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L'intervention sociologique
Sous la direction de Orazio Maria Valastro
Intervention, développement local et sociologie
Par Georges Bertin

Origine : http://critique.ovh.org/0404/article04.html

Résumé:
Penser le projet de développement local, c'est dès lors envisager la rencontre entre les projets individuels et le projet des institutions. Car le projet est une dialectique sans cesse recréée entre Organisation (fermé, épuré) et Institution (praxis). Il est marqué par des temporalités différentes, toujours à prendre en compte. A l'espace homogène des plans d'aménagement s'opposent les espaces pluriels des pays et des territoires. Ainsi, construire une initiative de développement local et l'évaluer, c'est mettre en pratique, et la sociologie en est ici l'agent, un processus d'éducation (au sens d' e ducere: faire sortir) collective à la complexité, en travaillant à la fois les niveaux de sens, les fonctions sociales, le fonds culturel, la communication, l'interaction, l'ambivalence. Dans ce processus, le sociologue conquiert, en même temps qu'il s'autorise à le faire, le droit à évoquer la parole sociale, non pour la convoquer ni la révoquer mais pour en faire une instance toujours placée en contrepoint de l'action.

Le développement local entre conformité et ouverture.

Entre conformité (celle-là même qui lui serait conférée par son statut universitaire, le plus souvent sans examen de sa réelle compétence à traiter le sujet imposé[1]) et ouverture (celle qui advient dans le jeu des interactions et des conflits suscités par l'objet de la recherche, le sociologue inter vient, est impliqué souvent plus qu'il ne s'implique, met en évidence et donc en oeuvre des stratégies de recherche et d'action lesquelles se transforment pour les premières en praxis et pour les secondes en pratiques, celles ci alimentant sans cesse celles-là.

Nous sommes bien loin, dans les travaux du développement local, de procédures de distanciation qui n'ont souvent pour effet que de tendre sans jamais d'ailleurs y réussir, à réifier une réalité perçue comme mouvante, interactive, dynamique, elle-même productrice de résistances des publics concernés, si ce n'est génératrice de conflits lorsque le refoulé social fait irruption sous les effets conjugués de l'analyse et de l'intervention.

En termes d'outils liés à l'intervention sociologique, ceci nous amène à reconsidérer la fonction de l'Evaluation[2] critique, première démarche incontournable des pratiques de la recherche en Sciences anthroposociales appliquées à notre objet, le développement local, car c'est souvent en ces termes que nous est passée la première commande de terrain[3]. S'il appartient à chacun de tenter de "s'autoriser à devenir soi-même son propre auteur" (Ardoino, 1977), la mission de l'Evaluation comme processus (à distinguer du contrôle social qui n'est certes l'affaire ni de l'intervenant social ni du sociologue mais doit être légitimement réservée à l'Administrateur du ou des territoire(s) sera de favoriser le développement personnel, politique et social, de telle manière que chacun assume le plein exercice de ses droits compte tenu du respect des obligations que la solidarité sociale lui impose.

Il s'agira, en somme, et les champs d'application en sont multiples (bilan, conseil, éducation, recherche, animation, formation d'adultes, développement économique, social, culturel, touristique...) quand on s'exerce à relire le sens des politiques, des travaux, des programmes, d'accéder à la reconnaissance des liens sociaux interindividuels, de l'interdépendance, en même temps qu'à la faculté d'autorisation par l'éveil de la conscience critique et celle de la maturation psychologique et relationnelle des individus, dans leur appropriation des mécanismes de décision économiques et politiques, leur réelle insertion sociale comme leur intégration culturelle.

Nous pouvons rapporter cela:

* à une réflexion sur la Culture à la fois permise aux individus par des comportements adaptatifs d'une variété infinie et qui introduit une nouvelle dimension dans la réalité sociale lorsque nous découvrons "au creux des apparences" (Maffesoli, 1990), des schèmes opératifs et structurels,

* aux méthodologies de l'analyse institutionnelle en travaillant à l'autre niveau inconscient, celui du social, quand les individus ont fait le projet de se diriger eux-mêmes et deviennent autonomes parce qu'ils sont amenés à mettre en cause la Société totale. C'est la fonction critique de la sociologie que de permettre, dans sa production de connaissances, une telle abréaction.

Au service de cette finalité, il s'agit en particulier de mettre en place des dispositifs facilitant un travail à partir des données de l'Imaginaire. Le recueil et la mise à jour de ces productions par le moyen des méthodes biographiques, des journaux institutionnels, voire la "transanalyse" (Lapassade, 1970) témoignent du sens que peuvent prendre, à les rapprocher et à les confronter, des récits de vie qui se trouvent parler de choses vécues au niveau le plus archaïque. C'est en ce sens que Jacques Ardoino, notamment comme Gilbert Durand et Michel Maffesoli, réclame des chercheurs en sciences humaines et sociales une culture du doute, une "méthodologie de la suspicion" (soit sus picere: regarder en dessous) une capacité à saisir ce qui n'est pas donné immédiatement.

Pour faciliter ce travail, un certain nombre de procédures doivent être employées qui sont autant de moyens, pour nous incontournables, d'extériorisation des productions de l'Imaginaire:

* observation participante,

* recherche action,

* sociodrames et techniques sociométriques,

* méthode de cas, récits de vie,

* journaux institutionnels,

* conduites de réunions in situ avec les acteurs concernés,

* exploration de la littérature grise, de la presse locale sur la longue durée,

* inventaire des finalités exprimées par les groupes sociaux en recherche active présents sur le terrain au travers de leur production écrite, parlée, vidéo, filmée, chantée, voire dansée... de leur expression spontanée ou provoquée.

Il s'agit donc, à travers des objets intermédiaires de permettre aux chercheurs de trouver une expression symbolique, d'interagir avec la société étudiée. Les groupes sociaux constituent de fait pour tous une sorte de "sas Imaginaire-Réel" (René Barbier[4]).

Ceci passe, bien évidemment par un recueil systématique des données produites et leur analyse avant interprétation, les deux phases devant être systématiquement séparées.

Au service d'une telle ambition, nous préconisons à nos étudiants, chercheurs et/ou praticiens en recherche, de recourir à la mise en oeuvre de méthodologies prenant en compte la totalité des savoirs et vécus sociaux, soit de reproduire méthodologiquement pour les saisir théoriquement (c'est la condition contingente à une production réelle de ce type) les données inhérentes au trajet anthropologique, concept de méthode développé par Gilbert Durand.

Nous faisons ainsi appel, par construction, à des regards croisés[5]:

a) côté synchronique:

* l'ethnométhodologie, ou repérage des contextes de l'indexicalité des groupes sur lesquels porte la recherche et/ou l'action de développement,

* la culturanalyse d'Edgar Morin, méthode de traitement de la complexité,

b) côté diachronique:

* l'histoire, la mythologie et l'ethnographie locales,

* l'analyse symbolique, ou anthropologie de l'Imaginaire,

* l'analyse institutionnelle ou socianalyse.

Ce qui permet de prendre en compte, nous l'expérimentons depuis 26 ans, tous les niveaux de complexité sociale et culturelle des pratiques du développement local.

Ces regards sont ainsi, nécessairement, confrontés à l'analyse de l'implication des acteurs eux-mêmes et notamment de celle du sociologue.

Si nous nous en tenions à une visée praxéologique (nécessaire mais non suffisante), l'évaluation prendrait nécessairement les formes du contrôle, elle se développerait alors dans l'orbe du schéma fins/moyens, par application de préceptes et de moyens qui leur seraient subordonnés en partant d'un point de vue extérieur et général, vérification des procédures et de leur conformité plus que l'émergence progressive du sens. C'est ce que font le plus souvent, d'un côté les administrateurs et de l'autre les producteurs de statistiques sociales ou économiques.

Dans notre champ, à l'inverse, l'activité humaine doit être reconnue comme la résultante de processus au croisement des impératifs bio-psychiques et des intimations du milieu naturel et socioculturel. Elle doit donc être prise en compte dans la complexité de ce qui constitue, dans une perspective dynamique, le trajet anthropologique, et dans une perspective dialectique, la praxis.

Le dépassement de cette opposition théorique pour nous seulement apparente réside sans doute dans les capacités de mise en tension d'impératifs complémentaires obéissant aux lois de la raison et à celles de l'Imaginaire. Elle réalise, de fait, dans des proportions jamais définitives, l'ambition toujours située dans l'inachèvement de la nécessaire gestion des contradictoires, de la tension des opposés. Car, le terrain nous l'apprend souvent à nos dépens, les processus du développement local relèvent et d'une lecture explicative et dans le même temps (principe de non séparabilité), d'une herméneutique sociale.

Ainsi, côté praxis humaniste, les praticiens de l'empowerment, tendent à vérifier si les méthodologies mises en oeuvre sont pertinentes dans leur effort à soutenir les personnes et groupes concernés (disempowered) dans leur démarche pour acquérir le pouvoir, soit avec le milieu et non pas pour lui. Les procédures dans leur linéarité y sont parfaitement établies, presque chronométrées, et leur implication dans l'action collective testée du point de vue de la participation à divers niveaux dans les initiatives de développement. Celles-ci sont référées alors à la capacité des individus à acquérir attitudes et techniques bénéficiant à tous et en retour à eux-mêmes.

Dans cette optique, très pratiquée en Amérique du Nord, le radicalisme philosophique n'est pas loin qui visait à la satisfaction maximale des besoins individuels pour faire société par un processus accumulatif. C'est ce qu'on a appelé la doctrine utilitariste.

On évalue ici la capacité des personnes à passer d'intérêts personnels à un contrôle des ressources collectives et l'approche basée sur l'empowerment consiste à soutenir et stimuler leur progression pour qu'elles puissent exercer leurs droits et prendre leurs responsabilités. Cela doit être un but explicite identifié pour chaque projet de développement local: dépasser l'autonomie individuelle pour aller vers la solidarité.

Dans une visée radicalement différente, Castoriadis posait la nécessité de "requérir de nouvelles créations imaginaires, soit des créations mettant au coeur de la vie humaine des significations autres que l'expansion de la production et de la consommation, qui poserait des objectifs de vie différents[6]".

Le développement local dont l'initiative survient dans des processus de crise (coupure au sens de Morin[7]) ne peut qu'être le temps d'émergence de ce type de réflexion collective.

Jacques Ardoino[8] insiste pour sa part sur la capacité que nous avons d'articuler, dans les dispositifs de recherche et d'intervention, le contrôle et l'évaluation proprement dits.

Au premier chef, l'analyse des situations comme indicateurs déterminés par des critères (on le voit dans la procédure de l'empowerment) retenus et supposant des paradigmes (ici celui de la participation), d'où découlent les procédures. Ces analyses souvent réduites à des schèmes utilitaires de fonctionnement, partent du point de vue prédominant des sujets. Elles postulent leur incontournable capacité à mettre en oeuvre une rationalité agissante dans un système moyens/fins orienté vers l'expansion. Les références spatiales qui les dominent semblent en témoigner lorsqu'elles pensent le développement local en termes d'explication par un processus abstrait de démonstrations logiquement effectuées à partir de données objectives en vertu de nécessités causales matérielles ou formelles basées sur une adéquation à des structures ou modèles. Elles renvoient à une définition très ethnocentrique du développement comme déroulement de concepts à partir d'un donné techno-scientifique préexistant. C'est celle qui a prévalu à la période de la décolonisation vis à vis des peuples dits sous-développés, réflexion qui s'est surtout construite à partir d'une expérience limitée, celle des pays occidentaux, et d'un type de société, la société industrielle.

Curieusement elle semble dominer les discours et intimations de nombre de responsables du développement local.

Sans nier la pertinence de ces analyses et leur utilité opératoire, nous remarquerons simplement que la définition même du développement y est d'emblée convoquée dans une dimension spatiale et semble donner la primauté à l'instance organisationnelle, ce qui est d'ailleurs induit par la définition même du concept, la notion de projet venant en quelque sorte en surdéterminer la visée.

Dans un second temps, indissociable du premier et à conduire en parallèle, il nous faut considérer les visions du monde sous jacentes à la base des démarches du développement local, quand elles contribuent à affiner et élaborer les critères de la première procédure.

Pour nous, et, c'est au moins aussi important, la notion de développement ne peut en effet être entièrement réduite à son préfixe de, et l'idée de sviluppo italienne, - qui en rend bien compte et signifie aussi enrouler, enchevêtrer,- fait référence de fait à la pensée complexe, à l'implication, aux impératifs de l'intervention prise entre diverses données contradictoires, au caractère aléatoire de leur survenue quand s'y trouvent englués les acteurs du développement. Leur reconnaissance est sans doute la propédeutique indispensable à toute politique du développement, et particulièrement local puisque le local est justement le lieu de l'émergence et de l'expression du particulier. Il est siège de toutes les ambiguïtés, de toutes les contradictions, lieu de rencontre de l'imprécis, du provisoire, de l'irréductible. Par principe sociologique, si les populations que nous observons pour travailler avec elles depuis plus de vingt cinq ans sur des questions de développement local et culturel, semblent s'installer dans des attitudes loin de s'inscrire dans la dynamique du progrès, c'est sans doute parce qu'elles répugnent à se sentir liées à ces schèmes héroïco-mécanistes aujourd'hui marque de la plupart des projets de développement ordonnés à une certaine idéologie du projet. Celle-ci, en effet, n'a souvent pour résultat que de placer les acteurs dans des situations de double contrainte (double bind au sens de Palo Alto): le "développez-vous" comme injonction paradoxale.

Contre le conformisme généralisé, les politiques ne sont pas des créations de la raison instrumentale, mais de l'imaginaire social dans leurs significations à découvrir avec des outils appropriés. Elles se partagent en effet entre deux types de patrons modèles:

* ceux qui relèvent de l'instituant, lequel secrète de nouvelles lois, de nouvelles institutions,

* ceux qui relèvent de l'institué, lorsqu'il est figé en lois, règlements administratifs, institutions établies.

Ceci ne pouvait, pour Castoriadis, s'établir qu'au prix d'un programme dont feraient bien de s'inspirer nos modernes "développeurs" (on voit comment ce terme à la mode dans les cabinets d'audits et les ministères révèle un parti pris d'imposition implicite).

L'initiative de développement local ne peut s'établir que "dans la réappropriation du pouvoir par la collectivité, l'abolition de la bureaucratie, la décentralisation la plus extrême des décisions, la souveraineté des consommateurs, l'autogouvernement des producteurs[9]".

Penser le projet de développement local, c'est donc envisager la rencontre entre les projets individuels et le projet des institutions, entre le libidinal et le projet de société (au sens de PRO - JET social), il mobilise le relationnel comme visée (PRO - JET idéologique) et le groupal/communautaire comme finalité (PRO - JET idéal et idéel).

Car le projet ne peut que résulter que d'une dialectique sans cesse recréée entre Organisation (fermé, épuré) et Institution (praxis). Il est marqué par des temporalités différentes, toujours à prendre en compte. Au Temps irréversible (Temps unifié) s'oppose le Temps biologique (Temps diversifié) aux Modèles mécanistes, les Modèles biologiques. A l'espace homogène des plans d'aménagement s'opposent les espaces pluriels des pays et des territoires.

Ainsi construire une initiative de développement local et l'évaluer, c'est mettre en pratique, et la sociologie en est ici l'agent, un processus d'éducation (au sens d'e ducere: faire sortir de) collective à la complexité, en travaillant à la fois les niveaux de sens, les fonctions sociales, le fonds culturel, la communication, l'interaction, l'ambivalence.

Dans ce processus le sociologue conquiert, en même temps qu'il s'autorise à le faire, le droit à évoquer la parole sociale, non pour la convoquer ni la révoquer mais pour en faire une instance toujours placée en contrepoint de l'action.

Penser l'interaction théorie/pratique.

L'interaction était, rappelons-le, pour G H Mead[10], un nouveau paradigme: tout système social, écrivait-il, n'existe que parce qu'il entretient des interactions avec d'autres systèmes lesquels s'interpénètrent dans un système. Connaître une société, c'est ainsi connaître ses systèmes d'interactions incluant une durée qui peut les modifier. Il définissait donc le milieu social comme l'ensemble de tous les objets tel qu'une modification de leurs attributs affecte tout le système ainsi que les objets dont les attributs sont modifiés par le comportement du système, systèmes et sous-systèmes échangeant par relations verticales et horizontales. D'où l'usage heuristique de procédures croisées diachroniques et synchroniques.

Composant avec ces deux logiques, le projet de développement local se situe à leur croisement. Il doit composer, négocier, s'adapter car dans un système social, les conséquences ne sont pas tant déterminées par les conditions initiales que par la nature du processus. C'est la structure qui est déterminante. Les paramètres du système l'emportent sur les conditions initiales.

Constituer un système en développement, c'est réaliser l'intégration de ses membres pour parvenir à une meilleure adaptation à l'environnement, c'est favoriser l'adaptation par les acteurs car ils connaissent eux seuls les variations auxquelles ils sont confrontés. C'est encore révéler le contexte comme signifiant.

Il en va de même des projets de développement, chaque groupe social jouant sa propre stratégie, son propre jeu, pour développer son influence, son territoire. La stratégie du développement consiste, là où l'organigramme du modèle exogène prévoit des rapports techniques, à instaurer des relations, des possibilités des choix pour les partenaires engagés, et surtout à reconnaître relations de pouvoir et modèles sous-jacents.

Cette réflexion ne peut faire l'économie du concept d'institution, lequel désigne "un dispositif de transformation interne ou produit de la société instituante" (Georges Lapassade[11]). L'Institution est à la fois:

un système de règles, une chose,

un fait social,

un objet imaginaire, un système de défense contre l'angoisse.

L'institution traverse tous les niveaux d'une formation sociale déterminée, elle est un carrefour des instances économiques, politiques, idéologiques qui fondent la structure sociale. Elle manifeste l'inconscient politique. Nous sommes ignorants de nos propres institutions, et l'Etat (au sens large, y compris les communautés européennes) est le lieu de tous les refoulements.

Reconnaître cette instance, c'est, on en conviendra, mettre au jour les pratiques du développement local dans leur dimension cachée.

En effet, pour qu'un système se maintienne, l'illusion, la méconnaissance institutionnelle sont nécessaires. La théorie institutionnelle étudie donc la lutte incessante partout présente dans les champs du développement local entre normes instituées et imaginaire social créateur, les systèmes concernés utilisant en effet l'outil développement local pour pourvoir à leur transformation (ex reconversion d'un bassin de mono production).

L'analyse de l'Institution du développement local est donc celle de la réalité, de la base cachée du système, d'une nouvelle division entre les hommes. Entre imposition, fait de l'institué social, et proposition, elle cherche une voie de mise en tension des opposés articulée sur les catégories du sensible, du vivant, du quotidien, elle est facteur de mobilisation.

Le projet de développement local doit à notre sens se penser dans ces termes là et ne peut pas faire l'économie de l'implication du praticien chercheur en recherche-action (voir en annexe notre entretien avec Orazio Maria Valastro).

Il doit se vivre et s'instruire paradoxalement et contradictoirement dans le situationnel, l'historique et le territorial sans se masquer les grands impératifs économiques.

C'est à cette seule condition que l'initiative de développement local peut entrer en existence, hors de tout dessein préformé qui consacrerait sa ruine à peine ébauché.

Dans le domaine du développement local, la recherche-action peut avoir deux effets:

* tendre à apporter une contribution aux préoccupations pratiques de personnes se trouvant en situation problématique (que devient le développement local? comment faire pour qu'il survive en tant que pratique socioculturelle et en tant que mode d'interrogation?). C'est la phase de reconnaissance des oppositions, des conflits, des particularités qui sont repérées sur le terrain par les agents,

* participer à poser une réflexion sociale par une collaboration qui les relie selon un schéma éthique mutuellement acceptable et accepté par tous les partenaires, c'est la phase de synthèse, où les consensus, questionnés par les agents particuliers, débouchent sur la négociation, la contractualisation, l'affirmation des singularités de ce qui fera le propre et l'originalité de l'initiative de développement local.

A cet endroit, les reconnaissances mythiques ne sont certes pas négligeables, fournissant aux uns et aux autres une base de travail commun, c'est le partage du savoir que l'on se reconnaît commun qui libère lorsqu'il est mis directement en rapport avec le champ social, c'est la recherche et la découverte d'instances fondatrices, de mythes communautaires qui refondent le lien social.

Entre le multiple des projets individuels, toujours à reconnaître comme force de propositions, et l'univocité des déterminants externes imposant une logique identitaire, le sociologue est alors dans sa pratique d'intervention - dont on aura compris qu'elle est loin d'être univoque - et dans sa production, facteur incontournable et toujours nécessaire de mobilisation.

Paraphrasant Emile Durkheim, lequel aux moments fondateur de la sociologie, appelait notre discipline à se doter d'une culture spécifique, nous pouvons estimer que la sociologie du développement local ne gagnera rien à se référer à des modèles qui seraient étrangers à son champ et à ses pratiques, lesquelles sont justement celles de l'intervention.

Mode d'investigation d'un donné complexe, et en constantes mutations, elle ne peut se constituer que dans un parti pris d'herméneutique sociale et dans une instrumentation nécessairement multiréférentielle et concrète.

Comme dispositif de production de connaissances, la sociologie d'intervention, dans sa transversalité, participera ainsi à la construction et à l'intelligence du social.

Georges Bertin


Notes:

1.- On a vu ainsi dernièrement des astrophysiciens intervenir avec aplomb dans le champ de la théorie sociologique!

2.- Au sens de mise en évidence de la valeur.

3.- Cf nos travaux d'évaluation pour les Plans d'Aménagement Ruraux et Chartes intercommunales en Basse Normandie entre 1979 et 1992, éd. Orne Animation.

4.- Barbier René, La recherche action dans l'institution éducative, Paris, Gauthier Villars, 1977.

5.- Cf Bertin Georges, L'imaginaire dans les pratiques d'animation socioculturelle, l'exemple de la fête locale, Thèse de doctorat sous la direction de Jacques Ardoino, Université de Paris 8, 1989, où nous avons procédé à une tel traitement systématique de l'information recueillie au terme d'une dizaine d'années de recherche action dans le bocage normand (350 entretiens de groupe, 10 ans d'analyse de la presse). Voire aussi: Bertin Georges (dir) Apparitions, disparitions, Desclée de Brouwer, 1999.

6.- Castoriadis Cornélius, in le Monde diplomatique, 08 1997.

7.- Morin Edgar, Sociologie Paris, Fayard, 1984.

8.- Ardoino Jacques et Berger Guy, D'une évaluation en miettes à une évaluation en actes, le cas des universités, Paris, Matrice Andsha, 1989, p.19sq

9.- Castoriadis Cornélius, Fait et à faire, Le Seuil, 1997.

10.- Mead G. L'esprit, le Soi, la Société, PUF, 1948.

11.- Lapassade Georges, Groupes, organisations, institutions, Paris, Gauthier Villars, 1970.


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Riesman D. La Foule solitaire, Arthaud, 1984.


G. Bertin: travaux divers.

A paraître:

Images du désir et figures de la femme chez André Breton, in Nommer l'Amour, colloque du LESTAMP, Département de sociologie Université de Nantes, février 2000.

Lancelot du Lac, héros multifonctionnel, récurrence d'une figure indo européenne, du prêtre roi au médiateur post moderne. Colloque Eclipses et surgissement de constellations mythiques, Colloque du Centre de Recherche sur l'imaginaire, Université de Nice, Mars 2001.

Ouvrages.

Apparitions et Fantômes, (direction) éditions Charles Corlet.

Développement local et intervention sociale (direction), Desclée de Brouwer,

Druides, les maîtres du temps, (avec Paul Verdier), Dervy Livres.


Notice:

Bertin, Georges. "Intervention, développement local et sociologie.", Esprit critique, vol.04 no.04, Avril 2002, consulté sur Internet:

http://www.espritcritique.org