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Source : MICHEL FOUCAULT ENTRE SUJET ET RÉVOLTE 2012
Origine : http://www.journaldumauss.net/spip.php?article903
http://www.journaldumauss.net/IMG/pdf/Collectif-_Foucault_entre_sujet_et_revolte.pdf
Alors que triomphe le credo de l’adaptation aux nouvelles technologies communicationnelles, les réseaux sociaux semblent de plus en plus s’imposer à nous comme des outils indispensables. Au Québec, pour le moment, six personnes sur dix sont entrées dans la danse de socialisation virtuelle, alors que cette proportion est déjà de neuf sur dix chez nos voisins du Sud1. Et nous n’avons aucune raison de croire que cette popularité exponentielle va s’essouffler, puisque la fréquentation des réseaux sociaux occasionne vraisemblablement une dépendance plus importante que la consommation de tabac ou d’alcool2. Parallèlement, compte tenu du rôle clef qu’ils ont joué au sein du « printemps arabe » ou encore lors de la première campagne présidentielle de Barack Obama, il faut bien admettre qu’en dépit de leur virtualité, les réseaux sociaux parviennent manifestement à opérer dans le monde concret. Sur le plan politique, ils sont d’ailleurs beaucoup plus puissants qu’on ne l’imaginait auparavant, de sorte qu’il devient désormais difficile de réduire les réseaux sociaux à d’innocents partages d’informations personnelles.
Aussi, devant cette interpénétration grandissante du « réel » et du « virtuel », on peut se demander qu’est-ce que Michel Foucault aurait bien pu penser de l’émergence de ce nouveau type de rapports sociaux adaptés à l’univers numérique et désincarné des médias sociaux ? Aurait-il été membre de Facebook ? Par l’exercice de pensée que nous proposons dans ce texte, nous tâcherons de réfléchir aux médias sociaux à l’aune des catégories foucaldiennes de l’aveu et de la discipline. En centrant notre analyse sur le réseau social Facebook, nous tenterons d’abord de montrer comment ce média exacerbe comme jamais l’injonction à produire et à partager des aveux individuels, puis nous nous intéresserons à la manière dont la structure fonctionnelle, autrement dit le squelette de Facebook, configure les aveux recueillis et mécanise les relations de pouvoir entre ses membres. Ultimement, cette analyse du « contenu » (les aveux) et du « contenant » (la mise en forme) propres à Facebook aura pour objectif d’évaluer si des relations de pouvoir ont le potentiel de s’y établir.
Facebook et la technologie de l’aveu
Généalogie de la tradition « avouante »
Dans La volonté de savoir, premier volume de son Histoire de la sexualité, Michel Foucault soutient que la société occidentale est tributaire d’une longue tradition « singulièrement avouante »3.
Au moins depuis le Moyen Âge et principalement par le biais de la confession obligatoire, le sujet est sommé de ressaisir, par un travail introspectif, le moindre de ses désirs, de ses gestes et de ses pensées afin d’en faire le récit détaillé et méticuleux. L’aveu se serait ensuite largement propagé « dans la justice, dans la médecine, dans la pédagogie, dans les rapports familiaux, dans les relations amoureuses, dans l’ordre le plus quotidien, et dans les rites les plus solennels.4 » Ce grand transfert de la confession religieuse à la matrice générale du pouvoir aurait eu lieu dès le XVIème siècle, lorsqu’on a persuadé le sujet que d'autres autorités que le prêtre requerraient l'aveu intégral de ses désirs. Ainsi, que ce soit ses crimes, ses péchés, ses misères ou ses désirs, tout est devenu prétexte à l’aveu, de sorte que, pour Foucault, le sujet occidental en est venu à s’identifier auprès des autres, à se comprendre et à se ressaisir par sa capacité à tenir un discours vrai sur lui-même. Bref, il s’est métamorphosé en une « bête d’aveu »5. Or, cet intérêt généralisé pour l’aveu n’est pas fortuit, car ce dernier est en fait un procédé privilégié dans la production du discours vrai ; la vérité étant garantie par la coïncidence du sujet de l’énoncé et du sujet de l’énonciation. Du processus judiciaire jusqu’à nos rapports les plus intimes, Foucault note que l’aveu « est devenu, en Occident, une des techniques les plus hautement valorisées pour produire le discours vrai »6. Le processus de l’aveu serait également parvenu à persuader l’individu qu’à travers l’introspection, il parviendrait à se connaître lui-même, comme dans son unité pure et immaculée7.
Notre principal rapport au vrai procéderait donc de ce délicat examen de nous-mêmes qui, énigmatiquement, serait censé révéler nos vérités fondamentales, logées au creux de notre conscience, dissimulées derrière le voile opaque des apparences8.
Cela dit, l’aveu n’est pas pour autant une vérité en soi. En fait, il doit impérativement passer, remarque Foucault, par un processus d’interprétation géré par un tiers afin d’accéder au statut de discours vrai. C’est ainsi qu’en Occident, même l’examen le plus intime s’avère étroitement lié à des systèmes de contrôle institutionnels : confession religieuse, examen médical, psychiatrie, psychanalyse, autant d’autorités qui ont placé l’aveu au cœur de leur pratique thérapeutique ou liturgique. Autour de cette mise en discours effrénée s’articule alors un ensemble de relations de pouvoir entre le sujet et ceux et celles qui, parce qu’ils ou elles détiennent une quelconque compétence herméneutique, se déclarent capables d’extraire de ces aveux leurs significations profondes. Cette relation complexe entre confessé-e et confesseur intéressa vivement Foucault, de telle sorte que ses études de 1980, comme le constate Frédéric Gros, « sont comme tendues vers un seul but : montrer comment ces pratiques inscrivent le sujet qui s’y prête, murmurant devant un autre le contenu scruté de son désir, dans un horizon d’obéissance.9 » C’est que dans le dispositif de l’aveu, bien que l’on persiste à exiger de lui qu’il mette en discours sa subjectivité, le sujet n’est plus considéré apte à accéder par lui-même à sa propre vérité. Celle-ci est aliénée dans un autre ; le sujet n’en est plus propriétaire.
Au final, ce désir culturellement et historiquement construit de connaître la vérité sur soi-même incite le sujet à énoncer sans relâche des aveux en présence d’une autorité experte et à se soumettre docilement à son ordonnance.
L’aveu est donc une procédure de subjectivation exemplaire, puisqu’elle permet au sujet de se fabriquer au moyen d’un rapport réglé à un discours vrai dont il constitue lui-même l’objet (une originalité sans précédent). Pareillement, Paul Rabinow et Hubert Dreyfus écrivent que, pour Foucault, le sujet est ainsi progressivement devenu un « objet de connaissance, non seulement pour lui-même, mais aussi pour les autres ; un objet capable de dire la vérité sur lui-même afin de se connaître et d’être connu »10. Avec les médias sociaux, c'est comme si cette technologie de l’aveu, étonnée de ses propres succès, avait accouché de l'ultime dispositif suffisamment puissant et étendu pour non seulement exciter comme jamais l’aveu individuel, mais également pour en récolter la production touffue et débridée.
L’âge d’or de l’aveu sous le règne du web 2.0
Déjà dans La volonté de savoir, Foucault constatait comment l'injonction à avouer, en perdant sa localisation strictement religieuse, avait continué de proliférer et de perfectionner ses techniques11. De là, c’est à se demander si le dernier né de ce processus de raffinement ne serait pas les médias sociaux, puisqu’après tout, n’est-ce pas précisément à l’aveu que Facebook carbure ? Ce média ne permet-il pas à ses membres de divulguer quotidiennement, voire plusieurs fois par jour12, ce qu’ils et elles font et pensent ?
En effet, il semble que l’aveu constitue bel et bien le contenu déterminant de Facebook et que, conformément à notre tradition « avouante », l’exploitation des réseaux sociaux soit en fait corollaire d’un travail assidu et impudique d’exposition de soi au regard des autres13. Du confessionnal à Facebook, la question reste la même : « Qui es-tu ? » Pourtant, une différence demeure entre les réseaux sociaux et l’aveu jadis encadré par le clergé, car après être passé de la figure du prêtre à celle du psychanalyste, il semble qu’avec Facebook, le tiers qui interprète les aveux n’est plus concentré en une seule et même personne, mais qu’il est désormais constitué par l’ensemble des pairs, des « ami-e-s », qui sont d’ailleurs invité-e-s à commenter ad nauseam le moindre aveu virtuel. Nous assistons à une prolifération épidémique des directeurs et directrices de conscience.
Toutefois, dans son principe, Facebook conserve la visée thérapeutique de l'aveu supervisé, où « le vrai, s'il est dit à temps, à qui il faut, et par celui qui en est à la fois le détenteur et le responsable, guérit.14 » Raconter ses histoires de cœur, faire part d'un deuil ou d’une naissance, étaler ses déboires professionnels : l'utilisateur ou l’utilisatrice de Facebook publie en ligne une série d'aveux dans le but d'obtenir en échange les conseils, les encouragements et les bons mots de ses « ami-e- s ». Les membres de Facebook entrent donc en rapport dynamique en s’avouant mutuellement et cette réciprocité est d’ailleurs essentielle, puisque comme l’écrit Foucault, « on n’avoue pas sans la présence au moins virtuelle d’un partenaire qui n’est pas simplement interlocuteur, mais instance qui requiert l’aveu, l’impose, l’apprécie, intervient pour juger, punir, pardonner, consoler, réconcilier »15. Autant dire que Facebook s’apparente à un confessionnal sécularisé et éclaté, qui reconduit les anciennes injonctions à maintenir une introspection continuelle et à alimenter la production d’aveux.
En fait, c’est peut-être même la première fois que la technologie de l’aveu et la volonté de savoir trouvent satisfaction dans des mécanismes aussi sophistiqués et qui restituent avec une telle précision les pensées et les gestes de la vie quotidienne. C’est qu’étant disponible partout et en tout temps, Facebook a acquis le potentiel de s’introduire dans n’importe quel instant de la vie individuelle et collective. Il pourchasse le sujet, même à son insu, même contre son gré, investit son intimité et colonise sa vie sociale, entendant ne lui laisser pratiquement aucun répit. Décidément, en imposant la tâche quasi infinie de se dire à soi-même et aux autres, et ce, aussi régulièrement que possible, c’est la vie au grand complet que Facebook contraint à une existence discursive. On peut désormais obtenir, apprécier et mesurer les pensées les plus singulières et les plus infimes mouvements de l'âme.
D’autant plus que la technologie de l'aveu semble s’être gravée en nous jusqu’à nous faire penser qu'il y avait quelque chose d’authentiquement libérateur dans le fait de mener publiquement son examen de conscience et de placer sa subjectivité sous le regard de l'autre. Pour Foucault, L’obligation à l’aveu nous est maintenant renvoyée à partir de tant de points différents, elle nous est désormais si profondément incorporée que nous ne la percevons plus comme l’effet d’un pouvoir qui nous contraint ; il nous semble que la vérité, au plus secret de nous-mêmes, ne "demande" qu’à se faire jour ; que si elle n’y accède pas, c’est qu’une contrainte la retient, que la violence d’un pouvoir pèse sur elle, et qu’elle ne pourra s’articuler enfin qu’au prix d’une sorte de libération.16
Ainsi, tout ce qui vient brimer cette bienfaisante « liberté d'expression » serait pour nous la véritable manifestation du pouvoir.
Notre imaginaire ayant été façonné par l’hypothèse répressive, on ne peut s’empêcher de se représenter la vérité sur nous-mêmes et la liberté discursive comme les ennemis déclarés du pouvoir coercitif. Inversement, briser le silence et les interdits de langage semble toujours pour nous constituer un acte d’affranchissement. Et pourtant, Foucault nous met sévèrement en garde:
Il faut être soi-même bien piégé par cette ruse interne de l’aveu, pour prêter à la censure, à l’interdiction de dire et de penser, un rôle fondamental : il faut se faire une représentation bien inversée du pouvoir pour croire que nous parlent de liberté toutes ces voix qui, depuis tant de temps, dans notre civilisation, ressassent la formidable injonction d’avoir à dire ce qu’on est, ce qu’on a fait, ce dont on se souvient et ce qu’on a oublié, ce qu’on cache et ce qui se cache, ce à quoi on ne pense pas et ce qu’on pense ne pas penser.17
Bref, ces nombreux rituels de la confidence ne sont pas étrangers au jeu entrecroisé du pouvoir et du savoir, mais constituent plutôt une de ses composantes essentielles. Toutefois, partant de cette affirmation, comment rendre compte du rôle proprement révolutionnaire que ces technologies ont joué par exemple lors du « printemps arabe » ? Est-il raisonnable de penser que Facebook tient lieu de nouveau porte-voix du peuple, qu’il est un redoutable outil démocratique18 ? Plutôt que de s’associer à des relations de pouvoir, il semble que les réseaux sociaux deviennent petit à petit les nouveaux flambeaux de la libre expression dans l’imaginaire collectif, du moins en Occident.
Pourtant, avec ce que Foucault nous a amené à penser de la désormais discutée « libération » sexuelle et de cet « affranchissement » bien relatif du discours sur le sexe19, nous avons raison de nous méfier de cette nouvelle souveraineté discursive que Facebook agite sous nos yeux comme un appât.
Du panoptique à Facebook ?
Si les aveux individuels sont bel et bien le « contenu » de Facebook, sa matière, encore nous reste-t-il à examiner comment ce média opère afin d’organiser, d’archiver et de configurer les aveux partagés. Autrement dit, de quelle manière Facebook met-il en forme ce contenu ? Cette étude du « contenant », de la structure formelle de Facebook, sera menée en vue de répondre à une question précise : avons-nous raison de penser que les médias sociaux s’inscrivent dans une relation de continuité avec la société disciplinaire théorisée par Foucault ? Pour mieux illustrer ce rapprochement insolite, nous allons notamment comparer Facebook avec l’architecture archétypale de la société disciplinaire, un modèle que Foucault décrivait comme indéfiniment généralisable20, à savoir le panoptique21. Aussi, bien que ce dernier soit une structure matérielle, nous tâcherons de mettre en lumière les nombreuses similarités que Facebook entretient avec cette utopie carcérale.
Aurions-nous troqué le panoptique pour Facebook ? Pour le savoir, il sera d’abord question des concepts de visibilité et de surveillance. Nous nous intéresserons ensuite aux procédures d’individualisation et d’objectivation, ainsi qu’aux caractéristiques de l’encore hypothétique « pouvoir facebookien ».
Sous l’emprise de l’œil
Dans Surveiller et punir, Foucault établit que la discipline a pour but d’ « assurer l’ordonnance des multiplicités humaines22 » et fait du regard un de ses ressorts essentiels. En effet, « c’est le fait d’être vu sans cesse, de pouvoir toujours être vu, qui maintient dans son assujettissement l’individu disciplinaire.23 » Avec plus de 845 millions de membres actifs24, il n’est d’ailleurs pas surprenant de constater que le regard des autres joue un rôle de premier plan à l’intérieur de Facebook. En vérité, un profil Facebook peut être consulté n’importe quand et par plus ou moins n’importe qui, plaçant finalement son contenu sous une surveillance continuelle. À cela s’ajoutent les mécanismes structurels de Facebook, qui ne manquent pas de soigneusement documenter la quasi intégralité des activités de ses membres. Si bien que les actions les plus anodines (nouvelles amitiés, commentaires, ajout ou retrait d’une application, changement de photographies, etc.) sont chronologiquement répertoriées sur le profil et divulguées à l’ensemble du réseau associé. Facebook repose donc sur une économie où les processus de scrutation suivent la décomposition temporelle des gestes et des habitudes virtuelles dans leur moindre détail. Dès lors, il devient possible de reconstituer heure par heure l’usage fait de Facebook, ce dernier se transformant en un véritable microscope de la conduite virtuelle.
Cet étalage ininterrompu contraint alors le sujet à devenir son propre gardien, à pratiquer activement une certaine forme d’autocensure ou du moins à gérer sa page de manière scrupuleuse et vigilante. Avec Facebook, le sujet développe une conscience aiguë de sa permanente disponibilité au regard et normalise attentivement son profil informatique en conséquence.
On peut cependant rétorquer que dans le cas d’un véritable dispositif disciplinaire, le panoptique par exemple, la conduite de la personne détenue elle-même, et non celle d’un avatar virtuel, finit par être intimement conditionnée. En revanche, quel contrôle disciplinaire peut-on réellement imputer aux réseaux sociaux qui, après tout, n’existent que dans une sphère immatérielle ? À vrai dire, Facebook oblige également l’adoption de certaines restrictions quant à la conduite physique de ses utilisateurs et utilisatrices dans le monde « réel », puisque plane toujours le danger d’une « fuite virtuelle ». L’astuce réside dans le fait que les membres de Facebook ne mettent pas seulement en ligne leurs propres photographies, mais aussi celles de leurs ami-e-s et parfois même celles d’inconnu-e-s25. De même, considérant la prolifération générale des appareils photo, ceux-ci étant désormais incorporés à pratiquement tout objet technologique, les chances de se retrouver involontairement représenté-e à l’intérieur de Facebook sont considérables.
De la multiplicité des membres singuliers qui se relayent sans cesse naît alors une attention homogène, un « œil parfait auquel rien n’échappe et vers lequel tous les regards sont tournés26 », de sorte que se dérober à la vigilance des regards entrecroisés exige un effort constant et des précautions permanentes. Comme dans l’architecture panoptique, nous reconduisons nous-mêmes les effets de pouvoir « puisque nous en sommes un rouage »27.
En fin de compte, non seulement le sujet est-il contraint d’adopter une attitude vigilante vis-à-vis son profil, mais il doit également se montrer attentif jusque dans son comportement réel. En convertissant ses millions d’usagers et d’usagères en paparazzis bénévoles, c’est à de sournoises procédures d’observation que Facebook les soumet. Ainsi, alors que le panoptique interdisait la communication entre les cellules, il semble que les réseaux sociaux agissent quant à eux comme d’insistants encouragements à la délation réciproque, puisqu’on y témoigne des autres sans leur consentement et parfois même à leur désavantage28. Facebook relève de procédés de contrôle aux engrenages subtils, mais éminemment efficaces, où une autorité anonyme – le regard de l’autre – entraîne un double mouvement, soit, d’une part, un autoconditionnement du sujet et, de l’autre, une invitation à toujours demeurer à l’affût des dernières nouvelles de la communauté du réseau.
Dans ces conditions, le sujet devient malgré lui à la fois voyeur et exhibitionniste ; il lui est continuellement permis de voir et d’être vu en retour. Les membres entretiennent donc entre eux des rapports étroits et toute cette communauté flirte avec elle-même dans un état d’espionnage mutuel et de paranoïa contrôlée.
D’autant plus que, considérant son omniprésence dans les sphères publique et privée, c’est à croire que Facebook est devenu le nouveau point central des relations de pouvoir, la machine qui, comme le dit Foucault au sujet du panoptique, est « à la fois source de lumière éclairant toutes choses, et lieu de convergence pour tout ce qui doit être su.29 » Sous cet angle, il est tentant d’assimiler Facebook au type d’appareillage disciplinaire décrit par Foucault et où « l’exercice de la discipline suppose un dispositif qui contraigne par le jeu du regard ; un appareil où les techniques qui permettent de voir induisent des effets de pouvoir »30. Ce jeu délicat entre observation et dévoilement n’est cela dit pas suffisant pour établir que Facebook s’apparente bel et bien à un dispositif disciplinaire. En fait, pour mériter ce vocable, encore faut-il que, au même titre que le panoptique, Facebook parvienne à capter l’individualité qu’il observe pour en faire un objet de savoir. C’est pourquoi nous étudierons comment Facebook aménage l’espace et exploite la procédure de l’examen afin de réaliser une objectivation du sujet comme entité intelligible et quantifiable.
Examen et quadrillage : l’objectivation du sujet
Pour Foucault, l’examen est une procédure centrale du dispositif disciplinaire, car il permet :
[…] la constitution du sujet comme objet descriptible, analysable, non point cependant pour le réduire en traits « spécifiques » […], mais pour le maintenir dans ses traits singuliers, dans son évolution particulière, dans ses aptitudes et ses capacités propres, sous le regard d’un savoir permanent ; et d’autre part la constitution d’un système comparatif qui permet la mesure de phénomènes globaux, la description de groupes, la caractérisation de faits collectifs, l’estimation des écarts des individus les uns par rapport aux autres, leur répartition dans une « population ».31
Tout comme l’examen, Facebook transforme lui aussi chaque individu en « cas », en objet de connaissance singulier, sur lequel le pouvoir peut avoir prise. Mettant en branle de nombreux mécanismes d’enquête intrusifs, Facebook permet de fixer les différences individuelles et d’assigner à chacun sa singularité. Rappelons que, pour Foucault, si l’autorité fut jadis synonyme de marquage et de reconnaissance, à présent l’individualisation maximale ne se fait plus dans les classes supérieures de la société, mais investit l’ensemble du corps social : « les procédés disciplinaires abaissent le seuil de l’individualité descriptible et font de cette description un moyen de contrôle et une méthode de domination. Non plus monument pour une histoire future, mais document pour une utilisation éventuelle.32 » Autrement dit, si le fait d’être regardé-e, observé-e dans le détail, suivi-e au jour le jour par une écriture ininterrompue faisait autrefois office de privilège, la société disciplinaire enregistre mécaniquement, presque sans distinction, les pensées et les gestes les plus banals de la vie quotidienne.
L’appareil de mise en écriture n’est plus au service d’une histoire monumentale ou d’un processus d’héroïsation, mais fonctionne plutôt comme une procédure d’assujettissement et d’objectivation de la collectivité. Archivé, immatriculé et compilé dans des bases de données, le sujet pénètre alors le champ documentaire où son individualité est captée, fixée, mesurée33. Pareillement, dans Facebook, le sujet est toujours scruté et enregistré avec plus d’attention.
Par exemple, depuis août 2010, Facebook offre l’application « Lieux », qui épie les déplacements de ses membres en temps réel. Seulement, même sans activer cette option spécifique, Facebook – et peut-être encore davantage Twitter – constitue un puissant outil de pistage. Effectivement, en plus de fournir sa localisation globale (pays, ville, quartier), l’utilisateur ou l’utilisatrice a la possibilité de rendre disponible une liste sommaire de ses établissements favoris, l’emplacement de son employeur-e, le nom de son institution scolaire, tout cela jumelé aux nombreuses informations périphériques fournies par sa liste d’ami-e-s. Au final, cette banque d’informations octroie la possibilité de tracer autour du sujet ce qu’on pourrait appeler un « périmètre d’activité » plus ou moins étendu et dans lequel pratiquement n’importe quel internaute un tant soit peu curieux devient en mesure de le situer. Plutôt que l’espace restreint de la cellule du panoptique, qui contraignait physiquement, où le pouvoir était anatomique et s’exerçait de façon manifeste, Facebook accumule insidieusement, comme par déduction, un savoir sur les déplacements des corps dans l’espace. Ainsi, plutôt que de limiter les mouvements des sujets, le dispositif se satisfait désormais de simplement connaître, en permanence, l’emplacement géographique des utilisateurs et utilisatrices.
Cependant, Facebook ne se contente pas de talonner ses membres dans l’espace, mais cherche aussi à mettre fin à leur anonymat.
Dans ce but, Facebook leur permet d’adhérer à différents groupes d’intérêt et de former ainsi des micro- communautés fédérées par leur amour partagé de la crème glacée, de partis politiques, etc. En moyenne, un membre Facebook est d’ailleurs affilié à 80 groupes34. En parcourant ces nombreuses grilles « individualisantes », le sujet achève la décomposition de sa propre subjectivité, il se met lui-même en forme et devient un objet de savoir intelligible et facilement consommable puisqu’ordonné en diverses catégories : ami-e-s, musique, cinéma, littérature, relation amoureuse, croyances religieuses, statut civil, allégeances sportives, etc. Autant dire que Facebook s’apparente à un gigantesque sondage, à un examen suivi, qui vomit sans relâche une ribambelle de questionnaires afin d’identifier au maximum le sujet de sa gouverne35.
Cela dit, cet éventail de spécificités individuelles demeure tout de même différencié par le mécanisme du « Like ». En effet, les usagers et usagères de Facebook sont invité-e-s à manifester leur opinion sur pratiquement l’ensemble du profil de leurs « ami-e-s » (photos, vidéos, commentaires, groupes, etc.), chaque élément affichant ostensiblement le nombre de « Like » obtenu. Aussi, bien que les évaluations et les contrôles semblent réduits à l’approbation naïve (l’option « Dislike » n’existant tout simplement pas), c’est le silence et l’impopularité qui font office de désaccord. Dans ce système méthodique de micro- gratifications, la pression au conformisme peut prendre des proportions inouïes.
Finalement, bien que chacun et chacune soient invité-e à s’exprimer et à s’exposer, les adeptes de Facebook tendent spontanément vers l’homogénéité et exercent sur leurs pairs des actions normalisatrices, qui permettent d’établir les normes de conformité des réseaux.
Il reste que l’ « identité » qui découle de ces processus demeure reconnue et fermement authentifiée par le membre en question. Par exemple, ce dernier ne se prive pas de pimenter son profil de photographies authentiques, de lui faire porter son vrai nom et de l’agrémenter d’une multitude de particularités qui lui procurent une « personnalité » censée parfaitement lui correspondre36. Si bien que plusieurs adeptes s’identifient à cette représentation, attestent de sa vérité, bref gèrent leur profil avec un sérieux exemplaire. C’est dire que Facebook, contrairement à d’autres plateformes virtuelles (le jeu Second Life par exemple), ne propose pas une dissolution de l’identité réelle du sujet : il prétend plutôt devenir son exacte et fidèle extension virtuelle. Enfin, par ces techniques de localisation, de construction identitaire, de notation et d’enregistrement, non seulement Facebook introduit-il l’individualité dans le champ de l’observation, mais il la fixe dans un réseau de codifications objectives. Les sujets « facebookiens » se fichent et se fabriquent eux-mêmes en unités parfaitement individualisées, typées et constamment visibles.
À ce chapitre, le traitement de l’espace a aussi son importance. C’est-à-dire que pour Foucault, l’organisation interne de la technologie disciplinaire – notamment dans le cas du panoptique – repose sur une division spatiale en unités régulières et uniformes : « à chaque individu sa place ; et en chaque emplacement, un individu.37 » Dans Facebook, c’est également le quadrillage rigoureux de l’interface virtuelle qui permet d’observer avec précision chaque sujet individuel et de le comparer aux autres. Le cadre formel du profil Facebook est le même pour tous et toutes (emplacement du nom, des photos, organisation des informations, etc.) ce qui permet de distribuer les données récoltées de façon homogène et harmonieuse. Cette accumulation systématique de données sur le sujet permet ensuite de mettre en corrélation des éléments disparates, de former des catégories, d’établir des statistiques, de fixer des normes et des moyennes, etc.
D’ailleurs, Facebook ne rougit pas du libre usage qu’il fait de cette précieuse banque de renseignements privés : « En publiant un contenu utilisateur en tout ou partie sur le site, vous concédez expressément à Facebook d’utiliser, copier, représenter, diffuser, reformater, traduire, extraire en tout ou partie et distribuer ce contenu utilisateur.38 » Facebook n’est donc ni passif ni désintéressé vis-à-vis ses membres, car il s’accapare jalousement les données recueillies et permet des pratiques systémiques à grande échelle de collecte, de stockage et de manipulation des renseignements personnels. En s’appropriant sans vergogne jusqu’à la moindre virgule du « contenu utilisateur », Facebook compose ainsi une collection d’individus soigneusement ordonnée, qui permet ensuite de les répartir les uns par rapport aux autres selon leurs caractéristiques. Comme l’écrit Foucault, dans la société disciplinaire, « la belle totalité de l’individu n’est pas amputée, réprimée, altérée par notre ordre social, mais l’individu y est soigneusement fabriqué »39.
Ainsi, tout en célébrant l’individualité irréductible de chacun, Facebook opère une « formalisation » des particularités de celle-ci en la transformant en objet de savoir objectif, en données comptabilisables.
À l’instar du panoptique, Facebook constitue un mécanisme qui permet de répartir les individus les uns par rapport aux autres, de les localiser, d’établir des hiérarchies et d’aménager efficacement le noyau central et les réseaux de pouvoir. Or, si le panoptique en est intégralement pénétré, qu’en est-il justement du pouvoir dans Facebook ?
Un pouvoir « facebookien » ?
Tout compte fait, on peut vraisemblablement avancer l’hypothèse que Facebook parvient à administrer une certaine forme de discipline aux populations, ou du moins à faire planer sur elles la sensation d’un regard constant, tout en faisant l’économie d’une quelconque violence corporelle. Les membres de Facebook sont ordonnés, transformés et surveillés avec une économie de moyens impressionnante. Toutefois, cette subtilité du pouvoir ne doit pas être interprétée comme un indice de son affaiblissement, voire de son inexistence. Bien au contraire, comme Foucault l’a montré dans Surveiller et punir, plus le pouvoir tend à l’incorporel et plus ses effets sont constants, profonds et incessamment reconduits. Suscitant peu de résistance, le pouvoir propre aux disciplines connaît alors une perpétuelle victoire tout en évitant sournoisement le moindre accroc physique. Foucault relatait ainsi ce paradoxe :
[Le] pouvoir disciplinaire [est] à la fois absolument indiscret, puisqu’il est partout et toujours en éveil, qu’il ne laisse en principe aucune zone d’ombre et qu’il contrôle sans cesse ceux-là mêmes qui sont chargés de contrôler ; et [il est aussi] absolument “discret”, car il fonctionne en permanence et pour une bonne part en silence.40
Cette « discrétion » du pouvoir constitue d’ailleurs une nouveauté moderne, car avant l’âge classique, le pouvoir inhérent à la société médiévale et à l’État monarchique était paradé et exhibé au grand jour. À l’inverse, le pouvoir disciplinaire fait radicalement décroître les inconvénients associés à un pouvoir ostentatoire (et donc encombrant) en renversant les rôles : c’est lui désormais qui se dérobe à la lumière pour imposer la plus grande visibilité à ses objets de contrôle. C’est ce type de relations de pouvoir, maintenant affranchi de ses formes soudaines, violentes et officielles, que l’on peut potentiellement reconnaître dans Facebook.
Sans compter que dans la société disciplinaire, non seulement le pouvoir est-il diffus et incorporel, mais la population carcérale n’est plus le seul objet de surveillance41. En effet, selon Foucault, dans la société disciplinaire, les mécanismes d’observation sont étendus, ils ont déployé leurs tentacules, pour faire de la société entière une masse contrôlée, docile et efficace. Justement, avec Facebook et ses tendances inclusives, inutile de fréquenter l’école, la caserne ou l’hôpital, nul besoin d’introduire une institution réelle : posséder une connexion internet suffit à vous faire pénétrer dans l’espace disciplinaire. Si la détention disciplinaire était autrefois le fait des exclu-e-s (enfant, malade, prisonnier, etc.), avec Facebook, tout internaute a la possibilité de déverser sa subjectivité sur la toile et d’en recevoir les effets. Dispositif désincarné et accueillant, Facebook aspire à devenir le prolongement direct, l’équivalence naturelle de notre propre existence. En somme, les principales caractéristiques du pouvoir « facebookien » (indolore et « démocratisé ») correspondent à deux des traits fondamentaux que Foucault reconnaissait volontiers au pouvoir plus léger et plus furtif de la société disciplinaire.
Conclusion : Les limites de la lecture foucaldienne pour la compréhension des réseaux sociaux
Devant de pareils constats, il peut être tentant de penser que c’est avec Facebook que s’épanouit véritablement la société disciplinaire et qu’est atteint le point culminant de la surveillance, la « discipline indéfinie » décrite par Foucault comme :
[...] un interrogatoire qui n’aurait pas de terme, une enquête qui se prolongerait sans limites dans une observation minutieuse et toujours plus analytique, un jugement qui serait en même temps la constitution d’un dossier jamais clos, la douceur calculée d’une peine qui serait entrelacée à la curiosité acharnée de l’examen.42
Pourtant, bien que nous ayons effectivement constaté que Facebook dépendait du processus de l’aveu et qu’il semble se déployer suivant une logique semblable à celle du panoptique, il est toutefois difficile d’en faire un symptôme effectif de la société disciplinaire ou un lieu privilégié de relations de pouvoir, puisque contrairement aux technologies étudiées par Foucault, les réseaux sociaux sont le fruit d’adhésions libres. Bien entendu, on peut spéculer que si l’inscription à Facebook prenait la forme d’une obligation stricte, que si nous étions sommé-e-s de nous y rapporter périodiquement, peut-être aurions-nous alors le sentiment d’avoir bel et bien pénétré une structure disciplinaire et coercitive. Or, tant et aussi longtemps que les médias sociaux nécessiteront notre consentement volontaire, et on peut parier que ce sera toujours le cas, ils ne pourront véritablement contraindre et contrôler de façon aussi concrète que le fait par exemple une cellule de pénitencier ou le diagnostic d’un psychiatre.
De plus, les deux pouvoirs potentiels que nous avons identifiés, soit celui pratiqué par les pairs via le mécanisme de l’aveu et celui déployé par Facebook dans son travail de captation des individualités, doivent eux aussi être nuancés. D’une part, les pairs auront beau exercer une certaine pression sur un sujet, celle-ci se bornera à être celle du conformisme. De même, comme seule la « réputation virtuelle » de l’individu est en jeu, la sévérité des sanctions est évidemment moindre que lorsque le contrôle est assuré par une autorité possédant les moyens de sévir contre la désobéissance (geôlier, patron, professeur, etc.). D’autre part, Facebook est avant tout une entreprise à but lucratif, motivée par des intérêts commerciaux (3,7 milliards en revenu pour l’année 201143). Bien qu’il entretienne une relation inédite avec l’identité et la subjectivité de ses membres, Facebook demeure orienté vers un seul objectif conscient : l’expansion du site et sa rentabilité financière. Le savoir accumulé à propos des utilisateurs et utilisatrices est donc vendu à prix fort à des entreprises tierces, et ce, moins dans l’intention de contrôler les sujets que de mieux cibler leurs profils de consommation. Facebook le reconnaît à mots à peine couverts en indiquant que les données extraites des profils leur permettent notamment « de personnaliser les publicités et promotions que nous vous proposons sur Facebook.44 »
Assurément, Facebook et le panoptique présentent malgré tout plusieurs similarités : ils constituent tous deux des architectures complexes et en grande partie automatisées, qui proposent un mode de connaissance des sujets. Seulement, le panoptique est animé par une volonté explicite de domination des détenu-e-s, mobile qui fait défaut à Facebook.
Voilà pourquoi il faut bien admettre que, quoique la possibilité existe in abstracto, la matérialisation concrète du pouvoir « facebookien » est encore relativement anodine. Il serait en effet audacieux de prêter à cette interface virtuelle des intentions cachées ou malveillantes à l’égard de ses membres (outre que d’en tirer profit, évidemment). Par conséquent, afin d’éviter de sombrer dans la « paranoïa structurelle », écueil principal du libre usage des outils critiques foucaldiens, nous devons reconnaître que l’assujettissement engendré par Facebook est somme toute négligeable. Il est par contre légitime de penser que Facebook se présente faussement lorsqu’il affirme n’être qu’un site de réseautage social45, étant entendu que ses bénéfices sont essentiellement générés par ce qui est en passe de devenir la plus grosse banque de données privées au monde ; une activité qui n’est pas clairement explicitée et qui demeure souvent méconnue par les membres ainsi détroussés 46.
De là, avant de célébrer les réseaux sociaux ; de les assimiler à de nouveaux espaces publics plus libres ou à des outils raffinés de contestation sociale ; avant de placer en eux nos espoirs pour une éventuelle « mobilisation numérique », voire une « révolution digitale »47, peut-être vaut- il mieux s’interroger sur les réseaux sociaux eux-mêmes et décortiquer les volontés et les intérêts qui les alimentent. Une chose est sûre, l’héritage théorique foucaldien encourage à adopter une certaine vigilance critique envers ces appareillages, qui donnent la licence de s’exposer continuellement et qui nous coincent dans des mécanismes de surveillance que nous détectons mal. Cette intrusion dans la vie privée, tâche qui – il n’est pas inopportun de s’en souvenir – fut autrefois accomplie par les agents et agentes de renseignements des États totalitaires, commande l’élaboration d’une position critique. Aussi est-il de notre devoir de briser l’indifférence générale et le consensus tacite qui règnent jusqu’ici, en gardant vivante cette question à notre esprit : Foucault aurait-il été membre de Facebook ?
Notes :
1 DEGLISE, Fabien. « La mort annoncée du courriel », Le Devoir, 20 février 2012,
<http://www.ledevoir.com/societe/medias/343124/la- mort-annoncee-du-courriel>, (page visitée le 9 mars 2012).
2 MEIKLE, James. « Twitter is harder to resist than cigarettes and alcohol, study finds », The Guardian, 3 février 2012,
<http://www.guardian.co.uk/technology/2012/feb/03/twitter-resist- cigarettes-alcohol-study>, (page visitée le 11 mars 2012).
3 FOUCAULT, Michel. La volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 79.
4 Idem.
5 Ibid., p. 80.
6 Ibid., p. 79.
7 L’individu pense ainsi accéder à une intelligibilité jusqu’alors inconnue de ce qu'il est véritablement en tant que sujet. L’aveu fait donc partie d’un processus de « devenir sujet », il constitue un mode de subjectivation. Voilà pourquoi, selon Foucault, l’aveu contribue à l’assujettissement des hommes dans le sens de leur « constitution comme “sujets” aux deux sens du terme ». (La volonté de savoir, op. cit., p. 81) Cf. FOUCAULT, Michel. « Deux essais sur le sujet et le pouvoir », dans DREYFUS, Hubert et Paul RABINOW. Michel Foucault, Un parcours philosophique, Paris, Gallimard, 1984, pp. 287-308.
8 FOUCAULT, Michel. La volonté de savoir, op. cit., p. 80.
9 GROS, Frédéric. « Le gouvernement de soi », Sciences humaines, n° 3, mai- juin 2005, p. 35.
10 DREYFUS, Hubert et Paul RABINOW. op.cit., p. 251.
11 FOUCAULT, Michel. La volonté de savoir, op. cit., p. 85.
12 La moitié des membres de Facebook se connecte au moins une fois par jour. Facebook Press, « Statistics »,
<http://www.facebook.com/press/info. php?statistics>, (page visitée le 28 février 2012).
13 FERRANT, Alexis. Confidents: une analyse structurale de réseaux sociaux, Paris, L’Harmattan, 2007, 187 p.
14 FOUCAULT, Michel. La volonté de savoir, op. cit., p. 90.
15 Ibid., p. 83.
16 Ibid., p. 80.
17 Ibid., p. 81.
18 Sur ces questions, voir par exemple: JOCHEMS, Sylvie et Maryse RIVARD. « TIC et citoyenneté : de nouvelles pratiques sociales dans la société de l’information », Nouvelles pratiques sociales, vol, 21, no 1, pp. 19-37.
19 FOUCAULT, Michel. La volonté de savoir, op. cit., p. 211.
20 Pour Foucault, le panoptique est « un modèle généralisable de fonctionnement ; une manière de définir les rapports de pouvoir avec la vie quotidienne des hommes ». Il est une « technologie politique qu’on peut et qu’on doit détacher de tout usage spécifique. » FOUCAULT, Michel. Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, p. 206-207.
21 Imaginé par Bentham au XVIIIème siècle, le panoptique est une prison construite de manière à ce qu’un individu logé dans une tour centrale puisse observer tous les prisonniers enfermés dans des cellules individuelles disposées autour de la tour. L’attrait majeur du panoptique était qu’il induisait chez le détenu un état conscient et permanent de visibilité, ce dernier ne sachant jamais à quel moment il est observé. L’effet recherché était d’inculquer une certaine forme d’autodiscipline aux prisonniers. FOUCAULT, Michel. « L’œil du pouvoir », préface à Jeremy BENTHAM, Le panoptique, Paris, Belfort, 1977, 221 p.
22 FOUCAULT, Michel. Surveiller et punir, op. cit., p. 254.
23 Ibid., p. 220.
24 Facebook Press, « Statistics », <http://www.facebook.com/press/info.ph p?statistics>, (page visitée le 28 février 2012).
25 En vérité, avec « shadow profiles », c’est-à-dire des ensembles de données stockées par recoupement sur les non-membres, il ne serait même plus obligatoire de s’inscrire à Facebook pour y être néanmoins fiché-e. Autre donnée inquiétante: il apparaît également que l’ensemble des conversations ou photos effacées par les utilisateurs et utilisatrices est malgré tout conservé dans les données détenues par Facebook. BROWN, Jesse. « Think you’re not on Facebook ? Think again. », Maclean’s, 19 octobre 2011,
<http://www2.macleans.ca/2011/10/19/think-youre-not-on-facebook- think-again/>, (page visitée le 9 mars 2012).
26 FOUCAULT, Michel. Surveiller et punir, op. cit., p. 204.
27 Ibid., p. 253.
28 Le danger de cette exposition est réel et les membres de Facebook risquent parfois gros lorsqu’ils sous-estiment la portée de leur « réputation virtuelle ». En fait, une étude menée par la Northern Illinois University a démontré que l’espionnage du profil Facebook est une stratégie de plus en plus populaire auprès des employeurs qui désirent en connaître davantage sur leur personnel. Cet intérêt n’est pas innocent, puisqu’une page Facebook jugée inappropriée est souvent un motif suffisant pour justifier un licenciement. Raison de plus pour inciter les adeptes de Facebook à se départir de photos compromettantes et à restreindre l’accès à leur profil. KLUEMPER, Don et al. « Social Networking Websites, Personality Ratings, and the Organizational Context: More Than Meets the Eye? », Journal of Applied Social Psychology, février 2012, 30 p.
29 Ibid., p. 204.
30 Ibid., p. 201.
31 Ibid., p. 223.
32 Ibid., p. 224.
33 Ibid., pp. 217-227.
34 Facebook Press, « Statistics », <http://www.facebook.com/press/info.ph p?statistics>, (consulté le 28 février 2012).
35 Les intentions qui motivent ce minutieux travail d’individualisation ne font aucun doute : constituer un réservoir de données personnelles destiné aux firmes de publicités. C’est d’ailleurs cette étroite collaboration de Facebook avec les entreprises privées que promeut explicitement son système « Sponsored Stories », dévoilé en janvier 2011. Cet outil optionnel vise à stimuler le bouche-à-oreille sur les produits et services en diffusant les « Like » et les emplacements géographiques des membres, transformant ces derniers en véritables annonceurs publics.
36 Et ce souci de correspondance semble porter fruit, puisqu’un profil Facebook dresserait un portait des capacités et de la personnalité de l’individu plus authentique que ne le font par exemple les tests standardisés du genre QI. KLUEMPER, Don et al. op. cit., pp. 5-7.
37 FOUCAULT, Michel. Surveiller et punir, op. cit., p. 144.
38 Politique d’utilisation des données,<http://www.facebook.com/press/info.p hp?statistics>, (page visitée le 28 février 2012).
39 FOUCAULT, Michel. Surveiller et punir, op. cit., p. 253.
40 Ibid., p. 208.
41 Ibid., p. 251.
42 Ibid., p. 264.
43 DESJARDINS, François. « Amis et actionnaires : En Bourse, Facebook espère récolter 5 milliards », Le Devoir, 2 février 2012,
<http://www.ledev oir.com/economie/actualites-economiques/341586/amis-et-actionnaires- en-bourse-facebook-espere-recolter-5-milliards>,
(page visitée le 12 mars 2012).
44 Politique d’utilisation des données, <http://www.facebook.com/about/priva cy/your-info#howweuse>, (page visitée le 12 février 2012).
45 Sans faire mention des avantages financiers qu’elles en tirent, les personnes qui programment Facebook décrivent ainsi leur « service » sur la page d’accueil du site : « donner aux gens le pouvoir de partager et de rendre le monde plus ouvert et plus connecté. ».
46 De plus en plus de membres sont d’ailleurs préoccupés par le respect de leur vie privée et des dérives que les médias sociaux peuvent occasionner. Un sondage mené auprès de la population étasunienne par le Pew Research Center fait effectivement état d’une proportion grandissante d’internautes qui retranchent de leur profil des informations et en restreignent l’accessibilité, des stratégies menées dans l’espoir avoué d’augmenter la protection de la vie privée. Plus précisément, en 2011, 37% des personnes sondées affirmaient avoir parfois retiré la fonction permettant de les identifier sur des photographies (le « tag »), 44% soutenaient avoir éliminé des commentaires et pas moins de 63% assurent avoir entamé un ménage de leur liste d’ami-e-s. Les résultats de cette enquête, sont disponibles en ligne :
<http://www.pewinternet.org/Reports/2012/Privacy-management-on- social-media.aspx?src>, (page visitée le 22 février 2012).
47 SAADA, Julien. « Révoltes dans le monde arabe – Peut-on parler d’une révolution Facebook ? », Le Devoir, 2 février 2011,
<http://www.ledevoir.com/international/actualites- internationales/315879/revoltes-dans-le-monde-arabe-peut-on-parler-d- une-revolution-facebook> (page visitée le 15 mars 2012).
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