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Quand Facebook se fait analyser par Michel Foucault.


Origine : http://lheterotope.wordpress.com/2010/04/01/quand-facebook-se-fait-analyser-par-michel-foucault/

Facebook : une incitation au rituel chrétien de l’aveu où l’orchestration d’un dire « libérateur »

"Le tout est de tout dire, et je manque de mots
Et je manque de temps, et je manque d’audace
Je rêve et je dévide au hasard mes images
J’ai mal vécu, et mal appris à parler clair."
Paul Eluard

  A la lumière du concept foucaldien de subjectivation (Histoire de la sexualité tome I : la volonté de savoir) et de la réflexion sur la production des savoirs en tant qu’elle est traversée par des enjeux de pouvoir et conditionnée par eux (Les mots et les choses, Archéologie du savoir), Facebook apparaît comme l’une des technologies modernes de nos sociétés de contrôle.

La subjectivation de soi, c’est à dire les dispositifs et les pratiques qui nous amènent à nous penser comme individu, comme sujet permettant de s’identifier auprès des autres et de s’authentifier par rapport à soi-même, cette subjectivation, cette manière de se penser en tant que sujet, n’est ni immuable à travers le temps, ni anodine.

La constitution de l’individu en tant que personne possédant une intériorité et une pratique réflexive a une historicité que l’on peut dater, cet individu moderne n’existe ni chez les grecs, ni chez les romains, elle se développe tout au long de la chrétienté passant d’une société de l’éloge et du blâme à celle de la culpabilité et de la faute et trouve, peut être, son apogée avec l’invention de la psychanalyse au XIXe siècle. L’apparition de cette pratique n’est pas non plus anodine mais traversée par des enjeux de pouvoirs car celui-ci n’est et n’existe que dans la mesure où il sait. Précisons ici que le pouvoir n’est pas localisable dans des institutions étatiques, il est un ensemble d’interrelations réversibles (Patron-ouvrier, prêtre-fidèle, parent-enfant, professeur-élève, psychanalyste-patient, médecin-malade…)

En effet, cette technologie est l’héritière du confessionnal chrétien dans le sens où il permet et incite l’aveu dans le cadre d’une liberté du dire se faisant passer pour « libération » qu’il va lui-même orchestrer. Pour Facebook : on y adhère librement, c’est « fun » et après tout je n’ai rien à cacher. Avec l’aveu, c’est l’avouant qui devient « sujet » dans les deux acceptions du terme. Sujet avouant et sujet de l’autorité qui génère l’aveu. Mais devenu sujet, l’avouant s’est construit une identité qui, à son tour, devient gêne de pouvoir : « ah, bon t’es pas encore sur Facebook ? ». La boucle est bouclée, le serpent de l’autorité s’est mordu la queue.

Ce que nous prenons pour des libertés est bien souvent le siège même des enjeux de pouvoirs et du contrôle social. Facebook, siège de la prétendue liberté de dire, permet la constitution d’un capital d’informations qui ont une valeur considérable sur le marché (étude marketing, offres ciblés) et la possibilité d’une intrusion inégalée de l’Etat et des acteurs privés au plus profond du corps social.

Si ce constat sur une de nos pratiques quasi quotidiennes nous laisse un arrière goût déplaisamment salé, il engage cependant à être attentif aux instances qui permettent l’émergence des discours et leur régulation (Facebook, la télévision…) plutôt qu’aux instruments de leurs répressions. Ainsi la déclaration des Droits de l’Homme au XVIIIème Siècle s’accompagne de toute une série de pratiques qui apparaissent, non pas comme l’expression de ces libertés mais plutôt comme la régulation de leurs bons usages. Facebook fait sûrement partie de l’une d’elle.

La folie Facebook et la planète Foucault.

"L’aveu de la vérité s’est inscrit au cœur des procédures d’individualisation par le pouvoir, nous sommes devenus une société singulièrement avouante. On avoue ses crimes, on avoue ses péchés, on avoue ses pensées et ses désirs, on avoue son passé et ses rêves, on avoue ses maladies et ses misères, on s’emploie avec la plus grande exactitude à dire ce qu’il y a de plus difficile à dire, on avoue en public et en privé, à ses parents, à ses éducateurs, à son médecin, à ceux qu’on aime, on se fait à soi-même – dans le plaisir et dans la peine – les aveux impossibles à tout autre, et dont on fait des livres; on avoue ou on est forcé d’avouer. L’homme en occident est devenu une bête d’aveux [...] L’ironie du dispositif de l’aveu, c’est qu’il nous fait croire qu’il y va de notre libération".

«Il faut être soi-même bien piégé par cette ruse interne de l’aveu, pour prêter à la censure, à l’interdiction de dire et de penser, un rôle fondamental : il faut se faire une représentation bien inversée du pouvoir pour croire que nous parlent de liberté toutes ces voix qui, depuis tant de temps, dans notre civilisation, ressassent la formidable injonction d’avoir à dire ce qu’on est, ce qu’on a fait, ce dont on se souvient et ce qu’on a oublié, ce qu’on cache et ce qui se cache, ce à quoi on ne pense pas et ce qu’on pense ne pas penser. Immense ouvrage auquel l’Occident a plié des générations pour produire-pendant que d’autres formes de travail assuraient l’accumulation du capital- l’assujettissement des hommes ; je veux dire leur constitution comme « sujets » aux deux sens du terme.»