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Origine : http://www.philomag.com/fiche-philinfo.php?id=171
« Il est bon que les gouvernés puissent se lever pour
rappeler qu'ils n'ont pas simplement cédé des droits
à qui les gouverne, mais qu'ils entendent bien leur imposer
des devoirs. À ces devoirs fondamentaux, nul gouvernement
ne saurait échapper. Et, de ce point de vue, les procès
qui se déroulent aujourd'hui en Iran ne manquent pas d'inquiéter.
» Cette interpellation de Michel Foucault à l'adresse
du premier ministre issu de la révolution iranienne, Medhi
Bazargan, est extraite d'une lettre ouverte que le philosophe publie
dans le Nouvel Observateur en avril 1979. Elle pourrait s'entendre
aujourd'hui, au sein de l'opposition au gouvernement d'Ahmadinejad,
alors que jeudi 11 février marque le 31e anniversaire de
la révolution en Iran, et que la contestation du gouvernement
issu des présidentielles de juin 2009 ne faiblit pas.
L'année précédente, Foucault avait été
vivement critiqué pour avoir défendu le caractère
islamique du soulèvement populaire. « Que voulez-vous
? demande-t-il dans Le Nouvel Observateur en octobre 1978 (pp. 48
et 49). Pendant tout mon séjour en Iran, je n'ai pas entendu
prononcer une seule fois le mot “révolution”.
Mais quatre fois sur cinq, on m'a répondu “gouvernement
islamique”. » Quelques semaines plus tard, une lectrice
iranienne attaque cet article. Elle reproche à Foucault de
prendre la défense du « fanatisme religieux »,
un remède qu'elle juge potentiellement pire que la dictature
sur le point d'être renversée. Mais pour Foucault,
l'islam chiite reste la force essentielle du mouvement de contestation,
« celle qui pouvait faire soulever un peuple non seulement
contre le souverain et sa police, mais contre tout un régime,
un mode de vie, tout un monde », écrivait-il dans le
quotidien italien Corriere della Serra (13/02/79).
Foucault n'envisage pas alors que le régime des mollahs
succèdera à la dictature du Shah. Dans un article
sur « Le chef mythique de la révolte de l'Iran »,
soit l'ayatollah Khomeiny (Corriere della Serra, 26/11/78), il estime
que le leader chiite n'est que l'épiphénomène
de forces qui le dépassent, et qu'il ne saurait s'imposer
seul. En outre, il pensait qu'un gouvernement islamique n'était
pas en soi plus douteux qu'un modèle politique occidental.
En mars 1979, la prise de pouvoir de Khomeiny et les exécutions
sommaires qui s'ensuivent le conduisent à revoir sa position.
Dans la lettre ouverte à Medhi Bazargan, citée plus
haut, il évoque notamment un entretien qu'il eut avec ce
dernier en septembre 1978, rappelant qu'un gouvernement islamique
ne devrait pas renier une certaine « spiritualité politique
», sans quoi le peuple pourrait retourner l'islam contre ce
pouvoir. Par la suite, il ne reviendra pas sur sa défense
de la révolution islamique, si ce n'est pour expliquer dans
Le Monde (11/05/79) que, dans sa démarche, l'analyse d'un
événement ne devait pas tomber sous la coupe d'une
vision imposant une coupure entre le politique et le religieux,
au nom de valeurs dont il critique la prétention à
l'universalité.
Aujourd'hui, sans pousser le parallèle trop loin, il est
frappant de constater que le mouvement de contestation en Iran se
fait bien souvent au nom de l'islam. Le caractère démocratique
de cette opposition ne fait aucune doute : le slogan « Where
is my vote ? » reste le premier cri de révolte d'une
population qui ressent les dernières élections présidentielles
comme une spoliation de ses droits civiques. Cependant, l'islam
est présent : la couleur verte – symbole de la religion
musulmane – orne ce mouvement, les « Allah ouakbar »
(« Dieu est grand ») sont scandés dans les rassemblements
comme ils résonnaient sur les toits de Téhéran
pendant la révolution de 1979, le leader actuel, Mir-Hossein
Moussavi, est aussi un descendant du prophète, etc. «
Des intellectuels croyants sont partisans d'une sécularisation
entendue comme processus d'autonomisation de la société
par rapport à la religion, expliquait le sociologue Amir
Nikpey dans Philosophie magazine n° 32. Le paradoxe est qu'ils
la revendiquent pour des raisons religieuses, arguant que le pouvoir
de la religion doit être limité pour le bien de la
religion elle-même ; les athées sont minoritaires,
car le tissu de la culture iranienne reste la religion. »
Ainsi, si Michel Foucault n'a pas anticipé la tournure que
prendrait la révolution de 1979, il n'est pas dit pour autant
qu'il ait mal analysé les forces en présence.
Fabien Trécourt
À lire : Michel Foucault : L'Islam et la révolution iranienne, sous
la direction de Andrea Cavazzini, Mimesis, « La rose de personne
», 2005
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