Origine http://www.geocities.com/groupedumercredi/questcequunauteur.html
« Donner un Auteur à un texte, c’est imposer
à ce texte un cran d’arrêt, c’est le pourvoir
d’un signifié dernier, c’est fermer l’écriture.
» (Roland Barthes dans « La mort de l’auteur »)
Introduction
On s’aperçoit vite qu’en littérature
l’on attribue un rôle capital à l’auteur
: la critique[1] s’en inspire pour expliquer des œuvres
littéraires en cherchant « l’intention »
de l’auteur, la recherche s’oriente souvent à
partir d’un auteur, et les lecteurs orientent entre autres
leur lecture vers d’autres œuvres d’un même
auteur après une lecture satisfaisante. Une analyse sommaire
de l’importance de l’auteur dans le champ (méta-)littéraire
se trouve dans la première partie de notre travail.
Cependant le poststructuralisme a voulu proclamer la disparition
de l’auteur, voire ‘La mort de l’auteur’
; cette thématique se trouve dans deux textes-phare : «
La mort de l’auteur »[2] et « Qu’est-ce
qu’un auteur ? »[3]. Dans une seconde partie de notre
travail, nous aimerions élucidé l’article de
Foucault.
Pour finir, nous donnerons quelques réflexions à
propos de l’article.
L’importance de l’auteur dans le littéraire
Nous pensons qu’il est possible de regrouper les influences
qu’a l’auteur en trois fonctions.
Il y a tout d’abord la fonction incitative voulant dire que
dans cette fonction l’auteur est un des moteurs du (méta-)
littéraire. On peut apercevoir cette fonction quand un lecteur
ayant lu un livre d’un auteur se met à lire ses autres
écrits ou après avoir lu une interview dans un quotidien[4].
On s’en rend également compte par le fait que la recherche
est souvent orientée par un auteur, voir entre autres les
centres de recherche autour d’un auteur, ou les textes de
jeunesse d’auteurs consacrés qui dans le cas contraire
sombreraient dans l’oubli. Cette fonction s’aperçoit
finalement dans le côté commercial de l’industrie
littéraire : un livre ayant un auteur connu vendra mieux
ou plus facilement. Ceci est une des raisons pour lesquelles un
auteur consacré/avec succès a moins de problèmes
à faire éditer ses livres (, ce qui a son tour montre
l’importance de l’auteur).
Puis il y a la fonction classificative, dans ce sens que l’auteur
permet de regrouper des textes et/ou donner ‘une étiquette’
ou un programme. Dans le premier sens, la classification dans nos
bibliothèques est la plus remarquable. Dans le deuxième
sens, il y a la possibilité de regrouper certains épigones,
en disant par exemple : « Ca fait très Proust ».
Ou le fait que l’auteur d’un épigraphe et l’emploi
de références à certains auteurs peuvent donner
une idée de l’orientation du texte (voulue par l’auteur).
Enfin il y a la fonction explicative ; l’auteur est ici employé
pour expliquer ses œuvres et certaines idées voilées
(ou non) dans l’œuvre.
Il y a toute une tradition critique qui a attaché beaucoup
d’importance à la biographie de l’auteur pour
expliquer des œuvres, pensons par exemple aux traditions lansiennes
et beuviennes, ce qui est très rassurant comme démarche
: si on sait ce que l’auteur veut dire, pas besoin d’interprétation[5].
Finalement, l’auteur joue aussi un rôle (encore) plus
fondamental. Primo, parce qu’il est le principe par lequel
la plupart des éditions des œuvres sont guidées
: on choisit le texte de base selon le degré d’autor-ité.
Secundo, parce qu’ils servent comme exemple et preuve pour
la grammaire traditionnelle. Un auteur peut donc aussi incarner
des normes linguistiques.
« Qu’est-ce qu’un auteur ? » de
Michel Foucault
Il y a deux raisons pour lesquelles Michel Foucault a entamé
l’analyse de l’auteur.
Primo, parce qu’il trouvait
qu’il avait trop naïvement employé la notion d’auteur
dans Les Mots et les Choses dans « lequel il a tenté
d’analyser des masses verbales, des sortes de nappes discursives,
qui n’étaient pas scandées par les unités
habituelles du livre, de l’œuvre et de l’auteur
»[6].
Secundo, parce qu’il a voulu « envisager le seul rapport
du texte à l’auteur », notion qui constitue le
moment fort de l’individualisation (820).
La disparition de l’auteur
Il prend comme point de départ une formulation de Beckett
: « Qu’importe qui parle, quelqu’un a dit qu’importe
qui parle » qu’il dit être un des principes éthiques[7]
fondamentaux de l’écriture. Foucault en tire deux thèmes
majeurs, à savoir le fait que l’écriture ne
veut plus être l’expression du sujet écrivant
ou la manifestation du geste d’écrire et le fait qu’il
y a « parenté de l’écriture avec la mort
» (821). La littérature ne se fait plus pour conjurer
la mort (comme chez les Grecs : un héros tombé reçoit
l’immortalité dans l’épopée). De
nos jours, selon Foucault, la littérature est en premier
lieu lié au sacrifice que font les auteurs de leur vie, ce
qui se voit à des auteurs comme Flaubert et Proust qui ont
sacrifié leur vie pour leur œuvre. L’écriture
est aussi liée à la mort parce que le sujet écrivant
efface tous les signes qui renvoient à sa personnalité.
Cependant, Foucault observe que l’on n’a pas encore
pensé à toutes les conséquences du constat
de la disparition de l’auteur. Deux notions qui se sont substitués
au privilège de l’auteur le perpétuent insidieusement.
La première est ‘ l’œuvre ’. La critique
ne veut plus dégager les rapports de l’œuvre à
l’auteur mais elle analyse plutôt « l’œuvre
dans sa structure, dans son architecture, dans sa forme intrinsèque
et dans le jeu de ses relations internes »(822). Mais la notion
d’œuvre est problématique, premièrement
parce qu’elle suppose toujours le règne de l’auteur
et deuxièmement parce qu’il n’y a pas vraiment
une théorie de l’œuvre. « Parmi les millions
de traces laissées par quelqu’un après sa mort,
comment peut-on définir une œuvre ? » (822).
La deuxième est celle de l’écriture parce qu’elle
« transpose <…> dans un anonymat transcendantal,
les caractères empiriques de l’auteur » (823).
La fonction auteur : problèmes et caractéristiques
L’usage du nom d’auteur pose plusieurs problèmes.
Tout d’abord « le lien du nom propre avec l’individu
nommé et le lien du nom d’auteur avec ce qu’il
nomme ne sont pas isomorphes et ne fonctionnent pas de la même
façon » (825). Par exemple : ce n’est pas parce
que Peter Vandendriessche n’est pas né à Roulers,
ou n’a pas les yeux bleu-vert que ce signifiant ne renvoie
plus à la même personne. Par contre, s’il s’avère
que Shakespeare n’a pas écrit les Sonnets ou aurait
quand même écrit Organon changerait. Le nom d’auteur
peut aussi regrouper plusieurs individus (Nicolas Bourbaki par exemple)
ou même plusieurs ‘auteurs’ (pensons aux multiples
pseudonymes de Fernando Pessoa).
Deuxièmement, le nom d’auteur assure une fonction
classificatoire aux discours parce qu’il regroupe un certain
nombre de textes. « Que plusieurs textes aient été
placés sous un même nom indique qu’on établissait
entre eux un rapport d’homogénéité, ou
d’authentification des uns par les autres, ou d’explication
réciproque, ou d’utilisation concomitante. »
(826).
Troisièmement, « le nom d’auteur fonctionne
pour caractériser un certain mode d’être du discours
». Le fait qu’un discours est doté d’un
auteur, montre que c’est une parole qui n’est pas quotidienne,
immédiatement consommable. « Il s’agit [par contre]
d’une parole qui doit être reçue sur un certain
mode et qui doit, dans une culture donnée, recevoir un certain
statut » (826).
Ces trois problèmes ressortent du fait que « le nom
d’auteur n’est pas situé dans l’état
civil des hommes, il n’est pas non plus situé dans
la fiction de l’œuvre, il est situé dans la rupture
qui instaure un certain groupe de discours et son mode d’être
singulier » (826).
Une fois ces problèmes reconnus, Foucault donne quatre caractères
différents de la fonction-auteur.
Primo, l’auteur est un sujet pénal, qui peut être
puni. Les textes ont reçu une fonction-auteur dans la mesure
où les discours pouvaient être transgressifs. Par cette
appropriation, la littérature reçoit, selon Foucault,
de plus en plus la transgression comme impératif.
Secundo, « la fonction-auteur ne s’exerce pas d’une
façon universelle et constante sur tous les discours »
(827). Il y eut un temps dans lequel les textes littéraires
circulaient sans que leur anonymat faisait difficulté, tandis
que de nos jours on ne supporte plus l’anonymat littéraire
; s’il y en a, « nous ne l’acceptons qu’à
titre d’énigme » (828). Ou, dans le discours
scientifique : au Moyen Âge une certaine thèse était
prouvée lorsqu’on citait auteur (consacré naturellement)
comme Hippocrate ou Pline. De nos jours, l’auteur ne joue
plus que le rôle d’indice de fiabilité : les
dires d’un spécialistes valent plus que ceux d’un
amateur, mais ils n’ont toutefois plus un caractère
béatifique.
Tertio, la fonction-auteur est une construction. « Ce qui
dans l’individu est désigné comme auteur (ou
ce qui fait d’un individu un auteur) n’est que la projection,
dans des termes toujours plus ou moins psychologisants, du traitement
qu’on fait subir aux textes, des rapprochements qu’on
opère, des traits qu’on établit comme pertinents,
des continuités qu’on admet, ou des exclusions qu’on
pratique » (829). Les techniques de ces opérations
sont variables selon les époques et les types de discours
: on ne construit pas l’auteur d’une œuvre romanesque
au XVIIIe siècle et aujourd’hui ; on ne constitue pas
de la même façon un auteur philosophique qu’un
poète. Toutefois Foucault remarque que la façon dont
la critique moderne constitue des œuvres manifeste de fortes
ressemblances avec la tradition chrétienne (unité
de style, valeur, cohérence théorique et conceptuelle,
et l’auteur est un moment historique défini).
Quarto, dans les discours avec fonction-auteur on entend plusieurs
voix. Par exemple dans un discours de mathématiques, il y
a un ‘je’ qui parle dans la préface, un second
‘je’ qui est anonyme et peut être rempli par chaque
individu « pourvu qu’il ait accepté le même
système de symboles, le même jeu d’axiomes, le
même ensemble de démonstrations préalables »
(831), et un troisième ‘je’ ressortant du discours
mathématique même, qui énonce les résultats
obtenus, les questions qui surgissent, …
Fondateurs de discursivité
Dans cette dernière partie, Foucault démontre que
certains auteurs sont, à côté de leurs caractéristiques
restrictifs qu’ils partagent avec les autres, à l’origine
d’une prolifération de discours. Ceux-ci sont –
comme Foucault les nomme- des ‘fondateurs de discursivité’
(832), exemples-type : Freud et Marx. Ils sont à l’origine
d’une prolifération de discours parce qu’ils
ont produit « la possibilité et la règle de
formation d’autres textes » (832), si bien qu’il
est possible depuis lors de formuler un certain nombre de différences
par rapport aux écrits des fondateurs de discursivité
sans quitter l’ensemble de discours instauré.
Cette nouvelle catégorie doit être délimité
par rapport aux auteurs littéraires influents et aux fondateurs
d’une science. La différence avec les auteurs littéraires
influents est la suivante : les œuvres influencés ne
contiennent que des ressemblances et des analogies, tandis que les
œuvres « causées » par Freud ou Marx, font
usage de leurs bases théoriques (entre autres).
Les fondateurs d’une science, se caractérisent par
contre par le fait que leurs écrits s’intègrent
dans la voie progressiste du discours scientifique : la valeur de
ces écrits est jugé selon les normes et la logique
du discours ‘scientifique’, tandis que les produits
du discours instaurés par un ‘fondateur de discursivité’
se réfèrent aux normes et à la logique de l’œuvre
de ce fondateur.
Ceci explique qu’un back to the roots soit possible dans
ces ensembles de discours. Dans une telle disposition on retourne
aux textes-fondateurs dans toute leur nudité pour y lire
ce que d’autres n’avaient pas vu : « cela y était,
il suffisait de lire, tout s’y trouve, il fallait que les
yeux soient bien fermés et les oreilles bien bouchées
pour qu’on ne le voie ni ne l’entende »(836).
Programme à faire et quasi-souhait
Dans sa conclusion, Foucault nous propose trois applications pour
l’analyse de la fonction-auteur.
Cette analyse pourrait introduire à une typologie de discours.
« Le rapport (ou le non-rapport) à un auteur et les
différentes formes de ce rapport constituent –et d’une
manière assez visible » (838) une des propriétés
discursives pour distinguer entre les grandes catégories.
L’analyse de la fonction-auteur pourrait être une introduction
à l’analyse historique des discours. Foucault nous
déclare qu’il est temps « d’étudier
les discours non plus seulement dans leur valeur expressive ou leurs
transformations formelles, mais dans les modalités de leur
existence : les modes de circulation, de valorisation, d’attribution,
d’appropriation des discours varient avec chaque culture et
se modifient à l’intérieur de chacune »
(838). L’analyse de l’évolution de la fonction-auteur
en dirait beaucoup sur les rapports sociaux.
Finalement, l’analyse pourrait aider à réexaminer
les privilèges du sujet. Dans cette problématique,
Foucault ne propose rien de moins qu’une révolution
copernicienne :au lieu de se demander comment la liberté
individuelle est à accorder avec l’épaisseur
des choses et les règles du langage (838), il faut se demander
« comment, selon quelles conditions et sous quelles formes
quelque chose comme un sujet peut-il apparaître dans l’ordre
du discours <…> Bref, il s’agit d’ôter
au sujet (ou à son substitut) son rôle de fondement
originaire, et de l’analyser comme une fonction variable et
complexe du discours » (838-839).
À la fin, Foucault nous montre un monde possible, un monde
où une autre fonction que l’auteur « rend possible
une limitation de la prolifération cancérisante <…>
des significations » (839), où les textes circuleraient
sans fonction-auteur et où l’on ne se demande plus
qui a réellement parlé ou si cet instance a exprimé
ou non le plus profond de soi-même dans son discours.
Quelques réflexions
Il est clair que l’analyse faite par Foucault déborde
de l’analyse du seul auteur littéraire, elle montre
tout un programme de recherche. L’analyse sommaire de l’auteur
faite dans la première partie du travail doit donc être
réexaminée et complétée. L’auteur
est essentiellement une instance qui classifie une œuvre, voire
limite ses significations. Ceci est donc une autre fonction classificatoire
de l’auteur. Foucault montre que l’auteur ne se trouve
ni dans la fiction de l’œuvre, ni dans l’état
civil des hommes, mais dans la rupture qui instaure un certain groupe
de discours et son mode d’être particulier, ceci –ensemble
avec le fait qu’un des caractères de l’auteur
est le fait qu’il peut être puni- explique la ténacité
de la catégorie ‘auteur’ et la confusion entre
la personne littéraire et le sujet écrivant. D’autres
apports intéressants sont la mise en doute de la notion ‘œuvre’
et la distinction de différentes catégories d’auteur
: auteur, fondateur de discursivité, fondateur de science.
Quand même quelques remarques critiques. En premier lieu,
Foucault mêle quelque peu analyse et whishfull thinking quand
il dit que le principe éthique fondamentale de la littérature
de nos jours serait l’effacement de l’auteur. Nous retrouvons
ce souhait dans la préface de la deuxième édition
de Histoire de la folie. Il est aussi censé de dire que Foucault
n’apporte pas de solutions aux problèmes qu’il
pose. Nous restons avec des questions comme : comment constituer
une œuvre ? Comment regrouper des textes littéraires
? Mais Foucault n’a pas voulu apporter des réponses
dans cet article. Comme il disait lui-même : « c’est
un projet que je voudrais vous soumettre, un essai d’analyse
dont j’entrevois à peine encore les grandes lignes.
» (818).
Ouvrages cités
Barthes, R. « La mort de l’auteur ». IN : Barthes,
R. 1984. Le bruissement de la langue. (Essais critiques IV). Paris
: Seuil. 61-67.
Compagnon, M. 2003. Qu’est-ce qu’un auteur ?. [www.fabula.org/compagon/auteur.php]
Foucault, M. « Qu’est-ce qu’un auteur ? »
IN : Foucault, M.- Défert, D. – Éwald, F. 2001.
Dits et écrits I, 1954-1975. [edition Quarto]. Paris: Gallimard.
[1] Les commentaires méta-littéraires que l’on
trouve dans les quotidiens, aussi bien que –ces cas-ci sont
les plus remarquables et extrêmes- la tradition beuvienne
et lansonienne.
[2] De la main de Roland Barthes. Publié pour la première
fois dans Manteia en 1968.
[3] De la main de Michel Foucault. Conférence donnée
devant la Société française de philosophie,
suivi d’un débat avec de Gandillac, Goldmann, d’Ormesson,
Ullmo et Wahl. La conférence et le débat ont été
repris dans le Bulletin de la Société française
de philosophie de juillet-septembre 1969 ; en 1983 aussi dans Littoral.
La version du texte connu dans le monde anglo-saxon : « What
is an author ? » provient d’une conférence donnée
à l’université de Buffalo et s’est trouvé
imprimé dans Textual Strategies. Il y a quelques différences
entre les deux texte.
Ici nous employons le texte qui se trouve dans Dits et écrits.
[4] La grande partie de l’espace destinée à
la littérature dans les quotidiens est voué aux auteurs
mêmes, sous la forme d’interviews ou de descriptions
biographiques.
[5] www.fabula.org/compagnon/auteur1.php
[6] Les chiffres entre parenthèses renvoient aux pages de
l’article dans les Dits et écrits.
[7] Éthique, parce que c’est « un principe qui
ne marque pas l’écriture comme résultat mais
la domine en tant que pratique » (820).
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