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origine : http://www.vacarme.org/article1381.html
1976 : Foucault annonce la fin de la prison - sa poursuite à
ciel ouvert et par d’autres moyens, « alternatives à
l’incarcération » qui feront le doux triomphe
de la discipline, et contrôleront les corps pour corriger
les âmes. 2004 : l’itinéraire prévu, du
dedans au dehors, s’est deux fois compliqué. D’un
côté, la prison triomphe, mais sans gloire : elle enferme
toujours les mêmes, sans fin, sans but, et décuple
des processus de perception et de socialisation acquis ailleurs.
De l’autre, les instruments de contrôle se sont bien
multipliés, mais glissent sur les corps sans mordre sur l’intériorité
des sujets.
Nous devons à la revue québécoise Criminologie,
une dizaine d’années après la mort de Michel
Foucault, d’avoir exhumé ce texte étrange, une
conférence tenue par le philosophe à Montréal
en 1976.
1976 : à peine un an après avoir publié Surveiller
et punir, où la prison est érigée comme l’épicentre
d’une société de discipline, plus exactement
comme le foyer de diffusion des mille pratiques tendant à
pénétrer le corps et l’âme des sujets
pour les rompre aux disciplines et les faire chacun les sujets de
l’exercice du pouvoir. Un an après, donc, voici Michel
Foucault qui nous annonce, sans peur ni précaution, l’agonie
et la mort toute proche de la prison. La prison n’est plus,
ou presque plus, nous dit-il. Elle a rempli son office, mais aujourd’hui
elle ne sert plus. D’autres dispositifs la poursuivent, la
prolongent, l’intensifient, mais de la prison elle-même,
de ses murs, nous ne voyons plus guère. À peine encore
si l’on peut entendre son silence qui, de l’étouffement
des détenus à la répétition obstinée
de son projet, semblait la caractériser si bien. Et voilà
Michel Foucault, brutalement, changer de projet. Demain, ce n’est
plus la prison qui sera le foyer des disciplines, mais les alternatives
à l’incarcération.
On pourrait pointer l’échec d’une prophétie.
Car enfin, la prison, c’est indéniable, conquiert chaque
jour du terrain : n’est-on pas allé jusqu’à
nommer en 2002 un (éphémère) secrétaire
d’État aux constructions de nouvelles prisons ? En
France, le taux de détention pour 100 000 habitants était
de 50 lorsque Surveiller et punir voit le jour. Il était
de 75 dix ans plus tard, 90 vingt ans plus tard (en nombre absolu,
de 1975 à 1995, la population carcérale a doublé).
Pourtant, on ne saurait s’arrêter là, voir ces
chiffres sans ce qui les entoure, et les explique du même
coup. Car ces données augmentent (rappelons tout de même
qu’avant l’inflation carcérale en cours, la population
carcérale a diminué de 1996 à 2000), mais elles
augmentent alors que tout augmente plus vite encore... : elles augmentent
relativement moins ! En 1984, 17% des condamnations prononcées
selon la peine principale en France étaient des peines privatives
de liberté (sans sursis aucun). En 2000, la proportion des
peines privatives de liberté prononcées pour des délits
et des crimes est... la même. Alors quoi ? On ne punit pas
plus qu’avant ? Si, bien sûr, puisque tout augmente.
Mais on ne punit pas plus, à l’intérieur du
système pénal, par la prison. En revanche, on distribue,
aujourd’hui, et à foison : le sursis, le sursis avec
mise à l’épreuve, le travail d’intérêt
général, les peines de substitution, l’amende,
la suspension de permis de conduire, l’injonction thérapeutique,
les mesures éducatives destinées aux mineurs, le bracelet
électronique et, bien sûr, l’amende (et encore
: amende ferme ou sursis, jour-amende, etc.), voire : la dispense
de peine ou bien, sans attendre de jugement, le rappel à
la loi...
Voilà bien un projet visionnaire que cette conférence
exhumée par Criminologie. Elle nous rappelle, au passage,
ce que Surveiller et punir n’est pas ; comme si son auteur
voulait déjà se défaire des lectures enthousiastes,
s’en dégriser. Il semble dire : « Vous vous méprenez,
relisez donc le sous-titre de mon ouvrage, « Naissance de
la prison », vous verrez bien que je ne faisais qu’exhumer
le projet carcéral, ne disant presque rien de la prison telle
qu’elle est vraiment ». Car la prison telle qu’elle
est vraiment, et aujourd’hui plus encore qu’alors, c’est
un asile sans projet, où sont reclus ceux que la société
semble justement avoir renoncé à redresser. Loin d’être
ordonnée autour d’un unique principe disciplinaire,
l’impératif sécuritaire impose à l’Administration
pénitentiaire et à ses agents une gestion pragmatique
de la vie quotidienne : au jour le jour, elle négocie, réprime,
privilégie, instrumentalise, opprime, sanctionne, et récompense
les détenus, afin de minimiser le désordre en détention.
Si la prison constitue un outil de gestion des illégalismes
populaires (mettons de côté les infractions sexuelles),
l’inertie de l’institution ne réside pas tant
dans son fonctionnement disciplinaire que dans le parasitage permanent
du désir de correction par la réalisation pragmatique
de l’objectif central de l’institution : la contention
des reclus.
La conférence annonce : déclin de la prison car perte
d’utilité des illégalismes, cette délinquance
utile aux gouvernements ; diffusion et approfondissement du contrôle
social. Trente ans après, qu’en est-il ? Qu’en
est-il, d’abord, de la prison ? La prison n’est plus
qu’un asile pathogène, qui la rend d’autant plus
intolérable ; mais elle est aussi un point cardinal dans
une somme d’expériences individuelles. La prison, quand
on l’analyse comme ce qu’elle est vraiment dans les
existences de ceux qu’elle enferme, apparaît comme un
moment particulier de vies situées dans un tutoiement, une
intimité avec l’État. La prison est un dispositif
créant plus que de la socialisation, de la subjectivation
: une distorsion de la subjectivité propre d’individus,
qui ne peuvent désormais entreprendre de vies et voir leurs
vies au-delà de l’intimité avec la prison, la
police, le juge d’application des peines. Les récits
de vie des prisonniers en maison d’arrêt montrent comment
l’incarcération apparaît souvent comme l’aboutissement
« normal » (c’est-à-dire subjectivé,
intériorisé et narré comme tel) d’une
trajectoire de galère, le point d’orgue provisoire
d’une logique d’assignation rythmée par de nombreuses
condamnations. L’incarcération est la routine carcérale
qui perpétue la répression routinière ; routine
carcérale caractérisée par le fait que les
détentions qui suivent la première incarcération
forment un système de vie. Les pratiques, les stratégies
et les contraintes que le sujet met en oeuvre quand il est dit «
libre » dans son quartier, et quand il est « privé
de liberté » à l’intérieur de la
prison, en viennent à constituer une expérience similaire
: temporalité de l’existence fondée sur l’immédiateté,
rapports aux autorités répressives proches (policiers
d’un côté, surveillants de l’autre), etc.
L’« habitué » retrouve en détention
ses pairs qui, comme lui, entrent et ressortent régulièrement
; il sait comment se déroulera sa détention, depuis
les rites d’admission - fouille corporelle, cellule arrivant,
etc. - jusqu’à sa sortie ; il développe des
relations personnalisées avec les surveillants, maîtrise
les combines en détention pour améliorer son quotidien,
etc.
L’institution carcérale, lorsque le processus de désaffiliation
est poussé à l’extrême, devient parfois
une ressource, un « contact-miniature » du détenu
avec l’ensemble des autres institutions : la détention
devient le lieu où redeviennent possibles différents
échanges avec des services sociaux. L’incarcération
permet alors paradoxalement la (re-)conquête d’un statut.
Un statut de travailleur en détention, une connaissance personnalisée
avec les surveillants, la bonne connaissance du « système
», les retrouvailles avec des pairs de misère contrebalancent
le stigmate, la solitude et l’absence de consécration
à l’extérieur. La prison devient une ressource
matérielle, symbolique, affective. On dit souvent : «
sortant de prison », lorsque l’usage correct voudrait
« sorti de prison ». C’est que la prison est une
expérience toute entière, qui porte au-delà
du moment de l’exécution de la peine jusque dans le
rapport de soi à la société, de soi à
soi, en une subjectivité entièrement pénétrée
de pénalité.
Ce n’est pas un hasard si Foucault fait référence
au cours de sa conférence au livre de Bruce Jackson [1],
somme de récits bavards de tricheurs, voleurs, cambrioleurs
et proxénètes aux anecdotes drôles et dramatiques,
fières et honteuses, habiles et pathétiques : «
Ecoutez ces voix criardes, intarissables, féroces, ironiques,
que Bruce Jackson a enregistrées. Elles ne chantent pas l’hymne
des maudits en révolte. Elles font « chanter »,
au nom de tous les tours qu’ils se sont joués les uns
aux autres, la loi et l’ordre, et le pouvoir qui fonctionne
à travers eux », écrit-il dans la préface
à l’édition française de l’ouvrage.
Police et prison produisent ainsi des subjectivations particulières,
à partir du rapport d’habitude routinisé, inscrit
dans l’intimité des protagonistes, et qui se rejoue
à l’épreuve de chaque regard échangé.
On se souvient, de ce point de vue, des témoignages éloquents
recueillis lors de l’enquête à Dammarie-lès-Lys
; témoignages de « clients » fréquents
de la police, pour beaucoup anciens condamnés, qui font écho
à ce propos foucaldien d’un ancien patron de Brigade
anti-criminalité : « Le policier est l’une des
personnes que le jeune côtoie le plus souvent ; sa vie est
régie par la Police ». La prison accueille et consolide
ces subjectivations particulières, déterminant des
existences particulières, qui renforcent la circularité
de vies centrées sur les illégalismes.
C’est bien sûr sur ce point qu’achoppe la démonstration
de Foucault, qui annonce crânement la déchéance
de la délinquance. Or, si quelque chose est bel et bien survenu
au milieu des années 1970, c’est la délinquance
de masse, amplifiée par le débat public et l’arsenal
législatif conséquent, tout ce que mesure aujourd’hui
la croissance de la pénalité survenue depuis. Foucault,
à Montréal, parle encore depuis un temps où
l’abrogation de tout risque n’est pas encore érigée
en norme de vie commune, appelant ainsi à chaque revers un
auteur punissable. Il ne parle pas non plus d’aujourd’hui,
où le juge ne peut que consentir à la souffrance de
la victime, qui réclame réparation et punition. Consécration
de la victime dans l’économie de la pénalité
; essor, en quelque sorte, d’un nouvel ordre victimal qui
met à mal le principe de modération, ouvre la voie
à un durcissement punitif et sous-tend la diminution des
droits de la défense ; protection par la sanction de l’individu
dans une société vue comme foyer de risques intolérables,
et enfin explosion des illégalismes : voici ce que Foucault
ne pouvait voir, et ce pour quoi la prison est restée.
La prison a donc tenu bon. Pire : le processus de subjectivation
et de socialisation de ces existences carcérales, dans et
hors les murs, a définitivement signé le vrai échec
du projet carcéral. Foucault disait dans sa conférence
: l’échec de la prison, c’est sa réussite
même ; elle organise et sélectionne les illégalismes
pour créer de la délinquance, ces illégalismes
utiles. Trente ans plus tard, l’échec véritable
de la prison est scellé : la prison entretient et consolide
des vies à part, inutiles au monde de la production. Si pendant
longtemps, les prisons avaient pour vocation d’être
des maisons de correction, qui visaient à surmonter la résistance
et faciliter la soumission, cette « vocation » aujourd’hui
s’effrite à mesure qu’un pan de la population-cible
des prisons n’est plus cette main d’oeuvre en manque
provisoire de coeur à l’ouvrage, mais bel et bien une
catégorie d’« irréductibles inemployables
». Dans ces circonstances, le confinement devient plutôt
une alternative à l’embauche, une manière de
neutraliser une partie considérable de la population dont
on n’a plus besoin dans la production, qu’on ne peut
pas « remettre » au travail, tout simplement parce qu’il
n’y en a plus.
Faut-il alors imaginer que la prison, autrefois matrice des dispositifs
disciplinaires, a légué son héritage aux mille
autres dispositifs de surveillance et de contrôle, et que
ceux-ci prennent en charge la « tradition disciplinaire »
? Ici, le débat se complique, enfle inconsidérément,
et l’on a peine à se repérer dans le fatras
des néologismes post-foucaldiens brodés pour le soin
des invocations post-orwelliennes. Selon une première direction,
nos sociétés auraient pris le chemin d’une extension
presque infinie du contrôle social, depuis les populations
condamnées vers les populations déviantes, puis vers
les populations soupçonnées, enfin vers un peu tout
le monde, ouvrant la voie d’une « société
de sécurité maximale ». Ce premier ensemble
fait de nous des individus assujettis aux dispositifs de contrôle.
Dans cette veine, le philosophe Giorgio Agamben proclame son refus
de se rendre aux États-Unis du fait de la décision
d’imposer un fichage des empreintes digitales et rétiniennes
des voyageurs, pratique qu’il assimile à ce que Foucault
dénonçait comme (nous citons Agamben) une «
nouvelle relation biopolitique normale entre les citoyens et l’État
[qui] concerne l’inscription et le fichage de l’élément
le plus privé et le plus incommunicable de la subjectivité
: je veux parler de la vie biologique des corps ».
Selon une seconde direction, tout soulignerait la profusion des
micro-technologies de contrôle et de surveillance, du système
de traçage de nos opérations bancaires ou de nos pratiques
de santé aux outils d’identification biométrique,
à la généralisation des empreintes génétiques,
en passant par les sonneries de dispositifs anti-vol des échoppes,
la vidéo-surveillance ou le contrôle technique de nos
automobiles. Là, nous serions des êtres hybrides faits
de chair, d’âme et de technique, pris dans des mailles
post-carcérales serrées, marquées d’un
côté par l’essor de dispositifs de contrôle
fragmentés et intégrés aux activités
de la vie quotidienne (la fragmentation indique l’absence
de tout Big Brother), d’un autre côté par l’avènement
d’un nouveau rapport entre individu et État. Les dispositifs
de contrôle au coeur d’environnements fragmentés
indiqueraient alors l’enchâssement du contrôle
dans l’interaction large de l’usager avec les institutions
et les organisations (le contrôle accompagne nos activités
les plus banales : consommer, se déplacer, communiquer) et
l’émergence d’un contrôle dépourvu
de l’intention d’inculquer des valeurs, une morale.
Ces dispositifs sociotechniques régulariseraient alors les
comportements sur un mode binaire (conformité/non-conformité),
projetant notamment sur les usagers un consentement formé
autour de menaces invisibles mais ubiquistes (le « client
» est conçu avant tout, par la visibilité du
dispositif technique, comme un « non-voleur », et le
« voyageur » comme un « non-terroriste »).
Ces directions de pensée testent l’hypothèse
de la « dispersion de la discipline » développée
par Foucault à Montréal, à travers l’exploration
des rapports de nature entre ces modalités de contrôle
en émergence et la distribution généreuse des
sanctions pénales « alternatives » à l’incarcération.
Dans ce cadre, le PSE (placement sous surveillance électronique)
constitue sans doute l’un de ces « dispositifs »
les mieux illustratifs de nos inquiétudes « post-carcérales
». Le PSE est un bracelet électronique fixé
à la cheville d’une personne assignée à
résidence dans une zone particulière et à des
horaires particuliers. Lorsque la personne s’éloigne
du lieu qui lui est assigné à un horaire imprévu
(par exemple de sa maison après le travail), ou lorsque plus
simplement, il s’éloigne des lieux assignés,
le bracelet « prévient » la centrale d’alarme
qui avertit les autorités répressives. La personne
« placée » doit alors répondre devant
le juge d’application des peines de sa liberté prise
avec les horaires ou les lieux imposés pour, le cas échéant,
purger le reste de sa peine entre quatre murs. Tout y est : surveillance
(tout voir), contrôle (tout savoir), gouvernement (tout diriger,
à distance, au plus près de ce qu’est chacun),
mais aussi post-carcéral, puisque le motif avancé
de cette technique reste la lutte contre l’inflation carcérale.
Et pourtant, au-delà de sa sous-utilisation (700 personnes
sont placées sous surveillance électronique aujourd’hui
en France), le PSE montre les limites empiriques des prophéties
du malheur. D’une part, il semble raffermir, du dehors, les
murs de nos prisons. D’abord, parce qu’y sont soumis
ceux que la prison accueille le moins volontiers, mais que la culture
contemporaine de la victime et de l’abolition du risque tient
à voir condamnés : l’exemple-type est l’auteur
d’un homicide involontaire au volant, par ailleurs salarié,
sans inscription au casier judiciaire. Le PSE permet le prononcé
d’une condamnation judiciaire, et l’exécution
à ciel ouvert ; d’une certaine manière, tout
en permettant de condamner plus, il invite à ne confier à
la prison que ceux qui y sont traditionnellement destinés.
Ensuite, le PSE est très peu une technique de contrôle,
tout juste une technique de surveillance, ou de suivi : la personne,
durant un temps particulier, ne doit pas s’éloigner
de tout un ensemble de lieux définis avec le juge d’application.
Mesure disciplinaire d’un genre nouveau ? Au contraire :
voilà une personne condamnée, qui ne connaîtra
jamais la prison, mais que l’on assigne en somme à
méditer le sens de son acte au sein des deux foyers les plus
traditionnels de contrôle que l’on puisse trouver :
l’entreprise et la famille. N’insistons pas plus sur
les mises en garde d’Agamben : l’inscription de données
biologiques muettes (une empreinte, un iris, un génome non
codant ne disent rien des propriétés biologiques de
la personne du porteur, pas même son sexe) dans des fichiers
ajoute certes encore des signaux de repérage de l’infracteur
et du légal, à la manière des bornes siffleuses,
qui, à la sortie des magasins, repèrent les instruments
de détection des vêtements volés. Mais elle
éloigne aussi, un peu plus, une économie du soupçon
exclusivement fondée sur le regard des agents et, du même
coup, n’offre prise à aucune sorte de processus de
subjectivation.
Car c’est bien cela le coeur du disciplinaire chez Foucault
: forger des âmes. Les « alternatives à l’incarcération
» ne sont pas non plus le tremplin de ces contrôles
: car l’alternative première à l’incarcération,
loin d’inscrire l’individu dans le cercle clos du redressement,
c’est bien toujours l’amende (75% des condamnations
en 2000) et, de plus en plus, le dédommagement des parties
civiles, qui substituent au contrôle par l’État
la procédure de rachat du condamné face à «
sa » victime. Et le contrôle exercé par les autres
mesures ne s’exerce ainsi jamais qu’à la toute
lointaine surface de l’âme ou du corps. Tout au mieux
donne-t-elle à voir des dispositifs qui aspirent à
resocialiser par le travail... ceux qui travaillaient avant leur
condamnation ; et qui enjoignent ceux qui ne trouveront pas de travail
à en chercher. Faute de travail, en effet, c’est toute
la logique des alternatives à la détention qui, plus
qu’elle ne diffuse du contrôle social, se contente simplement
de répliquer hors les murs la logique absurde de l’enfermement
dans les murs.
La prison ne discipline pas, mais prolonge la production policière
d’existences et de subjectivités singulières
; les alternatives à l’incarcération et les
mesures de surveillance ont depuis longtemps renoncé au contrôle,
les premières se contentant, au mieux, de renvoyer l’individu
dans les cercles traditionnels de socialisation. Le « couple
» n’est pas, comme le suggéra furtivement Foucault
à Montréal, « le contrôle et l’anormal
» ; mais il y a un partage, en effet, entre ces existences
de police et de prison, existences d’intimité à
l’État qui se manifeste, de l’interpellation
au mitard, par l’emprise sur les corps, et ces existences,
rythmées par les bips des détecteurs et les tampons
au bas des formulaires administratifs, formes respectives d’une
surveillance dispersée et fragmentée et d’un
État rationnel-bureaucratique.
[1] Bruce Jackson, Leurs prisons - autobiographies de prisonniers
et d’ex-détenus américains, Plon-Terre Humaine,
1975.
Gilles Chantraine a notamment publié : Par-delà les
murs, PUF, 2004.
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