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Dans un livre paru en 2005 [1], Janet Afary et Kevin B. Anderson
soutiennent que Foucault s’est montré très enthousiaste
vis-à-vis de la révolution iranienne et expliquent
cela par les constituants de son discours nietzchéen-heideggerien
qui a tendance à privilégier les ordres sociaux traditionnels
plutôt que la modernité prônée par les
marxistes ou les libéraux. D’autres auteurs comme Bernard
Ulmann [2] n’hésitent pas à rapprocher l’enthousiasme
de Foucault de l’enthousiasme de Sartre pour la dictature
communiste. Le problème est que si Foucault s’est intéressé
de très près au phénomène révolutionnaire
en Iran, donnant au Corriere della sera une série d’articles
dont l’ambition – il faut le souligner – était
journalistique, il ne s’est pas intéressé avec
la même acuité aux conséquences politiques de
la révolution. Autrement dit, Foucault n’a pas fait
un travail d’historien du futur, selon sa propre expression
mais une analyse de ce qui était en train de se passer. Dans
ce contexte, peut-on lui reprocher un enthousiasme pour la révolution
iranienne ? Si c’est le cas faut-il en conclure qu’il
a soutenu, comme Sartre soutenait le communisme soviétique,
un gouvernement islamique despotique ?
Nous sommes donc aller lire les articles que Foucault a écrit
sur la révolution à la recherche de cette position
enthousiaste vis-à-vis de la Révolution iranienne.
Concrètement que lui est-il reproché ? De ne pas avoir
prévenus des risques liberticides que faisaient planer une
révolution islamique sur l’Iran en se laissant prendre
par les événements, fascinés par la foule.
Il est vrai que Foucault parle souvent de « volonté
collective d’un peuple » et d’un même «
souffle religieux » qui innervait les manifestants. Malgré
cela, jamais Foucault n’a reconnu avoir soutenue un quelconque
régime islamique despotique, ni même s’être
laissé aveuglé par la fascination qu’exerçait
sur lui les événements. Mieux encore : il a écrit
d’autres articles pour s’expliquer, pour faire comprendre
quel était l’objectif de son travail.
Nous allons donc voir ici ce que les critiques ont cru comprendre
de Foucault et montrer pourquoi cela les a conduit à mal
interpréter ce qu’il a fait lors de ses reportages
sur l’Iran. Mais nous tenterons également de dégager
les ambiguïtés qui parfois rendent les articles de Foucault
susceptible d’une mauvaise interprétation. Pour cela
nous allons tout d’abord faire une analyse historique de la
révolution islamique, qui est précisément le
type de travail que les lecteurs occidentaux attendaient de Foucault,
mais dont justement il voulait s’écarter. Ensuite,
nous montrerons en quoi le travail de Foucault en Iran se voulait
d’abord journalistique et pour une part philosophique, davantage
que sociologique ou historique, notamment en comprenant ce qu’il
entend par les « reportages » d’idée, expression
qu’il utilisait lui-même pour qualifier son travail.
Enfin nous essaierons de défendre Foucault dans une apologie
contre ses critiques qui disqualifient un peu rapidement un point
de vue scientifique, rationnel et rigoureux en jouant sur des «
effets d’opinion » et en évitant le véritable
débat sur la méthode de Foucault qui pourrait créer
des résultats plus riches : des « effets de savoir
».
I. Une histoire de la révolution
A. La révolution iranienne
En 1979 éclate la Révolution iranienne qui transforme
l’Iran en république islamique : l’Iran devient
une république théocratique islamique dirigée
par l’Ayatollah Rouhollah Khomeiny. Auparavant l’Iran
était une monarchie constitutionnelle autoritaire où
régnait le Chah Mohammad Reza Pahlavi. Le gouvernement précédent
était caractérisé par son allégeance
vis-à-vis des occidentaux, et notamment des Etats-Unis grâce
auxquels Pahlavi a pu parvenir au pouvoir en 1953.
Tout au long de l’année 1978, on assiste à
une montée de l’opposition, principalement due à
l’implication croissante des groupes islamiques contre le
Chah. Michel Foucault se rendra en Iran vers la fin de l’année
1978, à deux reprises : du 16 au 24 septembre 1978 et deux
mois plus tard du 9 au 15 novembre 1978. Durant ces deux séjours,
Foucault commente pour le quotidien italien Corriere della sera
la chute du Chah et ce qui lui parait fondamental : l’événement
d’une révolte populaire.
On peut dater le début du soulèvement de la population
à la suite de la répression d’une manifestation
d’étudiants et de meneurs religieux dans la ville de
Qom le janvier 1979. Cette manifestation fait suite à la
parution dans un journal gouvernemental, d’un article injurieux
envers l’imam Khomeyni, exilé depuis 1963, à
Nadjaf, en Irak. Le Chah la réprime dans le sang en envoyant
l’armée faisant ainsi plusieurs morts parmi les étudiants.
Comme les coutumes chiites exigent un deuil de 40 jours en mémoire
des morts, tout au long du mois de février, se tiennent des
marches mortuaires qui sont aussi l’occasion de manifester
contre le régime iranien en place. Le cycle de violence se
perpétue et, à nouveau, l’armée tire
dans la foule faisant des centaines de morts. Ce cycle ne s’interrompra
plus jusqu’à l’exil du Chah en Egypte le 16 janvier
1979. Un autre événement va précipiter le soulèvement
en masse de la population le 19 août 1978. Il s’agit
de l’incendie du cinéma Rex de la ville d’Abadan
qui fait 377 victimes. On y projetait le film montrant la contestation
paysanne, film longtemps interdit. La population dénonce
une provocation des services spéciaux.
Comme Paul Veyne, on peut distinguer ce qui relève des causes
profondes et ce qui est plus propre aux causes superficielles. Les
causes profondes sont le contexte politique : on a un gouvernement
despotique, entretenant des relations étroites avec l’Occident,
rongé par la corruption et qui se sert de sa police secrète,
la Savak, pour terroriser la population. Face à cela, l’opposition
est bigarrée : on compte des libéraux au sein du Front
National iranien, des anarchistes et le parti communiste iranien.
Il faut ajouter à cela la situation économique : l’Iran
est riche grâce à son pétrole mais les bénéfices
restent la propriété de grandes familles iraniennes.
Les compagnies occidentales reversent au Chah les royalties de l’extraction
du pétrole. On a ainsi progressivement l’émergence
d’une bourgeoisie d’affaires qui développe des
exigences politiques et économiques croissantes. A côté
de cela, la population reste pauvre et la démesure du Chah
attise la haine et le ressentiment, notamment lors de la célébration
en octobre 1971 du 2500e anniversaire de la fondation de l’Empire
Perse. Cette explication sociologique montre que c’est l’écart
entre les catégories les plus favorisées et les parties
les plus pauvres qui favorise le développement d’une
opposition d’inspiration religieuse chiite et populaire remettant
en cause les fondements libéraux du régime.
Les causes superficielles sont quant à elles, la succession
d’erreurs stratégiques qui conduit le Chah à
faire tirer systématiquement son armée sur les manifestants.
Il faut dire que l’Iran ne dispose pas encore d’une
police anti-émeute avec des lances à eau ou des grenades
lacrymogènes. Un des points paroxystiques de cette surenchère
de violence est le « vendredi noir ». Le 8 septembre
1978, lors d’une manifestation massive qui a lieu à
Téhéran, le Chah, d’abord défavorable
à l’usage de la répression violente, finit par
décider de l’envoi de tanks, d’hélicoptères
et de soldats pour réprimer le rassemblement. La manifestation
se termine dans un bain de sang où règne la confusion
la plus totale. On dénombre entre 2000 et 4000 victimes.
Suite à cela, en octobre, une grève générale
est décrétée. Elle paralyse l’économie,
la plupart des industries étant fermées et les pétroliers
étant bloqués dans le port d’Abadan. Il faut
ajouter à cela les destructions par les manifestants de tout
ce qui rappelle le Chah ou l’Occident, par exemple lors du
« week-end de Téhéran » le 4-5 novembre,
ainsi que l’inflation rampante. On comprend ainsi pourquoi
l’économie iranienne est gravement mise à mal.
Le gouvernement doit donc prendre des mesures drastiques d’austérité
qui provoquent le gel des salaires et renforce ainsi le mécontentement.
La classe ouvrière se joint aux étudiants et à
la classe moyenne contre le régime.
Foucault ne s’inscrit pas dans cette analyse historique ou
sociologique de la révolution iranienne, même si l’on
peut expliquer sociologiquement le soulèvement iranien, ce
n’est pas cet angle de vue qu’il privilégie.
Olivier Roy a raison d’affirmer dans son article que «
Foucault va à l’encontre des explications sociologiques
de la révolution iranienne » [3]. Ce qui l’intéresse
c’est la forme religieuse de la révolte. Cette forme
n’a rien à voir avec les dogmes de la religion islamique
qui seront ensuite reconvertie en idéologie politique par
les mollahs. « La forme, c’est le rite » [4] selon
Olivier Roy. Ce caractère rituel et répétitif
de la révolte a beaucoup marqué Foucault : le soulèvement
collectif en tant que résistance au pouvoir et à la
politique exige de tenir un point de vue inédit sur ces événements.
Il faut souligner à ce propos que c’est en décembre
1978 que les protestations se font les plus virulentes, c’est-à-dire
pendant le mois saint de Muharram, un des mois les plus importants
pour les musulmans chiites (voir ci-dessous les origines religieuses
de la révolution). Chaque jour, des manifestants sont tués
et chaque lendemain la mobilisation augmente. Le 11 décembre,
se déroulent des manifestations gigantesques à Téhéran
et les mots d’ordre religieux deviennent de plus en plus politiques.
Le 12 décembre, plus de deux millions de personnes défilent
dans les rues de Téhéran pour protester contre le
régime du Chah. Ce dernier, affaibli par la maladie et abandonné
par les grandes puissances étrangères, vit retranché
dans le palais du Niavaran. Face aux chaos qui ne cesse de s’accroître
et contre l’avis des officiers de la Savak, le Chah ordonne
que l’armée cesse de tirer dans la foule. Il joue alors
sa dernière carte : la nomination de Shapour Bakhtiar au
poste de Premier Ministre qui lui demande de quitter l’Iran
pour une durée indéterminée afin de calmer
la situation. Le 16 janvier 1979, le Chah d’Iran quitte son
Palais du Niavaran pour gagner l’Egypte. Il y meurt en le
27 juillet 1980 sans avoir jamais pu reprendre le pouvoir.
Parallèlement, l’ayatollah Khomeyni mène de
l’étranger une propagande qui reçoit un écho
de plus en plus favorable dans la société iranienne.
La situation économique et politique allant de mal en pis,
le Chah est finalement contraint de renoncer au pouvoir et de partir
en exil. Le 1er février 1979, Khomeyni en exil depuis 1964,
est accueilli triomphalement à Téhéran. Il
se rend ensuite au grand cimetière de Behesht-e Zahra (le
Paradis de Zahra en Persan) où il fait un discours livrant
sa vision du futur de l’Iran : un futur où l’Iran
serait une république nationaliste, anticapitaliste, antisioniste,
anti-impérialiste et islamique, dont la législation
s’inspirerait de la charia. Une fois installé à
Téhéran, dans l’école Alavi, l’ayatollah
Khomeiny, crée un gouvernement provisoire alternatif car
il estime que celui de Shapour Bakhtiar n’est pas légitime.
L’Iran se retrouve ainsi avec deux gouvernements. Shapour
Bakhtiar, à cause des appels à manifester faits par
Khomeiny, ne peut pas tenir le pays, d’autant qu’il
se refuse à employer la violence. Khomeiny de son côté,
cherche à séduire l’armée pour éviter
d’entrer en conflit avec elle. Certains sous-officiers se
joignent à la révolution, particulièrement
parmi les cadets de l’armée de l’Air, tandis
que les dirigeants restent fidèles au gouvernement en place.
Mais le 9 février 1979, les tensions internes à l’armée
ne pouvant plus être contenues, un conflit armé éclate
à la garnison Doshan Tappeh entre la Garde Impériale
et les cadets.
La population sachant que des combats ont lieu au sein de l’armée
retourne dans la rue et viole le couvre-feu en continuant à
manifester la nuit. Finalement le 11 février, l’armée
décide de rester neutre dans le conflit, ce qui signifie
la victoire pour l’ayatollah Khomeiny. Il fait annoncer à
la radio la victoire de la Révolution. Le soir du 11 février
1979, l’Ayatollah Khomeyni est au pouvoir : c’est la
fin de l’Empire d’Iran et la chute du gouvernement de
Shapour Bakhtiar. Le coup d’Etat de Khomeyni a réussi
: l’armée se rallie à lui pendant que les forces
révolutionnaires s’emparent des télévisions
et des radios. L’Occident assiste interloqué à
la mise en place d’un ordre qui lui semble d’un autre
âge : le nouveau pouvoir va bâtir une société
basée sur l’application stricte du Coran. Le 31 mars,
la République islamique est adoptée par référendum.
B. Les raisons structurelles de la révolution
1. Les origines économiques et sociales
Dans une analyse historique et sociologique, la crise révolutionnaire
s’explique surtout par l’échec d’un système
de développement. Depuis les années 50, date de l’arrivée
au pouvoir du Chah, jusqu’aux années 70, la société
iranienne connaît des mutations majeures. L’une des
plus importantes est surtout l’urbanisation et la désertification
: en 1956, 56% de la population active vit de l’agriculture
et de l’élevage, contre 34% seulement en 1976. Durant
la même période la population est passée de
19 millions d’habitants à 33 millions. La production
de pétrole a connu un développement extraordinaire
passant de 31 millions de tonnes en 1951 à 294 millions en
1974. L’augmentation des revenus qui en a résultée
a été mise au service d’une industrialisation
rapide et d’une intégration accélérée
de l’économie iranienne dans le marché mondial
(ce qui peut expliquer en partie la mise en place d’un régime
hostile aux valeurs de l’Occident).
Ce développement rapide bouleverse l’économie
traditionnelle du pays. Jusqu’en 1962, l’agriculture
était dominée par le féodalisme. La stagnation
de la production agricole a conduit de nombreux ruraux à
s’installer dans les quartiers pauvres des villes. Ces nouveaux
citadins, souvent jeunes, alphabétisés et ambitieux,
ont joué un rôle décisif lors des émeutes
révolutionnaires. L’artisanat et le petit négoce
connaissent également des changements majeurs. Les projets
de développement grandioses mis en œuvre par le régime
de Pahlavi (importation de produits fabriqués, augmentation
rapide du commerce international) les placent dans une situation
financière difficile. Ces petits commerçants au mode
de vie simple, souvent rétifs à l’occidentalisation
imposée par le Chah, se regroupent dans des associations
religieuses, qui constitueront pendant la révolution, un
réseau d’entraide efficace. Mais c’est surtout
le clergé qui a vu son pouvoir réduit considérablement
: dans les décennies précédant la révolution,
la sécularisation accrue de l’enseignement et de la
justice, la suppression à la suite de la réforme agraire
de 1962 d’une grande partie de ses biens, n’est pas
pour rien dans l’hostilité qu’il entretenait
vis-à-vis du pouvoir.
Le Chah pouvait néanmoins compter sur la bourgeoisie d’affaire
composée d’anciens féodaux reconvertis dans
les activités lucratives du commerce international et la
nouvelle classe moyenne composée de cadres et d’employés
des industries et de l’administration, gagnés à
l’occidentalisation. L’accroissement de la classe moyenne
fut considérable durant les années du régime
Pahlavi. Aussi, lors de la crise pétrolière en 1974-75
qui freina la croissance et la consommation, l’ébranlement
du mode de vie de cette couche sociale eu des conséquences
sur son engagement dans la révolution.
Toutes ces composantes s’unirent pour sanctionner une crise
générale de la société iranienne qui
s’aggrava avec les grèves et les révoltes à
répétition. Mais il ne faut pas homogénéiser
les différents courants et les diverses aspirations. L’unanimité
pour revendiquer le changement disparut dès le renversement
du Chah. Mais l’affrontement entre des tendances multiples
fut progressivement éliminé par le nouveau régime
de Khomeyni qui imposait une ligne dominante (« la ligne de
l’imam ») affermissant ainsi ses positions dans les
mois qui suivirent la Révolution.
2. Les origines culturelles et religieuses
Nous avons vu les éléments économiques et
sociaux, mais il faut aussi procéder à une analyse
en termes culturels afin de comprendre pourquoi les événements
ont abouti à l’instauration d’une république
islamique. Cette analyse culturelle est plus proche du travail réalisé
par Foucault qui souligne à plusieurs reprises les contradictions
entre l’archaïsme des valeurs modernes prônées
par le Chah et la réalité culturelle de l’Iran
très imprégnée par l’islam non seulement
en tant que religion mais aussi et surtout comme mode de vie. Foucault
a bien compris qu’on ne peut pas saisir le déroulement
de la révolution islamique si on néglige les traditions
culturelles et religieuses qui en formèrent l’armature
et servirent à légitimer l’instauration du nouveau
pouvoir. Mais Foucault à la différence de ce qu’on
va lire ici n’analyse pas l’aspect culturel comme dépendant
de causes sociologiques plus profondes. Ce qui l’intéresse
c’est la façon dont un peuple va plonger au plus profond
de sa culture pour s’opposer au pouvoir.
En effet, malgré un culte de la personne propre à
tout régime despotique, le Chah ne parvint jamais à
imposer sa légitimité culturellement au peuple iranien.
Son idéologie reposait sur deux piliers principaux qui ne
furent jamais intégrés par la population : l’occidentalisation
comme vecteur de modernisation et l’aryanisme.
Tout d’abord, l’occidentalisation des modes de vie
prônée par le haut, ne reçut d’écho
favorable que parmi les couches privilégiées de la
population urbaine. Nombreux ont été ceux qui dénoncèrent
une aliénation culturelle sous les termes de « civilisation
de la Peykan » (voiture fabriquée à partir de
pièces britanniques) ou encore d’« ouestoxication
» (Qarbzadegi, titre de l’ouvrage de Jabal al-Ahmad,
paru dans les années 1960). Ainsi deux cultures coexistaient
dans l’Iran prérévolutionnaire soutenues par
des catégories sociales bien différenciées
: la culture occidentalisée prenait surtout place dans les
quartiers chics des villes et la culture traditionnelle et majoritaire
était stigmatisée car considérée comme
un frein à la modernisation du pays. La révolution
iranienne en prônant une islamisation des modes de vie, une
répression en matière de mœurs et la révolution
culturelle ne faisait que répondre à une crise sociale
plus profonde.
Ensuite l’empire iranien de Pahlavi reposait sur l’aryanisme,
c’est-à-dire sur l’exaltation des origines aryennes,
multimillénaires, de la monarchie et du peuple iranien. Cette
thèse ne séduisit qu’une frange restreinte d’intellectuels
iraniens. Elle revenait à minimiser une grande partie de
l’histoire nationale et religieuse, celle d’un Iran
gagné progressivement à l’islamisation depuis
la conquête arabe au milieu du VIIe siècle. La mise
en avant de nombreux symboles de la civilisation indo-européenne
avaient pour but d’affirmer l’ancrage de l’Iran
dans un passé grandiose et donc d’affirmer la singularité
de l’histoire nationale par rapport aux autres pays arabes.
Le terme d’Iran (« pays des aryens ») remplaça
le terme de Perse, et on donna des noms aux nouvelles villes témoignant
de l’« aryanité » de la nation, telle Aryashahr
(« la ville aryenne »). Or pour la plupart des Iraniens,
cette valorisation d’un passé préislamique n’avait
pas beaucoup de sens. L’islam n’avait pas seulement
des dimensions religieuses, mais charriait avec lui des coutumes
et des habitudes culturelles bien trop ancrées dans le mode
de vie iranien pour disparaître du jour au lendemain. L’islam
a donc bénéficié d’une conjoncture où
l’identité vécue des Iraniens semblait menacée.
La puissance mobilisatrice de l’islam repose aussi sur deux
traditions principales qui sont propres au chiisme duodécimain,
le courant musulman dominant en Iran. Il a un poids important dans
l’instauration de la République islamique. On peut
retenir de ce courant deux principes : le principe de l’emâmat
et l’exaltation du martyrisme.
Le principe de l’emâmat affirme qu’il a existé
douze imams qui ont pu exercer un pouvoir juste et légitime.
Les onze premiers imams sont tous morts dans des circonstances tragiques.
Le douzième, Mohamad, a disparu et son occultation dure encore.
Le peuple est donc dans l’attente de la parousie de cet imam
caché, et durant cette attente, toute forme de gouvernement
est nécessairement imparfaite. Pour guider leurs actes et
leurs décisions, les croyants doivent se conformer aux oulémas
reconnus les plus justes. Ces oulémas sont considérés
comme des sources d’imitation.
Avec l’institution du chiisme comme religion d’État
au début du XVIe siècle, il a fallu adapter le problème
posé par la vacance du pouvoir légitime. Les premiers
souverains se revendiquèrent comme les descendants de la
lignée imamite fondatrice du chiisme. Puis les monarques
qui se succédèrent, s’entourèrent d’oulémas
afin d’apporter une caution religieuse à leur régime.
Même le dernier Chah, qui mettait en œuvre une politique
de laïcisation, avait sa propre « coterie » d’oulémas,
qui cautionnait le pouvoir impérial. Cette division du clergé
s’explique par le fait qu’il n’y a jamais eut
d’unanimité sur la conduite politique à préconiser
en l’absence de l’imam caché. On trouve ainsi
deux positions : pour certains, la vacance du pouvoir des imams
doit inciter à une certaine indifférence à
l’égard du politique (c’est le cas de Chariat
Madari que rencontrera Foucault lors de son voyage en Iran) ; pour
d’autres, comme l’ayatollah Khomeyni, le dogme de l’emâmat
impose de contester les tenants d’un pouvoir illégitime
pour les remplacer par des hommes supérieurs matérialisant
la religion et étant des modèles. Mais il n’est
écrit nulle part que le gouvernement devait être exercé
par les clercs : c’est une innovation dans le chiisme duodécimain
apporté par Khomeyni et ses partisans. La Constitution de
la République islamique a entériné cette interprétation
de l’ emâmat en institutionnalisant la « souveraineté
du juriste théologien » : « En l’absence
de l’imam du temps – que Dieu approche sa réapparition
– dans la République islamique de l’Iran, la
gestion et la direction de la communauté sont confiées
à un docteur du dogme juste, vertueux, conscient de son temps,
courageux, qui possède l’autorité et l’expérience,
accepté comme guide (imam) par la majorité du peuple
». Les prérogatives de ce guide sont considérables
: il commande les forces armées et peut révoquer le
président de la République.
L’exaltation du martyre est un autre trait original du chiisme
duodécimain ; elle trouve son origine dans le mythe de la
passion du troisième imam des chiites : Hussein qui fut tué
dans des circonstances atroces par les troupes du calife omeyyade
Yazid, en 680, à Karbala (dans l’actuel Irak). La commémoration
du supplice du « prince des martyrs » s’exprime
à travers des rituels doloristes : des processions de pénitents
se flagellant avec les paumes des mains, des chaînes ou encore
se meurtrissant naguère le cuir chevelu avec un sabre, mais
aussi des cantiques commémorant le drame de Karbala. L’observance
de ces rituels de deuil et d’affliction est, pour les croyants,
un moyen d’obtenir l’intercession du prince des martyrs
et d’accéder ainsi, le jour de leur mort, au paradis.
Cette tradition martyriste et les rituels qui lui correspondent,
véritable ciment de la culture populaire, ont constitué
l’armature symbolique et organisationnelle des événements
révolutionnaires. Le mythe de Karbala qui oppose les bourreaux
aux victimes et exalte le sacrifice de soi, a été
tout à la fois une grille de lecture de la réalité
socio-politique et un modèle d’action pour la lutte
: dans les discours des leaders religieux, comme dans les slogans
des manifestants, les protagonistes du « drame » révolutionnaire
étaient identifiés à ceux du drame de Karbala.
Le « vendredi noir » du 8 septembre 1978, des jeunes
gens présentèrent leur poitrine nue aux balles des
militaires, se sacrifiant à l’image de Hussein. Notons
enfin que les grandes manifestations qui entraînèrent
le départ du Chah épousèrent la forme et le
rythme des processions rituelles traditionnelles (organisation,
posture des participants, rythme des pas et des slogans) ; elles
culminèrent au mois de moharram (nov.-déc. 1978),
date où l’on « fête » traditionnellement
le martyr de Hussein.
II. Un « reportage » d’idées
A. Foucault journaliste
C’est huit jours après le « vendredi noir »
du 8 septembre 1978 que Michel Foucault arrive à Téhéran,
soit le samedi 16 septembre 1978. Foucault accomplit ce voyage dans
le cadre d’un projet journalistique. En mai 1978, l’éditeur
italien Rizzoli, traducteur de Foucault, devenu actionnaire du grand
quotidien Corriere della sera, demande au philosophe une contribution
régulière sous forme de point de vue. Foucault ne
souhaite pas faire un travail de chroniqueur ou de journaliste de
bureau, il préfère aller voir directement sur le terrain
pour réaliser un authentique travail journalistique. Il affirme
qu’il « faut assister la naissance des idées
et à l’explosion de leur force : et cela non dans les
livres qui les énoncent, mais dans les événements
dans lesquels elles manifestent leur force, dans les luttes que
l’on mène pour les idées, contre ou pour elles
» [5].
Foucault présente ce travail journalistique, qu’il
souhaite également collectif, (il réunit autour de
lui quelques philosophes comme Glucksmann ou Finkielkraut) comme
une série de « reportages » d’idées.
Contre ce qu’affirment les post-modernistes, à savoir
la fin des grandes idéologies, Foucault prétend que
« le monde contemporain (…) fourmille d’idées
qui naissent, s’agitent, disparaissent ou réapparaissent,
secouant les gens et les choses ». Mais la nouveauté
est que cela se fait « à l’échelle mondiale
et, parmi bien d’autres, des minorités ou des peuples
que l’histoire jusqu’à aujourd’hui n’a
presque jamais habitué à parler ou à se faire
écouter » [6]. Il faut donc passer à une nouvelle
façon de voir les idées. Elles ne dirigent pas des
individus qui les reçoivent passivement : « ce ne sont
pas les idées qui mènent le monde », mais c’est
« le monde [qui] a des idées », ce sont les individus
qui se servent de ces idées. La pensée est donc fondamentalement
un outil que l’on doit associer à l’événement.
Le sens des reportages d’idée est de lier « ce
que l’on pense » avec « ce qui advient ».
C’est pourquoi, conclut Foucault, « les intellectuels
travailleront avec des journalistes au point de croisement des idées
et des événements » [7].
Dès le lendemain de son arrivée, Foucault réalise
un véritable travail de reporter. Il rencontre des membres
de l’opposition démocratique, des militaires, des étudiants
et des islamistes. Il parcourt les rues, prend des notes, questionne
la population. Une semaine plus tard, il est de retour en Europe.
Il rédige six articles pour le Corriere [8] et un article
pour Le Nouvel Observateur [9] qui en reprend quelques éléments.
Le 7 octobre 1978, l’ayatollah Khomeyni s’installe
à Paris après avoir passé quatorze ans d’exil
en Irak. Michel Foucault parmi de nombreux autres journalistes cherche
à entrer en contact avec lui afin de savoir ce que ce haut
dignitaire religieux invoqué par son peuple en révolte,
souhaite pour son pays. Dès cette époque Foucault
comprend très bien que Khomeyni n’est pas que le nom
d’un drapeau et que le religieux a des ambitions politiques
: « toute l’agitation du week-end autour de la résidence
à peine clandestine de l’ayatollah dans la banlieue
de Paris, les allées et venues d’Iraniens ‘‘importants’’,
tout démentait cet optimisme un peu hâtif ; tout prouvait
qu’on croyait à la force du courant mystérieux
qui passe entre un vieil homme exilé depuis quinze ans et
son peuple qui l’invoque » [10].
Un mois plus tard son premier voyage, Foucault retourne à
Téhéran du 9 au 15 novembre 1978. Bani Sadr, que Foucault
va consulter juste avant son second départ raconte que Foucault
« voulait comprendre comment pouvait se produire cette révolution
qui se déroulait sans référence à une
puissance étrangère et qui soulevait toute une nation
malgré la distance qui sépare les villes, les difficultés
de communication. Il voulait réfléchir à la
notion de pouvoir » [11].
Cette fois-ci, il va voir des représentants de diverses
catégories de travailleurs en grève comme des ouvriers
du pétrole ou des privilégiés des classes moyennes.
Au terme de cette série de « reportages », davantage
sociologiques peut-être, du moins dans la méthode d’investigation,
Foucault publie deux nouveaux articles dans le Corriere [12]. Dans
ces articles, Foucault cherche les fondements de l’attachement
charismatique de l’ayatollah à son peuple. Selon lui,
« Khomeyni est le point de fixation d’une volonté
collective », « ce n’est pas un homme politique
: il n’y aura pas de parti Komeyni, il n’y aura pas
de gouvernement Khomeyni » [13]. Un peu plus bas, il conclut
néanmoins à propos du mouvement iranien : «
c’est peut-être la première grande insurrection
contre le système planétaire, la forme la plus moderne
de révolte. Et la plus folle ». Sur ce point, on ne
peut pas dire qu’il avait tout à fait tort.
Mais la controverse n’attend pas cette seconde série
d’articles pour s’installer dans les journaux français.
Le Nouvel Observateur publie la lettre d’une lectrice iranienne
qui s’indigne de l’article paru le 16 octobre, «
A quoi rêvent les Iraniens ? ». Cette lectrice exprime
son désespoir face à l’idée d’un
‘‘gouvernement islamique’’ scandé
par les manifestants. Elle critique ce retour aux sources populaires
et à la spiritualité islamique en évoquant
la situation en Arabie Saoudite qui tranche les mains et les têtes
des voleurs et des amants et déplore que Foucault «
semble ému par la ‘‘spiritualité musulmane’’
qui remplacerait avantageusement la féroce dictature affairiste
aujourd’hui chancelante » [14]. Foucault répond
à cette lectrice : « Puisqu’on a manifesté
et qu’on s’est fait tué en Iran au cri de ‘‘gouvernement
islamique’’, c’était un devoir élémentaire
de se demander quel contenu était donné à ce
terme et quelle force l’animait. J’ai indiqué,
d’ailleurs, plusieurs éléments qui me semblent
peu rassurants » [15]. Il reste dans une démarche où
il décèle ce qu’il y a derrière l’idée
de ‘‘gouvernement islamique’’ et qui justifie
que l’on puisse risquer sa vie pour elle. Comme le journaliste,
Foucault veut aller voir derrière cette idée pour
comprendre la diversité des motifs qu’elle cristallise,
pour comprendre au fond pourquoi des individus différents
se retrouvent derrière cet appel à l’islam.
Or ce qu’il remarque, c’est que les individus ont à
la fois des visions hétérogènes de cet idéal
quant à sa réalisation, mais quant à son souffle,
quant à sa racine, c’est-à-dire l’opposition
au régime du Chah, le soulèvement iranien est le fruit
d’une volonté collective.
Quelques mois plus tard, le 1er février 1979 plus exactement,
l’ayatollah Khomeyni part pour l’Iran. Foucault est
présent à l’aéroport. Le 13 février,
il donne un nouvel article au Corriere della sera [16]. Foucault
s’interroge sur l’avenir de l’Iran : il veut «
saisir ce qui est en train de se passer », et non pas faire
« l’histoire du futur », ni « prévoir
le passé » [17]. Les articles de Foucault décrivent
une situation. Ils ne cherchent pas à prédire l’avenir.
Comme le souligne D. Eribon dans son autobiographie, Foucault s’est
laissé fasciné par la révolution iranienne,
mais c’était le cas de tous les observateurs. «
On a beaucoup parlé de l’engagement de Foucault ‘‘en
faveur’’ de l’Iran. Mais peu nombreux sont ceux
qui ont lu l’intégralité de ce qu’il a
écrit. Car ces textes n’ont jamais été
traduits » [18]. C’était du moins le cas jusqu’en
1994, date laquelle Gallimard réunit et publie les Dits et
Ecrits de Michel Foucault. Or à la lecture de ces textes,
on peut s’apercevoir que Foucault, même s’il ne
portait pas dans son cœur le régime impérial
du Chah d’Iran, il ne cédait pas non plus à
l’optimisme d’un retour à la séparation
du politique et du religieux une fois la révolution terminée.
On peut effectivement parler d’une certaine fascination, mais
pas d’un aveuglement. Comme le souligne son compagnon Daniel
Defert, Foucault « scandalise en montrant que sous la subversion
politique s’annonce un profond mouvement religieux »
[19]. Eribon ajoute que Foucault ne fait que ce constat et qu’espérer
un avenir différent pour l’Iran.
Peut-être alors faut-il voir le motif du scandale ailleurs.
Foucault a voulu se faire journaliste-philosophe, or si on peut
pardonner au journaliste de se laisser fasciner un temps par les
événements et d’espérer en un avenir
meilleur, ce manque de distance et de lucidité est impardonnable
pour un philosophe. Deux journalistes : Claudie et Jacques Broyelle,
dans « A quoi pensent les philosophes ? » [20] le rappelleront
de manière acerbe à Foucault. Prenant son article
« A quoi rêvent les Iraniens ? » à contre-pied,
ils partent de la manifestation des femmes, le 8 mars 1979 à
Téhéran où l’on entend scander «
A bas Khomeyni ». Ces femmes protestent contre le port du
voile obligatoire et contre les premières exécutions
d’opposants par les groupes islamiques paramilitaires. Ces
premières violences du gouvernement Khomeyni, sur fond d’une
analogie entre les allégeances des intellectuels de gauches
pour les régimes communistes, servent d’éléments
à charge dans le procès de Foucault qu’on accuse
un peu vite d’avoir soutenu aveuglement Khomeyni.
A ces journalistes Foucault refuse de répondre : d’une
part, « parce que de « ma vie », je n’ai
jamais pris part à une polémique. Je ne compte pas
commencer maintenant » [21] et d’autre part, parce qu’on
« me ‘‘somme de reconnaître mes erreurs’’
», ce qui sont des manières de faire inquisitoires,
qui ne cherchent pas à comprendre mais à faire avouer
pour condamner.
Foucault publie ensuite une lettre ouverte au Premier ministre
du « gouvernement islamique », Mehdi Bazargan, dans
laquelle il lui rappelle une discussion qu’ils ont eue. Foucault
se souvient que le Premier ministre exprimait l’espoir de
trouver dans l’Islam une garantie réelle des droits
de l’homme et non pas seulement une excuse pour opprimer les
individus.
La polémique prend fin par un long article publié
le 11 mai 1979 dans Le Monde sous le titre « Inutile de se
soulever ? ». Foucault y définit le rôle de l’intellectuel
comme l’opposé du stratège, à savoir
de celui qui justifie n’importe quels moyens pourvu qu’il
parvienne à sa fin. Foucault veut partir des moyens, des
outils, des idées dans leur dimension concrète, plurielle,
singulière. Dans cette tâche, il est possible de perdre
de vue les ruptures historiques et les limitations de la politique,
mais l’enjeu est d’éviter de juger a priori,
à partir de la catégorie dans laquelle s’insère
un individu.
Il justifie ainsi son travail : « Intellectuel, je suis.
Me demanderait-on comment je conçois ce que je fais, je répondrais
: si le stratège est l’homme qui dit : ‘‘qu’importe
telle mort, tel cri, tel soulèvement par rapport à
la grande nécessité de l’ensemble et que m’importe
tel principe général dans la situation particulière
où nous sommes’’, eh bien il m’est indifférent
que le stratège soit un politique, un historien, un révolutionnaire,
un partisan du shah ou de l’ayatollah ; ma morale théorique
est inverse. Elle est ‘‘antistratégique’’
: être respectueux quand une singularité se soulève,
intransigeant quand le pouvoir enfreint l’universel. Choix
simple, ouvrage malaisé : car il faut tout à la fois
guetter, un peu au-dessous de l’histoire ce qui la rompt et
l’agite et veiller un peu en arrière de la politique
sur ce qui doit inconditionnellement la limiter. Après tout,
c’est mon travail : je ne suis ni le premier ni le seul à
le faire. Mais je l’ai choisi » [22].
Ainsi se termine l’aventure journalistique de Foucault. Il
refusera par la suite de réitérer l’expérience
à de très rares exceptions près. Le journalisme
ne laisse pas de place pour l’amateurisme et Foucault dans
son texte « Pour une morale de l’inconfort » [23]
rend hommage à ceux qui maîtrise un métier qui
consiste à remettre en cause des certitudes, sans renoncer
à ses convictions.
B. Le premier voyage : du 16 au 24 septembre
C’est à partir d’août 1978 avec l’incendie
du cinéma Rex d’Ababan que l’attention internationale
est attirée par les événements d’Iran.
Avant d’entreprendre son voyage, il a étudié
la situation de l’Iran à travers les livres de Henri
Corbin. Il connaît déjà les atrocités
de la Savak pour être déjà intervenu en faveur
des opposants iraniens. On ne peut donc pas le suspecter de dilettantisme.
Foucault arrive en Iran juste après les événements
du « vendredi noir », l’armée a alors tiré
sur la foule massée sur la place Djaleh faisant ainsi des
milliers de morts. Fin septembre et début novembre : le pouvoir
libère 1200 prisonniers politiques, l’université
de Téhéran est occupée par des étudiants.
Des émeutes et des fusillades éclatent un peu partout
dans le pays.
« L’armée, quand la terre tremble » est
le premier article publié par Foucault sur la révolution
iranienne. Cet article s’ouvre sur un contraste. Après
le tremblement de terre de 1968 et la destruction totale de la ville
de Ferdows, la ville a été reconstruite à deux
endroits différents : d’un côté l’administration
en place a établi des plans officiels, de l’autre les
artisans et les agriculteurs ont rebâti avec l’aide
d’un religieux leur village. Ils lui ont donné comme
nom : Islamieh.
On a là un exemple flagrant de la fracture politique qu’il
existe entre les notables du ministère de l’Equipement
et les gens du peuple dont les aspirations sont complètement
ignorées par le pouvoir. Foucault compare ce tremblement
de terre au désastre du « vendredi noir » lorsque
« le sol de Téhéran a tremblé sous les
chenilles des chars » [24]. Il continue ainsi : « La
terre qui tremble et détruit les choses peut bien rassembler
les hommes ; elle partage les politiques et marque plus nettement
que jamais les adversaires » [25]. A quoi peut-on s’attendre
? A l’escalade de la violence : « le pouvoir croit possible
de détourner vers les fatalités de la nature la grande
colère que les massacres du vendredi noir ont figée
en stupeur, mais n’ont pas désarmée. Il n’y
réussira pas » [26].
Un peu plus loin, Foucault montre la complexité de la situation
dans laquelle s’est enfermée le Chah. L’armée
sur laquelle il s’appuie n’a pas de base sociale cohérente,
elle n’aide pas non plus le développement économique
du pays : « il n’existe pas en Iran de structure économico-militaire
solide » [27]. De plus, les officiers supérieurs de
l’armée dans l’opposition que rencontre Foucault
font état de la difficulté de faire tirer des soldats
iraniens sur d’autres Iraniens. L’armée a beau
être anti-marxiste, elle sait bien que les Iraniens sur lesquelles
elle a l’ordre de tirer, sont des « frères »,
des commerçants, des employés, des chômeurs.
Certains soldats après avoir tirer le « vendredi noir
» se sont ensuite suicidés.
La révolte se place sous le signe de l’islam. Or toute
l’armée appartient à cet islam. Ainsi «
les soldats et les officiers découvrent qu’ils n’ont
pas devant eux des ennemis, mais au-dessus d’eux des maîtres
» [28]. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle va
prendre le pouvoir. Foucault note avec justesse qu’elle est
bien trop friable et divisée : « l’armée
ne semble donc pas avoir en elle-même une force d’intervention
politique (…). Elle peut ainsi permettre ou empêcher
une solution. Elle ne peut en proposer ni en imposer une qu’elle
aurait trouvée en elle-même » [29]. Foucault
conclut que des deux clefs qui prétendent la faire tourner,
la mieux ajustée n’est pas la clef américaine
mais la clef islamique du mouvement populaire.
On voit dès ce premier article que l’intérêt
de Foucault est focalisé sur la notion de pouvoir, sur la
manière dont des individus choisissent à un moment
donné de se révolter, ce que soulignait Olivier Roy.
En revanche, on peut également souligner que Foucault ne
néglige pas une analyse institutionnelle d’inspiration
marxiste, puisqu’en étudiant la place de l’armée
dans les institutions politiques, il cherche à savoir quels
sont les acteurs qui peuvent peser dans le déroulement du
conflit. Simplement, dans cette situation précise, il l’écarte
au profit de la place plus centrale de l’islam.
Le deuxième article de Foucault s’intitule «
Le chah a cent ans de retard » [30]. Il part de lieux communs
occidentaux sur l’Iran : la crise de ce pays est souvent comprise
comme une « crise de modernisation », la société
traditionnelle n’arriverait pas à suivre la nécessaire
modernisation, ce qui la conduirait à se replier sur son
passé et ses croyances rétrogrades.
Foucault va interroger les Iraniens en partant de cette idée
reçue, pour savoir ce qu’ils en pensent. En réalité,
ce contre quoi les Iraniens se révoltent, c’est le
régime impérial du Shah, régime caractérisé
par trois éléments indissociables : la modernisation,
le despotisme et la corruption. Dans son enquête il décèle
quelque chose d’important : on n’a pas affaire en Iran
à un rejet par des groupes retardataires d’une modernisation
brutale, mais à un « rejet, par toute une culture et
tout un peuple, d’une modernisation qui est en elle-même
un archaïsme » [31]. Foucault continue dans la même
page : « la modernisation comme projet politique et comme
principe de transformation sociale est un Iran une chose du passé
».
Dans les révolutions traditionnelles, on constate une opposition
entre différentes classes sociales. Or ce n’est pas
le cas en Iran. On ne peut pas se contenter d’une analyse
sociologique pour comprendre la révolution, parce qu’elle
est l’expression de tout un peuple et de toute une culture.
Le régime du Chah rend mécontents les grands propriétaires,
comme les artisans et les petits commerçants, la classe riche
comme la classe la plus défavorisée. Foucault place
son analyse sur un plan culturel. L’échec du shah est
en réalité l’échec d’un modèle
: celui de la modernisation à l’européenne les
pays islamiques. Le nationalisme développé par le
régime, sous fond de mythification de la pureté aryenne,
ne fait que célébrer la monarchie et non pas le peuple.
Quant à la laïcité, elle s’oppose frontalement
au fait que la religion chiite est le véritable principe
de la conscience nationale. Ainsi, ces trois principes défendus
par le régime : modernisation, nationalisme et laïcité
trahissent les ambitions politique de la famille au pouvoir et ne
sont pas au service de la population.
Cette famille est un tout petit clan de bénéficiaires
qui exploite le pays pour son propre enrichissement. Elle se dote
de sa police et de son armée, signe des contrats avec les
Occidentaux. A l’origine, le Chah a pu s’installer au
pouvoir grâce à l’appui des étrangers.
Pour Foucault, on peut comprendre le peuple Iranien qui voit dans
le régime Pahlavi un régime d’occupation, «
un régime qui a la même forme et le même âge
que tous les régimes coloniaux qui ont asservi l’Iran
depuis le début du siècle » [32]. C’est
pourquoi, il voit comme un archaïsme le projet de modernisation,
il s’agit du « rêve vieillot » de vouloir
ouvrir ce pays par la laïcisation et l’industrialisation,
un rêve de colonisateur. On pourrait très vite mal
interpréter ces termes, mais Foucault ne dit jamais qu’il
faut renoncer à la modernisation ou à la laïcité,
il dit qu’il faut renoncer à vouloir l’imposer
de cette manière brutale et archaïque de colonisateur.
« Téhéran : la foi contre le chah » [33]
est le troisième article de Foucault. Le titre proposé
à l’origine par Foucault était celui de «
Dans l’attente de l’Imam ». Il faisait référence
au douzième imam de la tradition chiite (voir ci-dessus).
Cet article porte l’empreinte de la rencontre que Foucault
a fait de l’ayatollah Chariat Madari à Qom, le 20 septembre
1978. Religieux et philosophe, âgé alors d’un
peu plus de 80 ans, ce haut dignitaire chiite était attaché
à une conception spirituelle du chiisme qui ne pouvait pas
revendiquer l’exclusivité du pouvoir temporel. Cet
entretien convainquit Foucault que le pouvoir en Iran ne pouvait
pas devenir théocratique. Chariat Madari s’opposa ensuite
à Khomeyni en février 1979. Il finit ses jours en
résidence surveillée.
L’article commence par remarquer l’importance de l’urbanisation
ses dernières années : en dix ans, la population urbaine
est passée de neuf à dix-sept millions. Cette urbanisation
a conduit une grande partie des Iraniens, souvent les plus pauvres,
a changé radicalement de mode de vie. L’administration
les a coupé brutalement de leur existence traditionnelle.
L’islam est donc devenu le moyen de retrouver une identité
perdue. Il est très ancré dans la société
iranienne : c’est lui qui depuis des siècles règle
la vie quotidienne et les relations familiales. Il constitue une
« valeur refuge » selon un sociologue Iranien que cite
Foucault.
Après le « vendredi noir », il y a eu la commémoration
religieuse. C’est un moment où les groupes s’unissent
autour de l’islam. Il y a eu tout au long de l’année
1979, un cycle de violence, de deuils, de commémoration,
puis à nouveau des révoltes. Devant cette violence
politique du régime, la population se retrouve dans la religion,
et c’est presque naturellement qu’elle réclame
un « gouvernement islamique » car c’est tout ce
qui lui reste.
Les mosquées jouent le rôle important de relais. Les
mollahs dans leurs prêches parlent furieusement contre le
Chah, les Américains et l’Occident. Ils appellent la
population à lutter contre ce régime. Pour propager
cet appel, ils utilisent des haut-parleurs dans la rue. Ils font
également circuler des cassettes de leurs prêches à
travers le pays.
Les Iraniens sont à 90% chiites. Selon l’emâmat,
ils attendent le retour de l’imam pour qu’il fasse régner
un ordre juste. Mais cela ne les empêche pas de se battre
pour un bon gouvernement. Le chiisme à travers la religion
donne aux Iraniens une ardeur politique. Ils doivent défendre
la religion contre le pouvoir. Les religieux traduisent en réalité
les colères et les aspirations de leur communauté.
Il n’y a pas d’organisation hiérarchique de l’autorité
religieuse, aussi quand ils dénoncent l’injustice,
le peuple les écoute.
Cela ne signifie pas pour autant que les mollahs soient des révolutionnaires.
Le chiisme n’est pas une idéologie qui traverse le
peuple, elle n’est pas qu’un simple vocabulaire à
travers lequel doivent passer les aspirations politique, mais elle
est « la forme que prend la lutte politique dès lors
que celle-ci mobilise les couches populaires » [34]. Elle
est une « force » pour Foucault, c’est-à-dire
une forme d’expression, une manière d’être
ensemble, d’écouter et de parler : elle permet de se
faire entendre des autres. En d’autres termes, l’Islam
est une religion qui est une force irréductible au pouvoir
de l’Etat. Elle a une autonomie spirituelle qui la distingue
du temporel. En cela, elle peut être le réceptacle
et le vecteur de la contestation.
Le quatrième article de Foucault s’intitule «
Retour au prophète ». Il sera repris et augmenté
de quelques ajouts dans l’article du Nouvel Observateur intitulé
« A quoi rêvent les Iraniens ? » [35]. Foucault
revient sur les enjeux géostratégiques : l’Iran
est un enjeu important pour les Américains à cause
du pétrole que son sol recèle. Mais il y aussi, en
pleine guerre froide, la peur des Soviétiques.
Il fait ensuite allusion à sa rencontre avec Khomeyni qu’il
a faite en France durant le moi d’octobre. Foucault a probablement
été vivement impressionné par la personne du
Chah : « voilà qu’hier, à Paris où
il s’était réfugié et malgré bien
des pressions, l’ayatollah Khomeyni a ‘‘cassé
la baraque’’ » [36]. Il parle également
d’une joute entre deux personnes : le roi et le saint. Pour
l’opinion internationale, Khomeyni devient le porte-drapeau
de la révolution. Mais Foucault comprend qu’il y a
plus : tous les mouvements autour de l’ayatollah laisse penser
qu’il se trame des enjeux politiques derrière les enjeux
religieux.
La révolution iranienne pour beaucoup d’observateurs
ne laissait pas paraître ce que les Iraniens voulaient réellement
une fois le régime du chah tombé. Mais Foucault en
se promenant à Téhéran et à Qom, en
discutant avec des étudiants, des intellectuels et des religieux,
note que ce que le peuple iranien veut, c’est moins la révolution
que le « gouvernement islamique ». Or ce n’est
pas un hasard car c’est exactement ce que demande l’ayatollah
Khomeyni. L’islam chiite est particulier. L’Iran n’est
pas arabe ni sunnite. C’est un pays donc moins sensible à
l’islamisme ou au panarabisme a priori. Le terme « gouvernement
islamique » est donc problématique. Foucault prétend
que « personne, en Iran, n’entend [par gouvernement
islamique] un régime politique dans lequel le clergé
jouerait un rôle de direction ou d’encadrement »
[37]. Le futur détrompera cette vision peut-être hâtive
de l’indépendance du spirituel et du temporel en Iran,
vision qui peut s’expliquer par l’entretien avec l’ayatollah
Charriat Madari, qui comme on l’a dit, ne pense pas que le
spirituel et le temporel aient intérêt à se
chevaucher en Iran, mais que le clergé garde une fonction
critique vis-à-vis du politique.
Par « gouvernement islamique », il faut entendre deux
choses nous dit Foucault :
* un idéal : revenir à ce qu’était l’islam
au temps du prophète, mais aussi avancer vers un point lumineux
où la fidélité au Coran pourrait se substituer
au maintien de l’obéissance. Cela suppose une méfiance
à l’égard du légalisme et une foi dans
la créativité de l’islam ;
* une volonté politique : la politisation de structures
indissociablement sociales et religieuses, une ouverture de la politique
à une dimension spirituelle.
Le « gouvernement islamique » comme idéal est
plutôt le versant négatif de ces termes. Il recouvre
les idéaux de la démocratie bourgeoise défendus
par les philosophes des Lumières : la valorisation du travail,
le respect des libertés, des décisions politiques
prises à la majorité, de la liberté de critiquer
ses gouvernants. Foucault ne dénigre pas les idéaux
des Lumières, mais il sait ce qu’au nom de ces principes,
l’Occident a colonisé, tué ou torturé
: « on dit souvent que les définitions du gouvernement
islamique sont imprécises. Elles m’ont paru au contraire
d’une limpidité familière, mais, je dois dire,
assez peu rassurante » [38]. Le mouvement qui souhaite donner
aux structures traditionnelles de la société islamique
un rôle permanent dans la vie politique n’est pas du
tout du goût de Foucault, et ce bien avant l’arrivée
de Khomeyni en Iran. Derrière cet idéal, se dissimule
un moyen de maintenir en activité des foyers politiques qui
se sont allumés dans les communautés religieuses pour
résister au Chah. Foucault souligne qu’on a là
le principe d’une création politique. L’avenir
malheureusement de le démentira pas : c’est exactement
une création politique que l’ayatollah Khomeyni réalise
lorsqu’il fait inscrire dans la Constitution de la République
islamique, la « souveraineté du juriste théologien
».
En revanche, le « gouvernement islamique » comme volonté
politique est davantage valorisé par Foucault. Il désigne
l’introduction dans la vie politique d’une « dimension
spirituelle », c’est-à-dire « faire que
cette vie politique ne soit pas, comme toujours, l’obstacle
de la spiritualité mais son réceptacle, son occasion,
son ferment » [39]. On est ici moins proche de Khomeyni que
de Chariati, ce religieux qui a fait ses études en Europe
et qui connaissait les mouvements du christianisme de gauche. Selon
lui, le vrai sens du chiisme n’était pas à aller
puiser dans l’environnement institutionnel du clergé
chiite, mais « dans une leçon de justice et d’égalité
sociale prônée déjà par le premier imam
». Foucault continue ainsi : « je me sens embarrassé
pour parler du gouvernement islamique comme ‘‘idée’’
ou même comme ‘‘idéal’’. Mais
comme ‘‘volonté politique’’, il m’a
impressionné » [40]. Ce qui fascine Foucault, c’est
la façon dont l’islam parvient à politiser les
problèmes actuels et l’ouverture qu’il permet
à une dimension spirituelle. C’est moins sa capacité
à proposer un idéal politique, que sa capacité
à faire apparaître le pouvoir dans sa dimension oppressive.
Mais cette volonté politique pose deux problèmes.
Le premier est celui de son intensité : cette volonté
peut-elle déboucher sur une véritable révolution
? Le second est celui de son enracinement : cette volonté
peut-elle rester un principe permanent d’opposition au principe
politique ?
Foucault ajoute que ce sont deux autres questions qui le préoccupent
davantage, plus personnellement (i.e. pour son travail de philosophe).
Le premier est de savoir comment cette volonté d’un
« gouvernement islamique » doit être perçue
: une réconciliation entre le pouvoir d’Etat et la
religion, une contradiction ou bien le seuil d’une nouveauté.
Le second est celui de savoir quel est le sens pour ces hommes de
rechercher une spiritualité politique au risque de leur vie,
recherche dont nous avons oublié la possibilité depuis
la Renaissance et les grandes crises du christianisme. Foucault
termine son article par une phrase qui semble assez ridicule aujourd’hui
: « J’entends déjà les Français
qui rient, mais je sais qu’ils ont tort » [41].
Le cinquième article suite au premier voyage de Foucault
en Iran s’intitule « Une révolte à mains
nues » [42], il est aussi le premier d’une nouvelle
série de quatre articles commandés par le Corriere
della sera. Il s’ouvre sur la spécificité historique
et géographique de ce qui se passe en Iran. Historiquement,
parce qu’on se trouve au XXe siècle et par conséquent
pour renverser un régime, il faut des armes, toute une organisation
et une préparation. Géographiquement, car nulle par
ailleurs qu’en Iran, une révolte n’a été
faite par un peuple sans appareil militaire, sans avant-garde ni
parti politique. Même en 1968, on n’a pas connu quelque
chose de similaire : car le peuple a ici un but politique immédiat,
le renversement du Chah.
Foucault insiste ensuite sur la rapidité du cours des événements.
Il détecte trois causes de l’accélération
du mouvement qui sont autant de paradoxes :
* la population s’oppose à mains nues à l’un
des régimes les mieux armés du monde et à une
police qui est l’une des plus redoutables, cela fait dire
à Foucault que « plus la crise décisive approche,
mois le recours aux armes devient possible. Le soulèvement
de toute une société a étouffé la guerre
civile » [43]. Les soldats n’osent plus tirer ;
* la révolte s’est étendue sans amener de conflits
entre les opposants du régime, les différentes classes
sociales demeurent unies ;
* ’absence d’objectifs à long termes n’est
pas un facteur de faiblesse, bien au contraire : « C’est
parce qu’il n’y a pas de programme de gouvernement,
c’est parce que les mots d’ordre sont courts qu’il
peut y avoir une volonté claire, obstinée, presque
unanime » [44].
De manière générale, on peut remarquer un
« état de grève par rapport à la politique
». Il faut comprendre cet état en deux sens : le refus
de faire fonctionner le système en place, mais aussi le refus
de débattre de ce que doit être la future constitution.
On peut appeler cela, la technique du hérisson : tous les
piquants sont dehors. Tout est fait pour que les questions politiques
de donnent pas prise à un jeu politique : la volonté
politique du peuple iranien est de ne pas donner prise à
la politique.
Foucault en tire « une loi de l’histoire » :
« plus la volonté d’un peuple est simple, plus
la tâche des hommes politiques est complexe » [45].
La politique prétend être l’expression d’une
volonté collective, or on voit ici que ce n’est pas
le cas. La politique ne peut avoir prise que là où
il y a une volonté multiple, hésitante ou confuse.
Au moment où Foucault écrit, deux solutions se présentent.
La première est celle d’Ali Amini, premier ministre
du Chah, qui propose un compromis : le Chah doit se retirer provisoirement
du pouvoir et laisser la politique reprendre ses droits. L’autre
est celle de Karim Sandjabi, leader du Front national, l’un
des partis de l’opposition : il propose l’organisation
d’un référendum sur le rejet de la dynastie.
Mais une troisième voix pose problème : celle de Khomeyni
et des religieux qui le suivent. Ils ont soutenu une volonté
collective et ne souhaiteront certainement pas que celle-ci soit
transformée en une coalition politique. Aussi Khomeyni propose
un autre référendum qui porterait sur l’adoption
d’un « gouvernement islamique ». Cette stratégie
toute politique, vise à éviter que les politiques
ne s’opposent aux religieux, l’islam faisant partie
intégrante de la révolte, et à limiter par
avance le jeu politique par une forme de gouvernement assuré
par les religieux.
Dans tous les cas repère Foucault, on se situe à
un moment charnière de la révolution : il s’agit
de savoir de quelle manière la volonté collective
va céder la place au politique. « C’est le problème
pratique de toutes les révolutions, c’est le problème
théorique de toutes les philosophies politiques » [46].
Le dernier article faisant suite au premier voyage de Foucault
s’intitule « Défi à l’opposition
» [47]. Il avait proposé deux titres : « L’ordre
a ses dangers » ou « Le week-end de Téhéran
». Il s’agit des samedi 4 et dimanche 5 novembre pendant
lesquels les étudiants brisèrent et brûlèrent
tout ce qui symbolisait la dynastie Pahlavi et l’Occident.
Selon Foucault, deux événements ont préparé
ce week-end :
* l’opposition s’est regroupée derrière
l’ayatollah Khomeyni : le dernier rempart à cela, Karim
Sandjabi, leader du Front national, a finalement accepté
de déclarer la monarchie du chah illégale et illégitime,
laissant ainsi le chah sans soutien même dans l’opposition
;
* la presse officieuse soviétique a estimé que la
revendication d’un gouvernement islamique en Iran était
« dangereuse », ce qui prive l’opposition des
appuis de l’URSS et donne à Khomeyni un crédit
supplémentaire.
Il se livre à un exercice de spéculation : selon
lui c’est le Chah et les Américains qui ont fait le
coup. Ils pensaient joué sur la peur d’une radicalisation
du mouvement de la part des opposants modérés et ainsi
faire ressentir le besoin du retour à l’ordre. Pour
cela, ils ont introduit un jeu de concurrence entre les groupes
étudiants les plus politisés et ceux qui sont les
plus religieux, misant sur une sorte de défi entre le radicalisme
révolutionnaire et le radicalisme islamique. Pour cette raison
également, et malgré la violence des manifestants,
l’armée n’est pas intervenue pour réprimer
l’opposition. Le Chah est ainsi réapparu comme le maître
de l’ordre, un peu comme De Gaulle en mai 68, lorsqu’il
a fui à Baden-Baden pour laisser l’impression d’une
vacance du pouvoir.
Malheureusement, le Chah a en face de lui les religieux, les mollahs
et l’ayatollah, qui eux ont d’autres ressources pour
se mobiliser que l’émeute. Le Chah peut maintenir l’ordre
dans la rue, mais pas dans la société. Foucault conclut
: « Le mouvement religieux qui a fini par absorber toute l’opposition
politique pourrait bien briser l’unité apparente de
l’armée et passer l’alliance avec l’une
de ses fractions. L’ordre a de ces dangers » [48]. Et
c’est exactement ce qu’il va se passer.
C. Le second voyage : du 9 au 15 novembre
« La révolte iranienne se propage sur les rubans des
cassettes » [49] est un article rédigé par Foucault
lors de son second séjour en Iran. La presse internationale
s’était rendue à Abadan en quête d’une
classe ouvrière organisée qui, à son tour,
après l’armée dont l’Occident avait attendu
ou craint une solution, pourrait faire la décision.
Foucault commence par mettre en avant les fêtes du Moharram
qui commencent le 2 décembre. Ces fêtes comme on l’a
vu, mettent en avant l’exaltation du martyr, aussi il faut
s’attendre à un regain de violence car c’est
le moment « où les foules sont prêtes à
avancer vers la mort dans l’ivresse du sacrifice » [50].
En prévision de cet événement, la solution
s’est durcie et le 5 novembre, les militaires sont arrivés
au pouvoir. La position de l’armée est délicate
: elle doit investir le pays avec suffisamment de force pour limiter
les effets du Moharram, mais elle doit rester mesurée pour
éviter l’explosion du désespoir. Ce changement
de cap a été suggéré par un petit lobby
composé d’un général, d’industriels
et de politiciens, non seulement parce que le Moharram arrive, mais
aussi parce que les grèves s’étendent à
tout le pays.
Foucault va étudier « sociologiquement » ces
mouvements de grève en comparant ceux des privilégiés
que sont les employés d’Iran air, avec ceux des ouvriers
d’Abadan, pour finalement montrer que ce mode d’analyse
n’est pas le bon. Il remarque en effet qu’il ne s’agit
pas d’une question d’argent. Les ouvriers de la raffinerie
ont reçus durant l’année une série de
primes importantes. Quant aux pilotes d’Iran air, ils ne peuvent
pas se plaindre de leur salaire. Par prudence, suppose Foucault,
aucun ne réclame le départ du Chah, même si
tous le désirent profondément. Ce qu’ils veulent,
« c’est l’abolition de la loi martiale, la libération
de tous les prisonniers politiques, la dissolution (…) de
la Savak, la condamnation de ceux qui ont volé ou torturé
» [51]. En réalité, la revendication ultime
de la fin du régime impérial chacun considère
que « c’est au peuple tout entier de la formuler »
[52]. La révolution du régime n’est donc pas
une revendication de classe, il s’agit d’une revendication
populaire et nationale : « ils ne forment pas une grève
générale, mais chacun s’assigne une fonction
nationale » [53]. C’est moins pour paralyser l’Iran
qu’ils font grève que pour défendre leur pays.
Finalement, la revendication ultime du changement de régime
n’est pas assumée par les grévistes mais elle
est déléguée à l’ayatollah : «
il suffit pour le moment que le vieux saint en exil à Paris
le demande pour eux, sans défaillir » [54]. Cette délégation
et ce nationalisme permettent la solidarité entre les individus.
Ils permettent de transcender les inégalités sociales
pour se retrouver unis dans un homme, une religion et une nation.
Ce nationalisme explique aussi la xénophobie croissante au
sein des groupes contestataires.
On a deux raisons principales à la vigueur du mouvement
: d’une part grâce aux organisations locales clandestines
et d’autre part grâce au point de cohésion hors
du pays et du jeux politique interne à l’Iran qu’apporte
Khomeyni. Que ce soient les ouvriers d’Abadan ou les pilotes
d’Iran air, un homme et un seul conserve la confiance des
Iraniens : Khomeyni. Le charisme de ce chef religieux qui demande
de façon inflexible le départ du chah s’explique
« dans l’amour que chacun nourrit individuellement pour
lui » [55].
Le durcissement du régime du à l’arrivée
des militaires dans les sphères du pouvoir n’a fait
qu’attiser la révolte. La Savak, qui cherche à
provoquer les manifestants pour leur attribuer ensuite les destructions,
ne fait que souffler sur les braises en suscitant de nouvelles explosions
comme celles qui ont eu lieu lors du week-end de Téhéran.
L’armée elle-même doit intervenir pour amener
les ouvriers de force au travail : mais elle ne peut pas les contraindre
à travailler. La censure a été rétablie,
laissant la place libre tout un réseau d’information
qui s’est construit pendant les quinze ans d’obscurantisme
du régime. Les cercles d’intellectuels, les téléphones,
les cabinets d’avocat, mais surtout les cassettes sur lesquelles
sont enregistrés les sermons et qui sont ensuite diffusés
des terrasses des maisons, tout cela agit comme des contre-pouvoirs.
Les cassettes sont un élément clef de ces cellules
de base de l’information : d’un côté le
mollah fabrique devant les journalistes la vérité
internationale de la grève mettant l’accent sur les
revendications économiques, de l’autre il enregistre
la vérité iranienne où tous les motifs sont
uniquement politiques. Pour Foucault ces cassettes sont «
l’instrument par excellence de la contre-information »
[56]. Elles se trouvent facilement dans tout le pays, dans certaines
rues des enfants marchent avec un magnétophone qui fait hurler
les voix des mollahs.
Le dernier article de la deuxième série commandée
à Foucault s’intitule « Le chef mythique de la
révolte de l’Iran » [57]. On peut noter que Foucault
souhaitait dans un premier temps intituler son article « La
folie de l’Iran ». L’article s’ouvre sur
un constat : la crise s’est étendue au pays tout entier.
On assiste à un « rejet global » du régime,
tout est remis en question : le développement économique,
la domination étrangère, la modernisation, la dynastie,
la vie quotidienne et les mœurs. Le pays n’a jamais été
colonisé, mais a toujours été propice à
des influences diverses, notamment de la part des Etats-Unis. Les
partis politiques se sont inscrits dans des dépendances vis-à-vis
de l’extérieur : le parti communiste est lié
à l’URSS, le Front national ne fait rien sans l’accord
des Américains. Ce qui fait dire à Foucault que «
les partis politiques ont été victime de ‘‘dictature
de la dépendance’’ qu’était le régime
du chah » [58]. S’il n’y a pas eu de colonisateur
occupant en Iran, il y a eu en revanche une armée nationale
et une police considérable, ce qui a empêché
les groupes politico-militaires opposés à la mise
sous tutelle de l’Iran d’imposer leurs vues. Pour cette
raison : « le rejet du régime est en Iran un phénomène
de société massif » [59]. Il n’est pas
pour autant confus, c’est ce qui fait sa force et la puissance
de son extension à l’ensemble des catégories
sociales du pays. Ainsi « aucun parti, aucun homme, aucune
idéologie politique ne peuvent pour le moment se vanter de
représenter ce mouvement. Personne ne peut prétendre
en prendre la tête. Il n’a dans l’ordre politique
aucun correspondant ni aucune expression » [60]. Ce mouvement
n’est pas politisable, du moins pour l’instant.
Or « le paradoxe est qu’il constitue pourtant une volonté
collective parfaitement unifiée » [61]. Même
si ce pays est très étendu et très divisé
géographiquement, notamment à cause de grands plateaux
désertiques, on trouve néanmoins dans cette contestation
une « formidable unité ». Cette volonté
collective transcende les clivages sociaux. Elle veut une chose
: le départ du Chah, mais qui signifie aussi tout le reste,
à savoir : la fin de la dépendance, de la Savak, de
la corruption, de la résurgence de l’islam, de la redistribution
des revenus pétroliers, de nouveaux rapports avec l’Occident,
bref un autre mode de vie. Si cette volonté collective va
s’hétérogénéiser lorsqu’il
va être question de politique, tant qu’on en restera
à ce simple soulèvement au pouvoir, elle demeurera
homogène.
Foucault compare la révolte iranienne à mai 68 :
les Iraniens veulent tout. Mais si en mai 68, on parlait d’une
libération des désirs, en décembre 78, ce sont
des hégémonies planétaires dont on veut s’affranchir.
Cet affranchissement n’est pas politique : qu’ils soient
libéraux ou marxistes, les partis politiques apparaissent
toujours soumis à ces hégémonies, mais c’est
un affranchissement de la politique dont il s’agit.
Le rôle mythique de Khomeyni vient de cette troisième
voie espérée en Iran. Khomeyni est un leader religieux
qui de part l’attachement personnel et intense qu’il
suscite détient un véritable poids politique. Pour
Foucault le lien de ce personnage à son peuple tient à
trois choses :
- il n’est pas là : il est en exil depuis 15 ans et
ne veut revenir en Iran qu’une fois le Chah parti ;
- il ne dit rien : à part non au Chah, au régime
et à la dépendance ;
- il n’est pas un homme politique : « il n’y
aura pas de parti de Khomeyni, il n’y aura pas de gouvernement
Khomeyni » [62].
Comme on l’a vu, c’est sur ce dernier point Foucault
commet une erreur, puisqu’il y aura bien un gouvernement Khomeyni,
après la proclamation de la République islamique.
Son erreur est qu’il ne pense pas que Khomeyni puisse être
tenté par abuser de son pouvoir politique du fait de son
aura religieuse. Il reste persuadé qu’il existe une
sphère spirituelle autonome qui n’a rien à gagner
à se mêler de politique. Cela on peut l’attribuer
à son entretien avec Chariati. On peut également le
soupçonner de christocentrisme : on voit qu’il se laisse
tromper par une conception occidentale du pouvoir religieux, de
la séparation entre le spirituel et le temporel, alors que
l’islam est une religion ayant avant tout une forte dimension
politique. Dès son origine, l’islam n’a pas eu
d’autres objectifs que l’expansion politique de la religion
musulmane. L’aspect religieux de l’islam s’est
donc généralement doublé d’un aspect
politique, offensif et impérialiste jusqu’au début
des Temps modernes, défensif et anti-impérialiste
face aux Occidentaux depuis la fin du XIXe siècle.
On peut néanmoins rapprocher cette analyse du chef charismatique
de La Société contre l’État de Pierre
Clastres [63] qui montre que le chef charismatique est le point
virtuel où se focalise l’image qu’une société
« primitive » a d’elle-même dans la négation
du pouvoir politique. Comme Clastres, Foucault décrit la
révolte d’une société contre son État.
Khomeyni incarne parfaitement ce chef invisible, silencieux et religieux.
Mais le religieux et le politique vont de pair dans le chiisme :
affirmer la religion, c’est une façon d’affirmer
le politique. En ce sens, vouloir séparer un souffle religieux
au sein d’une volonté collective et une volonté
politique toujours particulière repose sur une vision partielle
de l’islam chiite. Toute aussi partielle, que l’analyse
sociologique rejetée par Foucault, qui s’empêche
de saisir la dimension subjective du soulèvement.
Foucault termine son article en définissant la révolution
au sens littéral comme « une manière de se mettre
debout et de se redresser » [64]. Selon lui, ce n’est
pas de cela dont il s’agit en Iran. On assiste plutôt
une insurrection d’hommes non armés qui souhaitent
soulever le poids de l’ordre du monde entier. Il fait ainsi
preuve d’une plus grande lucidité politique lorsqu’il
déclare que « c’est peut-être la première
grande insurrection contre les systèmes planétaires,
la forme la plus moderne de la révolte et la plus folle »
[65]. Le peuple iranien ne veut pas seulement l’élimination
du Chah. Il veut quelque chose de plus qui met dans l’embarras
les hommes politiques. Ce mouvement pose un problème politique
car il est traversé par le souffle d’une religion,
une religion moins préoccupée par l’au-delà
que par « la transfiguration de ce monde-ci » [66].
Si la religion veut agir dans ce monde, cela signifie que la religion
a déjà ses réponses politiques toutes prêtes.
Il est curieux que Foucault fasse ici ce constat clairvoyant sans
pour autant en tirer des conclusions sur les dangers réels
que pose une religion à vocation politique. Mais on peut
néanmoins nuancer cet étonnement. D’une part
Foucault parle d’une forme de révolte folle, qui échappe
aux calculs de la politique, mais pas de la religion. Le peuple
iranien n’est pas en attente de politique, mais de religion
politique : c’est cela que Foucault qualifie de folie. D’autre
part, en tant que journaliste, Foucault veut saisir ce qui est en
train de se passer, il ne cherche pas à se faire le prophète
de ce qui va arriver, ni à chercher dans le passé
ce qui pourrait indiquer un possible danger de cette insurrection.
Or ce qui est en train de se passer, c’est l’aspiration
de tout un peuple à soulever le poids d’un ordre du
monde qu’on leur impose et qu’ils subissent. Foucault
souhaite respecter et saisir cette volonté collective dans
son indétermination. Il donne davantage une photographie
du présent qu’une histoire du futur. C’est pourquoi
il n’insiste pas sur les dangers potentiels d’un mouvement
animé par un souffle religieux. Ce mouvement, au moment où
il le photographie, il ne l’analyse pas en terme de politique
: sa réalité est d’être encore indéterminé
politiquement, rejetant même le politique. Le prix à
payer pour la vérité journalistique d’un événement
est celui ex post de la vérité historique : pour voir
et comprendre le présent, il faut mettre de côté
ce qui va ou peut arriver.
D. Après la révolution du 11 février
1979
Suite à la révolution iranienne du 11 février
1979, Foucault publie dans le Corriere della sera du 13 février
1979, un dernier article qui s’intitule « Une poudrière
appelée islam » [67].
Foucault commence par dire que les événements précédents
le 11 février 1979 ne peuvent pas réellement entrer
sous la catégorie de révolution. Il a fallu attendre
des barricades, des réserves d’armes pillées
et l’invasion du conseil des ministres par la foule pour que
l’histoire pose « au bas de la page le sceau rouge qui
authentifie la révolution » [68]. On assiste ainsi
à un changement de décor, la politique reprend ses
droits ainsi que la lutte des classes et l’organisation par
le parti des masses populaires.
Foucault fait ensuite le bilan de ses articles : il a montré
que le Chah était politiquement mort, que l’armée
n’était pas suffisamment homogène pour constituer
une force politique indépendante et que la religion ne ferait
aucun compromis mais serait une force contre un régime, un
mode de vie et un ordre du monde.
Ce qu’on voit apparaître à présent nous
dit Foucault, c’est « la stratégie du mouvement
religieux » [69]. L’histoire donne aux événements
une nouvelle dimension : les longues manifestations parfois sanglantes
mais toujours répétées étaient «
autant d’actes juridiques et politiques » [70]. Les
partis politiques, les Américains et l’armée
ont finalement été contournés. Une scission
dans l’armée a conduit une de ses parties à
rejoindre l’ayatollah et à distribuer des armes à
la foule. Le clash a ensuite été rapide : alors qu’on
risquait une guerre civile, l’état-major a compris
qu’une part importante de ses troupes ne lui obéissait
plus, et qu’elle disposait d’arsenaux suffisamment abondant
en armes pour les distribuer à des milliers de civils. Cela
a conduit à un ralliement en bloc à l’ayatollah.
Les chefs religieux ont ensuite demandé à ce qu’on
rende les armes.
C’est à présent que les tractations politiques
vont commencer. L’armée va retrouver un rôle
majeur et ses différents courants vont se disputer le rôle
de faire tenir le régime. Les marxistes-léninistes
vont garder leurs armes pour peser dans le jeu politique.
Foucault souligne le résultat, rare au XXe siècle,
auquel ce mouvement est parvenu : « un peuple sans armes qui
se dresse tout entier et renverse de ses mains un régime
‘‘tout puissant’’ » [71]. On voit
que Foucault, malgré les événements récents,
continue à placer le soulèvement populaire au cœur
de son analyse. Il ne le mythifie pas mais lui restaure sa véritable
force. Il lui donne également un véritable poids dans
la politique internationale : il a bouleversé « l’équilibre
stratégique mondial » [72]. Sa force réside
dans sa singularité, ce qui peut lui permettre également
de s’étendre à d’autres pays du Moyen-Orient.
« Comme mouvement ‘‘islamique’’, il
peut incendier toute la région, renverser les régimes
les plus instables et inquiéter les plus solides ».
Car l’Islam n’est pas seulement une religion, mais «
un mode de vie, une appartenance à une histoire et à
une civilisation », c’est pourquoi il « risque
de constituer une gigantesque poudrière, à l’échelle
de centaines de millions d’hommes. Depuis hier, tout Etat
musulman peut être révolutionné de l’intérieur,
à partir de ses traditions séculaires » [73].
La révolution a montré que c’était l’islam
qui était la source d’une redéfinition radicale
des modes de vie. C’est à partir de cette période
que Foucault va aller réinterroger les textes chrétiens
des premiers siècles. Peut-être que la révolution
iranienne lui a donné des idées pour chercher comment
l’Occident, à son tour, pourrait se révolutionner
de l’intérieur, à partir de ses traditions séculaires.
La conclusion de Foucault montre que l’islam est une force
de mobilisation. Il fait cette hypothèse – qui aujourd’hui
trouve une résonance dans l’actualité –
d’un mouvement palestinien dont les dimensions ne seraient
pas seulement politiques et juridiques (défendant les droits
du peuple palestinien) mais qui bénéficierait du «
dynamisme d’un mouvement islamique » [74]. Le moins
que l’on puisse dire est que ce genre de conclusion, même
si elle n’est pas fausse, fait quand même froid dans
le dos, lorsqu’elle n’est pas entourée d’inquiétudes
qui semblent ici plus qu’ailleurs, parfaitement légitimes.
III. Apologie de Michel Foucault
A. Une fausse polémique
Malgré un manque de prise de précautions, nécessaires
lorsque l’on s’adresse à un public qui n’est
pas familiarisé avec le discours propre à un champ
scientifique, Foucault a été attaqué, il nous
semble, injustement. Même si comme on a pu le voir, il ne
prend pas parti de manière explicite contre le mouvement
religieux, même s’il reste dans le descriptif et pas
assez dans le prescriptif (ce dont on attendrait de la part un philosophe,
mais qu’on aurait tôt fait de lui reprocher), il fait
néanmoins un travail sérieux de journaliste et publie
des articles bien informés et souvent très lucide
sur la situation iranienne.
On a parlé, après la publication de ces articles,
d’une polémique sur l’analyse de Foucault au
sujet de l’Iran. Or Foucault n’a jamais voulu entrer
dans ce jeu médiatique de la polémique. Il détestait
profondément ces techniques d’inquisiteur qui consistait
à faire avouer une faute en usant de stratagèmes perfides.
Tout juste il répondra à une lectrice iranienne de
manière succincte, afin qu’on ne fasse pas d’amalgame
entre l’islam et le fanatisme religieux.
Un texte néanmoins est intéressant pour comprendre
non seulement la méthode déroutante utilisée
par Foucault, mais également les ressorts de la critique
qu’il a essuyé par la suite. Il s’agit d’un
entretien avec P. Blanchet et C. Brière publié sous
le titre « L’esprit d’un monde sans esprit »
[75]. A partir de ce texte, le critique Bernard Ulmann attribue
des expressions ou des explications à Foucault empruntés
à Claire Bruière et à Pierre Blanchet. Ainsi
il conclut dans son article que « M. Foucault n’est
après tout ni le premier ni le dernier des intellectuels
occidentaux à entretenir quelques illusions sur les lendemains
d’une révolution, que ce soit celle d’octobre
1917, celle des Œillets du Portugal, ou celle qui jeta à
bas le trône des Pahlavi » [76].
Dans cet entretien, « L’esprit d’un monde sans
esprit », c’est C. Brière qui commence par se
demander pourquoi elle s’est laissée envoûter
par la Révolution iranienne. Il faut rappeler qu’elle
était avec P. Blanchet la correspondante de Libération
en Iran. Or dans ce livre que ces deux journalistes ont écrit,
Iran : la révolution au nom de Dieu, ils se montrent très
enthousiastes vis-à-vis de la révolution, alors qu’au
même moment, les premières exécutions d’opposants
au nouveau régime de Khomeyni sont connues en Occident.
Foucault déplace tout de suite la question de C. Brière,
préférant se demander pour commencer : « qu’y
a-t-il donc d’un peu agaçant dans ce qui s’est
passé en Iran pour toute une série de gens de gauche
ou de droite ? » [77]. Pour l’Iran remarque Foucault,
il n’y a justement pas eu de sympathie immédiate. Le
mouvement iranien a provoqué un certain agacement. Par exemple,
la révolte islamique a été qualifiée
par certains journaux occidentaux comme « fanatique ».
Derrière cette irritation, on trouve un étonnement,
voire un malaise qui surprend notre mentalité politique.
Ce malaise est lié à notre entente courante du terme
révolution. Pour nous, une révolution se caractérise
par deux dynamiques :
* une dynamique sociale : une contradiction interne à la
société avec une opposition entre différentes
classes ;
* une dynamique politique : la présence d’une avant-garde,
d’une classe, d’un parti ou d’une idéologie
politique.
Ce qui agace en Iran, c’est qu’on ne retrouve aucune
de ces deux dynamiques. On a un mouvement révolutionnaire
qui n’exprime ni une lutte des classes, ni un parti ou une
idéologie politique.
Les deux auteurs soulignent ensuite que lorsqu’on parle de
révolution, on entend ce terme ordinairement comme un progrès.
Or selon eux, le phénomène religieux remet en question
cette idée. Il existe une ambiguïté entre la
personne qui utilise le nom de Khomeyni comme un symbole, et celle
qui l’utilise en tant que religieux convaincu. Il faut donc
faire attention aux jeux de langage, c’est-à-dire selon
ce concept de Wittgenstein, qu’il faut prêter une attention
à la situation de l’énoncé.
Foucault répond en citant le livre de François Furet,
Penser la révolution [78]. François Furet fait une
distinction qui permet de débrouiller ce malaise dans lequel
on se trouve face à une révolution atypique. Il distingue
en effet deux choses :
* l’ensemble des processus de transformation économique
et sociale commençant avant la révolution de 1789
;
* la spécificité de l’événement
révolutionnaire : c’est-à-dire ce que les gens
éprouvent au fond d’eux-mêmes, ce qu’ils
vivent, le théâtre révolutionnaire qu’ils
fabriquent.
Pour l’Iran, c’est cette distinction que Foucault a
appliquée. On a une société iranienne avec
ses contradictions qu’il s’agit de prendre en compte.
Mais l’événement révolutionnaire en tant
qu’expérience intérieure et communautaire tout
en s’articulant sur la lutte des classes, ne la manifeste
pas de façon transparente. La position historique de la religion
vis-à-vis de la politique en Iran n’a pas le rôle
d’une idéologie qui sert à masquer les contradictions
afin d’assurer une union sacrée entre des intérêts
divergents. Le rôle de l’islam est d’être
« le vocabulaire, le cérémonial, le drame temporel
à l’intérieur duquel on pouvait loger le drame
historique d’un peuple qui met son existence en balance avec
celle de son souverain » [79].
Pierre Blanchet dit avoir été frappé par le
fait que cette révolution correspondait au soulèvement
de toute une population. Foucault renchérit en disant que
cet événement révolutionnaire a fait apparaître
quelque chose de rare dans une histoire : une volonté absolument
collective. Foucault pensait qu’il ne s’agissait que
d’un concept philosophique, que la volonté collective
n’existait pas. Or il en a fait l’expérience
en Iran : il a expérimenté la volonté collective
d’un peuple. Cette volonté, Khomeyni par son sens politique,
a su lui donner une cible : le départ du Chah. Il ne s’agit
pas simplement d’un regain de nationalisme, même si
le sentiment national très fort des Iraniens est une composante
du refus radical qui s’exprimait. Une composante plus essentielle
est le refus par un peuple de tout ce qui avait constitué
jusque là son destin politique.
La suite de l’entretien est très intéressante
car c’est Pierre Blanchet qui fait une comparaison avec la
Révolution culturelle chinoise. Il était alors avec
Claire Brière en Chine et déclare avoir eu «
le sentiment qu’il y avait le même type de volonté
collective » [80]. Mais ils s’apercevront ensuite d’avoir
été berné. En conséquence, il faut éviter
de s’émerveiller sur ce qui se passe en Iran. D’autant
que Pierre Blanchet remarque une analogie entre le charisme de Khomeyni
et celui de Mao Tsé-toung. Mais pour Foucault il faut faire
une différence entre la Révolution culturelle et la
Révolution islamique : si dans la première, il avait
une lutte au sein du parti entre certains éléments
et la population, dans la seconde ce n’était pas le
cas, le seul affrontement était celui d’un peuple entier
contre le pouvoir. Les manifestations, dans leur répétition
permanente, avaient un sens intense, il s’agissait de manifestations
au sens strict : « un peuple, inlassablement, rendait manifeste
sa volonté » [81]. On peut trouver un lien dans ces
manifestations entre l’action collective, le rituel religieux
et l’acte de droit public. Foucault définit ainsi ce
mouvement dans sa spécificité : « un acte, politique
et juridique, collectivement accompli à l’intérieur
des rites religieux – un acte de déchéance du
souverain » [82]. C’est cela qui a fasciné Foucault
avant tout dans la Révolution iranienne, le fait qu’il
se trouvait devant l’expérience d’une volonté
collective, voire générale qui luttait contre son
souverain : c’était la population contre la raison
d’Etat. Or si on lit les cours au Collège de France
intitulés Sécurité, Territoire, Population,
c’est exactement ce sur quoi Foucault travaille, et notamment
l’analyse de la nouvelle naturalité de cette population
que les gouvernants doivent prendre en compte comme objet d’une
science politique.
Pierre Blanchet nuance un peu cette idée d’une volonté
collective car il y avait derrière ce nom scandé par
les manifestants : « islam ! », une multiplicité
d’individus différents : des intellectuels, des étudiants,
des couches moyennes qui ne voulaient pas aller trop loin et des
éléments plus radicaux. Cette hétérogénéité
Foucault ne la nie pas. Simplement, il concentre son regard sur
le phénomène le plus important, à savoir le
phénomène révolutionnaire en Iran. On a l’un
des pays les mieux armés du monde, avec une police violente
que les Etats-Unis soutiennent, qui a de fortes ressources en pétrole
et dont pourtant, le peuple se soulève, affronte sans arme
les mitrailleuses, alors même que les difficultés économiques
n’étaient pas suffisamment importantes pour justifier
une telle révolte. Ce qui intéresse Foucault c’est
de savoir pourquoi à un moment donné des gens se lèvent
et disent que ça ne va plus. Or selon lui, « l’âme
du soulèvement » iranien est cette idée que
non seulement il faut changer ce régime corrompu et dépendant
de l’extérieur, mais aussi qu’il « nous
faut nous changer nous-mêmes » [83], c’est-à-dire
changer de mode de vie et de manière d’être.
La religion a été la garantie pour les Iraniens de
pouvoir changer radicalement leur subjectivité. Le chiisme
distingue l’obéissance externe au code et la vie spirituelle
profonde. Le changement de subjectivité pouvait s’opérer
à travers l’islam, à l’intérieur
de la pratique traditionnelle de l’islam qui constituait leur
identité. Ainsi ils ont vécu la religion islamique
comme une force révolutionnaire.
« Il y avait autre chose que la volonté d’obéir
plus fidèlement à la loi, continue Foucault, il y
avait la volonté de renouveler leur existence tout entière
en renouant avec une expérience spirituelle qu’ils
pens[ai]ent trouver au cœur même de l’islam chiite.
On cite toujours Marx et l’opium du peuple. La phrase qui
précède immédiatement et qu’on ne cite
jamais dit que la religion est l’esprit d’un monde sans
esprit. Disons donc que l’islam, cette année 1978,
n’a pas été l’opium du peuple, justement
parce qu’il a été l’esprit d’un
monde sans esprit » [84]. Parce que le régime du chah
laissait place à la corruption, à la soumission de
l’Iran vis-à-vis de l’étranger, à
la répression violente de la population, bref parce que ses
principales caractéristiques étaient le cynisme et
la vénalité, le peuple allant plonger dans ses racines
les plus profondes, dans la religion islamique, a eu un sursaut
moral, un besoin de réintroduire de la spiritualité
et de la morale dans un monde qui en manquait.
C’est ce phénomène révolutionnaire que
Foucault tente de saisir qui la fasciné. Il voit dans ce
sursaut une lumière qui finira par s’éteindre
dès que le politique reprendra ses droits, qu’il faudra
à nouveau faire des compromis. Simplement ce qu’il
faut mettre en avant, c’est qu’en amont du politique,
il n’y a pas eu une alliance entre différents groupes
politiques, ni entre deux classes sociales, mais il y a eu un phénomène
collectif qui a traversé le peuple en son entier. Chaque
Iranien qui défilait dans les rues était double :
d’un côté, il avait son calcul politique et de
l’autre c’était un Iranien soulevé contre
son roi. Ces deux éléments ne se recoupent pas selon
Foucault. Claire Brière appuie cette idée en soulignant
que les Kurdes, pourtant sunnites, se revendiquaient Iraniens.
Pierre Blanchet fait ensuite une remarque intéressante :
il émet l’hypothèse que le régime de
Khomeyni devienne une république islamique autoritaire, et
en ce cas souligne-t-il « on risque de voir de curieux retours
en arrière » [85]. Il existe une ambivalence dans ce
mouvement et le retour politique de Khomeyni : on peut dire que
Khomeyni va chercher à détruire ses opposants et qu’ainsi
il ne respecte pas la volonté d’une partie de sa population
comme les marxistes, les partisans du Front national ou l’intelligentsia.
Mais tout en étant vrai ce sera aussi faux. La bonne analyse
du phénomène révolutionnaire iranien est celle
qui n’essaye pas de décomposer ce phénomène
en ses éléments constituants, celle qui essaie «
de le laisser comme une lumière dont on sait bien qu’elle
est faite de plusieurs rayonnements. C’est là le risque
et l’intérêt de parler de l’Iran »
[86], précise Foucault. Foucault vise explicitement les historiens
qui pose un regard a posteriori sur les événements
et négligent ainsi les subjectivités, comme par exemple
cette Iranienne des beaux quartiers qui au contact de couches plus
défavorisées ressent en elle monter un élan
mystique, une émotion profonde. « Tout cela, regrette
Foucault, deviendra un jour, aux yeux des historiens, le ralliement
des classes supérieures à une gauche populaire, etc.
Ce sera une vérité analytique » [87].
Au fond, si on devait trouver une origine à la controverse
de Foucault sur l’Iran, on peut la trouver ici. Que fait Foucault
? Alors qu’on s’attendrait à avoir un schéma
analytique d’une réalité déjà
constituée, ce que donne ordinairement les historiens, Foucault
nous donne à voir un présent qui est vécu subjectivement
à la fois dans l’indétermination des événements
et l’intensité des émotions. L’analyse
de Claire Brière qui suit vient appuyer ce propos en montrant
que les journalistes occidentaux avaient souvent une logique qu’ils
plaquaient sur les événements, ce qui les empêchait
de saisir la spécificité du mouvement. Par exemple,
ils s’attendaient tous logiquement que le quarantième
jour de deuil suivant le « vendredi noir », soit le
jour d’un deuil très profond et douloureux. Or de nombreux
magasins étaient ouverts et les gens n’avaient pas
l’air endeuillé. Les Iraniens ont en fait repris leur
souffle pour relancer le mouvement de façon plus intense.
Elle compare le mouvement à un « rythme trépidant
» : « le mouvement obéissait à un rythme
qu’on pourrait comparer à celui d’un homme –
ils marchaient comme un seul homme – qui respire, qui se fatigue,
qui reprend son souffle, qui repart à l’attaque, mais
vraiment avec un souffle collectif » [88]. C’est ce
souffle collectif que le travail journalistique de Foucault tentait
probablement de saisir et non pas une quelconque vérité
analytique.
Foucault fait ensuite une remarque à propos de l’utilisation
de l’arme du pétrole. Or il remarque que la grève
et ses tactiques ne sont pas le fruit de calculs politiques faits
à l’avance. Tout s’est fait sur place, par les
ouvriers entre eux qui se sont coordonnés et qui ont fait
circuler l’information de ville en ville. C’était
au fond moins une grève que l’affirmation que le pétrole
appartenait aux Iraniens et non pas au Chah : « c’était
une grève de réappropriation nationale » [89].
Claire Brière souligne ensuite la contrepartie odieuse de
l’unicité. Face à une volonté commune
aussi puissante, il y a un conformisme qui s’en dégage,
et on fait la chasse à celui qui n’est pas conforme.
Ainsi pendant la révolution, il y a eu des actes et des propos
antisémites et xénophobes virulents. L’unicité
d’un mouvement fait sa force, mais sa faiblesse est de ne
pas tolérer la moindre petite différence. Toute différence
le menace, ce qui rend son intolérance nécessaire.
Foucault termine par une synthèse de l’entretien.
Selon lui, l’intensité du mouvement iranien vient de
deux choses :
* une volonté collective politiquement affirmée ;
* la volonté d’un changement radical dans l’existence.
Cette double affirmation prend appui sur des institutions qui portent
une part de nationalisme et de chauvinisme. Elle ne peut pas faire
autrement, car elles ont une force d’entraînement grande
pour les individus. Face à un pouvoir aussi féroce,
on ne peut pas partir de rien, ni être seul. Il reste un autre
enjeu tout aussi important selon Foucault : savoir si ce mouvement
unitaire va être capable de dépasser ces choses sur
lesquelles il s’est appuyé. Ce mouvement va-t-il pouvoir
effacer ces limites ou va-t-il les renforcer ? De nombreux Iraniens
espèrent un retour de la laïcité et de pouvoir
retrouver la vraie révolution. Ce que veut conserver Foucault
de ce mouvement c’est le « tout autre chose »
[90] vers quoi les Iraniens ont souhaité allé.
On voit par cet entretien que Foucault voulait s’intéresser
à la révolution comme mouvement unitaire. Ce n’est
pas la République islamique son objet d’étude,
mais la Révolution islamique. Il faut bien faire la différence
entre le processus et le résultat et ne pas juger ex post
un événement qui était en lui-même riche
de potentialités. A l’issue de cette discussion, on
ne peut pas dire que Foucault s’est laissé berné
par des illusions, au même titre que Sartre, qui en 1954 soutient
que « la liberté de critique est totale en URSS »
[91]. Foucault n’est pas un idéologue, mais un diagnosticien
: il analyse ce qui se passe dans une société. Autrement
dit, c’est un historien du présent : avec la même
rigueur que l’historien, il ne juge pas positivement ou négativement
un phénomène : il l’étudie pour lui-même.
Mais contrairement à l’historien du passé, il
ne dresse pas de schéma analytique de ce phénomène,
il en trace le portrait en respectant sa dynamique propre, sa qualité
d’événement ainsi que les subjectivités
qui en sont à l’origine. Tout phénomène
présent possède une potentialité et une singularité
qu’il s’agit de conserver si l’on veut être
au plus près de son sens et ne pas négliger la complexité
de ses dimensions.
B. La réponse de Foucault
Suite à la (mauvaise) critique de cet entretien par Bernard
Ulmann, journaliste de L’express, Foucault publie un ultime
article le 11 mai 1979 dans Le Monde afin d’éviter
de laisser planer le doute sur son travail journalistique.
Cet article s’intitule « Inutile de se soulever ? »
[92]. Il commence par la mise en parallèle de deux phrases
: l’une d’un manifestant Iranien de l’été
1978 qui se dit près à mourir pour le départ
du Chah, l’autre de Khomeyni de l’été
1979 qui déclare que l’Iran doit saigner pour que la
révolution soit forte. Ce qu’il faut éviter,
c’est l’amalgame : juger le manifestant à partir
des événements présents. Il ne faut pas condamner
l’ivresse de la première phrase par l’horreur
de la seconde.
Foucault le répète : si les soulèvements appartiennent
à l’histoire, ils lui échappent. Aucun pouvoir
ne peut avoir prise sur le mouvement d’un homme ou d’un
peuple qui, estimant le pouvoir injuste, se révolte au risque
de sa vie. « L’homme qui se lève est finalement
sans explication » [93]. Il y a chez Foucault une mystique
du soulèvement, quelque chose qui échappe à
la raison. Il est irrationnel de préférer le risque
de la mort à la certitude de l’obéissance. On
peut lui reprocher cette mystique, mais pas de se prononcer en faveur
de la République islamique.
Cette irrationalité du soulèvement est le point d’ancrage
de toutes les formes de libertés qui sont acquises ou réclamées,
un point d’ancrage qui est plus solide encore que la revendication
des droits naturels. Derrière toute forme de pouvoir, il
y a une possibilité pour que celui-ci n’agisse plus
et que les hommes se soulèvent au mépris de leur propre
vie.
Les soulèvements prennent facilement leur expression et
leur dramaturgie dans les religions parce qu’ils sont à
la fois en dehors et dans l’histoire. Les promesses de l’au-delà
et l’attente du sauveur ont constitué pendant des siècles
une façon de vivre les soulèvements.
Depuis la Révolution de 1789, on a considéré
la révolution comme un soulèvement qui s’ancre
dans une histoire rationnelle et maîtrisable. Elle a été
le lieu d’une polarisation des espoirs. On lui a donné
une légitimité, on a fait la critique de ses bonnes
ou de ses mauvaises formes. Or Foucault veut en revenir à
ce qui fait l’« énigme du soulèvement
» [94]. Ce qu’il cherchait en Iran ce n’était
pas les « raisons profondes » du soulèvement,
mais « la manière dont il était vécu,
(…) comprendre ce qui se passait dans la tête de ces
hommes et de ces femmes quand ils risquaient leur vie » [95].Les
Iraniens inscrivaient leur haine et leur volonté de renverser
le régime dans une histoire rêvée à la
fois religieuse et politique. Le rythme des manifestations épousait
le rythme des cérémonies religieuses. Ce rythme renvoyait
à une dramaturgie intemporelle où le pouvoir était
toujours maudit. On a ainsi eu au XXe siècle, une superposition
entre le religieux et le politique qui est assez proche de ce l’Occident
a connu lorsqu’il a voulu inscrire les figures de la spiritualité
sur le sol de la politique. En muselant le politique, le régime
du Chah a acculé les révoltés à s’appuyer
sur la religion.
L’élément religieux ne pouvait pas s’effacer
au profit d’idéologies moins « archaïques
», et ceci pour plusieurs raisons selon Foucault : un mouvement
au succès rapide, un clergé dont l’emprise sur
la population est forte et un contexte stratégique vis-à-vis
des pays musulmans voisins. Ainsi les contenus imaginaires de la
révolte ne se sont pas dissipés après la révolution.
Ils ont été transposés sur la scène
politique où on avait à la fois l’espoir formidable
de faire de l’islam une grande civilisation et des formes
atroces de xénophobie virulente, le problème de l’impérialisme
et l’assujettissement des femmes.
Foucault insiste sur le fait qu’il ne faut pas confondre
la spiritualité dont se réclamaient ceux qui allaient
mourir et le gouvernement sanglant d’un clergé intégriste.
On ne peut pas appliquer à la révolution iranienne
cette « loi » des révolutions, selon laquelle
la tyrannie était en puissance dans le cœur des manifestants.
Les religieux iraniens instrumentalisent le mouvement pour donner
une légitimité à leur gouvernement. En disqualifiant
le mouvement, on lui fait subir la même violence que les mollahs
dans le sens où, à chaque fois, on raisonne selon
la peur de cet événement révolutionnaire. Il
est donc important de faire ressortir ce qu’il y a de non
réductible dans un tel mouvement et de menaçant pour
tout despotisme, qu’il soit celui d’un chah ou celui
d’un ayatollah.
Foucault s’explique dans cet article de ses positions : il
n’a pas changé d’avis, simplement on peut être
contre les tortures de la Savak sous le régime du Chah, et
contre les violences politiques des mollahs sans remettre en cause
le phénomène révolutionnaire en tant que tel.
On ne fait pas la morale à quelqu’un qui risque sa
vie contre un pouvoir en lui disant a posteriori qu’il est
responsable du résultat, et que par conséquent il
est inutile de se soulever au motif que ce sera toujours la même
chose. On peut avoir raison ou tort de se révolter, mais
quand on se soulève, il ne faut pas oublier qu’on a
en face de soi une subjectivité qui s’introduit dans
l’histoire et lui donne son souffle.
Cette subjectivité on la retrouve à plusieurs niveaux.
« Un délinquant met sa vie en balance contre des châtiments
abusifs ; un fou n’en peut plus d’être enfermé
et déchu ; un peuple refuse le régime qui l’opprime.
Cela ne rend pas innocent le premier, ne guérit pas l’autre,
et n’assure pas au troisième les lendemains promis.
Nul, d’ailleurs, n’est tenu de leur être solidaire.
Nul n’est tenu de trouver que ces voix confuses chantent mieux
que les autres et disent le fin fond du vrai. Il suffit qu’elles
existent et qu’elles aient contre elles tout ce qui s’acharne
à les faire taire, pour qu’il y ait un sens à
les écouter et à chercher ce qu’elles veulent
dire » [96]. C’est une question de réalité
plus que de morale : « tous les désenchantements de
l’histoire n’y feront rien : c’est parce qu’il
y a de telles voix que le temps des hommes n’a pas la forme
de l’évolution, mais celle de l’« histoire
», justement » [97]. On a au début de la phrase
une analogie curieuse : le peuple qui se soulève est comparé
au délinquant et au fou. Selon Olivier Roy, le peuple «
envoie le pouvoir à la nudité de sa seule force »
[98]. Le révolutionnaire tout comme le fou et le délinquant,
au moment où il se soulève, n’est pas porteur
d’un ordre nouveau mais il dénude le pouvoir et le
fait apparaître tel qu’il est. On a donc ici le principe
de la subjectivité, une subjectivité qui est une réalité
dont il faut tenir compte, car elle est historique et non pas biologique.
Le temps humain est un temps spécifique, différent
du temps de la nature. Il est une durée, une temporalité
historiale pour reprendre les mots de Heidegger.
Mais il y a également un second principe qui est celui de
l’exercice du pouvoir. Le pouvoir n’est pas par nature
un mal selon Foucault. Simplement « le pouvoir, par ses mécanismes,
est infini » [99]. Cela ne signifie pas qu’il est tout-puissant,
mais que pour le limiter, les règles ne sont jamais assez
rigoureuses : il faut toujours lui opposer des lois infranchissables
et des droits sans restriction.
Foucault termine par donner une définition de l’intellectuel
dont nous avons parlé plus haut : l’intellectuel a
pour rôle de porter une attention à la singularité
qui se soulève. L’intellectuel n’est pas celui
qui spécule sur les idées et qui en oublie les individus.
L’intellectuel est celui qui porte attention aux individus
inscrit dans le concret d’une situation, qui se trouvent dans
l’événement, toujours un peu au-dessous l’histoire
(dont ils n’ont pas encore le déroulement chronologique)
et un peu en arrière de la politique (dont ils n’ont
pas encore toutes les clefs pour limiter inconditionnellement le
pouvoir).
Epilogue
Pour terminer notre travail sur les relations entre Foucault et
l’Iran nous pouvons mobiliser un dernier texte publié
dans Le Nouvel Observateur [100] le 14 avril 1979. Il s’agit
d’une « Lettre ouverte à Mehdi Bazargan ».
Le 5 février 1979, Mehdi Bazargan a été chargé
par Khomeyni de constituer un gouvernement. Le 7 février,
un gouvernement islamique était proclamé. Le 17 commençaient
les premières exécutions d’opposants par des
commandos se réclamant de Khomeyni.
Mehdi Bazargan a rencontré Foucault en septembre 1978. Il
représentait le médiateur entre le courant laïque
des défenseurs des droits de l’homme et les religieux.
Il fut lui-même en 1977 le fondateur du Comité de défense
des libertés et des droits de l’homme en Iran. Il finit
par démissionner de son poste suite à la prise d’otage
de l’ambassade américaine à Téhéran
par les étudiants khomeynistes.
Foucault s’adresse à lui en tant que responsable du
gouvernement islamique. Il souhaite lui rappeler la discussion qu’ils
ont eu ensemble en septembre. Mehdi Bazargan lui faisait alors part
de son espoir de trouver dans l’islam une garantie réelle
pour des droits de l’homme. Il en donnait trois raisons :
une dimension spirituelle : le gouvernement islamique ne désigne
pas un gouvernement de mollahs mais la volonté d’un
peuple de vivre autrement ;
une dimension historique : la force historique de l’islam
le rend davantage capable de garantir des droits que le socialisme
ou le capitalisme, plus récents (Foucault fait une précision
importante : il s’agit de se défier du raccourci qui
tendrait à déclarer tout gouvernement parce qu’il
est islamique, essentiellement mauvais : le terme gouvernement est
à lui seul suffisamment suspicieux pour qu’on éveille
sa vigilance quelque soit le qualificatif ajouté après
: démocratique, socialiste, libéral ou populaire)
;
une dimension morale : en fondant un gouvernement sur l’islam,
on laisse possible une critique du gouvernement au nom de la religion,
on a l’idée d’une sorte de désobéissance
civile inscrite non pas dans la loi du pays mais dans la religion
que le gouvernant partage avec les gouvernés. Foucault précise
qu’il accorde beaucoup d’importance à cette idée.
Non pas parce qu’il croit en la capacité des gouvernants
à moraliser leurs actions, mais parce que le peuple, au nom
des devoirs fondamentaux que nul gouvernement ne peut nier, peut
leur imposer de respecter leurs devoirs.
Les rapports que partagent un peuple avec ceux qui les gouvernent
sont primordiaux : le soulèvement du peuple, comme le moment
où la puissance publique s’abat sur un individu sont
fondamentaux. Le pouvoir en jugeant ses ennemis, s’offre au
jugement du peuple. Dans un procès, la puissance publique
se montre sans masque. Pour se faire respecter, elle doit se montrer
respectueuse, en tout cas si le droit dont elle se prévaut
est bien un droit qui défend le peuple et non qui le soumet
au joug du souverain. Tout gouvernement doit accepter de se soumettre
au jugement de tout homme dans le monde car « gouverner n’est
pas un droit convoité, mais un devoir extrêmement difficile
» [101]. Foucault conclut sur une espérance : un peuple
qui s’est libéré avec tant de force du joug
qu’on lui imposait ne doit pas avoir à le regretter.
En conclusion, on peut dire que cette lettre ouverte exprime une
certaine déception vis-à-vis de la révolution
islamique, qui est le corrélat logique de l’espoir
qu’il y avait placé. Mais cet espoir est aussi la preuve
de sa prudence et de son esprit d’ouverture face aux potentialités
de cette révolution. On ne peut pas lui reprocher d’avoir
été attentif à ces voix qui se soulevaient
et de ne pas avoir condamner une révolution dont on ne pouvait
pas prévoir l’issue. Cependant on peut être mal
à l’aise lorsqu’il parle d’une «
énigme du soulèvement », car en restaurant cet
aspect ésotérique, il s’empêche de saisir
le danger du mélange politique et religion, révolte
et mystique. En voulant s’aménager une pierre de touche
pour penser autrement, il réintroduit de la mystique là
où l’on pourrait rechercher d’autres types d’explications.
Si son analyse aide à saisir les raisons superficielles,
au niveau de l’engagement de l’individu et ainsi de
comprendre le mouvement dans sa globalité et dans son rythme,
le prix à payer est la réintroduction du mythe et
du grand récit dans la compréhension des acteurs.
Foucault produit une analyse qui réintroduit le soupçon
du mythe et du grand récit dans le champ du savoir, c’est-à-dire
qu’il reconduit à traiter le mythe et le grand récit
comme ayant une effectivité moderne. C’est d’ailleurs
le trait souvent gênant des analyses culturalistes, qui croyant
se défaire du grand récit, en reconstituent un autre
selon les mêmes logiques.
L’autre reproche que l’on peut faire à Foucault
est qu’il ne prend peut être pas suffisamment de précautions
lorsqu’il avance dans son raisonnement. Il faut en effet distinguer
deux choses : ce qui produit des « effets de savoir »
et ce qui engendre des « effets d’opinion » [102].
L’analyse de Foucault est pertinente au niveau du savoir.
En revanche, elle passe mal dans l’opinion, justement parce
qu’elle requalifie le mythe, le grand récit, la religion
positivement. Bien sûr cette requalification est faite avec
de nombreuses subtilités intellectuelles, et un effort de
déplacement des méthodes traditionnelles somme toute
louable. Mais la publication espacée en plusieurs articles
dans des journaux d’opinions se prête mal à ce
genre d’exercice. Foucault a très bien compris cela,
c’est pour cette raison d’ailleurs que sa tentative
journalistique s’arrêtera là. Sa plus grande
qualité est aussi peut-être ce qui l’a desservi
dans cette controverse, à savoir son sérieux.
N R
Bibliographie
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et l’Iran » in Vacarme n°29, automne 2004.
Ulmann B., « Iran, la vengeance du prophète »
in L’express, n°1449, 20/04/1979.
Notes
[1] Afary, Janet et Anderson, Kevin B., Foucault and the Iranian
Revolution. Gender and the Seductions of Islamism. Chicago et Londres,
The University of Chicago Press, 2005, 346 p.
[2] Ulmann B., « Iran, la vengeance du prophète »
in L’express, n°1449, 20/04/1979.
[3] Roy O., « L’énigme du soulèvement.
Foucault et l’Iran » in Vacarme n°29, automne 2004.
http://www.vacarme.eu.org/article13...
[4] Ibid.
[5] Dits et écrits, tome II, texte n°250, « Les
‘‘reportages’’ d’idées »,
p. 707.
[6] Ibid.
[7] Ibid.
[8] Foucault M., « L’armée. Quand la terre tremble
» (Corriere della sera du 28/09/1978), « Le Shah a cent
de retard » (Corriere della sera du 01/10/1978), « Téhéran
: la foi contre le Shah « (Corriere della sera du 08/10/1978),
« Retour au prophète » (Corriere della sera du
22/10/1978), « Une révolte aux mains nues » (Corriere
della sera du 05/11/1978), « Défi à l’opposition
» (Corriere della sera du 07/11/1978).
[9] Foucault M., « A quoi rêvent les Iraniens ? »
(Le Nouvel Observateur du 16/10/1978).
[10] Dits et Ecrits, tome II, texte n°245, « A quoi rêvent
les Iraniens ? », p. 690.
[11] Eribon D., Michel Foucault, Flammarion, 1989, p. 304.
[12] Foucault M., « La révolte iranienne se partage
sur les rubans des cassettes » (Corriere della sera du 19/11/1979),
« Le Chef mythique de la révolte » (Corriere
della sera du 26/11/1978).
[13] Foucault M., « Le Chef mythique de la révolte
», Dits et Ecrits, texte n°253, p. 716.
[14] Eribon (op. cit.) reprend une partie de la lettre adressée
à Foucault dans son livre p. 305. Notre citation est extraite
de la présentation du texte n°251, « Réponse
de Michel Foucault à une lectrice iranienne », parue
dans les Dits et Ecrits, tome II, p. 708. Pour consulter la lettre
d’une lectrice iranienne, cf. « Une iranienne écrit
», Le Nouvel Observateur du 06/11/1978. La réponse
de Michel Foucault est parue la semaine suivante dans Le Nouvel
Observateur du 13/11/1978.
[15] « Réponse de Michel Foucault à une lectrice
iranienne », op. cit.
[16] « Une poudrière appelée islam »
(Corriere della sera du 13/02/1979). Voir Dits et Ecrits, tome II,
texte n°261.
[17] Dits et Ecrits, tome II, texte n°253, « Le chef
mythique de la révolte de l’Iran », p. 714.
[18] Eribon D., Michel Foucault, op. cit., p. 306.
[19] Cité par Eribon, op. cit., p. 307. Defert D., Quelques
repères chronologiques, in Michel Foucault, une histoire
de la vérité, éd. Syros, 1985, p. 114.
[20] Broyelle C. et J., « A quoi rêvent les philosophes
? », Le Matin, n°646, 24/03/1979, p. 13.
[21] « Michel Foucault et l’Iran », Le Matin,
n°647, 26/03/1979, p. 15. Cf. Dits et Ecrits, tome II, texte
n°262, p. 762.
[22] Dits et Ecrits, tome II, texte n°269, « Inutile
de se soulever ? », p 794.
[23] Dits et Ecrits, tome II, texte n°266, p. 783.
[24] Dits et Ecrits, tome II, texte n°241, « L’armée,
quand la terre tremble », p. 664.
[25] Ibid.
[26] Ibid.
[27] Ibid., p. 666.
[28] Ibid., p. 667.
[29] Ibid. p. 668-669.
[30] Dits et Ecrits, tome II, texte n°243, « Le chah
a cent ans de retard », p. 679.
[31] Ibid., p. 680.
[32] Ibid., p. 683.
[33] Dits et Ecrits, tome II, texte n°244, « Téhéran
: la foi contre le chah », p. 683.
[34] Ibid., p. 688.
[35] Dits et Ecrits, tome II, texte n°245, « A quoi rêvent
les Iraniens ? », p. 688.
[36] Ibid., p. 690.
[37] Ibid., p. 691.
[38] Ibid., p. 692.
[39] Ibid., p. 693.
[40] Ibid., p. 694.
[41] Ibid.
[42] Dits et Ecrits, tome II, texte n°248, « Une révolte
à mains nues », p. 701.
[43] Ibid.
[44] Ibid., p. 702.
[45] Ibid.
[46] Ibid., p. 704.
[47] Dits et Ecrits, tome II, texte n°249, « Défi
à l’opposition », p. 704.
[48] Ibid., p. 706.
[49] Dits et Ecrits, tome II, texte n°252, « La révolte
iranienne se propage sur les rubans des cassettes », p. 709.
[50] Ibid.
[51] Ibid., p. 711.
[52] Ibid.
[53] Ibid.
[54] Ibid.
[55] Ibid., p. 712.
[56] Ibid., p. 713.
[57] Dits et Ecrits, tome II, texte n°253, « Le chef
mythique de la révolte de l’Iran », p. 713.
[58] Ibid., p. 714.
[59] Ibid., p. 715.
[60] Ibid.
[61] Ibid.
[62] Ibid., p. 716.
[63] Clastres P., La société contre l’Etat,
Minuit, coll. « Critique », 2004.
[64] Ibid.
[65] Ibid.
[66] Ibid.
[67] Dits et Ecrits, tome II, texte n°261, « Une poudrière
appelée islam », p. 759.
[68] Ibid.
[69] Ibid., p. 760.
[70] Ibid.
[71] Ibid., p. 761.
[72] Ibid.
[73] Ibid.
[74] Ibid.
[75] Dits et Ecrits, tome II, texte n°259, « L’esprit
d’un monde sans esprit », p. 743. Ce texte a été
publié in Lanchet P. et Brière C., Iran : la révolution
au nom de Dieu, Paris, Seuil, 1979.
[76] Ulmann B., « Iran, la vengeance du prophète »,
op. cit.
[77] Dits et Ecrits, tome II, texte n°259, « L’esprit
d’un monde sans esprit », p. 743.
[78] Furet F., Penser la révolution, Paris, Gallimard, 1978.
[79] « L’esprit d’un monde sans esprit »,
op. cit., p. 746.
[80] Ibid., p. 747.
[81] Ibid.
[82] Ibid.
[83] Ibid., p. 749.
[84] Ibid.
[85] Ibid., p. 751.
[86] Ibid.
[87] Ibid, p. 752.
[88] Ibid.
[89] Ibid., p. 753.
[90] Ibid., p. 755.
[91] « La liberté de critique est totale en URSS et
le citoyen soviétique améliore sans cesse sa condition
au sein d’une société en progression continuelle
» déclarait Sartre en 1954, de retour d’URSS,
dans Libération.
[92] Dits et Ecrits, tome II, texte n°269, « Inutile
de se soulever ? », p. 790.
[93] Ibid., p. 791.
[94] Ibid., p. 792.
[95] Ibid.
[96] Ibid., p. 793.
[97] Ibid., p. 794.
[98] Roy O., « L’énigme du soulèvement.
Foucault et l’Iran », op. cit.
[99] Ibid.
[100] « Lettre ouverte à Mehdi Bazargan », Le
Nouvel Observateur, n°753, 14-20/04/1979, p. 46. Cf. Dits et
Ecrits, tome II, texte n°265, p. 780.
[101] Ibid., p. 782.
[102] Eribon D., Michel Foucault, op. cit., p. 310.
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