Origine :
http://danactu-resistance.over-blog.com/article-les-chasses-a-l-homme-un-livre-de-gregoire-chamayou-52990054.html
Si l'on vous dit "chasse à l'homme", de nos jours,
l'on pense tout de suite aux sans-papiers, surtout si vous avez
été un des spectateurs du film "Welcome".
Nous sommes dans un pays où depuis longtemps il ne fait pas
vraiment bon avoir une peau bronzée et un patronyme pas trop
gaulois. Banques et administrations dénoncent beaucoup et
la police ratisse dans et hors des cités ou à proximité
des écoles, au nom d'une envahissante idéologie sécuritaire.
Mais la chasse à l'homme, hélas, existe depuis longtemps,
elle remonte même à la nuit des temps et le capitalisme
n'a fait que l'étendre et la rationaliser. Et puis en France,
on pourrait presque dire qu'elle devient "tendance". La
crise économique augmentant et les acquis sociaux régressant
dans le même temps, il est de bon ton de chasser. Les sans-papiers
sont en tête de peloton, suivis par les porteuses de burqa,
les Roms trop voyants dans les banlieues, les porteurs de cagoules
ou de casquettes (Morano) et même à France Inter, les
humoristes. L'intolérance n'a aucune limite. Dans les lycées
et collèges, des proviseurs chassent les jeunes avec des
tee-shirts politiquement incorrects, des strings trop voyants, et
parfois des piercings qui seraient sans doute incompatibles avec
une bonne et sage scolarité !
Nos libertés régressant sans cesse sous la multiplication
des lois sécuritaires de Chirac et Sarkozy, la notion de
chasse se trouve une nouvelle jeunesse. Certains vont jusqu'à
chasser les épiciers, surtout s'ils sont jeunes et habitent
Tarnac ! Le ridicule ne tuant plus depuis des lustres...
Si l'on voulait faire un raccourci, les dominants chassent les
dominés, et dans les dominés il y a du monde, les
esclaves fugitifs, les Peaux Rouges, ou les peaux noires, les pauvres,
les exilés, les apatrides, les juifs, et aujourd'hui les
palestiniens ou les Roms.
Tout cela est bien mis en perspective dans ce livre de Grégoire
Chamayou qui est agrégé de philosophie et aussi chercheur
à l'Institut Max Planck à Berlin. Signalons aussi
son livre paru en 2008 intitulé "Les corps vils. Expérimenter
sur les êtres humains aux XVIIIe et XIXe siècles".
Car en réalité il s'agit de cela, d'humanité,
celle des proies. On ne leur refuse pas l'humanité, mais
cela n'est pas tout à fait la même humanité
que le dominant. Il y a comme une ligne de démarcation parmi
les êtres humains. Les théoriciens de la "Suprématie
blanche" aux USA où l'on trouvait bon nombre de membres
du KKK, l'expliquaient très bien, il y a des hommes qui sont
un peu moins humains que d'autres, les noirs par exemple !
En de courts et brillants chapitres l'auteur survole l'histoire
du monde en commençant par les Grecs, puis la Genèse,
avec Nemrod, fondateur de Babel et premier roi connu, pour arriver
ensuite à la "très sainte inquisition" qui
sévit longtemps avec ses tortures et ses bûchers au
nom de Dieu. Saint Thomas pensait que les hérétiques
devaient non seulement être séparés de l'Eglise
par l'excommunication mais aussi être ôtés du
monde par la mort. Certes les religions n'eurent jamais le monopole
de cette pratique de la chasse. Les pouvoirs royaux la pratiquaient
également nous remémore l'auteur à juste titre.
Un chapitre entier est consacré aux Indiens. Les Espagnols
et les Portugais furent les grands spécialistes de cette
chasse abominable. Difficile de résister à une citation
de Voltaire dans "Essai sur les moeurs" :
"On allait à la chasse des hommes avec des chiens.
Ces malheureux sauvages, presque nus et sans armes, étaient
poursuivis comme des daims dans le fond des forêts, dévorés
par les dogues, et tués à coups de fusil."
No comment.
Seul petit défaut du livre, le choix de regrouper les notes
en fin de volume, notes très utiles et abondantes, obligeant
à des sauts incessants...ou à faire l'impasse ! Les
notes en bas de pages sont souvent plus aisées pour les lecteurs.
Au fil des chapitres sont passés en revue la dialectique
passionnante du chasseur et du chassé, les chasses aux pauvres,
les chasses policières, les chasses aux étrangers,
aux juifs, aux hommes illégaux.
En fin de volume, l'auteur nous enseigne que l'actuelle xénophobie
d'Etat a certes rompu avec les chasses d'extermination du racisme
biologique, mais réactive certains traits des anciennes chasses
de proscription avec les politiques d'illégalisation des
migrants. Il suffit de se promener une journée à Calais
pour comprendre, malgré la disparition de la "jungle".
En post-scriptum l'auteur fait allusion aux chasses aux immigrés
saisonniers de Rosarno en Italie l'an passé.
Etrangement j'achève cet article alors que les médias
nous parlent, maladroitement, des heurts entre deux communautés
dans le quartier de Belleville à Paris lors d'une fin de
manifestation où des éléments fascistes du
"Bloc identitaire" soufflent sur les braises, attisant
les haines.
Un livre particulièrement riche, permettant de réfléchir
à un des visages haineux du capitalisme. Nous ne pouvons
que le recommander chaudement.
Dan29000
LES CHASSES A L'HOMME
histoire et philosophie du pouvoir cynégétique Grégoire
Chamayou Editions La fabrique 2010 / 246 p / 13 euros
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