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Origine http://infokiosques.net/spip.php?article=356
Préalable
Le terme “gens du voyage” est une création du
législateur français, utilisé pour remplacer
celui de “nomade” après 1978. Ce terme sert de
façade hypocrite à la désignation d’une
minorité présente depuis au moins six siècles
sur le territoire français : les Roms. Ceux-ci sont plus
connus sous des dénominations exogènes telles que
Tsiganes, Gitans, Bohémiens ou endogènes telles que
Manouches, Sinti, Kalé, Rroms ou encore Roms. Ce dernier
terme est de plus en plus employé, notamment par les militants
des mouvements d’émancipation des Roms, pour désigner
l’ensemble des ces populations, de manière à
faire valoir leur unité culturelle et historique. C’est
donc celui que nous avons choisi d’employer, en englobant
par ailleurs sous le masculin neutre (mais l’est-il tant que
cela ?) les Roms et les Romnis.
Introduction
Dans ses conclusions d’un colloque organisé en octobre
2000, Médecins du Monde attirait l’attention de l’opinion
et des pouvoirs publics sur la désastreuse situation sanitaire
et sociale des communautés romanies en France, en Espagne,
au Portugal et en Grèce. [1] Ce document, loin d’être
une révélation (nous avons tous croisé des
campements misérables ou des quartiers, essentiellement habités
par des Roms, quasi insalubres) permit de mesurer la dure réalité
de nombreuses communautés dans notre pays et en Europe.
Ce document insistait sur l’aggravation récente d’une
situation déjà précaire auparavant. Il indiquait
: “le constat est alarmant. Au plan de l’état
de santé, trois indices le confirment : espérance
de vie considérablement inférieure aux moyennes nationales,
mortalité néonatale et mortalité infantile
très élevées, plusieurs fois supérieures
à celles observées dans les populations générales
des mêmes pays.” Les auteurs du rapport d’ajouter
: “les conditions de logement sont déplorables, sans
aucun équipement sanitaire. Les lieux de vie se situent toujours
à l’écart des autres populations, et les expulsions
récurrentes ne sont jamais suivies de propositions adéquates.”
Ces conclusions sont restées lettre morte. L’heure
est, au moins depuis la campagne présidentielle de 2002,
au raisonnement sécuritaire et les Roms français ou
étrangers, avec quelques autres catégories de la population,
font les frais du contexte politique.
Alors qu’en septembre 2002, sans faire preuve d’originalité,
le ministre de l’intérieur Nicolas Sarkozy s’interrogeait
publiquement sur la provenance des revenus de certains Roms et qu’un
de ses subordonnés, le préfet de Vaucluse, Paul Girot
de Langlade, affirmait : “je n’ai pas de tendresse particulière
pour ces gens-là. Ils vivent à nos crochets, de la
rapine aussi, tout le monde le sait [...] certains roulent dans
des Mercedes que je ne peux même pas me payer, moi aussi ça
m’agace” [2], nous ne pouvons qu’être inquiets
pour l’avenir des populations romanies - même si le
ministre de l’intérieur affirme condamner les propos
de son préfet.
Pour autant, cette défiance envers les populations romanies
est-elle une spécificité de notre époque ou
s’inscrit-elle dans une démarche plus ancienne des
autorités publiques en France ? Leur situation peut être
envisagée à travers la problématique du traitement
politique et institutionnel des minorités, traitement d’ailleurs
quasi inexistant, mais aussi à la lumière des législations
concernant les personnes non sédentaires.
Le principe de la République “Une et Indivisible”
a, de tout temps, prévalu et servi de justification à
la non-reconnaissance de l’existence des minorités,
quelles qu’elles fussent, sur le territoire français.
Cela n’est pas sans conséquence sur le mode de vie
de ceux qui souhaitent, immigrés comme populations “provinciales”,
faire valoir une culture et une identité originales tout
en respectant la légalité républicaine. Une
seule loi et une seule langue furent les piliers de l’intégration
républicaine. Si le refus des particularismes et le centralisme
pouvaient se comprendre à la lumière du contexte révolutionnaire
des années 1790, leurs motivations apparaissaient bien différentes
dès la fin du 19e siècle.
Il s’agit, alors, dans l’illusion de l’immuabilité
de l’identité française et de sa prétendue
supériorité face aux autres cultures, d’assimiler
et de soumettre au contrôle de l’État, sous prétexte
d’une égalité républicaine jamais atteinte,
l’ensemble des personnes présentes sur le territoire.
L’objectif était l’intégration des populations
à forts particularismes régionaux ou les travailleurs
immigrés, en leur imposant l’abandon de leurs identités.
Malheur à ceux qui, pour une raison ou pour une autre, ne
rentraient pas dans le moule. A priori, les Roms furent de ceux-là.
Ce principe de la République “Une et Indivisible”
ne souffre, aujourd’hui encore pour ses partisans, aucune
entorse. L’esquisse d’un statut (légèrement)
particulier pour la Corse a été suffisant pour pousser
un ministre de l’intérieur à la démission.
Que de débats également, dépassant les traditionnels
clivages gauche/droite, autour de l’enseignement en langue
régionale.
Pourtant depuis longtemps, au moins depuis la troisième
République, un traitement spécifique est réservé
à ceux désignés par les législations
successives comme “nomades” puis comme “gens du
voyage”. Le critère de différenciation n’étant,
a priori, ni l’origine ethnique, ni l’origine géographique
mais le mode de vie. Malgré tout, ces appellations doivent
passer pour ce qu’elles sont, des “cache-sexe”
d’une législation appliquée à un groupe
ethnique : les Roms. Cette hypocrisie ne trompe pourtant personne.
Ainsi dans un rapport de la commission des lois du sénat
sur “l’accueil des gens du voyage”, dit rapport
Delevoye [3], nous pouvons lire :
La population des Gens du voyage revêt certaines caractéristiques
qui en font sa spécificité : une organisation structurée
autour du nomadisme, le respect des traditions, l’usage d’une
langue à caractère essentiellement oral et elle-même
fractionnée en de nombreux dialectes, une solidarité
familiale affirmée, une tradition d’activité
indépendante et polyvalente.
On le voit, le mode de vie itinérant est loin d’être,
aux yeux des sénateurs, la seule caractéristique des
“gens du voyage”. D’autant plus qu’il est
précisé plus loin :
En outre, le comportement à l’égard du voyage
n’est pas homogène, ce qui n’est pas sans influence
sur la façon dont le problème doit être appréhendé.
Le recensement de 1960-1961 distinguait ainsi trois catégories
:
- les itinérants, catégorie correspondant à
ceux qui se déplacent de façon permanente, qui étaient
évalués à 26628 personnes ;
- les semi-sédentaires, constitués de ceux qui se
déplacent une partie de l’année et sont stabilisés
le reste de l’année sur un même site, estimés
à 21690 personnes ;
- les sédentaires, fixés localement et ayant en principe
cessé de voyager, au nombre de 31134 personnes.
Les données statistiques généralement retenues
pour ces trois catégories sont désormais les suivantes
:
- environ 70000 itinérants ;
- environ 70000 semi-sédentaires ;
- environ 110000 sédentaires.
Si ce n’est un critère ethnique, qu’est-ce qui
permet de classer parmi les “gens du voyage” plus de
100000 personnes sédentaires ? Que des aménagements
législatifs soient prévus pour un groupe particulier,
pourquoi pas ? Surtout si les individus de ce groupe rencontrent
des problèmes spécifiques comme c’est le cas
pour les Roms en France. Certains États, tels que la Slovénie
ou la Macédoine, ont reconnu l’existence d’une
minorité nationale romanie sur leur territoire. Alors pourquoi
le législateur français s’est-il toujours caché
derrière des expressions édulcorées telles
que “gens du voyage” ?
Parce que tous les “gens du voyage” ne sont pas d’origine
romanie ? Peut-être... Cependant il est impossible de nier
qu’ils en constituent l’immense majorité. Parce
que la tradition républicaine assimilatrice s’est toujours
refusée à reconnaître des composantes particulières
au “peuple français” ? Sans doute... Cela vaut
aussi pour les cinq millions de personnes d’origine algérienne.
Toutefois, la raison essentielle de cette hypocrisie semble se trouver
dans les volets répressifs ou coercitifs inhérents
à toute législation concernant les “nomades”
ou les “gens du voyage”. Ces dispositifs auraient été
du plus mauvais genre au “pays des droits de l’Homme”
s’ils avaient été clairement destinés
à un groupe ethnique particulier. Il était plus facile
pour les municipalités ou les préfectures de poser
des panneaux “interdit aux Nomades” que des panneaux
“interdit aux Gitans” ou “interdit aux Manouches”
qui auraient trop rappelé ceux “interdit aux nègres”
du sud des États-Unis.
Hormis les lois Besson, dont l’idéologie et l’application
sont plus complexes et répondent à des démarches
parfois contradictoires, le traitement des populations romanies
par l’État français s’est, de tout temps,
fait dans une optique répressive et ségrégative.
Aussi, nous proposons-nous d’essayer de mesurer en quoi l’attitude
des pouvoirs publics depuis le 19e siècle a contribué
à la situation actuelle des communautés romanies en
France. La principale difficulté de cette question réside
dans le fait que cette attitude n’est visible qu’à
travers les législations concernant les itinérants,
et c’est à elles que nous nous intéresserons
essentiellement, alors que de tout temps il y eut des Roms sédentaires.
L’invisibilité légale et souvent sociale de
ces Roms sédentaires signifie-t-elle qu’il n’y
eut pas d’attitude particulière de la part des pouvoirs
publics à leur égard ? La forte ségrégation
socio-spatiale dont sont victimes les populations romanies dans
les vieux quartiers des centre-villes ou en périphérie
des agglomérations et les problèmes qu’elles
rencontrent, par exemple pour la scolarisation de leurs enfants,
semblent indiquer le contraire. Nous y reviendrons en conclusion.
Pour essayer d’offrir un tour d’horizon de la question
nous nous attarderons, dans les premiers chapitres, sur quelques
aspects des origines, de l’histoire et de l’organisation
sociale des populations romanies. Cela avant d’étudier,
plus en détail, l’évolution des législations
françaises concernant les itinérants, du carnet anthropométrique
de 1912 à la loi Sarkozy en passant par les lois vichystes.
Nous avons également essayé, au-delà d’une
étude chronologique des législations successives,
de saisir les fondements idéologiques de ces politiques au
regard des mécanismes d’exclusion, de rejet et de négation
des populations romanies. Mécanismes propres à un
phénomène que nous avons choisi de nommer “antiromisme”.
Identité et affirmation [4]
Le terme de nation est clairement revendiqué depuis une
trentaine d’années par les intellectuels et leaders
roms à travers, notamment, la constitution d’organisations
internationales romanies dont les objectifs sont l’émancipation
et l’affirmation de la “nation rom” : celles-ci
font valoir la communauté historique, culturelle et dans
une moindre mesure, surtout pour les Gitans d’Espagne, linguistique,
de l’ensemble des Roms, quelle que soit leur situation géographique.
Le terme de “Rom” est aujourd’hui de plus en
plus fréquemment employé. On ne peut que s’en
réjouir même si cela entraîne quelques confusions
car ce terme recouvre deux interprétations pas forcément
contradictoires. Les organisations romanies comme l’Union
romanie internationale (URI [5]) ou le Roma national Congress (RNC),
mais aussi l’ensemble des intellectuels et les leaders politiques
utilisent le terme générique “Rom” pour
désigner et englober tous ceux que l’on désigne
ailleurs comme “Gitans” ou “Kalé”,
“Manouches” ou “Tsiganes”.
Cette prise de position répond à la nécessité
de renforcer la cohésion des différentes branches
de la nation rom mais aussi à la volonté d’affirmer
leur propre dénomination face à certaines appellations
erronées voire injurieuses données par les non-Roms.
Nous devons à un des pionniers de l’histoire des “Tsiganes”,
François de Vaux de Foletier [6], l’explication de
l’origine des dénominations utilisées actuellement.
Celles-ci ne sont, souvent, que des dérivés d’appellations
données par les populations environnantes lors de l’arrivée
des premiers groupes de Roms en Europe (11e et 12e siècles).
Ainsi les mots Gitans, Gitanos, Gypsies sont dérivés
du terme “Égyptien”, ceci dû à une
erreur sur la provenance des Roms, tout comme pour le terme Bohémien.
Les termes Tsiganes, Zingaro ou Zigeuner proviennent de la confusion
avec les membres d’une secte venue d’Asie Mineure, les
Atsinganos.
Si le terme “Rom” provoque une certaine confusion,
c’est qu’il sert également à désigner
une branche particulière du peuple rom que nous connaissons
plus souvent sous le nom de “Tsigane”, généralement
installée en Europe de l’Est et balkanique, et que
l’actualité récente a contribué à
porter sur le devant de la scène en France. Branche particulière
pour qui cette appellation est péjorative et qui utilise
le mot Rom pour se désigner.
L’affirmation d’une identité aux déclinaisons
multiples
Nos représentations associent fréquemment les Roms
au nomadisme alors que le voyage n’est pas une caractéristique
constitutive de l’identité romanie. Il y a plus de
sédentaires que d’itinérants parmi les Roms
: 90% d’entre eux, en Europe, sont sédentaires. [7]
En France et en Grande-Bretagne où, comparativement aux autres
pays européens, le nombre de “nomades” est encore
élevé, les sédentaires et semi-sédentaires
(c’est-à-dire ne se déplaçant qu’à
l’occasion de rencontres familiales, religieuses ou pour des
raisons professionnelles) représentent près des deux-tiers
des populations romanies. Selon Alain Reyniers, directeur de publication
de la revue Études tsiganes, le nomadisme ou la sédentarité
sont des modes de vie conjoncturels correspondant à des nécessités
économiques et non des caractéristiques intrinsèques
de l’identité romanie. [8] Qu’ils soient constitutifs
ou non de l’identité romanie, cela n’a en définitive
que peu d’importance, l’essentiel étant que chacun,
nomade comme sédentaire, puisse vivre de la manière
qu’il a choisi sans aucune barrière que ce soit. Comment
alors, en dehors des stéréotypes et des lieux communs,
présenter les populations romanies et ceux qui se reconnaissent
comme partie intégrante d’une des branches du peuple
rom ?
Il serait idiot, et même dangereux, de vouloir définir
les Roms selon des caractéristiques physiologiques ou morales
innées. Nous ne pouvons que rejeter ces classifications issues
des théories racistes ou plutôt “ethno-différentialistes”.
Pourtant certaines caractéristiques prétendues propres
aux Roms sont fréquemment avancées. Il semble admis
enfin, et encore pas partout ni par tous, que les Roms ne soient
pas tous des “voleurs de poules” ou des “voleurs
d’enfants blonds”, les idées reçues s’adaptent
aux changements d’époque et aujourd’hui le terme
de “trafiquant” a souvent remplacé les deux premiers.
Malgré cela certains stéréotypes, tout aussi
faux mais parfois plus positifs restent attachés aux Roms
: un don pour la musique, un goût pour la “liberté”
(qui ne l’a pas ?), un irrésistible besoin de voyage,
une incapacité à vivre selon les normes des non-Roms
(notamment pour la scolarisation des enfants) et parfois même
un don pour la voyance. Que de fantasmes reportés sur une
population dans un mélange de fascination ambiguë et
de répulsion !
Pourtant, pas plus que les Africains n’ont de “don”
particulier pour la danse, les Roms n’ont de “don”
pour la musique. Les Roms n’ont pas non plus un besoin “physique”
de voyage et de liberté, en tout cas pas plus que tout un
chacun. La musique ou le voyage peuvent effectivement occuper une
place importante, voire essentielle, chez certaines familles mais
cela s’explique par des processus historiques, économiques
et culturels qui n’ont rien à voir avec une présumée
“nature” propre aux “Tsiganes”.
L’identité romanie n’est pas monolithique, ce
qui ne signifie pas qu’elle ne présente aucune cohésion.
La diversité des situations géographiques et la multiplicité
des expériences historiques ont, à partir d’un
tronc commun, entraîné de nombreuses déclinaisons
culturelles ; l’identité, quelle qu’elle soit,
étant une construction sociale et non une essence ou une
hérédité innée. L’adaptation à
chaque situation historique et géographique tout en maintenant
une affirmation propre, voilà, peut-être, le trait
commun à tous les groupes romanis. Cette unité se
manifeste par une conscience commune, notamment perceptible à
travers l’existence de termes comme “gadjé”
ou “payo”, utilisés par les Roms pour désigner
l’ensemble des non-Roms.
Il est généralement admis que les Roms forment une
ethnie, soit. Nous devons faire attention à l’utilisation
faite de ce mot qui est parfois utilisé comme palliatif au
concept de “race”. Ceci n’est pas tellement nouveau
et, par exemple, la Nouvelle droite tend à déplacer
son champ sémantique de “l’ethnie” vers
“la culture”. Il n’est nullement question d’abandonner
l’utilisation de ces termes, avec les sous-entendus que l’on
peut imaginer, à l’extrême droite. Nous devons
cependant préciser ce que nous mettons derrière et
refuser les cloisonnements “ethnique”, “identitaire”
ou “culturel” que les différentialistes tentent
d’imposer.
La définition même du terme ethnie et des caractéristiques
applicables à la définition d’un groupe ethnique
sont aujourd’hui encore largement discutées et controversées.
Ces critères de définition sont variables selon les
chercheurs. Peuvent entrer en ligne de compte l’unité
linguistique, les valeurs morales, les rites, les pratiques culinaires
ou vestimentaires, l’unité territoriale, ...
Les travaux de l’ethnologue américain Frederick Barth,
et ceux, plus récents, de la sociologue Jocelyne Streiff-Fenart
et du socio-linguiste Philippe Poutignat apportent un éclairage
nouveau à ces questions. Tous trois affirment qu’“il
est impossible de trouver un assemblage total de traits culturels
permettant de distinguer un groupe d’un autre, et que la variation
culturelle ne permet pas à elle seule de rendre compte du
tracé des limites ethniques”. La problématique
soulevée par ces auteurs “n’est plus d’étudier
la façon dont les traits culturels sont distribués
mais la façon dont la diversité ethnique est socialement
articulée et maintenue” [9].
En réalité plus que l’énumération
des caractéristiques d’un groupe ethnique, ô
combien fluctuantes selon les individus, ce sont les conditions
du processus historique de construction de ce que les individus
reconnaissent comme leurs identités qui importent. Par exemple,
les souffrances et les persécutions dont les Roms ont été
victimes durant leur histoire et notamment, mais pas seulement,
lors du génocide nazi [10] font aujourd’hui partie
intégrante de leur identité.
Le postulat établi par Barth selon lequel l’identité
ethnique est un processus dynamique et non statique, qui se construit
par interaction entre les groupes sociaux, et par un processus historique,
dans lequel rentrent en compte de multiples facteurs, est capital
pour la compréhension de la situation des populations romanies
en France : “les traits dont on tient compte ne sont pas la
somme des différences “objectives” mais seulement
ceux que les acteurs eux-mêmes considèrent comme objectifs.”
[11]
Nous partons donc du principe selon lequel est Rom celui ou celle
qui se considère comme Rom, c’est-à-dire qui
fait sienne une série de traits sociaux, aux contours parfois
fluctuants, mais communément admis et reconnus par l’ensemble
des Roms.
Beaucoup nient, aujourd’hui encore, la qualité de
nation (dans le sens de “communauté humaine qui possède
une unité historique, linguistique et économique plus
ou moins forte”) au peuple rom, du fait de l’inexistence
d’un “pays” rom. Cette négation s’accompagne
souvent d’une autre, celle d’une culture propre aux
Roms.
L’URI, parmi d’autres organisations romanies, revendiquent
ainsi ce terme de nation, une nation sans appareil d’État
ayant fixé des limites rigides à l’espace où
s’exercerait sa souveraineté. Les Roms ont, depuis
le premier Congrès rom mondial, en 1971, un drapeau et un
hymne, Gel’em, Gel’em. Ils se sont également
dotés d’un parlement, fédérant et représentant
la quasi-totalité des organisations romanies. Les Roms n’ont
pas de pays qu’ils administreraient à la manière
d’un État moderne et ils n’en manifestent pas
le désir. Cela ne signifie pas qu’ils soient une nation
sans territoire. En réalité on pourrait dire qu’ils
forment une nation aux territoires multiples et variants que chacune
des composantes délimite et structure indépendamment
du mode de vie nomade ou sédentaire. Le terme de “nation
sans territoire compact” est de plus en plus revendiqué.
Ce territoire non compact peut être perçu comme la
somme des territoires ressentis comme propres, mais toutefois sans
exclusive sur la souveraineté à y exercer, par l’ensemble
des groupes roms. Une des revendications du mouvement rom est d’ailleurs
la reconnaissance au niveau européen de l’existence
de ce territoire non compact. Dans cette optique certaines organisations
réclament la création d’un statut de minorité
européenne transnationale.
Quelques traits de l’organisation sociale des Roms
La diversité des situations géographiques, économiques
ou religieuses pose de nombreuses difficultés à la
définition d’un fonctionnement social “type”
des sociétés romanies. Cela d’autant plus qu’existent,
entre différents groupes ou au sein d’un même
groupe, des différences de richesse, de niveau de vie, d’attachement
aux valeurs traditionnelles ou d’imprégnation de celles
des sociétés environnantes. Pour simplifier nous ne
nous attarderons que sur les grandes lignes de l’organisation
sociale de certains groupes vivant de manière dite “traditionnelle”.
Que ce soit dans des campements, des quartiers-ghettos ou des résidences
individuelles, la structure de base des sociétés romanies
est la cellule familiale élémentaire et la réunion
de ces cellules élémentaires. La famille est “la
mesure de toute chose”. La solidarité familiale est
totale, tous y participent et tous en bénéficient.
Le pendant de cette omniprésence familiale est la subordination
des désirs ou de la volonté de l’individu aux
besoins de la famille, subordination d’autant plus forte si
l’individu est une individue.
Chaque cellule familiale est indépendante et leur réunion
correspond à la nécessité de se regrouper pour
assurer la réalisation des tâches, professionnelles
par exemple, indispensables à la survie de chacun.
Chaque groupe, chaque famille s’identifie à un espace
particulier. Comme le souligne Alain Reyniers, ces territoires sont
définis et utilisés en fonction des besoins économiques
ou des relations familiales. [12] Dans le cas des personnes nomades
ou semi-nomades cet espace présente certaines particularités.
Prenons l’exemple d’un groupe de Gitans perpignanais
qui se déplace pour assister à des réunions
familiales en Catalogne, puis part faire les vendanges en Suisse
ou en Allemagne, avant de revenir en Roussillon pour une foire.
Le territoire de ce groupe est avant tout un “espace vécu”
de relations commerciales, professionnelles ou familiales. Dans
cette conception du territoire comme espace vécu, c’est
l’individu qui construit le territoire à sa mesure
et non le territoire qui cloisonne l’activité humaine
sur un espace préalablement délimité. Le territoire
n’est ni plus ni moins que la somme des endroits où
l’on a quelque chose à faire. Aucun besoin de barrières,
de frontières, car les limites sont fluctuantes au gré
des nécessités économiques ou des relations
de tout type. Ce territoire n’est ni à défendre
ni à conquérir et, au contraire, la libre circulation
devient un des gages du fonctionnement social.
Cela n’exclut pas les conflits entre groupes sur des questions
spatiales comme dans le cas de zones d’exercice de métiers.
Le sociologue Jean-Pierre Liégeois, directeur du Centre de
recherches tsiganes à l’université Paris V,
rappelle que l’absence de pouvoir central ne signifie nullement
qu’il n’existe pas d’interdits ou de règles.
[13] Ses travaux ont permis de mieux connaître les critères
et le fonctionnement du contrôle social dans les sociétés
romanies, ainsi que le mode de résolution des conflits, indispensable
à tout fonctionnement social. Le besoin de maintenir la cohésion
sociale s’est traduit par la volonté de réparer
ou sanctionner tout acte contraire aux règles communautaires.
Ainsi des antagonismes trop prononcés entre groupes impliquent
des prises de décisions communautaires, notamment dans le
domaine de la répartition des zones d’activités
professionnelles. La recherche du consensus est donc une nécessité,
induite par l’absence d’une autorité supérieure
commune qui pourrait imposer à chaque groupe une ligne de
conduite, une zone géographique ou l’exercice de tel
ou tel métier. La résolution des différends
entre groupes ou familles passe par une concertation communautaire,
une assemblée voire, dans certains cas, une cour de justice.
Ces assemblées ou ces cours de justice (les Kriss), qui
n’existent pas pour tous les groupes, sont composées
des hommes “chefs de famille” choisis en fonction des
gages de confiance et d’expérience qu’ils ont
donnés au sein de la communauté. Le pouvoir de la
Kriss ou de l’assemblée ne dépasse jamais le
cadre pour lequel elle a été réunie. Des sanctions
peuvent être prises, allant de la réparation du dommage
au bannissement de la communauté. La réprobation générale
ou la mise à l’écart tiennent lieu de moyen
d’assurer le respect des décisions de l’assemblée.
Pour être respectées, ces décisions ou sanctions
doivent donc, avant tout, être acceptées par l’ensemble
de la communauté, d’où la recherche du consensus.
Il n’y a ni police ni mandat particulier pour faire respecter
ces décisions.
Cette rapide évocation de quelques traits de l’organisation
sociale des Roms, avec toutes les variations particulières
propres à chaque groupe, et de quelques aspects de l’identité
romanie sont un préalable nécessaire à l’étude
des relations entretenues avec les pouvoirs publics. Nous aurions
également pu nous attarder sur la danse ou la musique mais
ce sont des aspects mieux connus même si la tentation folkloriste
reste forte à ce sujet (que dirions-nous si l’on représentait
les Provençaux uniquement comme des virtuoses du fifre ?).
Entre mythes, stéréotypes et négationnisme
: l’antiromisme
Ce que tu m’as fait ? Dis-tu ! - Ah ! Ce que tu m’as
fait Égyptienne !
Eh bien ! Écoute. - J’avais un enfant, moi ! Vois-tu
?
J’avais un enfant ! Un enfant te dis-je ! Une jolie petite
fille ! [...]
Eh bien ! Vois-tu, fille d’Égypte ? On m’a pris
mon enfant, on m’a volé mon enfant, on m’a mangé
mon enfant. Voilà ce que tu m’as fait. [...] Je te
dis que ce sont les Égyptiennes qui me l’ont volée,
entends-tu cela ? Et qui l’ont mangée avec leurs dents.
Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, 1831
La vision des sociétés environnantes et la représentation
qu’elles ont des Roms sont aujourd’hui un autre champ
d’études en construction. Par exemple, la branche espagnole
de l’URI dresse chaque année un bilan de l’image
des Gitans véhiculée par la presse espagnole. Nous
pouvons regretter cependant qu’aucun chercheur n’ait,
à ce jour, synthétisé de manière exhaustive
toutes les données concernant les représentations,
très souvent négatives, liées aux populations
romanies. [14]
Les manifestations de haine, de rejet ou de mépris envers
les Roms s’inscrivent dans des mécanismes particuliers
que l’on peut regrouper, par souci de clarté, sous
le terme d’“antiromisme” qui, tout comme l’antisémitisme,
a des expressions propres dans lesquelles racisme et xénophobie
occupent une place importante mais où d’autres facteurs
entrent en compte.
L’antiromisme : expression d’un ethno-différentialisme
De manière générale, le racisme, tel qu’il
a été construit au 19e siècle, qui prône
l’existence et la hiérarchisation des races, en s’appuyant
sur des critères physiologiques, et qui pose leur affrontement
comme moteur de l’histoire, est aujourd’hui en net recul
dans les pays occidentaux. Non pas qu’il n’existe plus
à l’heure actuelle d’individus ou de groupes
prônant la supériorité de leurs “races”,
les suprématistes américains ou les néo-nazis
en sont l’illustration malheureusement bien vivante, mais
ces formes-là de racisme tendent à devenir marginales.
Rares sont aujourd’hui les personnes osant affirmer la supériorité
“par nature” [15] et hérédité d’un
groupe humain sur un autre. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale
et face à l’horreur suscitée par les politiques
racistes d’extermination, des institutions internationales,
notamment l’UNESCO [16], et de nombreux scientifiques se sont
attachés à démontrer l’absence de fondement
du concept même de “race” qui ne correspond à
aucune réalité scientifique. Malheureusement un discours
raisonné n’est souvent pas suffisant face à
des croyances irrationnelles. Les théories raciales sont
bien souvent restées profondément ancrées,
par une multitude de représentations mentales (“les
Noirs courent plus vite”, “les Turcs sont plus forts”
et “les Allemands plus ordonnés”) s’appuyant
parfois sur des faits authentiques (des Noirs américains
remportent fréquemment le 100 mètres aux jeux olympiques)
qui ont pourtant des explications sociologiques ou culturelles n’ayant
rien à voir avec une quelconque aptitude naturelle (les équipements
d’athlétisme ou de basket coûtent moins cher
dans les ghettos noirs américains que les green de golf ou
les patinoires, beaucoup d’enfants noirs américains
veulent reproduire l’exemple de leurs aînés dans
des domaines où ils ont excellé). Pourtant ces idées
reçues peuvent être largement répandues parfois
même chez des personnes se déclarant ouvertement antiracistes.
Conscients de l’impasse de l’affirmation d’une
supériorité “par nature”, les théoriciens
d’une nouvelle forme de distinction et de hiérarchisation
des groupes humains ont déplacé leurs argumentations
vers “l’identitarisme”, la “différenciation
culturelle” et le “développement séparé”.
Ce fut le cas, par exemple, de la Nouvelle droite française,
et notamment du GRECE (Groupement de recherche et d’études
pour la civilisation européenne) autour de Alain de Benoist,
dans les années soixante-dix et quatre-vingt. Dès
lors, et comme l’a démontré Pierre-André
Taguieff, le champ sémantique changea. Il distingue “trois
grands déplacements de concepts de base, d’arguments
ou d’attitudes dominantes dans l’idéologie racisante
depuis le début des années soixante-dix : race - ethnie/culture
; inégalité - différence ; hétérophobie
- hétérophilie.” [17]
La hiérarchie des “races” a été
remplacée, dans l’esprit des ethno-différentialistes,
par celle des civilisations. Le métissage et l’interculturalisme,
tels furent les nouveaux démons d’une partie de la
droite et de l’extrême droite. En 1985, Jean-Yves le
Gallou, un des responsables du Club de l’horloge et du Front
national, affirmait : “L’immigration est la machine
à tuer les peuples.” [18]
Où que ce soit, quoi qu’ils fassent et quelle que
soit l’époque à laquelle remonte leur présence,
les Roms ont toujours été considérés
comme des immigrés, immigrés dont la provenance reste
généralement ignorée. Cette méconnaissance
volontairement entretenue cloisonne les Roms dans le rôle
d’éternels étrangers : “Manouches, Gitans,
Tsiganes, Yéniches, Rom... Ceux que l’on surnomme volontiers
Romanichels ou Bohémiens viennent du pays de nulle part et
vont on ne sait où” écrivait récemment
un journaliste du Figaro. [19]
L’antiromisme se nourrit aujourd’hui, et souvent de
manière non consciente, de ce différentialisme, après
s’être servi des théories et des classifications
raciales. Dans leur idéologie, les nazis reconnaissaient
une origine indo-européenne aux Roms dont ils auraient perdu,
dans leur pérénigration, la “pureté originelle”.
[20] Les Roms furent donc déclarés asociaux puis “criminels
irrécupérables” par les lois sur “l’aryanisation”
de Nuremberg en 1935. [21] Les théories raciales eurent aussi,
et nous le verrons plus loin, une influence forte en France. L’encyclopédie
Larousse du 20e siècle donnait en 1933 la définition
suivante du mot “Bohémien” : “une race
nomade, qualifiée aussi de Romanichel ou Tsigane en France.”
De telles considérations n’ont plus cours aujourd’hui,
du moins publiquement. Il serait d’ailleurs bien difficile
aux tenants de l’idéologie racialiste de déterminer
des traits physiologiques propres et communs à l’ensemble
des personnes d’origine romanie. Ni la couleur des cheveux
ni celle des yeux ne fourniraient d’éléments
probants car elles sont aussi diverses et variées que le
teint de la peau. Par contre, les représentations mentales
attachées aux Roms servent de base à un ethno-différentialisme
plus ou moins feutré et admis. C’est sur le compte
de cette “différence” que sont mises de présumées
dispositions à voler, à mentir ou à refuser
les normes sociales. Les préjugés envers les Roms
présentent souvent un aspect négatif (les Roms seraient
des voleurs de poules) mais parfois également un aspect plus
positif (les Roms auraient la musique dans la peau). Ces préjugés
“positifs” s’inscrivent dans un folklorisme portant
une vision romantique et poétique (“les Roms, fils
du vent et filles du feu”) mais tronquée de la réalité.
Aussi n’est-il pas surprenant de lire dans le même quotidien
de virulentes attaques contre des “gens du voyage” aux
pages “faits divers” et, plus loin, dans les pages “culture”
du même journal, l’éloge de la virtuosité
des artistes “tsiganes”. Négatifs ou “positifs”,
ces préjugés participent au même enfermement
des Roms dans un rôle social dont on ne souhaite pas les voir
sortir.
La pratique du nomadisme, présente ou passée, réelle
ou supposée puisque, rappelons-le, 90% des Roms européens
sont sédentaires, et l’absence d’un pays “de
référence” qui serait revendiqué, induisant
chez les populations environnantes l’idée que les Roms
sont partout et toujours des immigrés, sont les points de
départ de toutes les élucubrations antiroms.
Nous devons distinguer deux aspects, qui évidemment se nourrissent
l’un l’autre, de l’antiromisme : d’une part
un antiromisme commun qui regroupe un ensemble de préjugés
et de stéréotypes largement répandus et, d’autre
part, un antiromisme institutionnel perceptible dans la plupart
des traitements légaux des populations romanies. Aussi est-il
difficile de discerner qui “de la poule ou de l’œuf”
est apparu le premier. La volonté de contrôle socio-spatial,
justifiée par l’affirmation d’un danger social,
celle d’assimilation à tout prix et les dispositifs
contre le nomadisme ont-ils nourri un sentiment antirom dans la
population ou, au contraire, par leur sentiment antirom, issu de
cette prétendue fatale peur de “l’autre”,
les populations environnantes ont-elles encouragé les pouvoirs
publics à ces dispositifs coercitifs ? Bien que penchant
plus pour la première hypothèse, l’utilisation
de boucs émissaires et la création de sentiments d’insécurité
étant des moyens classiques de conquête du pouvoir,
il apparaît aujourd’hui que le cercle vicieux s’auto-alimente
(en particulier via une partie des médias) de ces deux moteurs.
De cet antiromisme institutionnel, il en sera question tout au
long de cet ouvrage en ce qui concerne les pouvoirs publics en France
depuis le 19e siècle. Cet antiromisme-là, qui se nourrit
des mécanismes et idées reçues de l’antiromisme
commun, n’est pas que le reflet des conceptions racistes ou
xénophobes, il est l’expression d’une volonté
de contrôle absolu de la part des pouvoirs publics de l’espace
social et donc des déplacements et mouvements à l’intérieur
de celui-ci. Cette volonté de contrôle social est manifeste
à travers le renforcement des mesures contre le nomadisme
au fur et à mesure de l’affirmation de l’État
et du renforcement de ses pouvoirs à l’Époque
moderne. Citons, à titre d’exemple, l’interdiction
de séjour puni de banissement décrété
par Louis XII en 1504 ou encore l’envoi aux galères
sous Louis XIV, pour le seul fait d’être “Bohémien”.
[22]
La représentation que se font les pouvoirs publics des populations
romanies et/ou itinérantes ne cadre pas avec cette volonté
de contrôle socio-spatial. La méfiance que suscitent
leurs déplacements est renforcée par cette suspicion
de n’appartenir à aucune patrie et donc de présenter
une menace interne en cas de conflit. Ainsi, de nombreux Manouches
alsaciens ont-ils été sédentarisés de
force durant la première guerre mondiale. Comme nous le verrons
(p.65 et suiv.), l’une des premières mesures du gouvernement
Daladier face à l’imminence de la guerre fut d’interdire
les déplacements des “nomades” soupçonnés
de pouvoir fournir des informations aux ennemis. Plus récemment,
les Roms de Cossovie furent accusés par les Serbes comme
par les Albanais de soutenir le camp adverse, ce qui eut pour conséquence
l’instauration d’une véritable politique de purification
ethnique contre les Roms. [23]
La négation de l’existence des Roms en tant
que peuple
Très tôt, les pouvoirs publics ont voulu nier l’existence
des populations romanies en tant que peuple à part entière.
Celles-ci ont souvent été présentées,
en France et ailleurs en Europe, comme un ramassis de marginaux,
de hors-la-loi ou de brigands de toutes sortes sans autres liens
que leur refus des règles sociales. Voici, au 16e siècle,
ce qu’en dit un docteur de l’université de Tolède
dans une lettre au roi Philippe II :
Toujours les Gitans ont affligé le peuple de Dieu, mais
le Roi Suprême l’en a libéré par de nombreux
miracles rapportés par les Saintes écritures, et sans
aller jusque là, le talent miraculeux que possède
Votre Majesté pour de semblables expulsions pourra libérer
son royaume de ces gens. [...] Ce qui est certain c’est que
ceux qui vont en Espagne ne sont pas Gitans mais ce sont des essaims
de fainéants, d’hommes athées, sans loi, sans
aucune religion, des Espagnols qui ont introduit cette vie ou secte
du Gitanisme, et qui admettent en son sein chaque jour des oisifs
et les réprouvés de toute l’Espagne. [24]
Plus récemment, Nicole Martinez, alors ethnologue à
l’université de Montpellier III, dans son ouvrage consacré
aux “Tsiganes” dans la collection de référence
Que sais-je ?, n’a pas hésité à qualifier
les “Tsiganes” de produit de “l’imaginaire
occidental” n’étant en réalité
qu’un ensemble de “populations flottantes”. Pour
l’auteure, les Roms ne seraient qu’un “isolat
social [...] à la frange de la plupart des sociétés
dont ils sont les rejets” [25]. Une cour des miracles internationale
en quelque sorte. Ses propos ne sont pas si éloignés
de ceux cités juste avant à la différence près
qu’ils ont été écrits quatre siècles
plus tard.
Ne souhaitant pas qu’ils perdurent en temps que groupe, les
pouvoirs publics ont souvent tenté d’en nier l’existence
même, soit en interdisant tout ce qui s’y rapportait
(langue, costumes, appellations) soit en les ignorant. En Espagne,
en 1619, Philippe III ordonnait :
Que tous les Gitans, présentement dans le royaume en sortent
dans un délai de six mois [...] que ceux qui voudraient se
fixer le fassent dans des villes ou des localités de plus
de 1000 personnes et qu’ils ne puissent utiliser ni le costume,
ni la langue des Gitans et des Gitanes, et puisqu’ils n’en
ont pas la nation que ce nom et son usage disparaissent et soient
oubliés.
En Espagne, dès le 17e siècle, l’utilisation
même du terme “Gitan” devient interdite et remplacée
par celle de “nouveaux castillans” avant d’être
elle-même proscrite au profit du mot vagos signifiant “feignant”.
Le glissement lexical n’est jamais anodin et l’on peut
s’interroger sur les raisons de ces changements du vocabulaire
des pouvoirs publics français pour désigner les populations
romanies. D’abord appelés “Bohémiens”
(à travers une législation discriminante d’assimilation)
ensuite “nomades” (à travers une volonté
discriminante de sédentarisation) et enfin “gens du
voyage” (à travers une législation discriminante
de surveillance et de contrôle), les populations romanies
se sont vues réduites à un trait ne caractérisant
seulement qu’une partie d’entre elles : l’itinérance.
Les Roms sédentaires deviennent donc socialement invisibles
alors qu’ils rencontrent des problèmes particuliers
liés au simple fait qu’ils soient Roms (discriminations
systématiques notamment à l’embauche, ségrégation,
problèmes de scolarisation). Non reconnus, ces derniers n’existent
pas. Dans ces conditions, rares sont les moyens mis en œuvre
pour tenter de résoudre des problèmes spécifiques,
notamment dans la lutte contre les discriminations. Il est intéressant
de souligner ce que rappelait en 1991 la commission “Tsiganes
et Gens du voyage” du MRAP :
En guise d’introduction, on se doit de réitérer
une remarque formulée dans notre contribution de l’an
dernier : la place assez minime accordée aux quelques 250000
Tsiganes et Gens du voyage dans la lutte contre la xénophobie.
L’invisibilisation sociale et publique conduit à l’ignorance
ou à la minoration des difficultés et souffrances
auxquelles sont confrontés de nombreux Roms. Par exemple,
leur génocide pendant la seconde guerre mondiale a longtemps
été passé sous silence, malgré ses 500000
victimes. Les réparations auxquelles ils auraient légitimement
droit leur ont longtemps été déniées.
D’ailleurs, en 1965, le général de Gaulle interdit
la Communauté rom mondiale - organisation basée en
France, créée en 1959 - qui s’était montrée
trop revendicatrice sur ce point. [26]
Un péché originel ?
La question des origines a longtemps été un mystère
et l’est encore pour de nombreuses personnes non spécialistes.
Les explications les plus farfelues et les plus hasardeuses se sont
succédées, et trouvent aujourd’hui encore un
certain écho malgré les éléments fournis
par les linguistes et les historiens, attestant l’origine
indienne et l’arrivée en Europe entre le 11e et le
14e siècle. Toujours dans cette définition du mot
“Bohémien” du Larousse de 1933, on pouvait lire
: “on les considère comme originaires de l’Inde”,
ce qui n’empêchait pas les mélanges entre mythes
et Histoire dans le même paragraphe : “On leur attribue
l’importation du bronze en Europe à une époque
préhistorique.” Par la construction de récits
mythiques sur l’origine des Roms, les contemporains cherchèrent
de tout temps à fournir des explications sur la situation
présente, avérée ou préjugée
des populations romanies : l’importation du bronze étant
censée expliquer par exemple la tradition de chaudronnerie
de certains groupes d’Europe orientale et balkanique. [27]
La mythologie antirom repose parfois sur des références
bibliques évoquant un péché originel qui justifierait
l’ostracisme dont ils furent victimes. De la même manière
que les Africains, les Roms furent présentés comme
les descendants de Cham, le fils maudit de Noé auquel celui-ci
aurait déclaré : “Maudit soit Canaan, qu’il
soit pour ses frères le dernier des esclaves.” [28]
Une autre légende fait des Roms les descendants des amours
entre Adam et Lilith, démon femelle de la tradition rabbinique
considérée comme la première femme d’Adam.
Un autre mythe accuse les Roms d’avoir refusé l’hospitalité
à la Sainte famille avant la naissance de Jésus. Ces
trois mythes peuvent être compris comme des démonstrations
de la culpabilité intrinsèque des Roms, culpabilité
justifiant un châtiment multiséculaire. Le nomadisme
fut ainsi longtemps considéré comme une errance punitive.
Le rôle des Églises chrétiennes dans la construction
de ces mythes et des préjugés qu’ils alimentèrent
restent à déterminer. Donald Kenrick et Grattan Puxon
avancent au moins trois arguments permettant de supposer l’hostilité
de l’Église catholique :
- leur arrivée en Europe, entre le 11e et le 14e siècle
selon les chercheurs, se fit après une traversée des
pays musulmans à une époque où la lutte contre
les “infidèles” étaient une priorité
de l’Église.
- même christianisés, leurs pratiques hétérodoxes
suscitaient la suspicion et leurs conversions et leurs baptêmes
toujours soumis à caution. Là encore les soupçons
sur la réalité de leurs pratiques restèrent
vivaces comme le démontre ce passage à nouveau tiré
du Larousse de 1933 : “Il n’est guère possible
de savoir s’ils ont une religion particulière ; ils
se disent musulmans en Turquie, grecs orthodoxes en Roumanie, catholiques
en Espagne.” “Ils se disent” et non “ils
sont”, la différence révèle le peu de
confiance qu’accorde l’auteur à ce qu’ils
affirment.
- la pratique de la chiromancie, de la divination et leurs influences
sur une partie de la population et sur certains gouvernants entraient
en concurrence avec la religion officielle qui ne pouvait le tolérer.
[29]
De la pratique de la bonne aventure à la magie noire et
aux liens avec le diable, il n’y a qu’un pas qui fut
souvent franchi. La croyance en la capacité des femmes à
lancer le “mauvais œil” est encore aujourd’hui
assez répandu. Les liens particulièrement étroits
entre l’Église et le pouvoir politique au Moyen Âge
et à l’Époque moderne contribuèrent,
sans doute, à ce que ces deux pouvoirs s’alimentent
mutuellement dans leur hostilité envers ces groupes. Signalons
toutefois que les Roms, et surtout les Romnis qui pratiquaient la
divination, ne furent quasiment pas inquiétés par
les tribunaux de l’Inquisition. L’historienne Helena
Sanchez attribue cela, non pas à une mansuétude de
la part du Saint office, mais à une indifférence méprisante
des tribunaux envers des groupes qu’ils ne jugeaient pas dignes
d’intérêt. [30]
De la défiance à la culpabilisation et à
la criminalisation
Le trait commun à toutes les manifestations d’antiromisme
est la défiance envers tout ce que les Roms peuvent dire
ou faire. Leurs activités, leurs revenus, leurs déplacements,
leurs croyances sont d’abord perçus à travers
le prisme d’un soupçon de mensonge. Leur expérience
historique ne les a peut-être pas poussés à
être très loquaces avec des autorités le plus
souvent hostiles mais avant tout, la méconnaissance des fonctionnements
économiques et sociaux des groupes a toujours permis toutes
les élucubrations.
La défiance qui s’exprime ainsi se transforme bien
souvent en accusation. Et celles-ci ne manquent pas. Le cannibalisme
[31], la magie noire et par dessus tout, le vol. Le vol sous toutes
ses formes. Le vol d’enfants, dont Victor Hugo se fit l’écho
à travers le destin d’Esméralda, est une accusation
récurrente maintes fois reprise dans la littérature,
depuis Cervantés dans son roman La Gitanilla en 1612. Du
vol de poules à la criminalité organisée, l’accusation
a su s’adapter aux évolutions de la criminalité
tout en gardant un caractère “folklorique” propre.
Ainsi au début des années 1990, une partie de la presse
s’est empressée de publier des listes de signes utilisés,
selon elle, par des “Gitans” pour commettre des cambriolages.
Parmi d’autres, le magazine Réponse à tout y
alla de son couplet en affirmant : “Ce sont les Tziganes qui
seraient à l’origine de ce principe de communication.
Les “gens du voyage” utilisaient certains signes pour
informer les caravanes empruntant le même itinéraire
des conditions d’accueil ou de vie en général.
Mais la passion du dessin s’est très vite répandue
à toute la confrérie des voleurs et autres casseurs.”
(novembre 1990)
Ces contributions à la pérennisation des stéréotypes
ne sont pas seulement le fait de revues que l’on pourrait
dédaigneusement qualifier de “grand public”.
Des sources considérées comme plus sérieuses
s’en font également l’écho. Dans l’émission
Le dessous des cartes intitulée “Les Tsiganes aux Nations
unies” diffusée sur Arte le 26 octobre 2001, le présentateur
Jean-Christophe Victor affirmait :
Alors cette forme de nomadisme permet quel type d’activité
? Les Tsiganes pratiquent des métiers traditionnels, qui
changent selon les besoins de la région où ils passent.
Ils sont excellents danseurs et musiciens. Ils tiennent souvent
des manèges de fête foraine, les cirques tsiganes proposent
des spectacles d’une grande poésie. Ils sont très
liés au monde équestre, ils ont longtemps été
maréchaux-ferrants, forgerons. Les femmes exercent souvent
la voyance, et la mendicité aussi à laquelle les enfants
sont parfois associés. Ils pratiquent aussi, comme on dit,
la maraude, c’est-à-dire le vol, ou le trafic de drogue.
[...] Est-ce le nomadisme qui conduit au vol, qui conduit au rejet
? Ou est-ce le nomadisme lui-même qui est trop loin de nos
pratiques de sédentaires qui provoque lui-même le rejet
? [32]
Ni le vol, ni la mendicité, ni le trafic de drogue ne font
partie des activités “traditionnelles” des populations
romanies ni d’ailleurs d’aucune autre minorité,
nation, groupe religieux ou social. La situation économique
et sociale est le seul facteur déterminant. Pourtant, les
rapprochements avec des faits délictueux sont omniprésents
dans tout discours sur les “gens du voyage” pris dans
leur ensemble. Il est d’ailleurs intéressant de noter
qu’il n’existe pas de singulier à “gens
du voyage”. Comme si l’ensemble des individus de ce
groupe correspondaient tous aux mêmes caractéristiques
et qu’un fait imputable à l’un d’entre
eux pouvait être reproché à tous. Lorsque le
préfet de Vaucluse déclare lors d’une conférence
de presse en 2002 : “ils vivent à nos crochets, de
la rapine aussi, tout le monde le sait”, il ne fait qu’exprimer
un sentiment largement partagé.
Ce n’est pas d’“une partie” ou de “certains”
des “gens du voyage” dont il est question dans les deux
exemples que nous venons de citer mais de l’ensemble. De tels
propos dans la bouche d’un présentateur-télé
ou d’un représentant de l’État ne peuvent
qu’alimenter les idées reçues d’une partie
de la population. Idées reçues déjà
largement répandues. Pour preuve, ce sondage réalisé
par la commission consultative des droits de l’homme en 1991
sur la question “des sentiments personnels à l’égard
des différents groupes”. Les “Tsiganes, Gitans
et gens du voyage” se classent à la deuxième
place des groupes suscitant l’antipathie, avec 41% contre
49% pour les Maghrébins. Par contre ils n’arrivent
qu’en quatrième position des groupes perçus
comme victimes du racisme.
Fascination, mépris et répulsion
Au-delà du rôle des institutions, au-delà également
du phénomène d’auto-amplification entre antiromisme
commun et antiromisme institutionnel permettant aux préjugés
de gagner en force de persuasion à chaque va-et-vient, pourquoi
cette hostilité est-elle aussi largement répandue
? Rares sont les personnes qui connaissent ou ont déjà
eu affaire avec des Roms, pourtant tout le monde a sa propre idée,
souvent négative, sur le sujet. La responsabilité
des médias serait à étudier de plus près.
Toutefois l’hostilité envers les Roms revêt certainement
des caractères plus profonds.
L’ignorance est vectrice de toutes les peurs, de tous les
préjugés et de tous les fantasmes. C’est un
truisme que de dire cela. Des siècles d’ostracisme,
de discriminations et de défiance de la part des sociétés
environnantes, à quelques exceptions près, ont contribué
à la discrétion et parfois au repli communautaire
de nombreuses communautés romanies facilitant ainsi les élucubrations
sur leur mode de vie, leurs ressources et leur fonctionnement social.
Ce ne sont pas tant les modes de vie des Roms, qui sont divers
et variés, que la représentation fantasmée
du nomadisme et de ses implications qui suscite des sentiments hostiles.
Le défilé des caravanes ou la vision d’un camp
voisin peuvent susciter des sentiments contradictoires : parfois
une représentation fantasmée de liberté et
de voyage entraînant soit une interprétation romantique
du mode de vie des Roms soit un sentiment d’aigreur face à
ceux que l’on croit déliés de toutes contraintes.
Les difficultés faites aux déplacements et aux installations
mettent un sacré bémol à cette vision poétique.
Malgré tout, la croyance en une absence d’obligations
et de contraintes peut intriguer puis agacer ceux que leur quotidien
blase et qui croulent sous le poids de leurs impératifs sociaux.
Le plus souvent cependant, c’est le mépris qui domine.
Mépris envers un mode de vie méconnu mais que l’on
juge inadaptable aux exigences de notre société. La
critique de ce supposé mode de vie permet alors de se rassurer
sur la légitimité du sien. Dans ses Réflexions
sur la question juive, Jean-Paul Sartre écrivait : “l’antisémitisme
n’est pas seulement la joie de haïr, il procure des plaisirs
positifs : en traitant le Juif comme un être inférieur
et pernicieux, j’affirme du même coup que je suis une
élite” [33].
Cette remarque est valable pour “l’antiromiste”
à quelques nuances prés. Tout discours antirom implique
une dépréciation, voire un mépris systématique,
et par là-même, un sentiment de supériorité
de celui qui le tient, mais, contrairement à l’antisémite,
le but n’est pas tant d’affirmer appartenir à
une élite que de se sentir conforme à une norme sociale
même si celle-ci n’est pas toujours très bien
vécue. Le “Ils ne sont pas comme nous” implique
une cohésion voire une solidarité du “nous”
comme corps social. Parallèlement la saleté ou le
désordre imputés aux Roms rassurent sur ses propres
conditions de vie. [34] La stigmatisation du plus pauvre ou de celui
considéré comme marginal réconforte quant à
sa propre place dans l’échelle sociale.
L’hostilité envers les Roms est en ce sens un garant
de l’ordre social. On comprend aisément que les pouvoirs
publics puissent s’appuyer dessus à l’occasion.
L’antiromisme a ceci de différent avec l’antisémitisme
qu’il n’est pas, comme lui et comme l’écrivait
Jean-Paul Sartre, “une forme sournoise de ce que l’on
nomme la lutte contre les pouvoirs”. Le pouvoir ne peut être
suspect d’abriter en son sein des Gitans ou d’être
influencé par eux (peu de gens savent que Bill Clinton a
des origines romanies), seulement peut-il parfois être accusé
de laxisme. L’antiromisme apparaît au contraire comme
un moyen de cohésion entre les administrés et les
autorités locales ou l’État qui, de tout temps,
ont pris en charge la répression des populations nomades.
Un “ennemi commun”, rien de tel pour renforcer les liens
entre un édile et ses administrés. C’est ce
qu’a compris l’adjoint “chargé de la communication
et de la sécurité” au maire de Ostwald lorsqu’il
adresse, le 30 août 2002, la lettre suivante à ses
concitoyens :
Madame, Monsieur,
Plusieurs des habitants des 15, 17 et 19 rue de XXX ont eu le bon
réflexe civique de me signaler lundi 23 août 2002 au
matin qu’un véhicule haut de gamme, type “gens
du voyage” est venu repérer le champ en face de vos
immeubles.
J’ai immédiatement fait benner de la terre au niveau
de l’accès possible à ce champ.
Pour plus de protection, je vous suggère de garer vos véhicules
pendant quelques temps le long de la rue, ce qui rendra l’accès
quasi impossible au champ.
Il faut, dans l’intérêt de tous, éviter
à tout prix un campement à cet endroit, car vous savez
comme moi, que si les gens du voyage viennent une première
fois, ils reviendront régulièrement.
N’hésitez pas non plus à nous signaler des faits
que vous pourriez observer, et dans cette attente, je vous adresse
mes meilleures salutations.
Il n’est pas rare que les maires utilisent les pétitions
ou les manifestations d’habitants de leurs communes pour justifier
leurs décisions ou appuyer leurs demandes d’expulsion
des “gens du voyage”. Cela peut parfois prendre des
proportions inquiétantes. Une quarantaine de maires lorrains
ont ainsi menacé en août 2000 de boycotter le référendum
sur le quinquennat si un rassemblement évangéliste
de 40000 “gens du voyage” à Chambley devait être
maintenu. [35]
De telles prises de position de la part des autorités contribuent
encore une fois à pérenniser les sentiments et les
démonstrations antiroms, comme ce fut le cas en juin 2002
dans la commune du Tremblay-sur-Mauldre lorsqu’une soixantaine
de manifestants ont obligé une quarantaine de caravanes à
quitter le stade de la commune, avant d’en bloquer l’accès
par des tracteurs et des voitures.
L’hostilité se nourrit aussi de la répétition
de l’affirmation que les Roms ne travaillent pas, se payent
de somptueuses voitures et ne payent aucune facture aux collectivités.
Rappelons tout de même que le stationnement dans les aires
aménagées est payant, de manière à couvrir
les frais d’entretien et de fonctionnement des sites. Rappelons
également qu’une berline et une caravane de luxe, que
ne possèdent pas tous les “gens du voyage”, loin
de là, avoisinent ensemble les 50 à 60000 euros (entre
300 et 400000 francs), ce qui ne représente dans l’absolu
qu’un très modeste appartement à Paris. Il ne
semble pas que l’on ait mobilisé les Groupes d’intervention
régionaux pour vérifier les revenus et les activités
de toutes les personnes ayant acquis un logement de ce prix. Mais
la présumée absence de contraintes des “gens
du voyage” les transforme aux yeux de beaucoup en “parasites
sociaux”.
Ce rapide et non exhaustif, loin s’en faut, tour d’horizon
des mécanismes et des manifestations de l’antiromisme
est un préalable nécessaire à la compréhension
de l’attitude des pouvoirs publics en France depuis le 19e
siècle, que nous allons aborder maintenant.
La criminalisation des “errants” et itinérants
au 19e siècle
Jamais la République française n’eut de législation
particulière concernant les Roms. Pourtant les législations
successives concernant les “nomades” puis, à
partir de 1978, les “gens du voyage”, eurent un impact
très fort sur leur situation en France. Malgré le
fait, comme nous l’avons dit, que le nomadisme ne constitue
pas un élément incontournable de l’identité
romanie, ce fut d’abord un mode de vie largement majoritaire
chez ces populations avant d’être entravé, combattu
et réprimé par l’État français.
Dans un article de la revue Études tsiganes paru en 2001
[36], Emmanuel Aubin, maître de conférences en droit
public à l’université de Poitiers, rappelait
qu’aucune mesure spécifique à l’encontre
des itinérants n’avait été adoptée
par le droit républicain entre 1789 et 1912. Nous pouvons
cependant supposer que d’autres textes législatifs
relatifs aux “vagabonds” ou aux “errants”
ne furent pas sans conséquence sur la situation des Roms.
Dans son étude sur le vagabondage [37], José Cubero
démontre que bien avant la loi discriminatoire de 1912, l’État
français s’employa à poursuivre les politiques
de répression et d’assimilation mises en place par
l’Ancien régime.
Dès 1802, sous le Consulat (1799-1804), le général
Boniface-Louis-André de Castellane, préfet des Basses-Pyrénées,
lança, les 6 et 7 décembre, une “battue des
Bohémiens” [38] dans les sous-préfectures de
Bayonne et de Mauléon. Cette “battue” dont l’objectif
était la déportation des “Bohémiens”
dans la colonie française de Louisiane, se fit avec l’accord
du ministère de la police. 475 Bohémiens furent arrêtés
mais finalement le projet ne put être mené à
son terme. Certains d’entre eux furent enrôlés
de force dans les troupes des colonies alors que les autres furent
enfermés dans des dépôts de mendicité
[39] avant d’être libérés, sur ordre de
Bonaparte, en juin 1804.
Avec le code pénal de 1810, un pas est franchi dans le durcissement
de la législation. L’article 269 affirme que “le
vagabondage est un délit” punissable de six mois d’emprisonnement.
La définition du “vagabond” donnée par
l’article 270 (“les vagabonds ou gens sans aveu sont
ceux qui n’ont ni domicile certain, ni moyens de subsistance,
et qui n’exercent habituellement ni métier ni profession”)
permet d’élargir le contrôle policier aux populations
romanies itinérantes.
Sous le premier Empire (1804-1814), le nombre de ceux considérés
comme “errants” dans les campagnes ou “indigents”
dans les villes ne cessent de s’accroître. La mendicité,
malgré les restrictions, devient l’un des moyens de
survie d’une partie non négligeable de la population.
Ces “indigents” sont scrupuleusement recensés
à Paris qui en compte 121801 en 1810. Les réfractaires
aux armées napoléoniennes viennent grossir les rangs
des “errants” dans le monde rural. Dans l’esprit
des législateurs et des représentants de l’État
le vagadondage, l’errance, le nomadisme et la mendicité
sont amalgamés et deviennent des fléaux contre lesquels
il convient de lutter. L’article 270 du code pénal
de 1810 fut une arme efficace des pouvoirs publics pour lutter contre
toutes ces entorses au contrôle socio-spatial.
Cette stigmatisation des itinérants doit être remise
dans le contexte plus large du rejet et de la répression
du “vagabondage” demandée par la bourgeoisie
et les classes dominantes. Celles-ci sont effrayées par la
multiplication des personnes itinérantes d’origine
modeste que les vicissitudes économiques ont poussées
sur les routes.
La révolution industrielle entraîne l’émergence
d’un “peuple vagabond” [40] que la bourgeoisie
a tôt fait de considérer comme potentiellement dangereux.
La capitale draîne au milieu du 19e siècle un flot
de population pauvre à la fois attirée par les perspectives
de l’expansion industrielle et poussée par la précarité
de leurs conditions dans leurs régions d’origine. Cette
population ouvrière instable est estimée à
50007 personnes à Paris en 1847 [41]. Leurs déplacements
et déménagements fréquents amènent les
autorités policières à les considérer
comme des “nomades”. Il ne s’agit plus alors d’“indigents”
dans l’impossibilité de subvenir à leurs besoins
mais tout simplement de journaliers, de chômeurs, de déracinés
que les changements économiques et sociaux du 19e siècle
ont contribué à paupériser davantage. C’est
toute une partie du monde ouvrier qui est alors classée par
les classes dirigeantes comme subversive, criminogène et
représentant un danger pour l’ordre conservateur de
la deuxième République (1848-1852). Aldophe Thiers
entend bien alors, comme il l’explique dans un discours du
24 mai 1850, exclure ce “danger” de la vie politique
du pays, par la privation du droit de vote :
Nous avons exclu cette classe d’hommes dont on ne peut saisir
le domicile nulle part. [...] Mais ces hommes que nous avons exclus,
sont-ce les pauvres ? Non ce n’est pas le pauvre, c’est
le vagabond. [...] Ce sont ces hommes qui forment, non pas le fond
mais la partie dangereuse des grandes populations agglomérées.
[...] C’est la multitude, ce n’est pas le peuple, que
nous voulons exclure, c’est cette multitude confuse, cette
multitude de vagabonds dont on ne peut saisir ni le domicile, ni
la famille, si remuante qu’on ne peut la saisir nulle part.
L’exclusion politique de ces “errants” n’est
qu’une facette de la lutte qui oppose alors bourgeoisie et
monde ouvrier.
La volonté de contrôle sur ces populations vues comme
un “danger social” est reprise par le second Empire
(1852-1870). Haussmann parle de cette “tourbe de nomades”
qu’il faut réduire et étroitement surveiller.
Sa politique urbaine y contribuera, non pas en améliorant
le sort des plus pauvres mais en les chassant du centre de Paris.
À sa suite, beaucoup de bourgeois ne verront dans la Commune
de Paris de 1871 qu’un mouvement de cette “tourbe”.
La lutte contre les vagabonds, errants, mendiants et “Bohémiens”
se poursuit et se renforce sous la troisième République
(1870-1940). Des mesures prises à l’encontre des professionnels
itinérants ou des saltimbanques affectèrent sûrement
certains Roms. En 1884, une politique strictement anti-nomade à
destination des “Bohémiens” prend forme. Une
loi permet aux maires de réglementer le stationnement des
nomades sur le territoire de leur commune et une circulaire du 29
juin 1889 encourage les préfets à refouler les nomades
hors de leur département en ces termes :
En ce qui concerne les nomades, généralement étrangers,
dont un défaut de vigilance à la frontière
aura permis l’entrée en France et que l’exercice
d’une profession ne permet pas de ranger dans la catégorie
des vagabonds, il conviendra de généraliser une mesure
déjà prescrite dans quelques départements et
qui consiste à les refouler purement et simplement jusqu’à
la frontière du département. Le préfet du département
voisin immédiatement avisé de cette disposition, procédera
à leur égard de la même manière, les
bandes nomades seront successivement menées sur la limite
de notre territoire.
Dans les départements, les représentants de l’État
redoublent d’intransigeance et les cas de discrimination légale
se multiplient. Le préfet des Bouches-du-Rhône, par
exemple, interdit en 1895 “le stationnement sur la voie publique
et sur les terrains communaux des voitures servant au logement des
Bohémiens et autres individus nomades sans profession avouée”
[42].
En réalité, dès cette époque la plupart
des nomades sont de nationalité française, comme le
démontre le recensement général des “nomades
et Bohémiens” de 1895. Le fait de les assimiler à
des étrangers s’inscrit, déjà, dans un
des leitmotivs de l’antiromisme, celui de ne voir dans les
Roms que des étrangers en puissance malgré leur présence
pluriséculaire sur le territoire. Le droit du sol ne semble
pas, alors, être valable pour les Roms qui gardent sur eux
la suspicion de ne pas être de “vrais français”.
Durant la deuxième moitié du 19e siècle, des
groupes de Roms originaires de l’Europe orientale et balkanique
arrivèrent en Europe occidentale. Des Roms de Roumanie, profitèrent,
en 1856, de la fin du servage qui leur était imposé
depuis quatre siècles dans ce pays pour chercher de meilleures
conditions de vie en Europe occidentale. Les groupes de Roumains,
de Hongrois ou de Bosniaques, dont nous ne possédons aucune
donnée chiffrée, suffirent, ajoutés à
l’éternelle assimilation des nomades français
à des étrangers, à provoquer l’inquiétude
des autorités publiques et des populations. Dans un rapport,
un gendarme de Nevers décrit en 1881 ces “voitures
de Bohémiens où grouillent pêle-mêle adultes,
enfants de tous âges, chiens... qui se répandent dans
les villages, harcelant les habitants pour avoir de l’argent”
[43].
La population, surtout rurale, voit des “Bohémiens”
partout et leur attribue toutes sortes de méfaits et de troubles
à l’ordre public. Ses représentants s’en
font l’écho auprès des ministères et
à la chambre des députés. Des conseillers généraux
des départements du Rhône et de l’Ain adressent,
au début des années 1890, une lettre au ministre de
l’intérieur dans laquelle ils affirment que “la
campagne demande une loi contre les nomades” car “le
nombre de vols et incendies constatés dans les campagnes
suit l’accroissement inquiétant du nombre de ces dangereux
nomades auxquels le territoire français sert de refuge et
de promenoir”.
La grave crise économique que connut la France entre 1893
et 1896 accrut la mobilité de nombreux ouvriers et journaliers.
[44] C’est dans ce contexte et à la faveur de l’arrivée
de groupes de “Bohémiens” des pays de l’Europe
orientale et balkanique que le ministre de l’intérieur
Louis Barthou, sous la pression des notables locaux effrayés
par les “bandes d’errants”, entreprend en 1895
leur recensement général. 400000 “errants”
de toutes sortes sont dénombrés et parmi eux 25000
“nomades en bandes voyageant en roulottes”. Louis Barthou
entend renforcer la répression contre l’ensemble de
ces personnes itinérantes, qu’elles le soient par choix
de vie, par nécessité ou parce qu’elles n’ont
nulle part où s’installer. Les populations romanies
sont directement concernées par une série de mesures
visant à contrôler et à réprimer leurs
déplacements, dont le point culminant est la loi du 16 juillet
1912 qui institue le carnet anthropométrique pour les “nomades”.
Loi de 1912 : le carnet anthropométrique obligatoire pour
les nomades
Afin de surveiller les allées et venues des nomades, Georges
Clemenceau avait créé en 1907 des brigades mobiles,
les fameuses “brigades du Tigre”, chargées de
contrôler les déplacements des “vagabonds, nomades
et Romanichels”. Cet arsenal policier ne parut pas suffisant
aux élus locaux et aux parlementaires qui décidèrent
de soumettre le nomadisme à un contrôle policier encore
plus serré.
La loi du 16 juillet 1912 instaura l’obligation de détention
d’un carnet anthropométrique pour les “nomades”.
Étant considérés comme tels “tous les
individus circulant en France [quelle que soit la nationalité]
sans résidence fixe et ne rentrant dans aucune des catégories
ci-dessus spécifiées [45] même s’ils ont
des ressources ou prétendent exercer une profession”.
À la fois titre de circulation et fiche anthropométrique,
devaient y figurer, entre autres, photos d’identité,
empreintes digitales, vaccinations, arrivées et départs
dans chaque commune. Ce carnet devait obligatoirement être
présenté dans chaque commune qui, conformément
à cette même loi, pouvait refuser le stationnement.
Outre ce carnet individuel, “le chef de famille ou de groupe
[devait] être muni d’un carnet collectif concernant
toutes les personnes voyageant avec le chef de famille. [...] Les
véhicules de toute nature employés par les nomades
doivent porter à l’arrière, d’une façon
apparente, une plaque de contrôle spécial.”
Le législateur donnait les moyens aux forces de l’ordre
et aux municipalités de contrôler, de suivre voire
d’empêcher le déplacement et le stationnement
des nomades. En cas de non-présentation de ces documents,
les individus et les familles pouvaient être punis au titre
des lois contre le vagabondage.
Ce document obligatoire fut, plus qu’un simple instrument
de contrôle, une entrave à la libre circulation pourtant
nécessaire au bon fonctionnement de l’économie
itinérante. Cette économie reposait sur des prestations
et des services aux populations locales. La “bonne aventure”,
les activités artistiques et du spectacle (musiciens, saltimbanques,
gérants de manèges, montreurs d’animaux sauvages...)
étaient des activités certes existantes chez les Roms
mais pas exclusives.
Le travail et la récupération des métaux,
le rempaillage de chaises, le colportage, la “chine”
dans les foires et les marchés, les travaux agricoles saisonniers
étaient des activités très largement dominantes
et qui demandaient une grande mobilité. Les groupes s’arrêtaient
un certain temps dans une commune jusqu’à épuisement
des travaux et des services demandés. Le départ pour
un autre lieu était alors imminent. La possibilité
de se déplacer et de s’installer était une condition
sine qua non de la perpétuation de ces activités.
Le pouvoir fut ainsi donné aux maires d’interdire le
séjour sur le territoire communal ou en reléguant
celui-ci dans des endroits non appropriés à l’exercice
des différentes professions exercées par les nomades.
Selon l’historienne Henriette Asséo, “ces mesures
perturbaient le rythme d’une mobilité économique
soumise à des contraintes (dates de foires, vendanges...)
et elles grevaient par des amendes un budget par nature fluctuant.
Le résultat en fut l’abandon du voyage pour des familles
qui circulaient depuis plus d’un siècle.” [46]
Cette législation, outre son aspect foncièrement discriminatoire,
fut en réalité un moyen détourné de
contraindre à la sédentarisation des populations que
l’État ne pouvait supporter de ne pas saisir et qui
par leur existence même, lui paraissaient mettre en péril
son quadrillage du territoire. Cette loi était à double
tranchant pour les populations romanies qui étaient alors
majoritairement itinérantes. Cette surveillance constante
les enfermait dans un rôle de délinquants en puissance
par une criminalisation à outrance. D’autre part, en
brisant leurs systèmes économiques on brisait également
leur mode de vie itinérant. Cette législation ainsi
que le carnet anthropométrique restèrent en vigueur
jusqu’à son abrogation en... 1969 ! C’est à
juste titre qu’Emmanuel Aubin parle de “l’application
d’une législation d’exception” [47].
Nous ne pouvons que nous interroger sur l’idéologie
qui sous-tend de telles mesures et à la mise en place de
ce carnet anthropométrique. Pour cela il est nécessaire
de se replonger dans le contexte politique et idéologique
de la fin du 19e et du début du 20e siècle. Les théories
racialistes, inspirées entre autres par Joseph Gobineau et
son Essai sur l’inégalité des races humaines
(1853-1855), connaissent à ce moment leur apogée,
ce dernier affirmant que “toute civilisation découle
de la race blanche, aucune ne peut exister sans le concours de cette
race”. À la fin du 19e siècle, Georges Vacher
de Lapouge élabore une classification et une hiérarchisation
des races. Selon lui, l’homo europaeus est au sommet de cette
hiérarchie. Il le définit comme grand, blond, teuton
ou nordique, protestant, créateur et dominateur. Gobineau,
Vacher de Lapouge ou encore Houston Stewart Chamberlain, en auréolant
leurs écrits d’un caractère scientifique, exercèrent
une forte influence sur leurs contemporains. Si les conclusions
qu’ils en tirent n’appartiennent qu’à eux,
de nombreux scientifiques et hommes de lettres reprirent cette classification
basée sur des critères physiologiques. L’anthroposociologie
et la linguistique de l’époque furent fortement marquées
par ces classifications.
Leurs théories participèrent à la justification
de la domination des Européens sur l’Afrique et l’Asie.
Selon Hannah Arendt, “le racisme a fait la force idéologique
des politiques impérialistes depuis le tournant de notre
siècle” [48]. Cet impérialisme raciste, qui
s’exprimait de la façon la plus brutale dans les pays
colonisés en soumettant de force les populations locales,
revêtait souvent l’aspect d’une mission civilisatrice
dans la bouche des hommes politiques qui s’en faisaient les
défenseurs. Ainsi Jules Ferry déclarait, lors d’un
débat parlementaire en 1885 :
Ce qui manque à notre grande industrie, que les traités
de 1860 ont irrévocablement dirigée dans la voie de
l’exportation, ce qui lui manque de plus en plus, ce sont
des débouchés... La concurrence, la loi de l’offre
et de la demande, la liberté des échanges, l’influence
des spéculations, tout cela rayonne dans un cercle qui s’étend
jusqu’aux extrémités du monde. [...] Il faut
chercher des débouchés. [...] Il y a un second point
que je dois aborder : c’est le côté humanitaire
et civilisateur de la question. Les races supérieures ont
un droit vis-à-vis des races inférieures. Je dis qu’il
y a pour elles un droit parce qu’il y a pour elles un devoir.
Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures.
Dans le même discours, Jules Ferry posait les fondements
économiques capitalistes de l’expansion coloniale et
sa justification idéologique. Les buts poursuivis par des
personnes comme Vacher de Lapouge et Jules Ferry sont évidemment
très différents voire antagonistes, la domination
d’une sorte d’aristocratie raciale pour l’un et
la recherche de débouchés économiques œuvrant,
au moins en apparence, à l’universalisation de “La
civilisation” pour l’autre. Il n’en reste pas
moins qu’ils partagent cette vision d’un monde divisé
entre races supérieures et inférieures. La soumission,
l’assimilation par la mission civilisatrice ou l’extermination
des “races inférieures” apparaissent comme des
suites possibles de ces conceptions. Hannah Arendt soulignait que
le racisme fut alors élevé au rang d’idéologie
différant “d’une simple opinion en ceci qu’elle
affirme détenir soit la clé de l’histoire, soit
la solution à toutes les énigmes de l’univers,
soit encore la connaissance profonde des lois cachées de
l’univers qui sont supposées gouverner la nature et
l’homme” [49].
Ces théories racistes qui orientent la politique internationale
ne sont évidemment pas sans conséquence au plan intérieur.
La loi du 16 juillet 1912 concernant les nomades, très majoritairement
d’origine romanie, en est une des conséquences. Car
c’est bien en terme de “race” que sont appréhendées
les populations romanies présentes en France. Durant les
débats préliminaires à l’adoption de
la loi, le sénateur Félix Flandin, dans une tirade
contre les “nomades”, les présenta comme “des
vagabonds à caractère ethnique [qui] vivent sur notre
territoire comme en pays conquis, ne veulent connaître ni
les règles de l’hygiène, ni les prescriptions
de nos lois civiles, professant un égal mépris pour
nos lois fiscales et nos lois pénales. [...] Les Bohémiens
sont la terreur de nos campagnes où ils exercent impunément
leurs déprédations.” [50]
À cette influence des théories racistes, s’ajoute,
à la même époque et en défaveur des populations
romanies, la volonté centralisatrice et assimilatrice, déjà
ancienne, de la “République radicale” [51] d’une
part et, d’autre part, la constitution, depuis l’affaire
Dreyfus, d’une droite nationaliste puissante, dont Maurras
fut le porte-drapeau, aux accents racistes et antisémites.
[52]
En digne héritière de 1789, cette “République
radicale” est farouchement opposée à l’affirmation
et encore moins à la reconnaissance de quelques particularismes
que ce soit sur le territoire français. Car pour les républicains
ces particularismes renvoient à trois idées qu’ils
abominent : le fédéralisme, le cléricalisme
et le royalisme. Dans cette lutte, les populations romanies sont
certainement la dernière des préoccupations des pouvoirs
publics français. Toutefois le refus républicain des
particularismes créait un climat propice aux politiques d’assimilation
forcée menées contre les populations romanies.
Au même moment, les sentiments racistes et xénophobes
se trouvent exacerbés par la montée en puissance du
nationalisme. Le nationalisme français puise sa force et
élargit considérablement son audience lors de l’affaire
Dreyfus. L’ennemi est alors clairement désigné
pour les nationalistes : c’est “le Juif”, considéré
entre autre comme figure-type de “l’étranger”.
La ligue antisémite de Jules Guérin n’hésite
pas à appeler au meurtre et les émeutes anti-juives
se multiplient tout au long de l’année 1898 en France
métropolitaine comme en Algérie. Ce phénomène
n’est toutefois pas propre à la France car au même
moment l’Europe de l’Est, et notamment la Russie, est
secouée par une vague de pogroms meurtriers. Antisémitisme
et nationalisme sont indissociables à la fin du 19e et au
début du 20e siècle. Les Juifs, les étrangers,
les apatrides et les internationalistes font figure d’“anti-France”
et représentent, aux yeux des nationalistes, une menace pour
la sécurité du pays. Bien entendu, les “Bohémiens”
font également les frais de ce déferlement de haine.
Le très populaire Petit Journal se fait l’écho,
en 1907, de cet état d’esprit : “Qu’il
nous faille subir les nomades de nationalité française,
passe encore, mais qu’on nous débarrasse au moins nos
campagnes de tous ces gens sans aveu, sans état civil, sans
patrie, qui terrorisent nos villages et grugent nos paysans.”
[53]
Synthèse de l’idéologie contre-révolutionnaire,
de l’antijudaïsme catholique traditionnel, d’un
antisémitisme qui se veut moderne et d’un anticapitalisme
conservateur, la droite nationaliste s’est faite la championne
du combat anti-dreyfusard. L’Affaire et le soutien sans faille
qu’elle apporte à l’armée lui permettent
de récupérer “la religion de la patrie”
[54], jusqu’alors détenue par les républicains
et, ainsi, d’accroître considérablement son audience.
Les nationalistes entendent dénoncer la collusion entre les
Juifs “apatrides”, l’universalisme des droits
de l’homme et l’internationalisme socialiste. Le courant
nationaliste, s’il ne sort pas vainqueur de l’Affaire,
a étendu son influence dans la société. Cette
large diffusion de l’idéologie nationaliste, qui se
poursuivra au moins jusqu’aux années 1930, concoura
à l’acceptation de la législation discriminatoire
de 1912. Notons que le Front populaire n’apporta aucune modification
à cette législation.
Émergence et diffusion des théories racistes, lutte
contre “l’errance ouvrière”, volonté
assimilatrice et mission “civilisatrice” de la République,
émergence d’un nationalisme xénophobe, renforcement
du contrôle socio-spatial, voilà, pour résumer,
le contexte qui a conduit à l’adoption de la loi de
1912.
L’internement des roms pendant la seconde guerre mondiale
Si l’on ne peut en aucune manière amalgamer les politiques
discriminantes d’avant-guerre et celles du régime de
Vichy, que ce soit dans l’idéologie ou la finalité,
il est clair toutefois que les dispositions mises en place par la
loi de 1912 furent utilisées par le régime vichyste
dans sa politique antirom. Signalons également que l’assignation
à résidence des Roms itinérants fut entreprise
dès octobre 1939 par les autorités républicaines
mettant en doute leurs sentiments patriotiques et craignant en eux
une possible “cinquième colonne”. Sur décision
du ministre de l’intérieur Henri Roy et du ministre
de la défense Édouard Daladier, la circulation des
nomades fut interdite par le décret-loi du 6 avril 1940,
lui-même complété par une circulaire du 29 avril
1940. Dans ce dernier texte, le directeur général
de la sécurité intérieure, A. Bussière,
demandait aux préfets d’assigner les nomades à
résidence en des termes ne comportant aucune ambiguïté
sur la considération qu’il portait à ces populations
:
Le décret du 6 avril 1940, publié au JO du 9 courant
page 2006, a interdit la circulation des nomades pendant la durée
des hostilités et vous a prescrit de leur assigner dans votre
département une localité où ils seront astreints
à séjourner sous la surveillance des services de police.
[...]
Leurs incessants déplacements, au cours desquels les nomades
peuvent recueillir de nombreux et importants renseignements, peuvent
constituer pour la défense nationale un danger très
sérieux, il est donc nécessaire de les soumettre à
une étroite surveillance de la police et de la gendarmerie
et ce résultat ne peut être obtenu que si les nomades
sont astreints à séjourner dans un lieu déterminé.
[...] Étant donné les raisons mêmes qui ont
motivé cette mesure, il convient d’entendre que les
nomades, aussi bien de nationalité française que de
nationalité étrangère, n’ont la possibilité
de circuler librement que dans la zone qui leur a été
fixée par vous.
Il conclut en affirmant :
Ce ne serait pas le moindre bénéfice du décret
qui vient de paraître, s’il permettait de stabiliser
des bandes d’errants qui constituent du point de vue social
un danger certain et de donner à quelques-uns d’entre
eux, sinon le goût, du moins les habitudes du travail régulier.
[55]
À cela furent ajoutés des recensements des populations
nomades département par département. Ces mesures,
ajoutées aux contraintes de la loi de 1912, permirent un
fichage minutieux qui fut utilisé par le régime de
Vichy lorsque celui-ci entreprit de traquer et d’interner
les Roms. Dès l’été 1940, les assignations
à résidence, les arrestations et les internements
se multiplièrent aussi bien dans la zone occupée que
dans la zone “libre”.
Claire Auzias, qui rejoint en cela le spécialiste du régime
de Vichy, l’historien Robert Paxton [56], démontre
que la politique antirom de Vichy, comme sa politique antisémite,
était intrinsèque à son idéologie et
non imposée par les nazis même si cela répondait
à leurs attentes. Dans toute l’Europe l’heure
était aux persécutions antijuives et antirom.
L’internement des “nomades” en zone “libre”
fut confié aux préfets entre octobre 1940 et novembre
1941. Des camps furent aménagés des deux côtés
de la ligne de démarcation. En zone occupée la plupart
de ces camps étaient situés dans le grand-Ouest. Celui
de Montreuil-Bellay a fait l’objet d’études approfondies
[57] mais l’ampleur de ces politiques est aujourd’hui
encore difficilement chiffrable. L’historienne Marie-Christine
Hubert chiffre à 4657 le nombre de Roms français internés
dans la zone occupée et à 1004 dans la zone “libre”
[58]. Il est par contre impossible de déterminer le nombre
de Roms de nationalité étrangère ayant subi
cette politique. Une chose est sûre pour l’historien
Jacques Sigot, le nombre d’internements est bien inférieur
au nombre total des nomades recensés en 1939 (autour de 40000)
car l’internement des Roms, contrairement à celui des
Juifs et pour raciste qu’il fut, n’eut pas de caractère
systématique. Conscients du danger qu’ils encourraient,
de nombreux Roms itinérants ont tenté d’y échapper
en se sédentarisant, ce qui pourtant ne les mettait pas à
l’abri de policiers trop zélés. Jacques Sigot
rapporte le cas de la famille de Jean Richard arrêtée
à Quimper par des gendarmes français et internée
malgré une sédentarisation effectuée dès
le début de l’occupation.
Reste que l’internement, résultant de mesures prises
par le régime de Vichy ou par les troupes d’occupation
et généralement appliquées par des fonctionnaires
français, fut une réalité pour de nombreux
Roms. Le plus déconcertant est que de nombreux Roms ne furent
pas libérés en 1944 comme beaucoup d’autres
internés. Certains d’entre eux restèrent prisonniers
jusqu’en... mai 1946. Une circulaire du ministre de l’intérieur
du 27 mars 1945 précisa :
L’internement n’est pas une peine destinée à
sanctionner, au même titre que les peines judiciaires, les
faits de collaboration et les activités antinationales. C’est
une mesure exceptionnelle de police préventive destinée
à mettre hors d’état de nuire ceux des individus
que vous estimez dangereux pour la défense nationale ou la
sécurité publique.
Les “retrouvailles” avec la République étaient
ratées. Les relations entre les autorités et les populations
romanies ne s’annonçaient pas sous les meilleurs auspices,
d’autant que la loi de 1912 et le carnet anthropométrique
qu’elle imposait aux populations “nomades” restèrent
en vigueur à la Libération.
Décret relatif à l’interdiction de
la circulation des nomades sur la totalité du territoire
métropolitain
Le Président de la République française décrète
:
Art. 1 - La circulation des nomades est interdite sur la totalité
du territoire métropolitain pour la durée de la guerre.
Art. 2 - Les nomades, c’est-à-dire toutes personnes
réputées telles dans les conditions prévues
à l’article 3 de la loi du 16 juillet 1912, sont astreints
à se présenter tous les quinze jours qui suivront
la publication du présent décret, à la brigade
de gendarmerie ou au commissariat de police le plus voisin du lieu
où ils se trouvent. Il leur sera enjoint de se rendre dans
une localité où ils seront tenus à résider
sous la surveillance de la police. Cette localité sera fixée
pour chaque département par arrêté du préfet.
Art. 3 - Les infractions à ces dispositions seront punies
d’emprisonnement de un à cinq ans.
Art. 4 - Les dispositions de la loi du 16 juillet 1912 et du décret
du 7 juillet 1926 qui ne sont pas contraires aux dispositions du
présent texte, demeurent en vigueur.
Fait à Paris, le 6 avril 1940
Albert Lebrun
Loi de 1969 : la volonté administrative de sédentarisation
Sans aucune considération des préjudices subis durant
la guerre et sans qu’aucun dédommagement ou aucune
compensation ne soient entrepris, les pouvoirs publics français
reprirent dès les années 1950, puis dans les années
1960, leurs pratiques discriminatoires envers les populations romanies.
Celles-ci se heurtent alors à de nombreux arrêtés,
émanant de maires ou de préfets, visant à interdire
purement et simplement le stationnement des nomades sur les territoires
qu’ils administrent. Par une circulaire du 16 juin 1960, le
préfet des Alpes-Maritimes interdit le “stationnement
des nomades titulaires du carnet anthropométrique”
sur plus de soixante-dix-neuf communes de son département.
En octobre 1963, le tribunal administratif de Nice annule cet arrêté.
Le ministère de l’intérieur n’entend pas
désavouer son représentant. Il dépose un recours
devant le Conseil d’État, qui le rejette. La décision
du Conseil d’État rend illégale l’interdiction
“générale et absolue du stationnement des nomades
sur le territoire d’une commune”. En conséquence,
le ministre de l’intérieur se voit obligé, dans
une circulaire du 6 mars 1966 adressée aux préfets,
de leur rappeler l’illégalité d’une telle
interdiction. Toutefois, il n’est pas “interdit d’interdire”
le stationnement : la loi de 1912 permet aux maires et aux préfets,
notamment sous le motif toujours très flou de troubles à
l’ordre public, de refuser l’installation de “nomades”
sur le territoire communal mais cette interdiction ne doit pas être
systématique ni illimitée dans le temps. Les panneaux
“interdit aux nomades” deviennent eux aussi illégaux.
Face aux remous créés par cette situation, une nouvelle
législation est adoptée en 1969. Le carnet anthropométrique
est supprimé, mettant ainsi fin à une pratique humiliante
et arbitraire. La loi du 3 janvier 1969 constitue un tournant dans
l’approche entamée par les pouvoirs publics. La criminalisation
et la suspicion généralisées ne figurent plus
comme les seuls éléments du traitement légal
des “nomades” bien que le contrôle des déplacements
et de l’installation restent la préoccupation essentielle
du législateur. Alors qu’un livret de circulation est
mis en place pour les commerçants ambulants et les caravaniers
pouvant justifier de revenus réguliers, un carnet de circulation
est créé spécifiquement pour les “nomades”
tels que définis par la loi de 1912, c’est-à-dire
ne pouvant justifier de revenus réguliers. Chacun de ces
documents devant être présenté chaque trimestre
à un commissaire de police ou un commandant de gendarmerie,
la non-possession de ces documents pouvant être puni jusqu’à
un an d’emprisonnement.
Malgré les timides avancées que présentent
ces nouveaux textes, la volonté de sédentariser administrativement
les personnes itinérantes est, dans la continuité
de la loi de 1912, l’élément déterminant
de ce dispositif. L’instauration de la notion de “commune
de rattachement”, qui ne sera pas annulée par les différentes
lois Besson de 1990 et de 2000, est la marque de cette volonté.
Symboliquement d’abord, par cette mesure, les pouvoirs publics
affirment leur volonté de faire rentrer les “nomades”
dans la norme et ceux-ci doivent donc, “comme tout le monde”,
être dépendants d’une commune. Cette disposition
n’est pas seulement symbolique. Ce rattachement est obligatoire
et d’une durée de deux ans. La liberté de choix
de la commune n’est pas totale car le préfet ou le
maire de la commune peuvent s’y opposer. Justifiée
par l’octroi de droits s’attachant à la commune
de rattachement, cette mesure n’en constitua pas moins une
obligation arbitraire au moins pour deux raisons : d’une part,
en fixant à 3% la limite de la part de la population nomade
dans la population municipale [59], les motivations de cette limite
n’étant pas exposées ; d’autre part, en
imposant pour toute demande de changement de commune de rattachement
l’existence de liens réels avec la nouvelle commune.
Article 9 : [La demande] doit être accompagnée de
pièces justificatives, attestant l’existence d’attaches
que l’intéressé a établies dans une autre
commune de son choix.
A-t-on déjà vu des personnes sédentaires devoir
prouver des liens réels avec une commune pour pouvoir s’y
installer ? Selon Emmanuel Aubin, “l’objectif de cette
loi était d’aboutir à une “sédentarisation”
sans contrainte en incitant les nomades à revenir périodiquement
dans la même localité pour y effectuer une partie des
formalités administratives incombant à chaque citoyen
français” [60]. Le juriste Christophe Daadouch et l’ethnologue
Violaine Carrère ont pointé les dysfonctionnements
liés à cette obligation de commune de rattachement
:
Si, de fait, ce rattachement permettra de jouir de certains droits,
tout montre qu’il est d’abord une contrainte, un moyen
de surveillance et, finalement, de sédentarisation symbolique.
[...] On ne sera pas surpris de constater que ces “effets
attachés au domicile” sont surtout des obligations
: l’accomplissement des obligations fiscales, l’accomplissement
des obligations prévues en matière de sécurité
sociale et l’obligation du service national. [61]
Droits illusoires mais obligations bien réelles lorsque
l’on sait que la loi, toujours en vigueur, stipule que l’exercice
du droit de vote n’est possible qu’après trois
ans de rattachement à la commune alors que l’absence,
souvent par simple oubli, au recensement a entraîné
l’arrestation de nombreux jeunes Roms considérés
comme déserteurs. Le journal Monde tsigane rapporte le cas
du pasteur Raymond Colomba qui, suite à son rattachement
à la commune de Décines-Charpieu en mars 2000, n’a
pas obtenu l’autorisation de s’y inscrire sur les listes
électorales en janvier 2002, alors qu’il était
électeur depuis plus de dix ans à Laval. La mairie
justifiant son refus en invoquant un rattachement administratif
inférieur à trois ans. [62] L’égalité
de droit avec les sédentaires est loin d’être
acquise.
Outre cette dénonciation des dérives “liberticides”
de telles mesures, Christophe Daadouch et Violaine Carrère
soulèvent ce qui semble bien être, et de tout temps,
le nœud gordien de toute politique concernant les “gens
du voyage” : “Entre le désir de l’État
de les voir s’installer et celui des élus locaux et
d’une grande partie de la population de les voir circuler,
les gens du voyage sont dans une situation paradoxale : il leur
est imposé de se sédentariser sans que personne ne
souhaite qu’ils puissent le faire.”
Finalement, et malgré les apparences, les dispositions retenues
dans la loi de 1969 reprennent l’essentiel des fondements
de celle de 1912. Les Roms itinérants restent considérés
comme de dangereux marginaux qu’il convient de faire rentrer
dans le rang, non plus par une criminalisation systématique,
mais par des moyens apparemment moins révoltants mais tout
aussi arbitraires.
Loi n° 69-3 du 3 janvier 1969 relative à l’exercice
des activités ambulantes et au régime applicable aux
personnes circulant en France sans domicile ni résidence
fixe [extraits]
Article 2 modifié par Loi 95-96 1995-02-01 art. 10
Les personnes n’ayant ni domicile ni résidence fixes
de plus de six mois dans un État membre de l’Union
européenne ne peuvent exercer une activité ambulante
sur le territoire national que si elles sont ressortissantes de
l’un de ces États. Elles doivent être munies
d’un livret spécial de circulation délivré
par les autorités administratives. Les personnes qui accompagnent
celles mentionnées à l’alinéa précédent,
et les préposés de ces dernières doivent, si
elles sont âgées de plus de seize ans et n’ont
en France ni domicile, ni résidence fixe depuis plus de six
mois, être munies d’un livret de circulation identique.
Les employeurs doivent s’assurer que leurs préposés
sont effectivement munis de ce document, lorsqu’ils y sont
tenus.
Article 7
Toute personne qui sollicite la délivrance d’un titre
de circulation prévu aux articles précédents
est tenue de faire connaître la commune à laquelle
elle souhaite être rattachée. Le rattachement est prononcé
par le préfet ou le sous-préfet après avis
motivé du maire.
Lois Besson : le grand malentendu
La loi Besson de 1990 : une nouvelle approche ?
La multiplication des conflits entre groupes de “voyageurs”
et communes dans les années 1980 ainsi que la dégradation
des conditions de vie dans les campements poussèrent les
pouvoirs publics à réenvisager l’approche légale
du déplacement et de l’installation des “gens
du voyage”. La loi Besson, initialement proposée pour
s’attaquer aux problèmes de logement des plus défavorisés,
fut adoptée le 31 mai 1990. Sa disposition unique concernant
les “gens du voyage” est contenue dans l’article
28. Celui-ci n’était pas prévu initialement
et ne doit son existence qu’à une initiative parlementaire.
Il est rédigé de la manière suivante :
Un schéma départemental prévoit les conditions
d’accueil spécifique des gens du voyage, en ce qui
concerne le passage et le séjour, en y incluant les conditions
de scolarisation des enfants et celles d’activités
économiques. Toute commune de plus de 5000 habitants prévoit
les conditions de passage et de séjour des gens du voyage
sur son territoire, par la réservation de terrains aménagés
à cet effet. Dès la réalisation de l’aire
d’accueil définie à l’alinéa ci-dessus,
le maire ou les maires des communes qui se sont groupées
pour la réaliser pourront, par arrêté, interdire
le stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal.
[63]
Cet article ne concerne que les populations itinérantes
: il passe sous silence le cas des personnes ayant cessé,
pour diverses raisons, de se déplacer, contraintes de se
sédentariser dans des endroits souvent inadaptés.
Il est cependant indéniable que la loi Besson de 1990 constitue
une rupture avec les pratiques antérieures des pouvoirs publics.
Le droit à l’itinérance est reconnu et les autorités
locales doivent, par l’aménagement d’aires d’accueil,
veiller à son bon déroulement. Jusque-là, seuls
5000 emplacements, dont 3200 aménagés entre 1981 et
1989, existaient pour un total de 25000 caravanes, selon un rapport
du préfet Arsène Delamon [64]. Quel changement, au
moins dans le verbe... Toutefois, plusieurs remarques amènent
à réduire la portée réelle d’un
tel texte :
- la nouvelle loi n’annulait pas l’obligation du titre
de circulation ni celle de la commune de rattachement ; l elle n’était
accompagnée d’aucune sanction pour les communes récalcitrantes
ou pour les départements n’ayant pas mis sur pied le
“schéma départemental d’accueil”
prévu par la loi ; l le texte permettait aux maires ayant
réalisé une aire d’accueil d’interdire
de manière définitive le stationnement sur le reste
du territoire communal. L’imprécision de cette dernière
mesure, notamment sur les capacités d’accueil et sur
la situation géographique de l’aire peut conduire à
de graves abus. Par ce manque de précision, le législateur
n’a-t-il pas donné aux maires la possibilité
d’empêcher la venue de “gens du voyage”
sur le territoire de sa commune ?
- rien n’était prévu pour les grands rassemblements
commerciaux, évangéliques ou autres ;
- aucune mesure n’était prise en considération
de la situation particulière des semi-sédentaires
dont les haltes de longue durée relèvent d’un
autre type d’itinérance ;
- la loi ignorait également le cas des familles sédentarisées
sur des terrains leur appartenant et désireuses, sans parfois
avoir d’autres choix, de conserver leurs caravanes. Ces familles
sont très souvent en infraction avec certaines règles
d’urbanisme et notamment celles relatives aux terrains agricoles
;
- la loi ne prend pas en compte la volonté de certaines familles
de devenir propriétaires de terrains familiaux pouvant servir
de bases à des déplacements plus ou moins fréquents
;
- finalement le principal reproche que l’on peut faire à
ce texte est de n’envisager les populations romanies qu’à
travers une vision comptable, sans aucun souci des envies et des
besoins propres à tout un chacun : l’envie légitime
de s’installer à côté de personnes que
l’on a choisies, le besoin d’organiser des réunions
de famille, de célébrer des mariages, d’avoir
un espace où travailler, ...
Ces défaillances de la loi ne furent pas sans conséquence
sur les rapports entre les populations romanies, les élus
locaux et les administrés. L’absence de prise en compte
des grands rassemblements s’est souvent traduite par de fortes
tensions. En septembre 1997, un syndicat intercommunal regroupant
plusieurs communes du département du Nord fit creuser un
fossé autour de l’aérodrome de Bondues, régulièrement
occupé par plusieurs centaines de familles en caravanes,
pour en interdire l’accès. De nombreuses familles se
virent alors empêchées de stationner à un endroit
indispensable à leurs activités professionnelles (Braderie
de Lille, foires, textiles...) ou religieuses, et cela en l’absence
de solution de remplacement. Ce n’est que devant la menace
de blocage de certains carrefours lors de la Braderie que le préfet
a ordonné la réquisition du terrain tout en y limitant
le nombre de caravanes.
En 1997, le rapport Delevoye permit de dresser un premier bilan
de l’application de ces mesures dans les communes et les départements
: à la date du 16 octobre 1995, quinze départements,
seulement, avaient adopté un schéma approuvé
par le préfet et le président du conseil général.
Pour expliquer ces retards dans l’application de la loi, il
faut souligner qu’au désintérêt des pouvoirs
publics s’ajoutent, parfois, les querelles politiques entre
représentants de l’État et présidents
des conseils généraux.
Dans le rapport Delevoye, ce ne fut pas tant la situation des populations
nomades confrontées à l’insuffisance des aires
d’accueil qui interpella les sénateurs mais plutôt
le manque de crédits alloués par l’État
aux communes et surtout “l’insuffisance des moyens de
coercition pour faire face aux problèmes posés par
le stationnement illégal”. La commission, à
travers son rapporteur, se félicitait pourtant “des
moyens théoriquement étendus pour faire cesser le
stationnement illégal”, notamment l’arrêt
du Conseil d’État/ville de Lille du 2 décembre
1982 selon lequel “l’autorité de police générale
peut réglementer les conditions de circulation et de séjour
des nomades pour éviter qu’elles ne créent un
danger pour la salubrité, la sécurité ou la
tranquillité publique” [65]. Ce même arrêt
et l’article R. 443-3 du code de l’urbanisme permettent
aux maires des communes de moins de 5000 habitants “de limiter
la durée de stationnement des caravanes des gens du voyage
à une durée minimale de quarante-huit heures et maximale
de quinze jours” [66]. Dans la proposition de loi présentée
par la commission, le rapporteur insistait sur la nécessité
de renforcer les moyens “concrets” de répression
du stationnement “sauvage” : L’article unique
de la proposition de loi aurait pour effet de permettre au maire
d’interdire, par arrêté, le stationnement d’une
durée excédant 24 heures (contre 48 heures jusque-là)
sur le domaine communal en dehors des aires publiques d’accueil
déterminées par le schéma départemental.
La commission de conclure : Selon l’exposé des motifs,
ce dispositif permettrait non seulement d’améliorer
l’accueil des nomades mais aussi de mieux faire respecter
l’autorité municipale, souvent affaiblie par les confrontations
avec les gens du voyage.
Dans cette proposition de loi, adoptée en première
lecture par le sénat le 6 novembre 1997, le souci sécuritaire
transparaît nettement plus que le souci humanitaire. D’autant
que la demande d’instaurer un schéma national dénote
la volonté des municipalités de se débarrasser
de la question de l’accueil des “gens du voyage”.
Un bilan plus complet, réalisé en 1998 par Louis
Besson, secrétaire d’État au logement, permit
de prendre la mesure de la non-conformité, voire la situation
d’illégalité de la majorité des communes
et départements : seuls 47 départements avaient élaboré
un schéma d’accueil et seulement 17 d’entre eux
l’avaient adopté définitivement. Seules 358
communes de plus de 5000 habitants, sur un total de 1739, disposaient
d’une aire d’accueil. [67] Des associations, telles
que le GISTI ou le MRAP, dénoncèrent l’inapplication
de la loi dans la majorité des cas mais plus encore son détournement
par les municipalités. En effet, nombre d’aires d’accueil
présentent d’énormes insuffisances : soit leurs
capacités d’accueil sont trop petites, soit elles sont
installées en périphérie des villes, près
des bretelles d’autoroutes, des grands axes de communication
ou de zones industrielles parfois désaffectées. Rares
sont les aménagements dignes de ce nom. Les installations
sanitaires sont souvent insuffisantes et en inadéquation
avec le nombre d’emplacements.
La manœuvre était habile. Beaucoup de communes ayant
satisfait à l’obligation d’aménagement
d’une aire le firent dans des endroits éloignés
de la population et soumis à d’importantes nuisances.
Ce faisant, cette obligation remplie, les municipalités peuvent
se débarrasser de manière absolue et systématique
des “gens du voyage” sur le reste de leurs territoires.
Les aménagements de la loi du 5 juillet 2000 [68]
Les ambiguïtés, les défaillances, l’inapplication
ou la mauvaise application des dispositions de la loi Besson, mais
aussi et surtout les protestations des élus locaux rendirent
nécessaire l’adoption d’une nouvelle loi “relative
à l’accueil et à l’habitat des gens du
voyage” en juillet 2000. Lors d’un colloque à
Bourg-en-Bresse en 1999, Louis Besson déclarait : L’objectif
général du projet de loi présenté au
conseil des ministres le 14 mai 1999, est de définir un équilibre
satisfaisant entre, d’une part, la liberté constitutionnelle
d’aller et de venir et l’aspiration des gens du voyage
à pouvoir stationner dans des conditions décentes
et, d’autre part, le souci également légitime
des élus locaux d’éviter des installations illicites
qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs
administrés.
Reprenant les dispositions de l’article 28 de la première
loi Besson, quatre grands axes se dégagent : l la signature
d’un schéma d’accueil dans chaque département
avant le 5 janvier 2002, prévoyant les aires de stationnement
nécessaires et désignant les communes où elles
devaient être aménagées. Passé ce délai,
l’État “peut acquérir les terrains nécessaires,
réaliser les travaux d’aménagement au nom et
pour le compte de la commune défaillante” ;
- l’obligation, pour les communes de plus de 5000 habitants,
de construire des aires d’accueil dans un délai de
deux ans après l’adoption du schéma départemental
;
- la prise en charge par l’État, afin d’inciter
à ces aménagements, du financement des travaux à
hauteur de 70% ;
- la possibilité pour les communes ayant réalisé
des aires d’accueil d’interdire, par arrêté,
le stationnement en dehors des sites prévus. Les maires peuvent
“par voie d’assignation délivrée aux occupants
et, le cas échéant, au propriétaire du terrain
ou au titulaire d’un droit réel d’usage, saisir
le tribunal de grande instance aux fins de faire ordonner l’évacuation
forcée des résidences mobiles”.
Cet équilibre évoqué par Louis Besson prenait
en réalité la forme d’un marchandage réalisé
avec les édiles locaux, notamment la puissante Association
des maires de France, et du sénat. Précisons également
que le rapporteur de la commission sénatoriale, Jean-Paul
Delevoye, n’était autre que le président de
cette association.
Ainsi, l’obligation d’aménager une aire dans
les communes de plus 5000 habitants est maintenue et renforcée
par l’exigence d’établir des schémas départementaux
dans les dix-huit mois à partir de l’entrée
en vigueur de la loi. La carotte et le bâton, tels sont les
moyens mis en œuvre par l’État pour pousser les
communes à respecter cette obligation. La carotte par le
financement des frais d’aménagement et de gestion des
aires à hauteur de 70% par l’État (contre 35%
auparavant). L’État satisfaisait ainsi l’une
des principales revendications des élus locaux formulée
dans la proposition de loi remise par le rapport Delevoye. Citée
dans la revue Diagonal, Christiane Chanliau, chargée d’études
à la Direction générale de l’urbanisme,
constatait que le prix du terrain représente 25% des coûts
totaux de la construction d’une aire d’accueil et qu’une
commune qui consentirait à mettre un de ses terrains à
disposition à cet effet, verrait son investissement réduit
à 5% [69]. L’article 3, objet d’une passe d’armes
houleuse entre sénateurs et députés, fit figure
de “bâton”, en donnant le droit aux préfets,
si les délais prévus par les schémas départementaux
n’étaient pas respectés, d’imposer la
réalisation des travaux d’aménagement après
acquisition des terrains nécessaires.
En contrepartie à ces exigences, et c’était
là le deuxième souhait de la commission Delevoye,
le pouvoir des maires en matière d’interdiction du
stationnement illicite et d’expulsion s’est trouvé
nettement renforcé. Le nouveau dispositif permet aux municipalités
d’accélérer les procédures d’expulsion
lors d’un stationnement “sauvage” sur un terrain
communal mais également sur un terrain privé. Le maire
peut dès lors entamer une procédure à la place
de l’un de ses administrés qui n’en n’éprouverait
pas l’envie. Si les élus locaux n’ont pas obtenu,
et il s’en est fallu de peu, le pouvoir de décider
eux-mêmes de l’expulsion des contrevenants, ils pourront
en tout cas saisir un juge afin d’obtenir une décision
rapide. Dans une publication destinée aux collectivités
locales, le commissaire Daniel Merchat note que “le juge dispose
d’un pouvoir d’injonction, assorti d’astreinte,
qui devrait éviter aux maires de multiplier les procédures.
Enfin, la procédure de référé d’heure
à heure exécutoire sur minute, c’est-à-dire
sans signification, est applicable aux stationnements illicites
des gens du voyage.” [70] La possibilité d’interdire
le territoire communal aux “gens du voyage” est élargie,
par de nouvelles dispositions, aux communes qui participent à
travers l’intercommunalité à la mise en œuvre
du schéma départemental ou à celles qui contribuent
au financement d’une aire aménagée. De “l’esprit
de la loi” à son interprétation le fossé
se creusait. L’exemple de la commune de Villers-les-Nancy
en Meurthe-et-Moselle est, en cela, significatif. Le 28 août
2002, le premier magistrat de cette commune, Pascal Jacquemin, écrivait
dans une lettre ouverte à ses administrés : Depuis
la mi-juin, il ne s’est pas passé un seul jour sans
que je sois le destinataire d’un courrier d’un riverain
ou d’une entreprise, se plaignant des nuisances occasionnées
par les gens du voyage, aux habitations, aux locaux professionnels
et à l’environnement, lorsqu’il ne s’agit
pas de petits larcins ou même de comportements, heureusement
isolés, portant atteinte aux bonnes mœurs. [...]
J’ai également mobilisé en permanence la Police
municipale sur le terrain afin de limiter, autant que possible,
les effets néfastes de ce stationnement. [...]
Aujourd’hui, je suis en mesure de vous annoncer que ces efforts
[les démarches auprès des autorités compétentes]
ont porté leurs fruits. [...]
Ce type de stationnement ne sera plus toléré sur le
plateau de Bradois. La communauté urbaine du Grand Nancy
demandera à la SOLOREM de renforcer la fermeture des accès
au plateau.
Il n’y aura ni d’implantation d’une aire de grand
passage ni d’aire aménagée permanente sur le
territoire de la commune. C’est ce dernier point qui me semble
très important car, en principe, il devrait mettre un terme
définitif à ce problème.
S’insurgeant contre les tentatives de récupération
de l’extrême droite, le maire s’empresse de rajouter
:
Encore une fois les pires extrémistes cherchent à
terroriser et à manipuler la population pour gouverner par
la peur. Pourtant personne n’oublie que les nazis ont exterminé
plus de 500000 Roms pendant la guerre avec, en France, l’aide
du gouvernement de Vichy. L’extrême droite n’a
pas de leçon à donner à qui que ce soit.
Sachez que votre équipe municipale est quotidiennement sur
le terrain pour trouver une solution humaine, concrète et
démocratique à la situation difficile à laquelle
nous avons tous été confrontés.
Malgré les propos de Louis Besson, l’équilibre
entre la volonté des itinérants de circuler et le
désir des maires de la réglementer est loin d’être
atteint. L’exemple évoqué ci-dessus est en ce
sens éloquent. La commune de Villers-les-Nancy semble être
un endroit régulièrement fréquenté par
les “gens du voyage”. Pourtant, comme s’en félicite
le maire, l’accès de la commune leur est à présent
interdit sans que celle-ci n’ait à mettre à
leur disposition un endroit de substitution. À force d’aménagements
et de dérogations liés à l’intercommunalité
ou à la possibilité de substitution financière
à l’aménagement d’une aire d’accueil,
la loi Besson reste lettre morte. Pire, elle confine maintenant
les déplacements et le séjour des “gens du voyage”
à un réseau d’aires d’accueil dont l’implantation
répond aux désirs des pouvoirs publics et non aux
besoins économiques, professionnels, religieux ou familiaux
des populations itinérantes.
Celles-ci ne s’y sont d’ailleurs pas trompé,
comme le montre cet extrait de l’interview accordée
par Dominique Boiteau, délégué départemental
de l’ASNIT [71] au quotidien Libération [72] lors de
la discussion du projet de loi :
Libération : Cette obligation de faire des aires vous satisfait-elle
?
Dominique Boiteau : Avant, les gens s’arrêtaient où
ils voulaient. Pendant longtemps, le stationnement était
le fait d’arrangements avec des agriculteurs ou le garde-champêtre.
L’aire d’accueil nous la subissons puisque dès
lors qu’une commune aménagera un terrain, nous n’aurons
plus le droit de stationner ailleurs sur son territoire.
L : Émettez-vous aussi des réserves sur le seuil de
5000 habitants ?
D. B. : Actuellement je stationne dans un village alsacien d’un
millier d’habitants. Le jour où toutes les villes de
plus de 5000 habitants seront dotées d’aires d’accueil,
est-ce que j’aurai encore le droit de stationner dans un village
? La question doit être clarifiée pendant le débat.
Parce que si la réponse est négative, cela voudra
dire que toute une partie du territoire nous est interdite.
L : Le texte qu’examine l’Assemblée ne porte
que sur l’accueil et le stationnement. Quels sont les autres
problèmes auxquels sont confrontés les gens du voyage
?
D. B. : Nous sommes très demandeurs d’une politique
de l’enseignement adaptée à notre mode de vie.
Nos enfants doivent pouvoir être scolarisés sans nous
forcer à nous sédentariser. Nous souhaitons un développement
des écoles-bus, de classes montées sur les terrains
de passage ou encore d’un enseignement par correspondance
efficace. Et l’accès à la santé reste
pour nous une demande très importante.
La loi Besson risque d’entraîner la multiplication
des expulsions, les municipalités s’y préparent.
Dans son ouvrage, Daniel Merchat indique la marche à suivre
pour faciliter les expulsions. Ses conseils sont regroupés
dans un vade-mecum intitulé : “Des gens du voyage viennent
d’arriver”. Il écrit :
Une intrusion de gens du voyage est une partie d’échecs
dans laquelle les gens du voyage ont joué le premier coup
avec les blancs. Toute la stratégie consiste à transformer
la situation initiale défensive, où les riverains
subissent les événements, en situation offensive.
Il décrit ce qu’il croit être la position des
“gens du voyage” : “ils savent qu’ils ont
pris l’initiative, [...] ils ont l’habitude des affrontements,
ils sont entraînés aux conflits, [...] ils savent comment
les riverains vont réagir, ils savent qu’ils devront
partir.” Il préconise la mobilisation tout azimut “des
riverains, adjoints et conseillers, police municipale, gendarmerie
nationale, sous-préfet, préfet, procureur, président
du TGI... tous les jours”. Il déconseille, entre autres
: les négociations violentes, les concessions inutiles, le
ramassage de leurs ordures, les autorisations diverses, les variations
du discours, les améliorations de leurs conditions de vie.
Pour la “négociation” il conseille “après
avoir repris l’initiative : le constat d’huissier, la
procédure de référé. Après avoir
pesé sur les gens du voyage : contrôles de police,
procédures (vols d’électricité ou/et
d’eau). Pas de délai supplémentaire pour décès
dans la famille, voiture en panne, travail à finir, marché
à faire.”
S’il est peut-être possible aux “gens du voyage”
de réparer rapidement une voiture en panne, il leur sera
nettement plus difficile par contre de ne pas mourir quelque part.
Outre l’utilisation d’un langage guerrier (“stratégie”,
“défensive”, “offensive”, “affrontements”,
“conflits”) de la part d’un agent de l’État
dans une publication destinée aux collectivités locales,
les incitations à ne pas améliorer les conditions
de vie de familles déjà souvent en situation précaire
laissent perplexes, comme les conseils visant à gêner
le système économique itinérant (celui-ci étant
sans doute perçu comme un prétexte). Cela d’autant
plus que dans un rapport remis en décembre 2002 à
Christian Estrosi, rapporteur du projet de loi sur la sécurité
intérieure, le président de la Commission nationale
consultative des gens du voyage (CNCGDV) estimait que seules 116
aires d’accueil permanentes existaient sur les 1482 prévues
et que sur 246 aires de grand passage estimées nécessaires,
17 seulement avaient vu le jour. En tout et pour tout, 29 schémas
départementaux avaient été signés. Le
président de la CNCGDV rappelait que “les schémas
auraient dû être conclus avant le 6 janvier 2002 et
que, passé ce délai, l’article 1er de la loi
du 5 juillet 2000 prévoit expressément qu’ils
sont approuvés par le représentant de l’État
dans le département.”
Les problèmes rencontrés sont récurrents :
la moitié seulement des aires répondent aux normes
d’hygiène et de salubrité. Selon un rapport
(début 2002) de Jean-Louis Cottigny à Marie-Noëlle
Lienman, alors secrétaire d’État au logement,
les autres “sont situées dans un contexte de nuisance
et de risque : voie à grande circulation, voie SNCF, décharge,
station d’épuration, zone inondable”.
Quels autres choix, dans ces conditions, que le stationnement “sauvage”
? Quelles autres alternatives aux tensions entre autorités
locales et populations itinérantes ? Parmi tant d’autres,
l’expulsion, le 27 février 2002, d’un campement
installé dans une zone industrielle d’Argenteuil, est
à ce titre significatif. Les militants associatifs et les
syndicalistes présents sur place pour témoigner leur
solidarité à cette communauté dénoncèrent
les conditions dans lesquelles cette expulsion fut ordonnée.
Expulsion réalisée, selon eux, en dehors de toute
légalité puisque aucun référé
n’avait été signifié. Malik Salemkour,
de la CNCGDV, n’hésitait pas à évoquer,
quelques mois auparavant, dans Le Monde, “un vrai risque d’explosion
sociale”.
Loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil
et à l’habitat des gens du voyage [extraits]
Article 1
I. - Les communes participent à l’accueil des personnes
dites gens du voyage et dont l’habitat traditionnel est constitué
de résidences mobiles.
II. - Dans chaque département, au vu d’une évaluation
préalable des besoins et de l’offre existante, notamment
de la fréquence et de la durée des séjours
des gens du voyage, des possibilités de scolarisation des
enfants, d’accès aux soins et d’exercice des
activités économiques, un schéma départemental
prévoit les secteurs géographiques d’implantation
des aires permanentes d’accueil et les communes où
celles-ci doivent être réalisées. Les communes
de plus de 5000 habitants figurent obligatoirement au schéma
départemental. Il précise la destination des aires
permanentes d’accueil et leur capacité. Il définit
la nature des actions à caractère social destinées
aux gens du voyage qui les fréquentent. Le schéma
départemental détermine les emplacements susceptibles
d’être occupés temporairement à l’occasion
de rassemblements traditionnels ou occasionnels et définit
les conditions dans lesquelles l’État intervient pour
assurer le bon déroulement de ces rassemblements. Une annexe
au schéma départemental recense les autorisations
délivrées sur le fondement de l’article L. 443-3
du code de l’urbanisme. Elle recense également les
terrains devant être mis à la disposition des gens
du voyage par leurs employeurs, notamment dans le cadre d’emplois
saisonniers.
III. - Le schéma départemental est élaboré
par le représentant de l’État dans le département
et le président du conseil général. Après
avis du conseil municipal des communes concernées et de la
commission consultative prévue au IV, il est approuvé
conjointement par le représentant de l’État
dans le département et le président du conseil général
dans un délai de dix-huit mois à compter de la publication
de la présente loi. Passé ce délai, il est
approuvé par le représentant de l’État
dans le département. Il fait l’objet d’une publication.
Le schéma départemental est révisé selon
la même procédure au moins tous les six ans à
compter de sa publication.
IV. - Dans chaque département, une commission consultative,
comprenant notamment des représentants des communes concernées,
des représentants des gens du voyage et des associations
intervenant auprès des gens du voyage, est associée
à l’élaboration et à la mise en œuvre
du schéma. Elle est présidée conjointement
par le représentant de l’État dans le département
et par le président du conseil général ou par
leurs représentants. La commission consultative établit
chaque année un bilan d’application du schéma.
Elle peut désigner un médiateur chargé d’examiner
les difficultés rencontrées dans la mise en œuvre
de ce schéma et de formuler des propositions de règlement
de ces difficultés. Le médiateur rend compte à
la commission de ses activités.
V. - Le représentant de l’État dans la région
coordonne les travaux d’élaboration des schémas
départementaux. Il s’assure de la cohérence
de leur contenu et de leurs dates de publication. Il réunit
à cet effet une commission constituée des représentants
de l’État dans les départements, du président
du conseil régional et des présidents des conseils
généraux, ou de leurs représentants.
Article 3
I. - Si, à l’expiration d’un délai de
deux ans suivant la publication du schéma départemental
et après mise en demeure par le préfet restée
sans effet dans les trois mois suivants, une commune ou un établissement
public de coopération intercommunale n’a pas rempli
les obligations mises à sa charge par le schéma départemental,
l’État peut acquérir les terrains nécessaires,
réaliser les travaux d’aménagement et gérer
les aires d’accueil au nom et pour le compte de la commune
ou de l’établissement public défaillant. Les
dépenses d’acquisition, d’aménagement
et de fonctionnement de ces aires constituent des dépenses
obligatoires pour les communes ou les établissements publics
qui, selon le schéma départemental, doivent en assumer
les charges. Les communes ou les établissements publics deviennent
de plein droit propriétaires des aires ainsi aménagées,
à dater de l’achèvement de ces aménagements.
Article 4
L’État prend en charge les investissements nécessaires
à l’aménagement et à la réhabilitation
des aires prévues au premier alinéa du II de l’article
1, dans la proportion de 70% des dépenses engagées
dans le délai fixé à l’article 2, dans
la limite d’un plafond fixé par décret. La région,
le département et les caisses d’allocations familiales
peuvent accorder des subventions complémentaires pour la
réalisation de ces aires d’accueil.
2002 : vers une nouvelle législation d’exception
À ce jour, aucune avancée notable ne semble avoir
été effectuée dans les conditions d’accueil
des “gens du voyage”. Peut-être parce que depuis
2000, la logique du traitement légal de cette question s’est
orientée, dans un contexte de primauté au sécuritaire,
vers un tout répressif.
Quelles que soient les critiques que l’on puisse faire à
la loi Besson, celle-ci envisage les populations itinérantes,
avec toutes les restrictions que nous avons évoquées,
sous l’angle d’un mode de vie encadré certes
mais reconnu. Avec la loi sur la sécurité intérieure
(LSI, adoptée le 13 février 2003) et la loi d’orientation
et de programmation pour la sécurité intérieure
(LOPSI, été 2002), la criminalisation collective et
la suspicion généralisée semblent bien être
de nouveau les deux facettes de la nouvelle - mais pas tant que
cela - logique étatique.
Les “gens du voyage” sont l’objet, via leur stationnement,
de l’article 19 de cette LSI :
Le fait de s’installer, en réunion, en vue d’y
établir une habitation, sur un terrain appartenant soit à
une commune qui s’est conformée aux obligations lui
incombant en application de l’article 2 de la loi n°2000-614
du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à
l’habitat des gens du voyage, soit à tout autre propriétaire
sans être en mesure de justifier de son autorisation ou de
celle du titulaire du droit d’usage du terrain, est puni de
six mois d’emprisonnement et de 3750 euros d’amende.
Lorsque l’installation s’est faite au moyen d’un
véhicule automobile, il peut être procédé
à la saisie du véhicule en vue de sa confiscation
par la juridiction pénale.
Les personnes physiques coupables de ce délit encourent
également les peines complémentaires suivantes :
1° - la suspension pour une durée de trois ans au plus
du permis de conduire.
2° - la confiscation du véhicule ayant servi à
commettre l’infraction.
Au texte initial de la LOPSI, présenté devant l’assemblée
nationale les 16 et 17 juillet 2002, qui prévoyait de “mieux
réprimer l’envahissement de propriétés
privées”, plusieurs parlementaires proposèrent
avec succés des amendements encore plus contraignants.
Le rapporteur Christian Estrosi insista pour étendre son
application aux domaines publics alors que son collègue,
Alain Joyannet (Haute-Loire), de la commission des finances, faisait
adopter l’amendement permettant la confiscation des véhicules,
après que Nicolas Sarkozy l’ait lui-même évoqué
devant la commission des lois comme peut-être “l’une
des solutions” [73]. Dans le même temps, deux autres
parlementaires, Richard Dell’Agnola et Christine Boutin, demandèrent
la constitution d’une commission d’enquête sur
“le train de vie des gens du voyage” [74]. Cette dernière
a également présenté un amendement permettant
d’utiliser les Groupements d’intervention régionaux
(GIR), tout juste créés pour lutter contre “l’économie
souterraine dans les quartiers en difficulté”, afin
de soumettre les Roms itinérants aux contrôles croisés
des services de douanes, des services fiscaux et des forces de l’ordre.
Les dispositions contenues dans cet article sont particulièrement
inquiétantes pour plusieurs raisons :
- Dans le cadre de la LSI, le traitement des “gens du voyage”
est intégré à un cadre législatif visant
à réprimer et à surveiller plus étroitement
pêle-mêle : les prostitué-e-s [75] et les proxénètes,
ceux qui exploitent la mendicité, les mendiants eux-mêmes,
les “jeunes de banlieues”, les squatteurs, ... [76]
Le seul point commun aux catégories énoncées
étant d’être considérées comme
les “fauteurs d’insécurité”. Même
si le gouvernement se défend de s’en prendre aux “gens
du voyage” en général et affirme ne vouloir
s’attaquer qu’à ceux en infraction avec la loi,
l’insuffisance du nombre d’aires d’accueil et
d’emplacements place l’immense majorité des “gens
du voyage” en situation d’infraction. S’il n’y
a pas d’aires il faut bien de toute façon stationner
quelque part. Interrogée par une journaliste du Midi libre,
une Manouche affirmait : “Nous restons parfois deux semaines
sans trouver d’aire d’accueil. Alors nous cherchons
des endroits où plusieurs caravanes sont déjà
installées.” [77] En présentant les “gens
du voyage” à travers un potentiel risque social, le
gouvernement ne risque-t-il pas d’envenimer une coexistence
parfois déjà difficile ? En plus, “l’amalgame
entre “gens du voyage”, “délinquance”,
“économie souterraine” et “immigration
clandestine” stigmatise cette population, la livre à
la vindicte publique, et crée un climat de suspicion et de
violence généralisée” soulignait, dans
un communiqué de presse le 2 août 2002, de nombreuses
associations de défense des populations romanies. [78]
- Le fait de limiter ces mesures aux communes ayant rempli les obligations
de la loi Besson n’apporte aucune garantie notamment du fait
des multiples dérogations dues à l’intercommunalité
ou aux compensations financières.
- Supprimer les véhicules revient à supprimer la possibilité
de poursuivre un mode de vie itinérante, ce qui ne peut être
qu’en contradiction avec la Constitution. Il n’est nullement
indiqué ce que deviendront les familles à qui ces
biens auront été confisqués.
- La confiscation des biens comme la lourdeur des amendes ne peuvent
qu’aggraver la situation d’une population déjà
largement précarisée (dans la ville de Pau par exemple,
deux tiers des “gens du voyage” ne survivent que grâce
au RMI [79]).
La LSI apparaît comme la concrétisation d’un
vieux désir des pouvoirs publics, jamais encore pleinement
assouvi, celui de la mise en place des moyens d’un véritable
contrôle socio-spatial au détriment des populations
itinérantes. Ces mesures sont paradoxalement un moyen de
faire respecter la loi Besson dans ce qu’elle a de volonté
de surveiller et de cantonner le nomadisme aux endroits prévus
à cet effet. Endroits ne répondant pas toujours, nous
l’avons déjà dit, aux nécessités
du mode de vie itinérant. Mais après tout, qu’importent
ces nécessités aux pouvoirs publics puisque ceux-ci
refusent, bien souvent, d’admettre que les activités
professionnelles de ces populations sont bien réelles, et
les soupçonnent de ne vivre que de larcins et de trafics.
Le ministre de l’intérieur lui-même ne déclara-t-il
pas devant la commission des lois : “Comment se fait-il que
l’on voit dans certains campements tant de si belles voitures,
alors qu’il y a si peu de gens qui travaillent ?” [80]
Méconnaissance noyée dans les préjugés
ou argumentation politique inscrite dans une logique de criminalisation
? En entretenant les idées reçues, les autorités
ravivent un processus de marginalisation qui, à l’inverse
du but officiellement poursuivi, peuvent effectivement n’offrir
que la “délinquance” comme moyen de survie.
Une fois encore, la législation applicable aux “gens
du voyage” n’est compréhensible qu’à
travers le contexte politique propre à l’époque.
Deux facteurs au moins ont concouru à la mise en place d’un
tel arsenal répressif : d’une part, un climat politique
omnibulé par les questions de sécurité depuis
plusieurs années et, d’autre part, l’augmentation
et la médiatisation de l’immigration en provenance
de Roumanie, comprenant de nombreux Roms.
Sécuritaire : le dernier bastion des politiciens
La focalisation du discours politique sur les questions de sécurité
est, elle, le fruit d’un enchaînement de facteurs étroitement
liés. Le premier est, semble-t-il, l’abandon du champ
économique par la majorité des acteurs politiques.
Schématisons : la libéralisation économique,
la mondialisation des échanges, l’imbrication des économies
nationales ont conduit les politiciens de droite comme de gauche
à considérer et à présenter comme inévitables
les fluctuations économiques en période de croissance
comme de crise. Les accords internationaux (OMC, Maastricht, Schengen...)
et les directives du FMI à travers le monde ont contribué
à limiter le champ d’action de l’État
aux pouvoirs régaliens que lui assignaient les penseurs libéraux
du 19e siècle : la police, la justice et l’armée.
Conscients des limites de leurs actions sur d’autres sujets,
les gouvernants mais aussi leurs oppositions en attente d’alternance,
à plus forte raison lors des campagnes électorales,
placent les thèmes liés à ces domaines au centre
de l’intervention politique.
Du coup la tentation de la surenchère sécuritaire
est grande. Celle-ci est d’autant plus forte en période
de crise. Ne pouvant ou ne voulant résoudre les bases économiques
des problèmes sociaux, l’action des pouvoirs publics
se focalise contre les symptômes et non les causes. [81]
Cela se manifeste en France par l’adoption d’une série
de législations plus répressives les unes que les
autres depuis le début des années 1990. Les lois dites
Pasqua, Joxe, Debré ou Chevènement, dont la répétition
prouve l’inefficacité du fait de leur inadéquation,
ont chacune amené leur pierre à la grande muraille
sécuritaire. Le gouvernement Jospin, avec la loi sur la sécurité
quotidienne (LSQ, 2001), n’a pas failli à la tradition.
Ce faisant et par les débats suscités par cette loi,
ce gouvernement a définitivement placé ces questions
au centre de la campagne électorale de l’élection
présidentielle de 2002.
Les partis de droite et le président sortant, dont le bilan
se réduisait à la dissolution d’une assemblée
acquise à sa cause, firent donc de la sécurité
l’axe essentiel de leurs campagnes électorales. Cette
cristallisation présentait le double avantage, pour la droite,
d’être un sujet sur lequel la gauche se trouve généralement
mal à l’aise et divisée et, surtout, de récupérer
un électorat ayant tendance à glisser à l’extrême
droite. La volonté de combattre ou, bien souvent, de récupérer
le vote Front national a également conduit à focaliser
l’attention sur ses thèmes de prédilection.
Les partis politiques de droite et d’une grande partie de
la gauche n’hésitèrent pas longtemps entre deux
alternatives : soit reprendre les thèmes traditionnellement
exploités par l’extrême droite pour séduire
son électorat, au risque que les électeurs préfèrent
“l’original à la copie”, soit s’y
opposer au risque de paraître en décalage avec les
préoccupations d’une partie de l’opinion publique.
Le choix ne fut pas cornélien, et même si les experts
n’en ont pas fini d’analyser les résultats du
premier tour de l’élection présidentielle, le
score du candidat du Front national est là pour démontrer
le risque de telles stratégies.
Une fois réélu, Jacques Chirac dut, dans la lignée
de sa campagne électorale, activer une série de mesures
visant à satisfaire les attentes de ses électeurs.
La première étape fut de désigner des responsables
à cette insécurité, complaisamment décrite,
et au sentiment de peur, parfois bien réel mais souvent suscité
et entretenu, qu’elle engendrait. Les “gens du voyage”
étaient parmi eux. L’offensive contre ceux-ci avait
d’ailleurs, délibérément ou pas, été
bien préparée.
Dès septembre 2001, Le Figaro, dans un article intitulé
“Délinquance : un rapport accablant pour les Tsiganes”,
publiait “un rapport encore confidentiel d’un officier
de police, le capitaine Philippe Pichon [révélant]
l’ampleur des crimes et délits commis par les populations
nomades issues de plusieurs groupes (Manouches, Gitans, Yéniches,
Roms) qui représenteraient, en France, de 280000 à
350000 personnes, réparties à part sensiblement égales
entre nomades, sédentaires et semi-sédentaires”
[82].
Outre les contradictions propres à l’article, il est
notable que c’est l’ensemble des populations romanies
qui était montré du doigt. En citant un extrait du
rapport Pichon [83], le quotidien signalait que “les Nomades
commettraient trente fois plus d’infractions contre les personnes
et cinq fois plus contre les biens que les délinquants locaux.
[...] Un tiers [des nomades] aurait été condamné
comme auteur, coauteur ou complice de délits ou de crimes...”
En s’appuyant sur une étude de la cellule interministérielle
de liaison sur la délinquance itinérante (CILDI) mise
en place en 1997, l’article énumère dans l’article,
avec une étonnante précision, les actes délictueux
attribués aux “gens du voyage” : “60 distributeurs
de billets pillés, 530 coffres percés, 2200 vols de
fret (contre 11740 au plan national, soit 19%), 1200 pillages à
la voiture bélier, 500 vols avec violence contre des personnes
âgées (contre 2000 au plan national soit 25%) etc.”
Cité, le capitaine en tirait alors les conclusions qui lui
paraissent s’imposer : “Si l’éternelle
mobilité des nomades évoque davantage la cavale des
délinquants en fuite que l’exercice d’une liberté
reconnue à tous les citoyens, comment s’étonner
que la dialectique voyage et délinquance induise nécessairement
dans les représentations que la délinquance soit érigée
en système de vie ?” [84]
Outre les manifestations caricaturales d’antiromisme qui
émanent de cet article (systématisation de la délinquance
à un groupe dans son ensemble, négation du nomadisme
comme mode de vie et assimilation de celui-ci à une fuite
de délinquants, ...), de nombreuses questions restent en
suspens.
Comment et sur quels critères les actes délictueux
et criminels imputables aux populations romanies sont-ils comptabilisés
? Existe-t-il un fichier national permettant de les regrouper ?
Demande-t-on à chaque délinquant s’il est d’origine
romanie, s’il fait partie des “gens du voyage”
? Existe-t-il d’autres comptabilisations des crimes et délits
par catégories de populations ? Si tel est le cas, quels
sont les taux de criminalité chez les Juifs, les catholiques,
les protestants, les Africains, les Maghrébins, les Corses,
les fonctionnaires, les forains, les prêtres, les militaires
? Si tel n’est pas le cas, pourquoi est-ce réservé
aux seuls Roms ?
Y aurait-il des consignes dans les commissariats, les gendarmeries
ou les prisons pour renvoyer les informations concernant les “gens
du voyage”, plus généralement, quelles sont
les sources utilisées par la CILDI pour avancer des résultats
aussi précis ?
Est-ce que les délits liés aux cas de stationnements
dits sauvages (occupation illégale de terrain, dégradations,
“vols” d’eau ou d’électricité,
troubles à l’ordre public) sont pris en compte dans
la comptabilisation des infractions contre les biens et les personnes
? Si tel est le cas, et devant le dysfonctionnement des structures
d’accueil, ceci explique peut-être l’ampleur des
actes délictueux.
Il n’est nullement question de nier les activités
délictueuses ou criminelles de certaines personnes itinérantes.
Comme dans toute catégorie de population en situation de
marginalisation et de précarisation [85], la délinquance
visible (en opposition à une délinquance invisible
ou en “col blanc”) est une réalité bien
présente. Marcel Courthiade, un des responsables de l’URI
et professeur de romani à l’INALCO, apporte sur ce
point quelques éclaircissements :
Il semble impossible de nier que la délinquance est plus
élevée chez les Roms que dans l’ensemble de
la population : l’impartialité du raciste consiste
à livrer des chiffres sans commentaire. Or dans certains
pays des recherches plus honnêtes ont été effectuées
et il est apparu que le degré de délinquance est exactement
le même chez les Roms que chez les non-Roms si l’on
considère les deux populations par classe sociale équivalente.
[...] Le double malheur des Roms est de se trouver presque en totalité
dans les classes les plus défavorisées et les plus
violentes. [86]
Le 18 juillet, au moment même où la LOPSI était
discutée à l’Assemblée, Le Figaro titrait
en une : “Les élus locaux en guerre contre les nomades”.
Suivant l’auteur de l’article, “la CILDI fait
aujourd’hui état de 20 à 30 altercations chaque
semaine entre élus locaux et nomades”. Dans la même
édition, Delphine Moreau reprenait les informations du rapport
Pichon et citait ensuite le parlementaire Richard Dell’Agnola
selon lequel “la loi Besson crée chez les gens du voyage
un sentiment d’impunité intolérable” [87].
Nous voyons à travers ces exemples tirés d’une
partie de la presse que l’offensive contre les “gens
du voyage” ne tombe pas du ciel. Pour donner l’impression
d’urgence et de la nécessité d’une réponse
répressive forte, il suffit, comme cela fut fait par la suite,
d’amalgamer “gens du voyage” en France, Roms roumains
demandeurs d’asile qui s’entassent dans des bidonvilles
insalubres en périphérie des grandes agglomérations
françaises, et réseaux de trafiquants roumains, parfois
effectivement d’origine romanie, qui exploitent des personnes
handicapées ou des prostituées.
Les Roms d’origine roumaine sur le devant de la scène
(bien malgré eux)
La chute des régimes communistes d’Europe de l’Est
entraîna une détérioration de la situation déjà
peu reluisante des communautés romanies dans les anciens
pays du bloc soviétique. [88] La libéralisation de
l’économie, entraînant ouverture des marchés,
fermetures d’usines et “dégraissage” de
la fonction publique, ne manqua pas d’accentuer la paupérisation
de l’ensemble de la population. Parmi les catégories
les plus vulnérables, les Roms ressentirent encore plus cruellement
cette transition économique. Intrinsèquement liée
à cette crise économique : la résurgence des
aspirations nationalistes et des sentiments xénophobes. En
Roumanie, la haine antirom atteint son paroxysme lors de l’incendie
de 22 maisons de Roms dans le village de Bolintin-Deal, en avril
1991, par une foule de 2 à 3000 personnes, le prétexte
en étant la mort d’un jeune roumain poignardé
par un jeune Rom. Déjà en octobre 1990, trente-quatre
maisons de Roms avaient été incendiées dans
le village roumain de Constanza. [89] “Ainsi, la transition
démocratique s’est traduite par le développement
de l’insécurité physique, provoquée par
la montée des actions violentes et leur généralisation”,
notait Henriette Asséo. [90]
L’actualité récente a replacé les Roms
roumains sur le devant de la scène. La première raison
fut l’arrivée en France, entre 2000 et 2002, de plusieurs
groupes de Roms au sein d’une vague d’immigration en
provenance de Roumanie. Déjà en 1995, plusieurs centaines
de familles s’installèrent autour de Lyon. Beaucoup
essayèrent d’obtenir le statut de réfugié.
En contradiction avec la convention de Genève, la clause
de cessation introduite par les lois Chevènement permit de
priver de nombreux Roumains du droit d’asile. [91] Clause
renforcée par une procédure d’examen prioritaire
permettant de supprimer l’autorisation provisoire de séjour.
Ces mesures eurent pour effet de réduire le nombre de demandeurs
d’asile roumains par sept. [92]
Les raisons qui poussent ces personnes sur les routes restent les
mêmes, à savoir : la misère dans leur pays,
le manque de perspectives, les discriminations systématiques
et parfois les violences. Cette législation restrictive n’empêcha
pas de nombreuses familles, n’ayant plus grand chose à
perdre, de retenter leur chance. Ils furent ainsi des milliers à
s’installer dans des bidonvilles périphériques
que l’on croyait disparus depuis la fin des années
1960 - ce qui est faux notamment pour certains groupes de Roms sédentarisés
sur des terrains vagues dans des cabanes ou des caravanes insalubres.
Toutefois, l’ampleur prise par ce phénomène
suscita un choc dans une opinion publique croyant ces paysages réservés
à Calcutta ou Rio de Janeiro. Les plus médiatisés
de ces “nouveaux” bidonvilles furent ceux de Choisy-le-Roi
et de Vaulx-en-Velin. Leurs conditions de vie déplorables
firent régulièrement la une de la presse locale comme
nationale.
Aux cotés de la caravane, une vieille machine à laver
et un frigo récupérés ont été
raccordés à une borne EDF. Au sol sur ce qui fut autrefois
un chemin, un tuyau crache de l’eau potable en continu. Un
luxe presque inouï sur ce vaste terrain cabossé aux
allures de décharge, où il n’est pas rare de
voir des camions décharger gravas et détritus. Les
nombreux enfants du camp, atteints de la gale et souffrant de malnutrition
passent leurs journées à jouer dans la terre et les
ordures. [93]
Ces bidonvilles ne sont d’ailleurs pas réservés
aux seuls Roms roumains. Des Roms provenant de Bosnie ou de Cossovie
s’y sont également installés. Les uns et les
autres fuyant des territoires soumis à des logiques d’épuration
ethnique. Il est d’ailleurs notable que le sort dramatique
des communautés romanies d’ex-Yougoslavie n’a
été que très peu évoqué pendant
et après l’éclatement de la Yougoslavie. Les
populations romanies musulmanes de Bosnie eurent pourtant autant
à souffrir des exactions des milices serbes que les autres
populations musulmanes. Les Roms furent les grands oubliés
des accords de Dayton de 1996 qui partagèrent la Bosnie.
En tout cas, si tous les occupants des nouveaux bidonvilles n’étaient
pas tous roumains, ils étaient quasiment tous Roms.
L’extrême dureté de la situation ne suscita
pas de réponse énergique de la part des autorités
locales ou des préfets. La seule énergie déployée
par les pouvoirs publics fut celle mise en œuvre pour procéder
à des expulsions :
Lorsqu’un groupe de Roms s’installe dans une commune,
le maire, pétition d’habitants à l’appui,
déploie toute son énergie pour obtenir du préfet
leur expulsion. L’intervention est généralement
musclée : les caravanes sont détruites ou mises en
fourrière. Jetées sur la route, des dizaines, voire
des centaines de personnes finissent par trouver un point de chute
dans une autre localité. [94]
Parallèlement à l’éclairage médiatique
donné à la désastreuse situation sanitaire
dans les bidonvilles, des centaines de reportages ou articles ont
relaté la mise en place des réseaux de mendicités
en provenance de Roumanie impliquant des personnes handicapées
ou estropiées. Ces deux cas de figure n’ont pas forcément
de liens l’un avec l’autre si ce n’est que chacun
d’eux a pour base la misère dans le pays d’origine
et l’espoir d’une vie meilleure en Europe occidentale.
Les Roms roumains échouant dans les bidonvilles sont généralement
venus en famille au bénéfice des accords de “libre”
circulation dans l’espace Schengen avant de se retrouver en
situation irrégulière. Des mineurs et des handicapés,
parfois d’origine romanie, sont eux par contre pris dans les
filets de réseaux mafieux qui exploitent leur situation de
plus grande vulnérabilité.
Certains occupants des bidonvilles se livrent à la mendicité
- souvent l’unique moyen de survie pour une partie des sans-papiers
et demandeurs d’asile -, mais une mendicité dont ils
sont les seuls bénéficiaires. Le Progrés de
Lyon rapporta par exemple le cas d’un jeune Rom venu en France
en famille pour mendier afin de payer les soins de sa mère
atteinte d’un cancer. [95] Cela n’a rien à voir
avec les réseaux démantelés par les services
de police de Nîmes ou Montpellier. Réseaux dont les
“tauliers” logeaient dans des hôtels de la côte
languedocienne pendant que leurs “employés” mendiaient
aux carrefours des agglomérations et à qui ils ne
laissaient que 5 euros par jour pour vivre. [96] L’amalgame
entre ces deux cas de figure n’est pas possible. Pas plus
que ne l’est celui avec les Roms de nationalité française
désignés par la loi comme “gens du voyage”.
Pourtant la méconnaissance, feinte ou réelle, qui
entoure ces dossiers permit les amalgames les plus scandaleux à
certains parlementaires défendant le projet de loi Sarkozy.
Déjà, lors des discussions du projet de loi de sécurité
quotidienne au sénat en mai 2001, le sénateur Pierre
Hérisson jouait la confusion dans des propos violemment antirom
:
Nous travaillons depuis plusieurs années à l’élaboration
des textes législatifs et réglementaires concernant
les gens du voyage. [...] Nous n’avons rien fait pour stopper
les dérives extrêmement graves qui se sont produites
dans leurs comportements. Je pense plus particulièrement
aux migrants qui deviennent rapidement des clandestins. La plupart
d’entre eux sont originaires de Bohème (sic) ou des
Balkans, notamment de pays où les droits de l’homme
sont rarement respectés. Dès qu’ils se trouvent
sur notre territoire, ils comprennent que les crimes et délits
qu’ils peuvent commettre sont beaucoup moins lourdement sanctionnés.
Nous avons atteint l’intolérable : vols de voitures,
cambriolages, recels, trafics en tout genre, chantage, à
tel point que dans nos départements savoyards ils ont par
riposte à des contrôles tout à fait réguliers
poussé la provocation jusqu’à cambrioler les
appartements des officiers de gendarmerie et menacer les épouses
de gendarmes de représailles. [...] La France, ses élus,
ses forces de police, sa justice, ainsi que l’ensemble de
nos concitoyens sont aujourd’hui dans la crainte et dans la
peur et les plus exposés comme les forces de police, en danger
de mort. [...] Il s’agit d’un véritable péril
social, nous ne l’accepterons pas ! [applaudissements au centre
et à droite] [97]
Les mêmes amalgames furent repris au moment des discussions
du projet de loi Sarkozy au sénat. Une des attaques les plus
virulentes fut celle du sénateur Dominique Leclerc :
On a aussi parlé des gens du voyage ! C’est le fléau
de demain. Des textes ont mis en place des schémas départementaux
d’accueil et des procédures judiciaires. Mais celles-ci
sont plus ou moins onéreuses. Un référé
coûte cher aux petites villes, surtout s’il doit être
renouvelé toutes les semaines. [...]
Ce sont des gens asociaux, aprivatifs (sic), qui n’ont aucune
référence et pour lesquels les mots que nous employons
n’ont aucune signification. [...] Nous, les maires, qui faisons
des patrouilles, nous voyons toutes les nuits trois, quatre ou cinq
camionnettes de gens du voyage qui viennent sauter - je n’ai
pas d’autre mot - des gamines de douze ou treize ans jusque
devant chez leurs parents, et cela n’intéresse personne.
[...]
Nous devons apporter notre soutien, notre adhésion à
ce gouvernement qui, enfin, dit halte à la démagogie
et au laxisme qui nous ont conduit à la situation que nous
connaissons. [bravo et applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et indépendants, de l’Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE] [98]
L’émotion légitime provoquée par les
réseaux de mendicité impliquant des infirmes et par
les trafics humains qu’ils supposent [99] a entraîné
une série de réactions en chaîne contre toutes
les personnes, de nationalité française ou autre,
stigmatisées comme “Tsiganes”. Que des Roms soient
mêlés à des trafics, c’est possible et
même probable, l’origine ethnique ne fait ni l’ange
ni le démon. Prétendre par contre que tous les Roms
d’origine roumaine sont des trafiquants, cela n’a ni
sens ni fondement.
Pourtant, dans sa volonté de lutter contre le stationnement
“sauvage” des “gens du voyage” et contre
l’immigration clandestine en provenance de Roumanie, le gouvernement
n’a pas manqué d’utiliser, avec force de raccourcis,
ce phénomène. Ce faisant, ne s’est-il pas laissé
entraîner, avec les dispositions de la LSI et les accords
franco-roumains, vers la mise en place d’une législation
d’exception contre une minorité ? Il est tentant de
le croire si l’on regarde de plus près ces accords
mis en place durant l’été 2002.
Depuis janvier 2002, la Roumanie fait partie de l’espace
Schengen, c’est-à-dire un espace de libre circulation
pour les ressortissants des pays signataires. Les accords signés
entre M. Sarkozy et son homologue roumain Ioan Rus visent sans la
nommer la minorité rom roumaine. Ils prévoient, entre
autre, de faciliter les procédures d’expulsions et
de renforcer les contrôles au départ de Roumanie, en
imposant à tout candidat à l’immigration de
justifier d’une activité professionnelle, ce qu’évidemment
très peu de Roms peuvent faire, vu le niveau de discrimination
en Roumanie. Tout cela ne vise-t-il pas, hypocritement, à
restreindre les allées et venues de la minorité rom
en particulier ? Les accords franco-espagnols conclus entre M. Sarkozy
et son homologue espagnol M. Acebes le 25 novembre 2002 à
Malaga renforcent le caractère exceptionnel de cette lutte
contre les clandestins roumains. Qualifiés par le ministère
de l’intérieur espagnol comme une “initiative
novatrice”, ces accords prévoient “l’organisation
de vols spécialement affrétés pour rapatrier
ces collectifs d’immigrés illégaux avec une
plus grande efficacité pour chacun des deux pays” [100].
Sitôt dit sitôt fait, 63 roumains en situation irrégulière
en Espagne ont été embarqués dans un vol charter
à Madrid début décembre 2002. Après
une escale à Paris où les autorités françaises
ont embarqué vingt-trois autres “clandestins”,
ces personnes ont ensuite été remises aux autorités
roumaines.
Par ce type d’accords, les pays de l’espace de “libre
circulation” Schengen dressent des murs internes sélectifs
à l’intérieur d’une Europe forteresse
bâtie pour lutter contre l’immigration. [101] La lutte
contre les déplacements des pauvres “d’ailleurs”
se double de celle contre les pauvres “d’ici”.
La libre circulation serait-elle réservée aux touristes,
aux hommes d’affaires, aux marchandises et aux capitaux ?
Conclusion
La responsabilité des pouvoirs publics
La situation des populations romanies en France peut, dans l’ensemble,
se résumer à trois mots : précarité,
marginalisation, ségrégation. Les pouvoirs publics
ont, semble-t-il, une large part de responsabilité dans cet
état de fait. La volonté “sédentarisatrice”
de l’État français, qui ne s’est pratiquement
jamais accompagnée de mesures, de programmes ou d’aides
à l’installation, s’est traduite pour les “gens
du voyage” par l’abandon progressif du mode de vie itinérant
et des activités économiques lui étant liées,
sans qu’aucun palliatif ne soit mis en place. Les discriminations
qui ont accompagné ces politiques, et qui continuent aujourd’hui
encore, ont entraîné la marginalisation d’une
grande partie des Roms et une mise à l’écart
de la société, particulièrement visible à
travers la ségrégation socio-spatiale dont ils sont
victimes.
La sédentarité a bien sûr par moments été
choisie et non imposée, notamment pour l’exercice de
certaines professions. Toutefois, les entraves au déplacement
et à l’installation ou encore les mesures discriminantes
ont joué un rôle essentiel dans ce processus qui perdure.
Peut-être également que les activités traditionnelles
des Roms n’ont pas résisté aux changements et
aux exigences de l’économie moderne. Pourquoi en auraient-ils
été plus victimes que d’autres populations ?
Les préjugés et les discriminations n’y sont
certainement pas pour rien.
Le bilan de la loi Besson, qui, rappelons-le, présentait
une certaine rupture avec les législations antérieures,
s’est, pour l’instant, révélé bien
décevant. Le nombre d’aires d’accueil est très
nettement insuffisant. Pour ne citer qu’un exemple, le Gard,
pourtant département de passage obligé pour de nombreux
déplacements, n’en offre aujourd’hui que deux
réellement aménagées (80 emplacements), alors
que le schéma départemental en prévoyait quinze.
[102]
Les aires équipées sont le plus souvent reléguées
à la périphérie des villes et soumises à
d’importantes contraintes. Dans la plupart des cas celles-ci
n’offrent pas de capacité de stationnement suffisante
et leurs infrastructures, notamment sanitaires, sont en inadéquation
avec les besoins des populations itinérantes, besoins qui
sont bien sûr ceux de tout le monde. De nombreuses municipalités
se refusent à accueillir des “gens du voyage”
et utilisent, pour déroger à leurs obligations, tous
les méandres de la législation.
La loi Besson ne répond pas non plus à une problématique
nouvelle, celle de la sédentarisation ou de la sédentarisation
partielle de nombreuses familles que la pauvreté et les entraves
aux déplacements ont amenées à s’installer
dans les aires prévues pour les itinérants réduisant
une fois de plus l’espace utilisable par ces derniers.
D’autre part, la possibilité donnée aux municipalités
d’interdire tout autre forme de stationnement sur le reste
du territoire communal revient à cantonner le nomadisme aux
endroits imposés par les pouvoirs publics en dépit
des nécessités économiques et sociales de leurs
utilisateurs. Il apparaît clairement aujourd’hui qu’une
partie du territoire national est interdite de fait aux “gens
du voyage”.
Et les Roms sédentaires ?
Nous n’avons que très peu évoqué leur
cas. La sédentarisation peut être très ancienne
ou récente, résultant d’un choix, de besoins
économiques ou consécutive aux difficultés
faites à l’itinérance. Cette sédentarisation
s’est effectuée de manière hétérogène
et suivant les revenus des familles : sur des terrains privés
en périphérie des grandes villes, dans les vieux quartiers,
souvent abandonnés par d’autres populations, des centre-villes
voire dans des grands ensembles HLM de banlieues. Le nombre d’acquisition
de terrains privés pour y installer des caravanes qui n’en
bougeront peut-être plus est aujourd’hui en progression.
Dans un rapport de 1993, le MRAP faisait remarquer : “Cette
question des terrains privés est cruciale en région
parisienne, peut-être plus importante que celle des terrains
aménagés. Elle se pose un peu partout dans le pays.
Mais le séjour sur un terrain privé, familial, est
tout autant hérissé de difficultés que le voyage.
[...] Pour la construction d’un bâtiment, beaucoup de
voyageurs n’ont pas les moyens d’acquérir en
zone constructible un terrain qui puisse abriter plusieurs caravanes,
l’habitat en famille restant de tradition.” Et le MRAP
de citer dans le même rapport le cas d’une communauté
rom de Monfermeil, en Seine-Saint-Denis, sédentarisée
et propriétaire depuis plus de trente ans, dont une partie
des membres ont été contraints au départ suite
à un arrêté municipal exigeant 250 m2 par caravane.
Malgré le fait qu’aucune loi ne spécifie le
métrage nécessaire, la municipalité a gagné
les deux procés intentés. Le MRAP affirme même
que des instructions ont été données aux agences
immobilières afin qu’elles ne vendent pas à
des “gens du voyage”.
La documentation sur l’attitude des pouvoirs publics à
l’égard des Roms sédentaires est rare, même
si celle-ci se traduit bien souvent par des discriminations plus
discrètes. Quelle trace laisse un refus de logement social
ailleurs que dans le ghetto prévu à cet effet par
la municipalité ? Comment quantifier les rénovations
non entreprises dans des quartiers de centre-ville à la limite
de l’insalubrité (d’où les Roms sont expulsés
en cas de remise à neuf) ? Comment encore comptabiliser les
refus de scolarisation des enfants sous tel ou tel prétexte
administratif ? Nous pouvons cependant évoquer quelques affaires
révélatrices de cette attitude. Deux aspects appellent
une attention particulière : la ségrégation
socio-spatiale dont les Roms font l’objet et les difficultés
rencontrées dans la scolarisation des enfants. [103]
La jouissance d’un terrain privé est aujourd’hui
encore un but bien difficile à atteindre pour beaucoup de
Roms, qu’ils soient sédentaires ou semi-sédentaires.
En effet, la loi stipule que pour le stationnement de caravanes
sur un terrain privé pour une durée supérieure
à trois mois, l’accord du maire est nécessaire.
Que celui-ci peut le refuser en raison de possibles “troubles
à l’ordre public” ou pour préserver des
sites “naturels” ou “historiques”.
Ainsi en août 2000, une famille sédentarisée
sur une parcelle lui appartenant dans la commune de Marenne (Rhône)
a été priée de plier bagage sous prétexte
de non-conformité avec le Plan d’occupation des sols,
six mois après qu’EDF ait enfin installé les
raccordements électriques et que la scolarisation des enfants
ait été engagée. Malgré les protestations
et la mobilisation de plusieurs associations, la mairie s’est
obstinée dans son attitude en s’appuyant sur le soutien
de parents d’élèves de l’école
communale dans laquelle étaient scolarisés ces enfants.
[104]
En réponse à la critique faite de constituer des
quartiers-ghettos, les municipalités se cachent souvent derrière
l’envie bien légitime qu’ont certaines familles
de se regrouper. Il serait toutefois étonnant que cette demande
de regroupement soit formulée de manière à
ce que cela se fasse dans les endroits les plus reculés et/ou
soumis à d’importantes nuisances. Endroits où
le prix du mètre-carré de terrain est ridicule et
ne gêne ainsi aucune spéculation immobilière.
La crainte d’une chute de la valeur de l’immobilier
voisin est souvent avancée pour refuser l’implantation
de familles romanies dans un quartier. C’est en tout cas l’argument
qu’utilisèrent, par exemple, pétition à
l’appui, les opposants à l’installation d’une
aire d’accueil dans la commune de Castanet-Tolosan dans la
banlieue de Toulouse. [105] Aussi les familles romanies sont-elles,
la plupart du temps, isolées du reste de la population dans
les endroits dont personne ne veut.
Le cas du “village andalou” de Bordeaux a défrayé
la chronique en 2000. Ce quartier d’une quarantaine de pavillons
a été construit en 1990 sur des marécages asséchés
près d’une ancienne décharge sous le pont d’Aquitaine
(endroit à faire pâlir d’envie un promoteur immobilier)
afin d’y loger des familles gitanes. Après dix ans
de dénonciations et de mobilisation d’associations,
un journaliste du Monde en dresse un bilan peu flatteur : “À
l’écart de la ville, sans signalétique ni éclairage
public, certains vivent dans des caravanes, d’autres se retrouvent
à plusieurs dans une même maison, presque toutes insalubres.”
Plus grave encore, en juillet 2000, une enquête de Médecins
du Monde révèle plusieurs cas de saturnisme, le sang
de plusieurs dizaines d’enfants étant intoxiqué
ou imprégné de plomb. La mairie de Bordeaux promit
le relogement des familles en cinq ans, délai ramené
à deux ans devant l’indignation suscitée par
une telle lenteur. Procédure jugée encore trop longue
par les habitants du “Village” qui manifestèrent
à plusieurs reprises dans les rues de Bordeaux pour obtenir
un relogement plus rapide. La lenteur de la procédure fut
en partie due au refus des habitants de certains quartiers bordelais
et des communes de la Communauté urbaine de Bordeaux de recevoir
ces familles. Quatorze associations du quartier voisin lancèrent
une pétition pour refuser “les solutions arrêtées
par le préfet de la Gironde et le maire de Bordeaux pour
reloger les familles dans les mobil-homes, en particulier dans le
seul quartier de Bacalan”.
On le voit, nomades ou sédentaires, les Roms restent trop
souvent indésirables. La radiographie des communautés
romanies en France offre, certes, des situations contrastées.
Celles des Roms de Montreuil ou des Gitans de la Placette à
Nîmes ne présentent pas l’image de désolation
des bidonvilles lyonnais. Mais ne s’agit-il pas là
d’exceptions, et sont-ils véritablement à l’abri
d’une détérioration de leurs conditions ? Qui
a parcouru les immeubles de la cité Saint-Gély à
Montpellier se sera rendu compte de l’extrême pauvreté,
du sentiment d’abandon et, du même coup, du fort communautarisme
qui y règnent. Ces quartiers aux allures de ghettos sont
nombreux dans le sud de la France, de Perpignan à Marseille.
Les problèmes sociaux s’y multiplient, faisant les
“choux gras” de la presse locale et parfois nationale.
Le mode de vie supposé et la présumée “différence”
des Roms furent à eux seuls longtemps considérés
comme nuisibles et criminogènes. Leur simple apparition,
enfin, suffit à engendrer contrôles et fouilles de
la part des forces publiques. Le “délit de faciès”
est à coup sûr le délit le plus répandu
imputable aux Roms. Au bout du compte, on peut se demander si leur
simple existence ne constitue pas aux yeux des autorités
un “trouble à l’ordre public”. Au début
des années 1990, Vaclav Havel, longtemps figure de l’opposition
démocratique tchèque au régime communiste,
affirmait que le traitement des Roms serait le “test démocratique”
des anciens pays de l’Est. Une dizaine d’années
plus tard, le test est loin d’être concluant dans la
plupart de ces pays. Les discriminations sont flagrantes, les violences
xénophobes fréquentes et le niveau économique
et social des populations romanies est aujourd’hui très
préoccupant. Sur la base des mêmes critères,
il n’est pas évident que la France, pays de “vieille
tradition démocratique” s’il en est, réussisse
de façon plus satisfaisante ce test aujourd’hui. Ici
comme ailleurs, les populations romanies font figure de citoyens
de seconde zone.
Évidemment, la situation des Roms en France s’inscrit
aussi dans des problématiques beaucoup plus larges. La discrimination
dont ils font l’objet renvoie aux discriminations pesant sur
tous ceux représentant, par leurs origines ou leurs modes
de vie, des “minorités visibles”. Leur criminalisation
s’inscrit dans celle des populations considérées
comme potentiellement dangereuses par le pouvoir en place, hier
les ouvriers, aujourd’hui les travailleurs pauvres, les précaires,
les SDF, les chômeurs, les squatteurs, les “jeunes de
banlieues”, tous visés d’une manière ou
d’une autre par les lois sécuritaires. Leur précarité
interroge sur les problèmes de répartition des richesses.
Les expulsions des Roms roumains, yougoslaves ou albanais rappellent
le sort réservé à tous ceux qui fuient (jamais
de gaieté de cœur, combien de fois faudra-t-il le rappeler
?) une situation désastreuse et/ou dangereuse dans leurs
régions d’origine. La particularité de la situation
des Roms est de s’inscrire dans toutes ces problématiques
à la fois. Le combat pour l’émancipation des
Roms est aussi un moment pour appuyer les luttes contre toutes les
formes de discriminations, quelles qu’elles soient. C’est
aussi l’occasion d’affirmer les revendications d’égalité
économique et sociale, de libre circulation et d’installation,
bref tout ce qui serait nécessaire à l’épanouissement
des individus.
Des espoirs de changement ?
Le tableau que nous venons de dresser est sombre mais deux raisons
au moins poussent à ne pas désespérer. D’une
part, des initiatives intéressantes ont été
ou sont menées dans plusieurs endroits et, d’autre
part, l’organisation des populations romanies pour la défense
de leurs droits se fait plus forte depuis quelques années,
ce qui peut conduire à la prise en compte de leurs revendications.
Certaines villes ont tenté d’offrir une approche différente
par des initiatives encourageantes. Dans son dossier consacré
à la mise en place de la loi Besson, la revue Diagonal cite
le cas de la municipalité de Mourenx qui a engagé
les travaux nécessaires à la rénovation de
l’ancienne aire d’accueil délabrée. Celle-ci
s’étend aujourd’hui sur 16000m2 et comprend à
la fois une aire de passage et une de stationnement. Dans cette
dernière quatorze emplacements privatifs de 300m2 ont été
aménagés, comprenant chacun un studio de 38m2 avec
douche, sanitaire et cuisine. Ces studios ouvrant, contrairement
aux caravanes, des droits à l’aide personnalisée
au logement. Le plus remarquable dans ce cas est que ces aménagements
ont été imaginés en concertation avec les familles
manouches présentes sur la commune. [106] Autre exemple déjà
évoqué, Castanet-Tolosan où l’équipe
municipale a décidé, malgré l’hostilité
et les pétitions d’une partie de la population, d’aménager
une aire avant même que la loi l’y oblige. Ces cas,
bien qu’assez rares, ne sont toutefois pas isolés et
permettent d’espérer de meilleures relations entre
autorités locales et populations romanies.
Les communes faisant preuve d’une certaine bonne volonté
se heurtent souvent à l’inertie ou à l’hostilité
de leurs voisines. Le cas de Bourg-en-Bresse est en cela paradoxal.
La municipalité a mené conjointement deux opérations.
D’une part la réalisation d’un quartier pavillonnaire
en lieu et place d’un bidonville occupé par des familles
romanies : ces pavillons, construits là aussi en concertation
avec les familles, disposent d’aménagements permettant
d’inclure des caravanes. D’autre part la création
d’une aire d’accueil d’une capacité de
seize emplacements pouvant accueillir chacun trois caravanes (le
seul hic étant la limitation du séjour à 28
jours). Malgré la bonne volonté mise en œuvre
dans ces deux cas, la municipalité a multiplié les
procédures d’expulsion contre les installations illicites,
rendues inévitables par l’absence d’aménagements
adéquats dans les communes environnantes. La loi Besson montre
ici à nouveau ses limites. Quelles sont les possibilités
offertes aux “gens du voyage” lorsque les aires des
communes sur lesquelles ils souhaitent stationner sont pleines ?
Que faire si les communes avoisinantes n’ont pas rempli leurs
obligations ? Est-ce une raison suffisante pour interdire à
quelqu’un de s’installer dans la municipalité
de son choix ? Les “gens du voyage” doivent-ils subir
la mauvaise volonté des municipalités et se cantonner
aux endroits où il restera peut-être une place pour
eux, parfois à plusieurs dizaines de kilomètres ?
La loi Besson accentue malgré tout les pratiques ségrégatives
dont sont victimes les populations romanies.
Dans la revue Hommes et migrations, Martine Chanal, de l’association
Études-action, et Marc Uhry, de l’Association lyonnaise
pour l’insertion par le logement (ALPIL), proposent quelques
pistes pouvant améliorer la situation des “gens du
voyage”. Leur constat est simple mais évident : “la
connaissance des besoins constitue le préalable à
la programmation des réponses. Ce syllogisme apparent est
loin de guider les pratiques : les dispositifs actuels s’appuient
sur une batterie d’outils et de concepts qui, partant de l’offre,
semblent dénier la demande.”
Martine Chanal et Marc Uhry évoquent les possibilités
qui pourraient être offertes par la simple application du
droit commun pour mieux satisfaire les besoins des itinérants
:
- le recours aux bailleurs sociaux pour la programmation de l’habitat
adapté spécifiquement conçu pour les familles
vivant en caravane (habitat mixte maison/caravane) ;
- des aides à l’habitat, adaptées aux besoins
de ces populations (aides à l’accession de terrains,
aides à l’achat des caravanes, allocations logement,
etc.) ;
- la possibilité d’un accompagnement social lié
au logement ;
- l’intégration de cette problématique dans
les instances de la politique de la ville et de la politique du
logement. [107]
L’aide à l’achat de terrains privés sur
les territoires d’attache, l’équipement en aires
d’accueil de toutes les communes fréquentées
par les personnes itinérantes ou la mise à disposition
d’un ou de plusieurs terrains pour les grands rassemblements
dans chaque département, tout cela bien sûr après
une évaluation des besoins des personnes concernées,
voilà des mesures simples qui permettraient d’améliorer
les conditions de vie des “gens du voyage”. Au regard
de la loi, des capacités de chaque commune et des investissements
nécessaires, toutes ces mesures sont aujourd’hui rapidement
réalisables. Les obstacles ne sont ni d’ordre juridique
ni d’ordre financier. Ils sont politiques. Les calculs électoraux
poussent les autorités locales comme nationales à
caresser l’électeur dans le sens du poil après
avoir contribué, par la stigmatisation d’un groupe,
à construire les préjugés négatifs.
Opre Roma ! [108]
La force des discriminations et la récente offensive contre
les populations romanies française et étrangères
ont suscité un début de mobilisation sans précédent.
Ainsi a-t-on vu de nombreux “gens du voyage” participé
aux différentes mobilisations contre la LSI. Le 12 novembre
2002, plusieurs dizaines d’entre eux s’étaient
joints aux prostituées pour manifester devant le sénat
lors de la lecture du projet de loi. Le 18 décembre, 300
Manouches et Sintés défilèrent devant le parlement
européen à Strasbourg, drapeaux français et
européens en tête de cortège, pour dénoncer
les “simplifications outrancières et dangereuses”
se développant à leur égard. Le 11 janvier
2003, ce fut au tour des associations regroupées dans le
Collectif du 24 septembre [109] de défiler lors d’une
manifestation nationale contre le projet de loi sur la sécurité
intérieure de Nicolas Sarkozy. Les mots d’ordre avancés
étant les suivants : “reconnaissance des Gens du Voyage
; abrogation de l’article 19 ; liberté de voyage -
liberté d’aller et venir ; reconnaissance de l’habitat
caravane ; droit d’exister - reconnaissance de notre culture
; non aux discriminations - oui aux richesses culturelles ; voyageurs
français à part entière ; sécurité
pour nos familles ; non à la criminalisation.”
Parallèlement, les Roms non français, majoritairement
roumains, commencent également à s’organiser
soit dans les structures existantes de soutien aux sans-papiers,
soit de manière indépendante. Cent cinquante Roms
de Roumanie installés à Montreuil et un collectif
de soutien [110] ont ainsi appelé à une fête
de solidarité le samedi 8 février 2003 :
parce que Sarkozy a choisi d’en faire les boucs émissaires
de sa politique sécuritaire ; parce que les charters n’ont
jamais rien réglé en terme d’immigration ; parce
que la communauté européenne feint d’admettre
la Roumanie dans le cercle des pays démocratiques et leur
refuse l’asile territorial ; parce que les Roms de Roumanie
n’ont aucun avenir en Roumanie ; parce que leur passeport
est confisqué par l’État roumain pour cinq ans
à leur retour ; parce que l’État roumain leur
promet la prison s’ils se livrent à la mendicité
; parce qu’ils n’ont pas d’autres recours que
la mendicité ; et parce qu’ils fuient les discriminations
roumaines et retrouvent la répression française et
européenne ... Grande fête de solidarité avec
les Roms de Roumanie !
Partant du principe que “seule la lutte paye”, la récente
mobilisation des Roms contre les pratiques et législations
sécuritaires laisse peut-être entrevoir le début
d’un mouvement pour les droits civiques des populations romanies.
Du fait de l’ancrage des préjugés, le combat
contre les idées reçues et les discriminations qui
en résultent est un travail de longue haleine, qui passe
par une meilleure reconnaissance et nécessite l’engagement
de tous, Roms comme non-Roms.
Xavier Rothéa
Bibliographie
- ALPIL, Errance et transparence, éd. Mario Mella, 1999
Coordonné par l’Association lyonnaise pour l’insertion
par le logement, cet ouvrage regroupe plusieurs contributions faisant
le point, au moment des débats sur l’adoption de la
seconde loi Besson, sur l’état de l’accueil des
“gens du voyage”.
- Henriette Asséo, Les Tsiganes. Une destinée européenne,
Gallimard, coll. “Découvertes”, 1994
Ouvrage “de référence” sur l’histoire
des Roms. Henriette Asséo, historienne, codirige le Centre
de recherches tsiganes.
- Claire Auzias, Les Tsiganes ou le destin sauvage des Roms de
l’Est, Michalon, 1995.
À noter la préface de Marcel Courthiade et le texte
de Françoise Kempf, du Conseil de l’Europe, qui rappelle
les différents statuts juridiques des Roms en Europe.
- Camille Duranteau, La santé des gens du voyage. Approche
sanitaire et sociale, L’Harmattan, 1999
- Études tsiganes, vol. 6, 1995, Jacques Sigot (dir.), “France
: l’internement des Tsiganes”
- Études tsiganes, vol. 7, 1996, “L’urbanité
en défaut”
- Études tsiganes, vol. 15, 2001, “L’habitat
saisi par le droit. Les virtualités de la loi Besson du 5
juillet 2000”
- Bernard Formoso, Tsiganes et sédentaires. La reproduction
culturelle d’une société, L’Harmattan,
1997
- Ian Hancock, We are the Romani people, University of Hertfordshire
press, 2002
Riche synthèse, la plus récente, des recherches et
travaux concernant les populations romanies, par l’un des
leaders du mouvement rom international.
- Hommes et migrations, n°1188-89, juin-juillet 1995, “Tsiganes
et voyageurs”
- Jean-Baptiste Humeau, Tsiganes en France. De l’assignation
au droit d’habiter, L’Harmattan, coll. “Géographie
sociale”, 1995 (Géographe, l’auteur livre ici
une réflexion sur un “droit d’habiter différent”
pour les populations romanies itinérantes en France).
- Donald Kenrick & Grattan Puxon, Destins gitans. Des origines
à la “solution finale”, Gallimard, coll. “Tel”,
1995 [1972] (Ouvrage majeur sur le génocide des Roms lors
de la seconde guerre mondiale. À noter le chapitre “Les
sources du préjugés” dans lequel les auteurs
proposent un tour d’horizon des manifestations de l’antiromisme).
- Donald Kenrick, Les Tsiganes de l’Inde à la Méditerranée,
Centre de recherches tsiganes/CRDP Midi-Pyrénées,
coll. “Interface”, 1993 (L’auteur confirme dans
ce livre l’origine indienne des Roms et étudie leurs
migrations jusqu’en Europe (14e siècle).
- Jean-Pierre Liégeois & Nicolae Gheorghe, Roma, Tsiganes
d’Europe, Groupement pour les Droits des Minorités,
1996 (Rapide panorama de la situation des Roms en Europe, puis présentation
du rapport des institutions internationales, européennes
surtout, à “la question Rom”).
- Patrick Williams (dir.), Tsiganes : identité, évolution,
Syros Alternative, 1989 (Une quarantaine d’articles publiés
à l’occasion du vingtième anniversaire de la
revue Études tsiganes. De nombreuses contributions dont celles
d’Henriette Asséo, Donald Kenrick, Bernard Leblon,
Alain Reyniers, Jean-Pierre Liégeois, Marcel Courthiade,
etc.)
Sites internet
- Le site de l’UNISAT : http://www.unisat.asso.fr/
propose entre autres la plupart des textes législatifs
concernant les Roms.
De nombreux textes sont trouvables par exemple sur les sites :
- http://mayvon.chez.tiscali.fr/,
http://patrin.com
(en anglais), et celui de la section espagnole de l’URI (en
anglais, espagnol et romani) : http://www.unionromani.org.
- Médecins du Monde propose des informations sur la situation
des Roms dans les bidonvilles : http://www.medecinsdumonde.org/2mis....
- Des rapports et autres textes institutionnels à trouver
sur le site du Conseil de l’Europe : http://www.social.coe.int/fr/cohesi....
Centres de documentation
- Études tsiganes - 59, rue de l’Ourcq - 75019 Paris
- tél. 01 40 35 12 17
- http://www.etudestsiganes.asso.fr/
- Centre de recherches tsiganes - 45, rue des Saints-Pères
- 75006 Paris
- http://www.eurrenet.org/
Notes
[1] Roms, Sintis, Kalés - Tsiganes en Europe. Promouvoir
la santé et les droits d’une minorité en détresse,
http://www.sante.gouv.fr/presidence....
[2] Bruno Hurault, “Le grave dérapage du préfet
de Vaucluse contre les gens du voyage”, La Provence, 23 octobre
2002 ; Jean-Luc Parpaleix, “Le préfet de Vaucluse persiste
et signe”, La Provence, 24 octobre 2002.
[3] Commission des lois du sénat, rapport n°283 : “accueil
des gens du voyage”. Consultable sur le site du sénat,
http://www.senat.fr/rap/l96-283/l96....
[4] Ce chapitre reprend en partie un article que j’ai déjà
publié : “les Roms, une nation sans territoire ?”,
Réfractions, n°8, 2002.
[5] L’URI possède un rôle consultatif comme
représentante des Roms auprès de l’ONU et du
Conseil de l’Europe. Créée dans les années
1970 par des Roms pour la plupart issus des pays de l’Est,
notamment de Yougoslavie, cette organisation, en phase avec le régime
titiste, joua un rôle très important pour la reconnaissance
de l’identité romanie (et plus anecdotiquement dans
la mise en scène du rapprochement entre l’Inde et la
Yougoslavie au sein du mouvement des non-alignés). Depuis
les années 1980 cette organisation a été le
fer de lance du mouvement d’émancipation des Roms et
regroupe la plupart des intellectuels roms.
[6] Mille ans d’histoire des Tsiganes, Fayard, 1970.
[7] Marcel Courthiade, préface à l’ouvrage
de Claire Auzias, Les Tsiganes ou le destin sauvage des Roms de
l’Est, éd. Michalon, 1995, p.18.
[8] Alain Reyniers, “le nomadisme des Tsiganes : une attitude
atavique ou la réponse à un rejet séculaire
?”, in Patrick Williams (dir.), Tsiganes : identité,
évolution, Syros Alternative, 1989.
[9] Jocelyne Streiff-Fenart et Philippe Poutignat (dir.), Théories
de l’ethnicité, PUF, 1995.
[10] Voir les ouvrages de Donald Kenrick et Grattan Puxon, Destins
gitans. Des origines à la “solution finale”,
Gallimard, coll. “Tel”, 1995 [1972] ; Claire Auzias,
Samudaripen. Le génocide des Tsiganes, L’Esprit frappeur,
2000.
[11] Frederick Barth, “Les groupes ethniques et leurs frontières”
[1969], in Théories de l’ethnicité, op. cit.,
p.216.
[12] Alain Reyniers, op. cit.
[13] Jean-Pierre Liégeois, Tsiganes et voyageurs. Données
socio-culturelles, données socio-politiques, Conseil de l’Europe,
1985, p.50-53.
[14] Voir le site de la section espagnole de l’URI : http://www.unionromani.org.
Signalons par ailleurs les textes suivants : Alain Reyniers, “L’identité
tsigane, stéréotypes et marginalité”
in Stéréotypes nationaux et préjugés
raciaux aux 19e et 20e siècles, éd. Jean-Pirotte,
1982 ; Jean-Pierre Liégeois, Les Tsiganes, Maspéro,
1983, chap. “Stéréotypes et préjugés”
; Donald Kenrick et Grattan Puxon, op. cit., chap. “Les sources
du préjugé” ; Ian Hancock, We are the romani
people, University of Hertfordshire press, 2002, chap. “Explaining
antigypsyism”.
[15] Sur les fondements naturalistes des mécanismes de domination
raciste, voir par exemple l’ouvrage de Colette Guillaumin,
L’idéologie raciste. Genèse et langage actuel,
Gallimard, coll. “Folio/essais”, 2002 [1972].
[16] Le racisme devant la science, UNESCO/Gallimard, 1960.
[17] Pierre-André Taguieff, La force du préjugé.
Essai sur le racisme et ses doubles, La Découverte, 1988,
p.14.
[18] Cité par Pierre-André Taguieff, op. cit., p.579.
[19] “Tsiganes : une délinquance qui désarme
l’État”, Le Figaro, 10 septembre 2001.
[20] 7 - Henriette Asséo, Les Tsiganes. Une destinée
européenne, Gallimard, coll. “Découvertes”,
1994, p.94.
[21] Claire Auzias, Samudaripen, op. cit., p.25.
[22] Pour les mesures contre les “Bohémiens”
du 16e au 19e siècles, voir le tableau dressé par
Jean-Pierre Liégeois dans Tsiganes et voyageurs, op. cit.,
p.96-97.
[23] L’European Roma rights center (Budapest) a publié
à ce sujet plusieurs rapports, disponibles sur son site,
http://errc.org.
[24] Cité par Jean-Pierre Liégeois, “Gitans
et pouvoirs publics en Espagne”, Ethno-psychologie, n°1,
1980, p.70.
[25] Nicole Martinez, Les Tsiganes, PUF, coll. “Que sais-je
?”, 1986, p.6. Entre autres réactions publiées
à la réédition de cet ouvrage : Patrick Williams,
“Un “Que sais-je ?” surprenant”, L’ethnologie
française, n°1, 1988 ; Henriette Asséo, “Une
entreprise révisionniste sur les Tsiganes”, Études
tsiganes, n°1, 1987.
[26] Ian Hancock, op. cit., p.119.
[27] Le nom de “Kaldérash”, désignant
un groupe de Roms d’Europe orientale, vient du mot roumain
caldera, “chaudron”.
[28] Genèse 9-25.
[29] Donald Kenrick et Grattan Puxon, op. cit., p.23.
[30] Helena Sanchez, Los Gitanos espanoles : el periodo borbonico,
Castello editor, 1977.
[31] Donald Kenrick et Grattan Puxon rapportent plusieurs affaires
et notamment le cas d’un groupe de Roms slovaques injustement
jugés pour cannibalisme en 1927, op. cit., p.37.
[32] Transcription de l’émission réalisée
par le centre de documentation Études tsiganes.
[33] Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive,
Gallimard, 1954, p.30.
[34] Les qualificatifs de “noï” et de “caraque”
utilisés dans le sud de la France pour désigner les
Gitans le sont également pour parler des personnes mal habillées
ou désordonnées.
[35] Katrin Tluczykont, “Malgré les protestations
de maires de la région, les caravanes de Tsiganes convergent
vers Chambley”, Le Monde, 8 août 2000.
[36] Emmanuel Aubin, “L’évolution du droit français
applicable aux Tsiganes. Les quatre logiques du législateur
républicain”, Études tsiganes, vol. 15, 2001,
“L’habitat saisi par le droit. Les virtualités
de la loi Besson du 5 juillet 2000”, p.26-56.
[37] José Cubero, Histoire du vagabondage du Moyen Âge
à nos jours, Imago, 1998.
[38] Ce sont les termes alors utilisés.
[39] Napoléon généralisera, par un décret
du 5 juillet 1808, à tous les départements les dépôts
de mendicité ou ateliers de charité. Ceux-ci sont
destinés à accueillir les mendiants interpellés
afin de les contraindre à travailler. Voir José Cubero,
op. cit., p. 226.
[40] José Cubero, op. cit., p.248.
[41] Louis Chevalier, Classes laborieuses et classes dangereuses
à Paris dans la première moitié du 19e siècle,
Hachette, coll. “Pluriel”, 1984, p.289 [1958].
[42] “Principaux textes d’ordre législatif,
administratif ou judiciaire...”, Études tsiganes, n°1-2,
juin 1973, p.26.
[43] Cité par Henriette Asséo, Les Tsiganes, op.
cit., p.84.
[44] Voir Gérard Noiriel, Les ouvriers dans la société
française, 19e-20e siècle, Le Seuil, 1986.
[45] Ce carnet anthropométrique n’était pas
obligatoire pour les commerçants ambulants et les forains.
[46] Henriette Asséo, op. cit., p.89.
[47] Emmanuel Aubin, op. cit., p.27.
[48] Hannah Arendt, Les origines du totalitarisme. L’impérialisme,
Fayard, 1982, p.70, [1951].
[49] Ibid.
[50] Cité par Emmanuel Aubin, op. cit., p.27.
[51] Madeleine Rebérioux, La République radicale
? 1898-1914, Le Seuil, 1975.
[52] Voir Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Le
Seuil, 1999 ; René Rémond, Les droites en France,
Aubin, 1982 ou Zeev Sternhell, La droite révolutionnaire.
Les origines françaises du fascisme, Le Seuil, 1978.
[53] Cité par Henriette Asséo, op. cit., p.88.
[54] Madeleine Rebérioux, op. cit., p.33.
[55] Cité par Claire Auzias, Samudaripen, op. cit., p.184.
[56] Robert Paxton, La France de Vichy, 1940-1944, Le Seuil, 1974.
[57] Jacques Sigot, Ces barbelés oubliés par l’histoire.
Un camp pour les Tsiganes... et les autres, Wallada, 1994.
[58] Marie-Christine Hubert, Les Tsiganes en France, 1939-1946,
assignation à résidence, internement, déportation,
thèse, université de Paris X-Nanterre, 4 tomes, 1997
; voir également l’ouvrage de Denis Peschanski, Marie-Christine
Hubert et Emmanuel Philippon, Les Tsiganes en France 1939-1946,
contrôle et exclusion, éd. du CNRS, 1994.
[59] Article 8 de la loi du 3 janvier 1969.
[60] Emmanuel Aubin, op. cit., p.32.
[61] Violaine Carrère et Christophe Daadouch, “Les
gens du voyage en mobilité surveillée”, Plein
droit, n°46, septembre 2000, http://www.gisti.org/doc/plein-droi....
[62] Monde tsigane, n°3, avril 2002 - journal trimestriel publié
par l’ARTAG, artag at wanadoo.fr.
[63] Article 28 de la loi n°90-449 du 31 mai 1990.
[64] Rapport au Premier ministre, “La situation des gens
du voyage et les mesures proposées pour l’améliorer”,
13 juillet 1990.
[65] Commission des lois du sénat, rapport n°283, op.
cit.
[66] Daniel Merchat, Accueil et stationnement des gens du voyage,
Le Moniteur, coll. “guides juridiques”, 2000, p.79.
[67] Journal officiel de l’assemblée nationale, 28
avril 1998.
[68] Voir Études tsiganes, vol. 15, 2001, op. cit.
[69] Marc Lemonier, “L’esprit de la nouvelle loi”,
Diagonal, n°138, juillet-août 1999, dossier “Nomade
ou sédentaire, le droit à l’habitat”.
[70] Daniel Merchat, op. cit., p.50.
[71] Association sociale nationale internationale tsigane.
[72] “Nous n’aurons plus le droit de stationner ailleurs”,
Libération, 2 juin 1999.
[73] Bertrand Bissuel, “Offensive des députés
de droite contre les gens du voyage lors du débat sur la
sécurité”, Le Monde, 20 juillet 2002.
[74] “Sécurité intérieure : la commission
des lois a adopté le texte de Nicolas Sarkozy”, Le
Figaro, 12 juillet 2002.
[75] Sur la criminalisation des prostitué-e-s, voir le site
de l’association Cabiria : http://perso.wanadoo.fr/cabiria/.
[76] “Dix nouveaux délits et un arsenal de sanctions”,
Le Figaro, 4 octobre 2002.
[77] Cécile Bontron, “Les Tsiganes en quête
d’une ère nouvelle”, Midi libre, 16 janvier 2003.
[78] “Offensive contre les gens du voyage”, communiqué
du 2 août 2002, signé entre autres par : le MRAP, la
LDH, l’UNISAT (Union nationale des institutions sociales d’action
pour les Tsiganes) et de nombreuses associations de “gens
du voyage”.
[79] Isabelle Berthier, “Des caravanes passent, d’autres
font halte”, Diagonal, op.cit.
[80] Cité par Bertrand Bissuel, art. cit.
[81] Sur l’idéologie et les politiques sécuritaires,
voir par exemple de Laurent Mucchielli, Violences et insécurité.
Fantasmes et réalités dans le débat français,
La Découverte, 2002.
http://www.laurent-mucchielli.org
[82] “Délinquance : un rapport accablant pour les
nomades”, Le Figaro, 10 septembre 2001, en une.
[83] Depuis, Philippe Pichon en a tiré un livre, Voyage
en Tsiganie, éditions de Paris, 2002.
[84] “Tsiganes : une délinquance qui désarme
l’État”, art. cit.
[85] Cf. Roms, Sintis, Kalés - Tsiganes en Europe, op. cit.
[86] Marcel Courthiade, préface au livre de Claire Auzias,
op. cit.
[87] Delphine Moreau, “Les gens du voyage en stationnement
gênant”, Le Figaro, 18 juillet 2002.
[88] Lire à ce propos l’ouvrage de Claire Auzias,
Les Tsiganes..., op. cit. ; Henriette Asséo, “Les Tsiganes
dans la transition à l’Est”, Historiens et géographes,
n°377, janvier-février 2002.
[89] Jean-Baptiste Naudet, “Les maisons brulées des
montreurs d’ours”, Le Monde, 29 avril 1991.
[90] Henriette Asséo, ibid.
[91] Sandrine Chastang, “Mouvements migratoires, dura lex...”,
Peuples en marche, n°177, juin 2002 ;
[92] Idem.
[93] Frédéric Crouzet, “Les abandonnés
des bidonvilles lyonnais”, Le Progrès, 5 juillet 2002
[94] Tonino Sefarini, “En Île-de-France, la manière
forte contre les Roms”, Libération, 30 juillet 2002.
[95] Frédéric Crouzet, art. cit.
[96] Catherine Bernard, “Une journée à mendier
pour cinq euros de salaire”, Libération, 20 juillet
2002.
[97] Compte rendu de la séance du 10 mai 2001, “gens
du voyage et insécurité”, question au ministre
de l’intérieur.
[98] Séance du 31 juillet 2002 au sénat, “suite
des débats et adoption définitive du projet de loi”.
[99] La secrétaire d’État à la lutte
contre l’exclusion estimait à 2000 le nombre de mineurs
roumains victimes de la prostitution ou de la mendicité contraintes,
ou se livrant à diverses formes de délinquance ; “Sarkozy
balise le retour des Roumains”, Libération, 1er septembre
2002.
[100] Communiqué de presse du ministère de l’intérieur
espagnol, Madrid, 4 décembre 2002.
[101] Le réseau international No Border est l’un des
plus actifs contre l’Europe-forteresse et dans le soutien
aux réfugiés, demandeurs d’asile et sans-papiers
: http://www.noborder.org/.
[102] Cf. “Les Tsiganes en quête d’une ère
nouvelle”, art. cit.
[103] Sur la scolarisation des enfants roms, voir les travaux de
Jean-Pierre Liégeois publiés par le Conseil de l’Europe.
[104] Sophie Landrin, “Près de Lyon, une famille gitane
menacée d’expulsion du terrain qui lui appartient”,
Le Monde, 19 août 2000.
[105] “Le camp témoin de Castanet”, Libération,
2 juin 1999.
[106] “Des caravanes passent, d’autres font halte”,
Diagonal, op.cit.
[107] “Gens du voyage : vers le nécessaire renouvellement
de l’intervention publique”, Hommes et migrations, n°1227,
septembre-octobre 2000, disponible sur le site de l’ALPIL
http://habiter.org/
[108] “Debout les Roms !”, slogan classique des organisations
politiques romanies.
[109] Créé pour fédérer les diverses
initiatives contre la loi Sarkozy, ce collectif regroupe entre autres
la LDH, le MRAP, l’UNISAT, l’association nationale des
gens du voyage catholiques, l’office national des affaires
tsiganes, l’association des Français du voyage, etc.
[110] Voir le site http://romsdemontreuil.free.fr/
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