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Origine : http://www.geneveactive.com/blog/blog/en-europe-au-xxie-siecle-la-chasse-a-l%E2%80%99homme-est-pratiquee-avec-des-degres-variables-de-cruaute/
Un matin de 2010, en France voisine, à quelques kilomètres
de Genève, une jeune femme élégante, de profil
exotique, marche dans une rue de Gaillard quand une voiture de la
police française pile près d’elle, deux hommes
en uniforme en jaillissent et lui demandent ses papiers d’identité.
« En règle », elle s’en tire bien, c’est
l’option la plus heureuse d’un processus administratif
qui peut conduire à la mort entre un centre de rétention
et un aéroport.
Une question de look
La chasse au faciès n’est qu’un exemple des
divers types de chasse à l’homme qui sont pratiqués,
avec des degrés variables de cruauté, notamment en
France. En ce moment à Genève, le Comité de
l’ONU pour l’élimination de la discrimination
raciale (CEDR) examine la situation en France et rendra son rapport
avant la fin du mois d’août 2010. Ce rapport sera chargé
de recommandations que la France ne sera pas obligée de suivre,
bien que la France soit signataire de la Convention internationale
sur l’élimination de toutes les formes de discrimination
raciale.
Des êtres humains traqués, poursuivis, capturés
Dans son ouvrage « Les chasses à l’homme »,
paru récemment aux Editions La Fabrique, Grégoire
Chamayou rappelle que la chasse à l’homme remonte à
la nuit des temps et que les techniques de chasses se sont diversifiées
tout comme ont évolué les motivations qui les justifient.
« Chasse aux esclaves fugitifs, aux Peaux-Rouges, aux peaux
noires ; chasse aux pauvres, aux exilés, aux apatrides, aux
Juifs, aux sans-papiers : l’histoire des chasses à
l’homme est une grille de lecture de la longue histoire de
la violence des dominants. La chasse à l’homme
n’est pas à entendre ici comme une métaphore.
Elle désigne des phénomènes historiques concrets,
où des êtres humains furent traqués, poursuivis,
capturés ou tués dans les formes de la chasse; des
pratiques régulières et parfois massives, dont les
premières formes furent théorisées dans l’Antiquité
grecque ».
« Depuis l’Antiquité, tout au long du Moyen
Age et toujours à l’heure actuelle, des populations
ont été et sont capturées afin d’être
réduites en esclavage ou exterminées, ces pratiques
historiques furent conduites avec une extrême violence ainsi
de la conquête de l’Amérique et les chasses d’éradication
qui ont duré les quatre siècles nécessaires
à l’acquisition des territoires.»
« Ces chasses ne se résument pas à des techniques
de traque et de capture : elles nécessitent de tracer des
lignes de démarcation parmi les êtres humains pour
savoir qui est chassable et qui ne l’est pas. Aux proies,
on ne refuse pas l’appartenance à l’espèce
humaine : simplement, ce n’est pas la même forme d’humanité.
»
Comment discerner l’humain de l’animal ?
Chasser les autres humains passe d’abord par leur déshumanisation
et Chamayou cite Sepulvéda qui, pour justifier ses campagnes,
fit appel au questionnement d’Aristote sur la nature de l’humain,
puis Voltaire qui estimait que « les peuples qui se donnent
des maîtres méritent d’en avoir ». Plus
récemment et moins soucieux de principes, Georges Bush décrivait
dans ses discours la guerre en Irak comme une chasse à l’homme.
La chasse est désormais politique, l’affaire
de l’Etat
Au XXIe siècle l’accès aux droits dépend
de la nationalité ou de la race. Les droits de l’homme
ont été réduits aux nationaux privant ceux
qui ne sont qu’hommes de l’accès aux protections
du droit, ils n’ont plus le droit d’avoir des droits.
C’est ce qui arrive quand des êtres humains sont illégalisés,
ils sont privés d’existence juridique et des droits
inconditionnels.»
Chamayou considère que la chasse est désormais politique,
l’affaire de l’Etat : « « Il y a la chasse
poursuite et la chasse expulsion. La chasse qui capture et la chasse
qui exclut. Deux opérations distinctes, mais qui peuvent
s’articuler dans un rapport de complémentarité:
chasser des hommes, les traquer, suppose souvent de les avoir au
préalable chassés, expulsés ou exclus d’un
ordre commun.
Aujourd’hui, en France, il y a une chasse à l’homme
organisée par l’Etat avec sa police sur fond d’illégalisation.
Ce n’est pas une métaphore, on ne se contente pas d’interpeller
les sans papiers, au hasard, là où ils se trouvent,
il y a une politique proactive de traque, de chasse et de capture.
Il peut s’agir de battues comme à Calais, ou de chasse
au piège quand une circulaire invite des sans papiers un
examen personnel de leur dossier, invitation qui les conduit à
être enfermés et expulsés lors de ces chasses
qui ont fait des dizaines de morts ces dernières années.
Cette chasse centralisée est menée avec toute la cruauté
implacable de la bureaucratie et devient une chasse génocidaire.»
Début 2010, à Sangate, dans le nord de la France,
de véritables battues furent organisées par les forces
de l’ordre pour capturer quelques uns des millions d’immigrés
arrivés par le sud de l’Europe ces dix dernières
années. Les violences visent à l’expulsion du
groupe perçu comme concurrent, ainsi du plombier polonais,
« et là se développe une xénophobie structurée
avec la stigmatisation de boucs émissaires ».
Chamayou constate que « C’est avec l’expansion
du capitalisme que la chasse à l’homme s’étend
et se rationalise. En Occident, de vastes chasses aux pauvres concourent
à la formation du salariat et à la montée en
puissance d’un pouvoir de police dont les opérations
de traque se trouvent liées à des dispositifs d’enfermement…
Le grand pouvoir chasseur, qui déploie ses filets à
une échelle jusque-là inconnue dans l’histoire
de l’humanité, c’est celui du capital. »
L’auteur convoque le chroniqueur de la Renaissance Philippe
de Commynes pour conter un plaisir du cruel Louis XI : «Dans
le parc d’Amboise, le roi Louis XI, à qui l’on
avait fait « l’affreux plaisir d’une chasse d’homme
», se lança à la poursuite d’un condamné
couvert d’une « peau de cerf fraîchement tué
». Lâché dans le domaine et bientôt rattrapé
par la meute royale, celui-ci périt « déchiré
par les chiens ».» En janvier 2010, Rosarno, dans le
Sud de l’Italie, les condamnés étaient des travailleurs
africains engagés pour les travaux des champs, les chiens
d’ »honnêtes » habitants. A Zurich, en janvier
de cette année, un requérant d’asile est mort
durant son expulsion, en France, le plus jeune bébé
gardé en centre de rétention était âgé
de trois mois, de jeunes enfants avec le cartable sur le dos sont
raflés dans les cours des écoles. En Europe, au XXIe
siècle, la chasse à l’homme est pratiquée
avec des degrés variables de cruauté.
Jacques Magnol
Les Chasses à l’homme. Grégoire Chamayou. Editions
La Fabrique.
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