatzman
et Strauss 1973, Burgess 1980).
a)- La conversation courante, ordinaire, est un élément
constitutif de l'observation participante: le chercheur rencontre
des gens et parle avec eux dans la mesure où il participe
à leurs activités. Cependant, certaines conversations
de terrain peuvent correspondre à ses préoccupations
d'enquêteur et d'étranger. il est amené à
demander à chaque instant des explications sur ce qui est
en train de se passer, des indications sur ce qui va se passer:
un rituel qui se prépare ou dont on lui a dit qu'il va se
tenir en un endroit qui reste à définir; le départ
d'un cortège, etc...
b- L'entretien ethnographique est un dispositif à l'intérieur
duquel un échange aura lieu. Ce ne sera plus, comme pour
la conversation, un échange spontané et dicté
par les circonstances; l'échange va maintenant s'effectuer
entre deux personnes dont les rôles seront davantage marqués.
Il y aura celui qui conduit l'entretien et celui qui est invité
à y répondre.
Sidney et Béatrice Webb (1932) écrivent :
"Pour l'essentiel de son information, le chercheur doit trouver
ses propres informateurs (witnesses), les amener à parler,
puis transcrire l'essentiel de leurs témoignages sur ses
fiches. Telle est la méthode de l'entretien ou "conversation
avec un objectif" ( "conversation with a purpose"),
-unique instrument du chercheur en sociologie" (Webb et Webb
1932: 132)
Victor Palmer 1928 présente la technique de l'entretien
dans le premier manuel d' ethnographie sociologique publié
à Chicago :
"l'entretien non structuré peut sembler ne comporter
aucune espèce de structuration mais, en réalité,
le chercheur doit élaborer une trame à l'intérieur
de laquelle il conduit son entretien; l'entretien non structuré
est flexible, mais il est contrôlé".
Palmer ajoute que le chercheur doit retenir les propos des informateurs
rapportant des expériences et des attitudes qui concernent
sa recherche. Il doit aider son informateur à parler librement
et naturellement de ses expériences :
"quelques commentaires et remarques et quelques questions
posées à l'occasion afin de retenir le sujet autour
du thème principal, de préciser un détail à
tel point d'un récit, de stimuler la conversation quand les
choses trainent: voila quelques uns des moyens qui permettront au
chercheur de mener à bien la première phase de son
travail. Certains gestes, un signe de tête, un sourire, des
expressions du visage qui reflètent les émotions ressenties
sont des moyens importants d'atteindre le second objectif"
(Palmer 1928)
Bogdan et Taylor 1985 relèvent que le terme "interview",
quand il est placé dans un contexte sociologique, évoque
plutôt l'idée d'un questionnaire "administré"
à un grand nombre de gens. Par opposition à cet entretien
structuré, l'entretien ethnographique est "flexible",
"non directif", "non structuré", "non
standardisé". Bogdan et Taylor l'appellent entretien
"en profondeur" :
< blockquote> "c'est une rencontre ou une série
de rencontres en face à face entre un chercheur et des informateurs
visant à la compréhension des perspectives des gens
interviewés sur leur vie, leurs expériences ou leurs
situations, et, exprimées dans leur propre langage"
Selon Bogdan et Taylor toujours, ce type d'entretien
"a beaucoup de points communs avec l'observation participante.
Comme dans l'observation participante, on commence par construire
une relation avec les sujets, par adopter une attitude non-directive
pour établir ce qui est important pour les sujets, avant
de centrer davantage les questions".
Mais :
a) une première différence entre observation participante
et entretien ethnographique est liée à la situation
dans laquelle la recherche est placée. L'observation participante
se déroule dans des situations dites "naturelles",
alors que les entretiens sont institués dans des situations
spécialement arrangées en fonction de l'objectif de
recherche.
b) L' observation participante part de l'expérience directe
du monde social, alors que l'enquêteur qui procède
à l'entretien "en profondeur" s'appuie exclusivement
sur ce que les gens veulent bien lui dire. D'où des problèmes
qui seront discutés par la suite.
II. Les techniques de l'entretien ethnographique
On peut décrire et distinguer trois types d' entretiens en
profondeur.
a- Le premier vise à élaborer un récit de
vie (une autobiographie sociologique). Ici, le chercheur s'efforce
de saisir des expériences qui ont marqué de façon
significative la vie de quelqu'un et la "définition"
de ces expériences par la personne elle-même.
b- Le deuxième type d'entretien en profondeur est destiné
à la connaissance d' événements et d'activités
qui ne sont pas directement observables. On demande aux informateurs
de décrire ce qui s'est produit et d'indiquer comment cela
a été perçu par d'autres personnes.
c- Le troisième type vise à recueillir des descriptions
d'une catégorie de situations ou de personnes . On se propose
d' étudier un nombre relativement élevé de
gens dans un temps relativement bref en comparaison avec la durée
d' une recherche entièrement fondée sur l'observation
participante. On va, par exemple, interviewer vingt enseignants
dans le temps qu' on aurait mis à observer une seule classe.
Les techniques de base utilisées dans ces trois types d'entretiens
sont similaires. Strauss et al. (1964) considèrent les chercheurs
qui pratiquent l'entretien ethnographique doivent, selon la règle
d' or de l'observation participante, devenir membres de la situation
qu'ils étudient: la réussite des entretiens est à
ce prix.
Ils présentent une liste de questions qu'on peut utiliser
pour faciliter la parole des enquêtés :
- il y a les questions où l'enquêteur se fait "l'avocat
du diable", prend la position opposée à celle
de l'enquêté;
- on peut formuler des questions sous une forme hypothétique;
- on peut aussi formuler une position idéale afin de découvrir
comment l'enquêté idéalise des personnes et
des situations;
- enfin, le chercheur, lorsqu'il approche de la fin de la recherche,
peut faire état de ses interprétations de la situation
Cela peut inciter les gens à se prononcer sur ces interprétations
en leur opposant des opinions qui vont en en sens contraire de ce
qu'ils pensent.
P. Woods a utilisé les entretiens non structurés
en les mettant en rapport avec des observations faites en préalable
dans les classes (Woods 1986). Zimmerman et Wieder (1977) ont mis
au point, utilisé et présenté une technique
qui consiste à faire tenir pendant une semaine à des
sujets, -en l'occurence, des jeunes freaks, un journal à
partir duquel on prépare des entretiens qui sont ensuite
administrés à ces mêmes sujets.
Les entretiens de groupe ont été utilisés
en plusieurs domaines et notamment en ethnographie de l'éducation
(Woods 1969). Cette situation donne aux enquêtés la
possibilité de discuter entre eux devant le chercheur leur
définition de la situation, leurs idées et opinions,
leurs sentiments autour du thème de discussion proposé,
avec la réserve d'une possibilité d'auto-censure dûe
au fait de s'exprimer ainsi en public.
En 1972, Marshall Shumsky qui prépare son Ph. D (doctorat)
, sous la direction de Cicourel effectue une étude ethnométhodologique
consacrée à une session de groupe de rencontre dont
il est l'animateur. Après être passés par la
technique dite du "hot-seat", le "siège chaud",
qui consiste à exprimer ses problèmes devant l'ensemble
du groupe thérapeutique, certains participants sont invités
à s'entretenir sur ce qui vient de se passer avec Cicourel,
avec qui Shumsky prépare sa thèse.
L'entretien se tient sur les lieux de l'expérience, mais
dans une pièce voisine de celle où a lieu le groupe
de rencontre. On dispose d'un enregistrement vidéo de la
séance à ses débuts et plus particulièrement
du moment pendant lequel le sujet interviewé est "passé
sur le hot-seat". On lui propose donc ensuite de s'exprimer
librement, spontanément, sur ce qu'il vient de vivre. La
seule suggestion proposée au départ est fournie par
la projection du film vidéo.
Jay est un habitué de ce groupe de rencontre qui s'est déroulé
sur une longue période, plus d'un an, avec des séances
hebdomadaires. Il connait parfaitement les ficelles de cette technique.
Il est donc capable de jouer avec les stratégies qui font
partie de l'arsenal habituel du psychosociologue praticien. Il va
le montrer en "jouant" avec Cicourel qui l'interroge et
en mettant à jour l'impensé de la situation , ce qui
est implicite et jamais interrogé dans ce type de relations.
Au début de l'entretien il dit à Cicourel :
Jay : je suis psychanalytiquement endoctriné.
Cicourel : oui, assied-toi.
Jay : Avez-vous du feu?
Cicourel : oui (...)
Jay : Mais que voulez donc savoir? Vous êtes ici en train
de m'observer.
Dès le début on voit que l'enquêteur essaie
de créer, selon les règles de l'art et comme le recommandent
les manuels, un climat de détente ("asseyez-vous")
. Jay qui "connait la chanson" s'amuse à dé-construire
la situation en la retournant: c'est lui qui pose à l'enquêteur
cette première question : "Que voulez-vous savoir?"
Il pose sa question après avoir souligné de manière
un peu ironique ("avez-vous du feu?") l'effort que fait
l'enquêteur pour le mettre à l'aise, -alors qu'il est
déjà parfaitement à l'aise; bref, les trucs
habituels du psychosociologue pour "mettre à l'aise",
pour "faciliter l'expression du sujet"-, avec bien sûr
l'arrière pensée qu'ainsi l'autre va parler spontanément-",
sont soulignés.
Jay connait ces trucs; il le montre en renversant la situation.
Alors qu'il devrait répondre à des questions, il en
pose. Mais l'important n'est pas le contenu de ce qu'il dit, c'est
ce retournement de la situation.
Il fait apparaître un travail nécessaire à
la conduite de tout entretien, mais qui n'est jamais décrit
en ces termes.Celui qui conduit l'entretien doit à la fois
veiller à l'émergence d'un matériau utilisable
dans le cadre de la recherche, -les commentaires du sujet, l'expression
également de ses sentiments-, et d'autre part maintenir le
cadre institué de cet entretien. On n' est pas ici, en effet,
dans une rencontre sociale courante.
C'est une situation où quelqu'un mène une recherche.
Il faut donc construire et maintenir l'entretien défini comme
situation d'un certain type, -de la même manière que
l'animateur du groupe de rencontre doit construire et maintenir
en permanence cette situation spécifique qu'on appelle "groupe
de rencontre", ou que l'enseignant doit construire avec ses
élèves et maintenir en permanence une situation pédagogique
contrôlée d'apprentissage et de transmission de savoir...
Ce travail sous-jacent à l'activité nommée
leçon, groupe thérapeutique ou entretien non structuré
est, au sens actif du terme, un travail d'institution.
UN EXEMPLE : L' ETHNOGRAPHIE DE L'ECOLE
http://www.ai.univ-paris8.fr/corpus/lapassade/ethngr3.htm
Introduction
I. La négociation de l'accès à l'institution
scolaire
1. Comment négocier l'accès à l'école
prise comme terrain d'investigation ethnographique?
2. Les débuts de l'enquête.
II. L'observation participante à l'école
III. Les techniques d'enquête
1. Les conversations de terrain.
2. L'entretien non structuré.
3. Comment conduire un entretien.
4. Aspect potentiellement thérapeutique de l'entretien.
5. Les questionnaires.
IV. Utilisation des documents officiels et personnels
1. Documents officiels.
2. Les documents personnels.
3. Documents personnels des chercheurs
V. L'analyse des données recueillies
1. L'analyse spontanée (à chaud)
2. Classification et catégorisation.
3. Formulation de concepts.
VI. La théorisation
1. Vérification ou élaboration?
2. Problèmes théoriques
3. . de l'input-output à la "boîte-noire".
4. Pour ou contre la théorisation?
VII. La rédaction finale
1. Les blocages d'écriture: comment les lever?
2. Faire attention aux stratégies d'évitement du travail.
<
3. La planification de l'écriture.
Introduction
Nous allons dans ce chapitre, reprendre quelques données
essentielles concernant la méthode ethnographique en général,
déjà abordés dans notre seconde partie (notamment
l'observation participante et les entretiens). Mais nous nous attacherons
à montrer maintenant leur application plus spécifique
au terrain de l'école.
Au début d'une recherche ethnographique, il faut identifier
le problème à traiter et évaluer les ressources
dont on va disposer pour le faire. Il faut se demander aussi: quelle
est mon implication là-dedans? S'agit-il d'une affaire pratique,
politique, théorique? S'agit-il de résoudre un problème?
De soutenir une cause? Il faut encore savoir si la recherche envisagée
est réalisable: en effet, certaines recherches sont plus
faciles à mener que d'autres. On va se demander si ça
va impliquer surtout le traitement d'informations, si les matériaux
alors nécessaires seront accessibles, si le projet risque
de provoquer des problèmes, de soulever des oppositions.
Un sondage préalable peut permettre de se faire déjà
une idée sur la question.
Il faut considérer aussi les ressources dont on peut disposer
: parmi les "ressources" figurent les ouvrages traitant
de la question qu'on se propose d'aborder. En ethnographie, s'ils
sont très nombreux en anglais, ils sont au contraire très
rares en langue française et, pour le moment, la plupart
des ouvrages anglais et américains en la matière ne
sont pas traduits.
I. La négociation de l'accès à l'institution
scolaire
1. Comment négocier l'accès à l'école
prise comme terrain d'investigation ethnographique?
Avant de travailler dans une école, et quelle que soit la
méthode choisie pour enquêter, il faut négocier
le droit d'y accéder en tant que chercheur. Cette négociation
peut se dérouler à plusieurs niveaux: l'école,
les services académiques, la municipalité peut être...
De plus, lorsqu'on sera entré dans la place, le rapport aux
gens (aux enseignants, notamment, si l'on observe leurs classes)
devra être constamment négocié et renégocié
tout au long de la recherche (et pas seulement au début ).
Des problèmes pratiques vont se poser à ce sujet dès
le premier contact: comment effectuer la première négociation
auprès de l'administration ? Comment lui présenter
le projet ? Comment conduire ensuite des négociations plus
localisées ( avec les professeurs notamment). Delamont (1984:
25) a décrit ses changements de tenue dans l'école
où elle menait une recherche. Elle se présenta au
Directeur avec des habits classiques, des gants. Avec les élèves,
elle s'efforça au contraire de montrer qu' elle suivait la
mode "jeune".
P.Woods a lui aussi décrit cette négociation d'entrée
en présentant les différentes phases de ses rapports
avec une école où il mena une enquête ethnographique.
Cette école se présenta à lui, d'abord, dans
ses "habits du dimanche" : c'était, dit-il, l'institution
sous son meilleur aspect. Les gens se comportaient comme pour certaines
occasions spéciales : la visite des inspecteurs, les opérations
"portes ouvertes au public". La surveillance dont il était
l'objet commença ensuite, nous dit l'auteur, à se
relacher, et l'auto-contrôle des enseignants et administrateurs
de l'école aussi :
"dans cette seconde phase, j'ai bénéficié
d'une liberté plus grande: j'étais déjà
accepté; les gens agissaient de façon plus naturelle,
mais certains secteurs m'étaient toujours interdits, notamment
certaines leçons, des réunions déterminées
et certaines discussions plus localisées.. Le personnel commença
à se laisser observer dans ses pratiques à l'intérieur
de l'école et à m'accorder des entretiens . Mais il
maintenait une certaine réserve sur une part importante de
ses pensées plus intimes".
Dans la troisième phase, il sentit qu'il avait atteint les
centres vitaux de l'organisation:
"on me permit de participer à certaines réunions
secrètes en qualité de témoin de la manière
dont étaient prises les décisions essentielles. Les
gens me confièrent leurs espérances et leurs craintes,
leurs plaisirs et leurs angoisses. C'est seulement dans cette phase
que j'eus le sentiment d'être arrivé au coeur de ce
qui se passait. En fait, ce n'était pas si simple: à
tout moment, je me trouvais à tel ou tel de ces stades avec
les diverses parties de l'institution; elles n'avançaient
pas en un front compact. Je ne suis jamais parvenu à la "troisième
phase" dans certaines zones, avec certaines personnes, mais
dans un autre cas, çà alla très vite".
Il est très utile d'avoir des relations privilégiées
avec au moins un membre de l'institution. Mais il est parfois difficile,
même avec une bonne introduction, d'obtenir une totale collaboration
de tous les enseignants. Ils peuvent craindre que l'intrusion du
chercheur perturbe leur classe; ils peuvent avoir l'impression d'être
évalués . Ces appréhensions peuvent conduire
à une opposition active à la recherche. Pour s'assurer
la participation des enseignants, on peut tenter de les impliquer
dans la recherche, en les considérant si possible comme co-chercheurs,
au lieu de les prier simplement de se prêter à une
recherche au bénéfice de quelqu'un d'autre (un étudiant
qui doit préparer un mémoire). Il faut préciser
dès le début que la recherche qu'on va mener ne concerne
pas la personnalité des enseignants, qu' on va s'occuper
des groupes, des "cultures", et non des individus. Le
plus important serait de pouvoir montrer aux enseignants concernés
qu'on peut atteindre une amélioration de l'enseignement par
cette recherche et, à la fin, de tenir sa promesse... Mais
dans les équipes enseignantes, il y a souvent un ou deux
maîtres systématiquement hostiles à toute recherche.
Les divisions internes et les conflits peuvent constituer aussi
un handicap.
2. Les débuts de l'enquête.
Au début, il faut éviter, en principe, de prendre
des notes ou d'utiliser un magnétophone. La tâche principale,
à ce moment là, est d'établir des relations.
La prise de notes peut constituer alors un obstacle dans la mesure
où elle pourrait être interprétée comme
l'indication que le plus important, c'est la recherche, et non l'établissement
de "bonnes relations avec les gens". L'important, au début,
c'est d'installer la confiance. Si les gens n'ont pas confiance
quant à l'utilisation ultérieure des observations
faites chez eux, s'ils ne sont pas assurés que le secret
de leurs déclarations sera garanti, tout sera bloqué.
II. L'observation participante à l'école
En 1967, un sociologue anglais de l'éducation, David Hargreaves,
décide d'enseigner à mi-temps dans l'établissement
ou il effectue une recherche: ce travail sera le point de départ
historique de l'ethnographie anglaise de l'éducation. Hargreaves
a souligné les mérites de cette stratégie d'observation
participante active :
"elle permet une entrée facile dans l'école
en réduisant les résistances des membres du groupe;
elle diminue l'ampleur de la perturbation que le chercheur introduit
dans la situation "naturelle" et permet au chercheur d'observer
les normes, les valeurs, les conflits du groupe. Sur une période
prolongée, ils ne peuvent demeurer cachés".
Le fait d'enseigner à mi-temps contribuait à faciliter
les relations amicales avec les enseignants, mais rendait plus difficiles
les relations - en fonction des objectifs de la recherche - avec
les élèves . Il fut contraint de renoncer à
enseigner: "dès ce moment là, dit-il, mes relations
avec les élèves furent extraordinairement améliorées".
Une certaine complicité s'installa "lorsqu'ils découvrirent
que je ne les dénoncerais pas quand ils violeraient les règles
scolaires". (Hargreaves 1967: 193).
Cette forme d'observation participante active présente cependant
certains inconvénients que P.Woods (1986) signale : elle
prend beaucoup de temps; les objectifs d'enseignement (si on prend
le rôle d'enseignant, même à mi-temps) d'une
part, et d'autre part ceux de la recherche peuvent s'opposer:
"en tant qu'enseignant occasionnel, ne devais-je pas, dans
le temps où j'assumais ce rôle, réprimer toute
conduite d'indiscipline dont je pouvais avoir connaissance? Invité
de cette école, travaillant sous ses auspices et jouissant
de son hospitalité, j'étais en même temps l'ami
de ceux qui tendaient à détruire ces activités...
La solution serait peut-être d'adopter, à l'intérieur
de l'école, un autre rôle actif : par exemple, au lieu
d'assurer un enseignement - si cela pose trop de problèmes-
participer aux activités sportives, ou para-scolaires, jouer
aux échecs, arbitrer des matches, accompagner les élèves
à l'hôpital et, surtout participer à la vie
des professeurs dans la salle de classe".
Woods décrit les perceptions dont il fut l'objet dans l'institution:
"on me voyait comme une agence de secours, un conseiller (aussi
bien pour les élèves que pour le personnel enseignant),
un agent secret du directeur (qui supposait que je pourrais fonctionner
comme force de l'ordre, source d'information sur les activités
déviantes), un atout à utiliser dans les luttes de
pouvoir, un membre suppléant du personnel, disponible en
cas d'urgence et, enfin, un être humain, tout simplement,
qui faisait partie tant du groupe des élèves que celui
de celui des maîtres."
Lacey (1978) prit un rôle de conseiller informel des élèves
dans l'établissement ce qui lui permit de prendre part aux
conversations des jeunes, de les visiter chez eux, de les inviter
chez lui.
III. Les techniques d'enquête
L' observation participante est au coeur du dispositif de la recherche
ethnographique en général (en ethnologie comme en
sociologie). Les conversations spontanées de terrain, d'une
part, les entretiens, plus ou moins structurés, d'autre part,
sont des techniques complémentaires. Il arrive même
qu'on utilise les questionnaires. On peut aussi faire une recherche
à base d'entretiens seulement.
1. Les conversations de terrain.
L'ethnographe rencontre les gens, parle avec eux, se mêle
à leurs conversations, interroge parfois, demande des éclaircissements
après avoir assisté à un événement
particulier (une leçon en classe, un rituel...). Le premier
manuel de fieldwork (travail de terrain) élaboré et
utilisé par les sociologues de Chicago (Palmer 1929) décrivait
la conversation spontanée naturelle, comme une des techniques
essentielles de "l'approche anthropologique en sociologie".
Au début d'un travail de recherche, dans une institution
notamment, on a continuellement besoin d'informations du genre:
"A quelle heure telle réunion va-t-elle se tenir"
(s'il n'y a pas d'information écrite disponible sur ce sujet),
"Où puis-je obtenir telle information? dans quelles
conditions? auprès de qui?" Ces demandes d'informations
prennent en général la forme de conversations banales.
2. L'entretien non structuré.
Le présupposé fondamental de l'entretien non structuré
est que sa dynamique interne, son déroulement libre, va faire
surgir une vérité. Ce déroulement va déterminer
aussi les questions de l'enquêteur: il devra se laisser porter
par le fil de la conversation. Alors que dans la situation générale
d'observation participante, la situation à explorer est déjà
structurée, dans l'entretien ethnographique, il y a mise
en place d'un dispositif particulier de rencontre, qui est le dispositif
propre à l' entretien, et c'est à l'intérieur
de ce dispositif construit qu'on va tenter de laisser jouer la spontanéité
de l'enquêté.
Dans le travail ethnographique, les conversations :
"peuvent se tenir n'importe où, en tout moment et sur
une durée importante. Et ça va depuis les bavardages
en salle des professeurs ou au bistrot du coin jusqu'aux discussions
ad hoc à propos d'événements immédiats
(une leçon qui vient de s'achever, une initiative récente
en matière de politique éducative, tel problème
de discipline avec les élèves) jusqu' aux échanges
avec les élèves pendant la récréation
ou au réfectoire. Il y a aussi les entretiens organisés
par avance, ils ont un caractère plus formel" Woods
1986).
3. Comment conduire un entretien.
Pour conduire un entretien, il faut d'abord créer un climat
de confiance:
"les principales qualités requises pour conduire des
entretiens sont les mêmes que pour d'autres aspects de la
recherche: elles tournent toujours autour de la confiance, de la
curiosité et du naturel (...) De même que pour l'observation,
il y a ici des problèmes implicites d'accès, d' obtention
du respect pour le projet dans lequel le chercheur est engagé
et de confiance en sa capacité de le mener à bien.
Mais, par dessus tout, l'essentiel est d'établir un sentiment
de confiance. Si j'étais enseignant, je n'aimerais pas avoir
la sensation d'être observé par un agent supérieur,
j'aimerais sentir que je peux parler en toute liberté et
que si je dis que ceci est strictement confidentiel, mon souhait
sera respecté, et qu'aucune de mes déclarations ne
sera utilisée ensuite contre moi...La seconde qualité
est la curiosité qui nous pousse à "connaître
les opinions et les perceptions des gens à propos des faits,
à "écouter leurs histoires et à découvrir
leurs sentiments " (Woods 1986).
4. Aspect potentiellement thérapeutique de l'entretien.
Un entretien, parfois, peut aider l'interviewé à "produire
une redéfinition de son identité et de ses objectifs
personnels"(woods). Laud Humphrey, à propos d'une recherche
concernant des pères de famille bi-
sexuels montre comment leur vie fût profondément modifiée
à partir d'entretiens institués pour cette recherche
(Humphrey 1980). Pat Sikes a décrit à Peter Woods
le cas d'une enseignante, Sally, qui aurait changé sa vie,
redéfini sa personnalité et découvert en elle
une vocation pour la peinture à partir d'entretiens qui avaient
été le lieu d'une telle "redéfinition"
de soi.
5. Les questionnaires.
Certains ethnographes excluent totalement les questionnaires sous
prétexte que leurs présupposés épistémologiques
sont diamétralement opposés à ceux de l'ethnographie!
L'un de ces présupposés (des questionnaires) est de
croire que les faits sociaux peuvent être mesurés de
la même manière que les faits naturels. On utilise
(dans cette sociologie quantitative) des mensurations objectives
et quantifiables comme les échelles d'attitudes, les expérimentations
contrôlées et les tests étalonnés (à
partir de calculs statistiques concernant la distribution, la corrélation
et la signification). Cependant, selon P. Woods, cette opposition
entre deux épistémologies, deux méthodologies
et, finalement deux sociologies (Dawe 1970) serait en voie de dépassement.
IL existe, selon Woods, deux manières de concevoir l'utilisation
des questionnaires en ethnographie :
a ) ou bien, comme cela se produit en général dans
la sociologie quantitative , ces techniques concernent la recherche
d'une information simple, qu'il est facile de mettre en tableaux
mettant en oeuvre des catégories préalablement élaborées;
b ) ou bien, au contraire, ces techniques (questionnaires, tests
sociométriques ) sont au service d'un travail qualitatif,
-d'une ethnographie.
IV. Utilisation des documents officiels et personnels
L'utilisation de matériaux écrits est un complément
utile de l'observation. On peut considérer certains documents
comme des instruments quasi-observationnels prenant la place des
chercheurs sur les lieux ou dans les temps où il leur est
difficile, voire impossible, d'être présents en personne.
Parfois même, ils peuvent constituer le corpus de données
le plus important pour une recherche.
1. Documents officiels.
Ce sont les registres, les emplois du temps (horaires), les comptes-rendus
de réunions, les documents confidentiels concernant les élèves,
les manuels scolaires, les périodiques et les revues, les
enregistrements scolaires, les archives et statistiques, les tableaux
l'affichage, les lettres officielles, les documents d'examens, les
fiches de travail, les photographies...
L'emploi du temps (horaire), les affichages des cours peuvent faire
l'objet d'analyses, mais ils peuvent comporter des dissimulations.
Les comptes rendus de réunions peuvent être déformants.
Cela dépend de qui les rédige Mais ils sont utiles
pour étudier certaines relations de pouvoir dans les établissements.
Lacey (1976) déclare que si l'observation participante dans
les classes était sa méthode fondamentale, l'utilisation
de documents lui fût d'un grand secours :
"L'observation et la description des classes me conduisit
rapidement à la nécessité d'obtenir des informations
plus précises. J'utilisai donc des documents produits par
l'école pour réunir une plus grande quantité
d'informations sur chaque enfant, par exemple concernant l'activité
professionnelle du père, les écoles fréquentées
antérieurement. Je m'en servis en même temps que des
résultats de questionnaires".
Les documents (officiels) les plus importants dans la vie scolaire
sont peut être ceux qui concernent directement l'enseignement:
les livres de textes, les programmes, les livres d'exercices, la
documentation relative aux tests et examens, les films et autres
supports visuels. On a fait des études nombreuses de manuels
scolaires, par exemple, en y cherchant des indications sur les statuts
selon les sexes ou les préjugés ethniques. Il y a
eu des études faites sur des innovations pédagogiques
comme l'enseignement programmé à partir de la documentation
officielle sur ces innovations. On a confrontés ces documents
à la pratique réelle
des enseignants. On a étudié aussi les fiches de
travail des maîtres et, là encore, on a pu voir l'écart
entre les pratiques réelles des enseignants et les instructions
officielles.
2. Les documents personnels.
Ce sont les journaux intimes, les cahiers de brouillon des élèves,
les graffiti, les lettres et les notes personnelles.
Les productions personnelles des élèves, surtout
lorsqu'elles contiennent un aspect personnel important, peuvent
fournir des indications très valables sur leurs opinions
et attitudes par rapport à toute une gamme de thèmes,
contenir beaucoup d'informations sur l'expérience vécue,
et "mis à part le temps que prennent les interviews
avec beaucoup d'élèves, des problèmes de relations
et d'accès que cela pose, il y a des élèves
qui répondront mieux s'ils ont le temps d'y penser et de
construire leur propos, si on en fait une tâche officielle
(un devoir à faire à la maison) et ils peuvent ainsi
se sentir fiers de leurs productions.
Il existe une vaste culture souterraine des élèves
dont la manifestation écrite prend la forme de notes, de
lettres et de dessins et de graffiti (...) dont le volume a été
considéré par certains comme un indicateur significatif
de patterns de comportements. Measor (1985) a étudié
le cas d'adolescentes amoureuses qui écrivaient au dos de
leur main "j'aime" et à l'intérieur le nom
du garçon (on pourrait mettre cela en relation avec les traditions
de tatouage comportant la même orientation).
3. Documents personnels des chercheurs.
Il faut distinguer les "notes de terrain", les fiches
d'observation et les protocoles d'entretiens. Les journaux décrivent
l'implication du chercheur dans sa recherche. Ils peuvent contenir
par exemple des détails sur la manière dont la recherche
en cours a été conçue initialement; sur sa
relation avec la propre évolution personnelle du chercheur;
sur la négociation de l'accès au terrain, sur les
échecs et les erreurs, etc... Ces journaux de route et de
recherche sont utiles pour évaluer les résultats du
travail dans la mesure où la recherche est en un sens une
recherche sur soi. Car l'ethnographie, implique le chercheur d'une
manière plus intense que tout autre type de recherche.
Plusieurs ethnographes de l'école ont fait état de
leur vécu. Hammersley (1984: 61) déclare que son travail
fût comme le voyage d' un explorateur dont la majeure partie
se passe en mer". Y. Ball dans le même ouvrage collectif
(édité par R. Burgess en 1984 ) consacré à
l'ethnographie de l'éducation déclare que le travail
de terrain "implique une confrontation personnelle avec l'inconnu
et exige que le praticien se familiarise avec des réalités
émergentes confuses, obscures et contradictoires. Il y a
des distances d'années-lumière entre les systématisations
théoriques et les données de terrain ".
V. L'analyse des données recueillies
Quand on observe des situations dans une classe, qu'on procède
à des entretiens ethnographiques, que l'on prend des notes
de terrain ou qu'on rédige ses notes de terrain et son journal
de route, le travail qu'on fait n'est jamais du pur enregistrement.
Dans l'activité de "collecte" il y a déjà
une activité réflexive qui va informer la suite de
la collecte, etc. Mais l'essentiel de l'analyse (dans la conception
classique de l'ethnographie) se fait après un long séjour
sur le terrain et après la collecte des données. Voici
certains aspects du travail d'analyse.
1. L'analyse spontanée (à chaud)
Il s'agit notamment de commentaires écrits à chaud
en marge de ses notes de terrain dans lesquels le chercheur formule
ses premières appréciations autour des faits relevés
: à droite,on écrira les notes de
terrain, dans la colonne de gauche on mettra - dans le même
temps toujours - des remarques et des commentaires.
2. Classification et catégorisation.
Puis vient le moment où la masse de données intégrées
aux notes de terrain, les transcriptions, les documents doivent
être classés de manière plus systématique.
On le fait en général au moyen de la classification
et de la catégorisation. A un niveau élémentaire,
ces procédés s'appliquent seulement aux données.
Dans cette phase, l'objectif est de donner au matériel recueilli
une structure qui va nous permettre d'avancer vers l'analyse finale
, la production de concepts et de théories: d'où la
nécessité d'ordonner d'abord les données de
manière cohérente, complète, logique et succinte.
Le schéma qui va émerger ainsi de la masse des données
est intéressant en soi. C'est aussi un modèle utilisable
à d'autres fins: on va par exemple chercher à établir
comment ces catégories s'organisent dans l''esprit des élèves,
ce qui pourrait en retour nous donner un éclaircissement
sur les attitudes par rapport à la classe. Exemple:s: jugent-ils
leur maître par rapport à sa manière d'enseigner
ou à sa personnalité? Quels aspects de l'enseignement
considèrent-ils comme les plus importants? Jusqu'à
quel point le maître doit-il maintenir son contrôle
pour être accepté par les élèves?
3. Formulation de concepts.
On peut distinguer ici deux cas :
a) parfois ce sont des "symboles culturels" normalement
codifiés en termes "indigènes" (Spradley
1979) qui émergent dans le travail de terrain et se précisent
dans le travail d'analyse. Exemple: "avoir honte", "avoir
envie de rire"
b) parfois c'est le chercheur qui les construit lorsque divers
fragments de données ou de problèmes
paraissent présenter certaines propriétés
structurelles en commun mais n'ont jamais été exprimées
ainsi.
C'est à ce stade du travail d'analyse et de conceptualisation
que d'autres études, réalisées par d'autres
chercheurs acquièrent une importance majeure. P. Woods recommande
au chercheur de terrain de "faire quelques lectures préliminaires"
afin d'obtenir une certaine vision du domaine.
VI. La théorisation
1. Vérification ou élaboration?
Glaser et Strauss (1987) ont exercé une grande influence
sur la construction théorique en ethnographie. Ils ont mis
l'accent principalement sur l'élaboration (ou la découverte)
de théories et de concepts en opposition à la notion
classique de vérification des théories. Les concepts,
disent-ils, surgissent du terrain, puis sont contrôlées
et re-contrôlées. A la lumière de données
ultérieures, on les renforce et on les reformule autrement.
Pour aussi détaillées que soient les observations,
"on aura besoin d'un "saut de l'imagination" lorsque
le chercheur va conceptualiser à partir de ses notes de terrain.
Ce travail mettra en oeuvre des facultés créatrices".
2. Problèmes théoriques
P. Woods rapporte la réponse que fit Howard Becker à
une étudiante qui lui demandait conseil pour choisir un cadre
théorique de recherche: "Au lieu de te faire du souci
pour cela, vas-y! Fais donc quelque chose!". On a vu dans ce
conseil de Becker, -à tort, selon P. Woods-, une dévalorisation
de la théorie. En réalité, "le problème
n'est pas d' expliquer ce qui se produit, mais de le décrire".
(P. Woods).
Le courant ethnographique a critiqué le "théoricisme"
(qui aboutit comme disait W. Mills, à propos de Parsons,
à la "Suprême Théorie") reprochant
aux sociologues positivistes leur tendance à se complaire
dans le royaume des constructions qu'ils produisent, sans s'occuper
des opinions des gens qui sont dans le monde réel.
3. de l'input-output à la "boîte-noire".
En Grande Bretagne, les premiers sociologues positivistes de l'éducation,
dans les années 50 et 60, manifestèrent un intérêt
quasi exclusif pour les problèmes d'entrée (dans le
système) et de sortie (input/output). Ils utilisèrent
des techniques quantitatives. A partir des années 70, les
ethnographes ont ouvert la "boite noire" de la reproduction
(Lacey 1976). On est allé dans les écoles. Depuis,
les ethnographes n'ont cessé de vanter cette nouvelle démarche
et d'être fascinés par les nouveaux terrains d'investigation
qui s'offraient à eux". Voilà un bon raccourci
concernant l'histoire récente des méthodes en sociologie
de l'éducation. La formule : "on a ouvert la boite noire",
vient de Lacey (1976). Elle a souvent été reprise,
par H.Mehan (1978), notamment.
"Ouvrir la boite noire" signifie qu'on ne cherche plus
à expliquer l'échec scolaire seulement par l'étude
de l'input (l'appartenance de classe des enfants, les "héritiers"
et les déshérités qui vont à l'école).
On va montrer que l'inégalité sociale est produite,
(et pas seulement reproduite ), par des mécanismes internes
à l'institution scolaire, à la salle de classe. C'
est cela , cette "boîte noire" qu'on commence à
ouvrir. Cette formule résume le changement fondamental en
sociologie de l'éducation.
4- Pour ou contre la théorisation?
On s'est davantage préoccupé jusqu' ici des questions
de technologie des enquètes (négociation d'accès
au terrain, formes d'observation, entretiens ethnographiques, utilisation
des documents) que de la théorisation: "la production
et la formulation de théories ont été une préoccupation
secondaire" (Woods 1986, Cf aussi Poupart et al., 1984). La
tendance qui consisterait à se limiter au perfectionnement
tehcnologique de l'ethnographie serait, selon P. Woods, le coté
obscur du mouvement, son sous-courant a-théorique. Fort heureusement,
précise-t-il aussitôt, il y au eu aussi de la théorisation
dans l'ethnographie sociologique anglaise de l'école, surtout
dans les recherches concernant la culture des élèves,
la socialisation et les perspectives des enseignants, etc. Il y
a eu également, de la part des ethnographes, des critiques
des théories déjà existantes dans l'autre sociologie.
VII. La rédaction finale
On peut considérer l'écriture, la rédaction
d'un livre, d'un mémoire de thèse ou d'un rapport,
comme la conclusion du travail ethnographique et son accomplissement
final. Ce n'est pas la phase la plus facile et, selon P. Woods,
"la souffrance est une compagne indispensable de l'écriture:
combien de fois n'avons-nous pas entendu des gens dire qu'ils avaient
sué sang et eau pour écrire quelque chose? Ou bien
avouer qu'ils vont avoir à affronter cette phase du travail
mais qu'ils la "redoutent", la détestent? Il faut
concevoir cet aspect de la recherche comme un rite de passage, un
rituel, un test (...) par où l'on doit passer si l'on veut
conduire une recherche à sa pleine maturité. La tranquillité,
la quiétude paraissent convenir à l'écriture.
Il y a aussi des adjuvents, et notamment les impératifs du
temps, lorsque par exemple il faut "présenter un compte-rendu
de notre recherche, répondre à la commande d'un éditeur,
préparer une communication pour tel séminaire, une
conférence dont la date est fixée...
P. Woods conseille une fréquentation régulière
des oeuvres littéraires pour se mettre en condition d'écrire
des articles ou des ouvrages d'ethnographie. Il faudrait pouvoir
être comme un mixte d'artiste et d'érudit car "le
travail ethnographique est extrêmement personnel".
1. Les blocages d'écriture: comment les lever?
Si "ça" se bloque, " on va regarder le panorama
par la fenêtre, boire une quantité de tasses de café
(aussi bien pour meubler les interruptions que pour l'effet de la
caféine), converser avec son chien, expliquer un point ou
prononcer un discours devant une assistance imaginaire, marcher
dans le jardin, jouer du violon, etc..." .
2. Faire attention aux stratégies d'évitement du travail.
Là aussi, comme pour les "blocages", on doit se
donner des moyens pratiques pour aller contre :
"Il faut avoir en permanence du papier et de quoi écrire
à portée de la main, car les idées peuvent
surgir alors que nous sommes en train de regarder la télévision,
d'écouter la radio, de cuisiner, de jardiner et il faut les
noter aussitôt, avant de les oublier....Et pendant qu'on écrit
,d'autres idées peuvent venir et il faut alors en prendre
note aussi, immédiatement, parfois par un seul mot-repère."
3. La planification de l'écriture.
Quand on va à l'école, on vous apprend à écrire
d'abord un plan, qu'on va ensuite suivre, jusqu'au point final de
la rédaction. Mais, la planification préparant la
rédaction d'un article, d'un mémoire ou d'une thèse,
concernant une recherche est une affaire bien plus compliquée
que ce modèle scolaire. Ce modèle ne concerne pas
un travail vraiment créatif.
L'écriture ethnographique suppose la recherche de formules
neuves. On ne peut planifier le tout par anticipation, car le processus
créatif de la recherche se poursuit au coeur même de
la rédaction qui l'achève. L'organisation classique
de la recherche avec ses quatre phases bien séparées
de la préparation , la collecte des données, l'analyse
, le rapport final ne correspond pas à la réalisation
du travail ethnographique. On va produire d'abord un "schéma
spéculatif préliminaire", pas totalement systématique
encore; il combine la solidité du travail déjà
réalisé (sur le terrain) avec les intentions qu'a
le rédacteur de théoriser et conceptualiser"
(bien que, on l'a vu, ces opérations aient pu paraître
constituer des phases antérieures du travail pris comme un
tout, y compris la rédaction, il se prolonge lui aussi dans
l'écriture).
Le plan de travail provisoire: il consiste pour l'essentiel en
l'élaboration d'un certain nombre de "têtes de
chapitres" avec de nombreux sous-titres et l'indication des
contenus à venir". On peut par exemple prévoir
un dossier pour chacune des parties retenues pour ce plan, y mettre
les débuts de rédaction, etc. Quand on rédige
le premier brouillon, un plan élaboré surgit, consciemment.
Il ne sera pas esclave du plan préliminaire, car "dès
que nous allons commencer à rédiger de nouvelles idées
vont surgir. Certaines parties du travail vont se révéler
pratiquement productives, d'autres moins. Cela exige une grande
flexibilité de la part du chercheur, la capacité de
se remettre en question continuellement, de changer d'avis et donc
de plan de travail, de suivre une piste qui n'était pas prévue,
d'en abandonner une autre qui apparaît comme une impasse parce
que les "portiers"de l'institution ne veulent plus de
vous sur leur terrain, que la recherche oblige à changer
de stratégie, que des lectures ou des rencontres font de
même, etc.
On obtient finalement un nouveau plan, celui de la rédaction
finale, le quatrième et dernier plan selon P. Woods. Il sera
éventuellement nécessaire de ré-ordonner encore
les données: "parfois, je vais devoir laisser provisoirement
de coté mon premier brouillon pour qu'il puisse "murir".
Quand j'y reviendrai avec l'esprit rénové, il me sera
plus facile d découvrir d'autres ressources, sous forme de
nouvelles idées, en fonction de recherches et de lectures
plus "focalisées" et, ce qui est plus important
encore, en fonction des réactions des autres ".
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