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Foucault et la fonction-auteur dans son« Qu’est-ce qu’un auteur ? »
Peter Vandendriessche

Origine http://www.geocities.com/groupedumercredi/questcequunauteur.html

« Donner un Auteur à un texte, c’est imposer à ce texte un cran d’arrêt, c’est le pourvoir d’un signifié dernier, c’est fermer l’écriture. » (Roland Barthes dans « La mort de l’auteur »)

Introduction

On s’aperçoit vite qu’en littérature l’on attribue un rôle capital à l’auteur : la critique[1] s’en inspire pour expliquer des œuvres littéraires en cherchant « l’intention » de l’auteur, la recherche s’oriente souvent à partir d’un auteur, et les lecteurs orientent entre autres leur lecture vers d’autres œuvres d’un même auteur après une lecture satisfaisante. Une analyse sommaire de l’importance de l’auteur dans le champ (méta-)littéraire se trouve dans la première partie de notre travail.

Cependant le poststructuralisme a voulu proclamer la disparition de l’auteur, voire ‘La mort de l’auteur’ ; cette thématique se trouve dans deux textes-phare : « La mort de l’auteur »[2] et « Qu’est-ce qu’un auteur ? »[3]. Dans une seconde partie de notre travail, nous aimerions élucidé l’article de Foucault.

Pour finir, nous donnerons quelques réflexions à propos de l’article.

L’importance de l’auteur dans le littéraire

Nous pensons qu’il est possible de regrouper les influences qu’a l’auteur en trois fonctions.

Il y a tout d’abord la fonction incitative voulant dire que dans cette fonction l’auteur est un des moteurs du (méta-) littéraire. On peut apercevoir cette fonction quand un lecteur ayant lu un livre d’un auteur se met à lire ses autres écrits ou après avoir lu une interview dans un quotidien[4]. On s’en rend également compte par le fait que la recherche est souvent orientée par un auteur, voir entre autres les centres de recherche autour d’un auteur, ou les textes de jeunesse d’auteurs consacrés qui dans le cas contraire sombreraient dans l’oubli. Cette fonction s’aperçoit finalement dans le côté commercial de l’industrie littéraire : un livre ayant un auteur connu vendra mieux ou plus facilement. Ceci est une des raisons pour lesquelles un auteur consacré/avec succès a moins de problèmes à faire éditer ses livres (, ce qui a son tour montre l’importance de l’auteur).

Puis il y a la fonction classificative, dans ce sens que l’auteur permet de regrouper des textes et/ou donner ‘une étiquette’ ou un programme. Dans le premier sens, la classification dans nos bibliothèques est la plus remarquable. Dans le deuxième sens, il y a la possibilité de regrouper certains épigones, en disant par exemple : « Ca fait très Proust ». Ou le fait que l’auteur d’un épigraphe et l’emploi de références à certains auteurs peuvent donner une idée de l’orientation du texte (voulue par l’auteur).

Enfin il y a la fonction explicative ; l’auteur est ici employé pour expliquer ses œuvres et certaines idées voilées (ou non) dans l’œuvre.
Il y a toute une tradition critique qui a attaché beaucoup d’importance à la biographie de l’auteur pour expliquer des œuvres, pensons par exemple aux traditions lansiennes et beuviennes, ce qui est très rassurant comme démarche : si on sait ce que l’auteur veut dire, pas besoin d’interprétation[5].

Finalement, l’auteur joue aussi un rôle (encore) plus fondamental. Primo, parce qu’il est le principe par lequel la plupart des éditions des œuvres sont guidées : on choisit le texte de base selon le degré d’autor-ité. Secundo, parce qu’ils servent comme exemple et preuve pour la grammaire traditionnelle. Un auteur peut donc aussi incarner des normes linguistiques.

« Qu’est-ce qu’un auteur ? » de Michel Foucault

Il y a deux raisons pour lesquelles Michel Foucault a entamé l’analyse de l’auteur.
Primo, parce qu’il trouvait qu’il avait trop naïvement employé la notion d’auteur dans Les Mots et les Choses dans « lequel il a tenté d’analyser des masses verbales, des sortes de nappes discursives, qui n’étaient pas scandées par les unités habituelles du livre, de l’œuvre et de l’auteur »[6].
Secundo, parce qu’il a voulu « envisager le seul rapport du texte à l’auteur », notion qui constitue le moment fort de l’individualisation (820).

La disparition de l’auteur

Il prend comme point de départ une formulation de Beckett : « Qu’importe qui parle, quelqu’un a dit qu’importe qui parle » qu’il dit être un des principes éthiques[7] fondamentaux de l’écriture. Foucault en tire deux thèmes majeurs, à savoir le fait que l’écriture ne veut plus être l’expression du sujet écrivant ou la manifestation du geste d’écrire et le fait qu’il y a « parenté de l’écriture avec la mort » (821). La littérature ne se fait plus pour conjurer la mort (comme chez les Grecs : un héros tombé reçoit l’immortalité dans l’épopée). De nos jours, selon Foucault, la littérature est en premier lieu lié au sacrifice que font les auteurs de leur vie, ce qui se voit à des auteurs comme Flaubert et Proust qui ont sacrifié leur vie pour leur œuvre. L’écriture est aussi liée à la mort parce que le sujet écrivant efface tous les signes qui renvoient à sa personnalité.

Cependant, Foucault observe que l’on n’a pas encore pensé à toutes les conséquences du constat de la disparition de l’auteur. Deux notions qui se sont substitués au privilège de l’auteur le perpétuent insidieusement.
La première est ‘ l’œuvre ’. La critique ne veut plus dégager les rapports de l’œuvre à l’auteur mais elle analyse plutôt « l’œuvre dans sa structure, dans son architecture, dans sa forme intrinsèque et dans le jeu de ses relations internes »(822). Mais la notion d’œuvre est problématique, premièrement parce qu’elle suppose toujours le règne de l’auteur et deuxièmement parce qu’il n’y a pas vraiment une théorie de l’œuvre. « Parmi les millions de traces laissées par quelqu’un après sa mort, comment peut-on définir une œuvre ? » (822).
La deuxième est celle de l’écriture parce qu’elle « transpose <…> dans un anonymat transcendantal, les caractères empiriques de l’auteur » (823).

La fonction auteur : problèmes et caractéristiques

L’usage du nom d’auteur pose plusieurs problèmes.

Tout d’abord « le lien du nom propre avec l’individu nommé et le lien du nom d’auteur avec ce qu’il nomme ne sont pas isomorphes et ne fonctionnent pas de la même façon » (825). Par exemple : ce n’est pas parce que Peter Vandendriessche n’est pas né à Roulers, ou n’a pas les yeux bleu-vert que ce signifiant ne renvoie plus à la même personne. Par contre, s’il s’avère que Shakespeare n’a pas écrit les Sonnets ou aurait quand même écrit Organon changerait. Le nom d’auteur peut aussi regrouper plusieurs individus (Nicolas Bourbaki par exemple) ou même plusieurs ‘auteurs’ (pensons aux multiples pseudonymes de Fernando Pessoa).

Deuxièmement, le nom d’auteur assure une fonction classificatoire aux discours parce qu’il regroupe un certain nombre de textes. « Que plusieurs textes aient été placés sous un même nom indique qu’on établissait entre eux un rapport d’homogénéité, ou d’authentification des uns par les autres, ou d’explication réciproque, ou d’utilisation concomitante. » (826).

Troisièmement, « le nom d’auteur fonctionne pour caractériser un certain mode d’être du discours ». Le fait qu’un discours est doté d’un auteur, montre que c’est une parole qui n’est pas quotidienne, immédiatement consommable. « Il s’agit [par contre] d’une parole qui doit être reçue sur un certain mode et qui doit, dans une culture donnée, recevoir un certain statut » (826).

Ces trois problèmes ressortent du fait que « le nom d’auteur n’est pas situé dans l’état civil des hommes, il n’est pas non plus situé dans la fiction de l’œuvre, il est situé dans la rupture qui instaure un certain groupe de discours et son mode d’être singulier » (826).

Une fois ces problèmes reconnus, Foucault donne quatre caractères différents de la fonction-auteur.

Primo, l’auteur est un sujet pénal, qui peut être puni. Les textes ont reçu une fonction-auteur dans la mesure où les discours pouvaient être transgressifs. Par cette appropriation, la littérature reçoit, selon Foucault, de plus en plus la transgression comme impératif.

Secundo, « la fonction-auteur ne s’exerce pas d’une façon universelle et constante sur tous les discours » (827). Il y eut un temps dans lequel les textes littéraires circulaient sans que leur anonymat faisait difficulté, tandis que de nos jours on ne supporte plus l’anonymat littéraire ; s’il y en a, « nous ne l’acceptons qu’à titre d’énigme » (828). Ou, dans le discours scientifique : au Moyen Âge une certaine thèse était prouvée lorsqu’on citait auteur (consacré naturellement) comme Hippocrate ou Pline. De nos jours, l’auteur ne joue plus que le rôle d’indice de fiabilité : les dires d’un spécialistes valent plus que ceux d’un amateur, mais ils n’ont toutefois plus un caractère béatifique.

Tertio, la fonction-auteur est une construction. « Ce qui dans l’individu est désigné comme auteur (ou ce qui fait d’un individu un auteur) n’est que la projection, dans des termes toujours plus ou moins psychologisants, du traitement qu’on fait subir aux textes, des rapprochements qu’on opère, des traits qu’on établit comme pertinents, des continuités qu’on admet, ou des exclusions qu’on pratique » (829). Les techniques de ces opérations sont variables selon les époques et les types de discours : on ne construit pas l’auteur d’une œuvre romanesque au XVIIIe siècle et aujourd’hui ; on ne constitue pas de la même façon un auteur philosophique qu’un poète. Toutefois Foucault remarque que la façon dont la critique moderne constitue des œuvres manifeste de fortes ressemblances avec la tradition chrétienne (unité de style, valeur, cohérence théorique et conceptuelle, et l’auteur est un moment historique défini).

Quarto, dans les discours avec fonction-auteur on entend plusieurs voix. Par exemple dans un discours de mathématiques, il y a un ‘je’ qui parle dans la préface, un second ‘je’ qui est anonyme et peut être rempli par chaque individu « pourvu qu’il ait accepté le même système de symboles, le même jeu d’axiomes, le même ensemble de démonstrations préalables » (831), et un troisième ‘je’ ressortant du discours mathématique même, qui énonce les résultats obtenus, les questions qui surgissent, …

Fondateurs de discursivité

Dans cette dernière partie, Foucault démontre que certains auteurs sont, à côté de leurs caractéristiques restrictifs qu’ils partagent avec les autres, à l’origine d’une prolifération de discours. Ceux-ci sont – comme Foucault les nomme- des ‘fondateurs de discursivité’ (832), exemples-type : Freud et Marx. Ils sont à l’origine d’une prolifération de discours parce qu’ils ont produit « la possibilité et la règle de formation d’autres textes » (832), si bien qu’il est possible depuis lors de formuler un certain nombre de différences par rapport aux écrits des fondateurs de discursivité sans quitter l’ensemble de discours instauré.

Cette nouvelle catégorie doit être délimité par rapport aux auteurs littéraires influents et aux fondateurs d’une science. La différence avec les auteurs littéraires influents est la suivante : les œuvres influencés ne contiennent que des ressemblances et des analogies, tandis que les œuvres « causées » par Freud ou Marx, font usage de leurs bases théoriques (entre autres).
Les fondateurs d’une science, se caractérisent par contre par le fait que leurs écrits s’intègrent dans la voie progressiste du discours scientifique : la valeur de ces écrits est jugé selon les normes et la logique du discours ‘scientifique’, tandis que les produits du discours instaurés par un ‘fondateur de discursivité’ se réfèrent aux normes et à la logique de l’œuvre de ce fondateur.

Ceci explique qu’un back to the roots soit possible dans ces ensembles de discours. Dans une telle disposition on retourne aux textes-fondateurs dans toute leur nudité pour y lire ce que d’autres n’avaient pas vu : « cela y était, il suffisait de lire, tout s’y trouve, il fallait que les yeux soient bien fermés et les oreilles bien bouchées pour qu’on ne le voie ni ne l’entende »(836).

Programme à faire et quasi-souhait

Dans sa conclusion, Foucault nous propose trois applications pour l’analyse de la fonction-auteur.

Cette analyse pourrait introduire à une typologie de discours. « Le rapport (ou le non-rapport) à un auteur et les différentes formes de ce rapport constituent –et d’une manière assez visible » (838) une des propriétés discursives pour distinguer entre les grandes catégories.

L’analyse de la fonction-auteur pourrait être une introduction à l’analyse historique des discours. Foucault nous déclare qu’il est temps « d’étudier les discours non plus seulement dans leur valeur expressive ou leurs transformations formelles, mais dans les modalités de leur existence : les modes de circulation, de valorisation, d’attribution, d’appropriation des discours varient avec chaque culture et se modifient à l’intérieur de chacune » (838). L’analyse de l’évolution de la fonction-auteur en dirait beaucoup sur les rapports sociaux.

Finalement, l’analyse pourrait aider à réexaminer les privilèges du sujet. Dans cette problématique, Foucault ne propose rien de moins qu’une révolution copernicienne :au lieu de se demander comment la liberté individuelle est à accorder avec l’épaisseur des choses et les règles du langage (838), il faut se demander « comment, selon quelles conditions et sous quelles formes quelque chose comme un sujet peut-il apparaître dans l’ordre du discours <…> Bref, il s’agit d’ôter au sujet (ou à son substitut) son rôle de fondement originaire, et de l’analyser comme une fonction variable et complexe du discours » (838-839).

À la fin, Foucault nous montre un monde possible, un monde où une autre fonction que l’auteur « rend possible une limitation de la prolifération cancérisante <…> des significations » (839), où les textes circuleraient sans fonction-auteur et où l’on ne se demande plus qui a réellement parlé ou si cet instance a exprimé ou non le plus profond de soi-même dans son discours.


Quelques réflexions

Il est clair que l’analyse faite par Foucault déborde de l’analyse du seul auteur littéraire, elle montre tout un programme de recherche. L’analyse sommaire de l’auteur faite dans la première partie du travail doit donc être réexaminée et complétée. L’auteur est essentiellement une instance qui classifie une œuvre, voire limite ses significations. Ceci est donc une autre fonction classificatoire de l’auteur. Foucault montre que l’auteur ne se trouve ni dans la fiction de l’œuvre, ni dans l’état civil des hommes, mais dans la rupture qui instaure un certain groupe de discours et son mode d’être particulier, ceci –ensemble avec le fait qu’un des caractères de l’auteur est le fait qu’il peut être puni- explique la ténacité de la catégorie ‘auteur’ et la confusion entre la personne littéraire et le sujet écrivant. D’autres apports intéressants sont la mise en doute de la notion ‘œuvre’ et la distinction de différentes catégories d’auteur : auteur, fondateur de discursivité, fondateur de science.

Quand même quelques remarques critiques. En premier lieu, Foucault mêle quelque peu analyse et whishfull thinking quand il dit que le principe éthique fondamentale de la littérature de nos jours serait l’effacement de l’auteur. Nous retrouvons ce souhait dans la préface de la deuxième édition de Histoire de la folie. Il est aussi censé de dire que Foucault n’apporte pas de solutions aux problèmes qu’il pose. Nous restons avec des questions comme : comment constituer une œuvre ? Comment regrouper des textes littéraires ? Mais Foucault n’a pas voulu apporter des réponses dans cet article. Comme il disait lui-même : « c’est un projet que je voudrais vous soumettre, un essai d’analyse dont j’entrevois à peine encore les grandes lignes. » (818).



Ouvrages cités

Barthes, R. « La mort de l’auteur ». IN : Barthes, R. 1984. Le bruissement de la langue. (Essais critiques IV). Paris : Seuil. 61-67.

Compagnon, M. 2003. Qu’est-ce qu’un auteur ?. [www.fabula.org/compagon/auteur.php]

Foucault, M. « Qu’est-ce qu’un auteur ? » IN : Foucault, M.- Défert, D. – Éwald, F. 2001. Dits et écrits I, 1954-1975. [edition Quarto]. Paris: Gallimard.


[1] Les commentaires méta-littéraires que l’on trouve dans les quotidiens, aussi bien que –ces cas-ci sont les plus remarquables et extrêmes- la tradition beuvienne et lansonienne.

[2] De la main de Roland Barthes. Publié pour la première fois dans Manteia en 1968.

[3] De la main de Michel Foucault. Conférence donnée devant la Société française de philosophie, suivi d’un débat avec de Gandillac, Goldmann, d’Ormesson, Ullmo et Wahl. La conférence et le débat ont été repris dans le Bulletin de la Société française de philosophie de juillet-septembre 1969 ; en 1983 aussi dans Littoral. La version du texte connu dans le monde anglo-saxon : « What is an author ? » provient d’une conférence donnée à l’université de Buffalo et s’est trouvé imprimé dans Textual Strategies. Il y a quelques différences entre les deux texte.
Ici nous employons le texte qui se trouve dans Dits et écrits.

[4] La grande partie de l’espace destinée à la littérature dans les quotidiens est voué aux auteurs mêmes, sous la forme d’interviews ou de descriptions biographiques.

[5] www.fabula.org/compagnon/auteur1.php

[6] Les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages de l’article dans les Dits et écrits.

[7] Éthique, parce que c’est « un principe qui ne marque pas l’écriture comme résultat mais la domine en tant que pratique » (820).