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Origine :
http://perso.wanadoo.fr/marxiens/sciences/plagiat.htm
On ne manquera pas de trouver déplacée et bien peu
sérieuse cette mise en série de Guy Debord avec les
deux plus grands génies de la physique. Du moins cela permettra
de souligner l'universalité de ces difficultés d'attribution
dans le domaine intellectuel, bien au-delà des sciences,
et même là où on s'y attendrait le moins, dans
le petit cercle fermé des situationnistes d'aujourd'hui (qu'on
peut appeler des archéo-situs). La chose est d'autant plus
comique que Guy Debord a toujours utilisé de façon
intensive citations ou détournements et que la notion d'auteur
semblait devoir perdre tout sens puisque la poésie devait
être faite par tous, les situationnistes reniant leurs oeuvres
(en fait la filiation lettriste mettait plutôt en avant l'artiste
qui devient son unique chef d'oeuvre!).
Il y a peu j'ai dû répondre à une controverse
agitant ce milieu et, ce qui m'a frappé, c'est à quel
point l'accusation faite à Guy Debord de plagiat de Günther
Anders ne tenait pas dès qu'on allait y voir d'un peu plus
près, ou plutôt que ce qui les différenciait
c'était leurs positions politiques et qu'on peut s'inquiéter
de voir de beaux esprits adopter comme identiques des options politiques
si éloignées. Bien sûr on retrouve chez l'un
comme chez l'autre la dénonciation du monde contemporain,
il y a de nombreux échos. De là à confondre
les thèses et réduire "La société
du Spectacle" à une oeuvre de plagiaire, il y faut beaucoup
de mauvaise foi ou d'ignorance. L'apport de Guy Debord est pourtant
incontestable et ne se réduit d'ailleurs pas du tout à
ce livre dont la portée a été si grande. Ce
n'est pas une raison (parce qu'on n'a lu rien d'autre) pour croire
qu'il aurait tout inventé ! Loin d'y prétendre, il
ne s'est pas gêné pour reprendre et détourner
plus ou moins ouvertement un nombre considérable de citations.
L'histoire dit qu'un dénommé Baudet aurait envoyé
à Guy Debord un résumé du livre de Günther
Anders "L'obsolescence de l'homme", résumé
très suggestif faisant ressortir les analogies frappantes
avec les thèses de "La société du Spectacle".
Debord l'aurait mal pris, preuve de sa mauvaise foi parait-il !
Il y aurait vu plutôt une pure reconstruction malveillante.
Après, il ne s'agirait plus pour certains que d'établir
si Debord avait lu Anders avant d'écrire "La société
du Spectacle" alors que la question est toute autre. Il se
peut que Debord ne rende pas à Anders ce qu'il lui doit,
il y a de bonnes raisons politiques pour cela ; il se peut même
que Debord n'en sache rien, oublié dans l'air du temps. Ce
qui est sûr c'est que Debord n'est pas heideggerien, contrairement
à Anders, et dit autre chose, autrement, avec bien d'autres
auteurs à "plagier" (en premier lieu Marx et Hegel
mais aussi Lucien Goldmann, György Lukàcs, Henri Lefebvre,
Socialisme ou Barbarie, etc.). Surtout, on ne peut comparer ces
livres car leurs effets sont sans commune mesure, celui de Günther
Anders étant passé quasiment inaperçu alors
que "La société du Spectacle" entrait dans
l'agitation précédant Mai 68.
Il suffit de montrer leurs différences d'approche pour trouver
saugrenu qu'on puisse les confondre. La chose est comique car pour
désupposer tout savoir à Debord et transformer en
simple faussaire le théoricien du détournement il
faut dire à la fois 1) tout ce que Debord a pu écrire
est dans Anders, 2) ce que Debord écrit n'est pas ce que
Anders a dit, qui est tellement mieux.
Anders (comme Arendt sa femme) se situe dans la continuité
de Heidegger, même s'il en fait une critique sévère,
et pense que la technique mène le monde après l'économie
et la politique. Je trouve cela pour ma part un peu court et préfère
l'analyse de Debord du totalitarisme de la marchandise car la technique
est relativement neutre en elle-même alors que c'est le capitalisme
qui l'organise, c'est l'économie qui est devenue autonome
et non pas tant la technique. [On trouve entre Anders et Debord
la même opposition qu'entre Heidegger et Lukàcs, tel
que Lucien Goldmann l'avait analysée].
Cela a des conséquences pratiques considérables,
car autant il est bien problématique de vouloir lutter contre
la "technique", autant on peut lutter pour une autre économie,
transformer le travail et le processus de valorisation. Il est crucial
de savoir qui est l'ennemi (l'ennemi est bête car il croit
que c'est nous l'ennemi, alors que l'ennemi c'est lui, disait Desproges
!). Il n'y a pas de parti de la technique, alors qu'il y a des partis
libéraux dont la finalité est bien l'autonomie de
l'économie, c'est-à-dire le profit dont la pression
est énorme. Ce n'est que soumis aux lois du marché
et du profit, quand ce n'est pas à l'Etat, que la technique
peut se déployer. Il n'y a donc pas de véritable autonomie
de la technique même si on ne choisit pas les techniques de
son temps et que la technique a sa propre historicité.
Le concept de Spectacle n'est pas un concept métaphysique
chez Debord mais bien politique. C'est un rapport social, c'est
le règne autocratique de l'économie marchande, pas
la domination des techniques de communication. Nos capacités
de représentation sont à l'évidence limitées,
surtout de représentation de la totalité, mais nous
sommes par contre fortement influençables. Il ne s'agit donc
pas tant d'un défaut de représentation, dans la notion
de Spectacle, que d'une représentation omniprésente,
univers des signes tombé entièrement aux mains des
industries spectaculaires et marchandes, totalité de l'espace
occupé par le fabriqué, l'apparence, la publicité,
le faux-semblant. Le Spectacle, pour Debord, c'est ce qu'on peut
appeler aussi la société de consommation, la captation
du désir (ce qui ne se réduit pas aux mass-média
donc). Au-delà de la parcellisation des tâches et de
leur imposition, c'est ce qui nous convoque, nous motive, nous illusionne,
mobilise notre subjectivité. Le Spectacle a, chez Lukàcs
et Debord, le même statut que celui du fétichisme de
la marchandise en ce qu'il exprime un rapport social en même
temps que ce rapport social disparaît dans son objectivation
(fétiche). On est donc loin de trouver chez Günther
Anders le concept de Spectacle tel qu'en a usé Guy Debord,
cela n'empêche pas qu'il y a un certain nombre d'échos,
ceux d'une critique de la vie contemporaine mais l'accusation de
plagiat est vraiment surréaliste ! Pourtant certains s'en
persuadent et se persuadent que cela aurait une quelconque importance...
Günther Anders, "L’obsolescence de l’homme.
Sur l’âme à l’époque de la deuxième
révolution industrielle" (360 pages, 25 €) que
les Éditions de l’Encyclopédie des Nuisances
ont publié en 2001 et qui n'avait pas été traduit
en français depuis sa parution en 1956 !
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