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Origine : http://www.1001nuits.org/index.php?title=A_propos_de_Michel_Foucault
Un article de Caverne des 1001 nuits.
Foucault, dans son approche phénoménologique des
choses, en héritier de phénoménologues comme
Heidegger ou Sartre, considère l'écriture sur le passé
comme conditionnée au fait que le passé est mort.
Cette mort du passé lui attribue, selon ses propres dires
le rôle d'un « médecin » de l'histoire,
d'un « diagnosticien » ; je dirais plutôt que
sa démarche est celle d'un médecin légiste
du passé.
Cette démarche, si elle est respectable et trouve tout son
sens dans les doctrines de pensée des années 60 françaises
et dans l'héritage de la phénoménologie, n'est
jamais remise en cause formellement par les instances intellectuelles
françaises. Pourquoi ?
On pourrait déjà se poser la question du pourquoi
remettre en cause une démarche qui semble apporter à
l'ensemble de l'intelligentsia française des satisfactions
qui peuvent laisser perplexe. Foucault construit les racines d'une
rébellion structurelle froide et nécessaire, d'une
critique généralisée que l'on pourrait qualifier
schématiquement de prétentieuse, d'une analyse des
choses mortes au travers du regard de l'homme du XXème siècle.
Pourtant, on peut chercher en vain dans les années 60 des
explications convaincantes aux grands problèmes de la société.
Quid de l'endoctrinement des régimes totalitaires durant
la période de la Deuxième Guerre Mondiale et des massacres
que l'on sait ? Quid du rôle des intellectuels dans la protection
bienveillante du modèle communiste envers et contre tous
les messages incessants de communistes convaincus revenant d'Union
Soviétique parfaitement horrifiés, cela depuis les
années 20 ? Quid de la vision sociale de 1968 et de la reconversion
morale des partisans de cette révolte ouvrière et
estudiantine dans les années 70 et 80 ? Quid de l'héritage
atroce de la Première Guerre Mondiale et de la modification
de cet événement sur la texture de la société
actuelle ? Quid de l'absence de philosophes et de courants philosophiques
majeurs, aujourd'hui, quarante ans plus tard ? Comment peut-on louer
des penseurs qui n'ont traité d'aucune de ces questions et
qui, pis, semblent avoir pris soin de les éviter précautionneusement
?
Toutes ces questions restent sans réponse et l'approche
de philosophes comme Foucault n'y est pas étrangère.
Foucault étudie le passé comme un objet mort ? Mais
le passé est-il vraiment mort ? Il est suffisant et très
prétentieux d'aborder les choses avec un tel degré
de certitude. Le passé est tissé en chacun d'entre
nous, un passé personnel sur fond de passé collectif.
Ce passé collectif nous modèle comme Jung le décrivit
justement avec sa notion d' inconscient collectif. Pourquoi se convaincre
que le passé est mort et peut-être autopsié
par l'homme du XXème siècle, autopsie faite selon
ses critères d'analyse et avec son regard d'homme du XXème
justement ? Comment ne pas se méfier de l'erreur d'interprétation
d'une telle démarche alors que Bloch notait déjà,
dans la première moitié du XXème, le champ
de mines qu'est l'analyse de l'histoire si les faits du passé
sont vus par l'homme moderne et ses jugements, sans remise en perspective
?
Il y a donc bien une position alternative à celle de Foucault,
position qui déclare que le passé est toujours vivant,
que, par exemple, la Révolution Française vit toujours
quelque part en chaque français, Foucault le premier. Si
ce passé est vivant en nous, la tentation du contre-sens
doit être évitée, car la lecture de ce passé
est liée à la lecture de notre inconscient. On ne
peut pas étudier le passé uniquement par rapport à
lui-même, cela ne veut rien dire. Nous sommes acteur dans
cet étude, tout comme l'est chaque esprit interprétant
dans les sciences humaines. Il est donc nécessaire de le
faire revivre par l'écrit, par le travail de l'historien
qui balise une époque en tentant de saisir ce en quoi l'homme
d'alors était différent de l'homme de maintenant,
historien soumis lui aussi au risque du contre-sens et de la manipulation,
mais plus habitué à ce risque inhérent à
sa profession.
Or, la position de Foucault généralise le contre-sens,
dogmatise le contre-sens en déclarant que le passé
est étudié comme objet mort.
Premièrement, ce dernier se situe ex-nihilo de l'histoire
de la France en analysant froidement avec son regard d'intellectuel
français des années 60 des faits et des évolutions
dont la construction ne se fit pas dans l'esprit qui était
le sien ou celui de son époque, et dont le sens lui est donc
a priori inaccessible, l'esprit humain n'étant pas une constante
au fil des âges. Ce faisant, il juge le passé selon
ses propres critères sans chercher à trouver en lui
les traces humaines qui auraient fait de lui un véritable
archéologue du savoir : le passé est instrumentalisé
par rapport au présent. Foucault est prétentieux dans
cette démarche car très narcissique dans cette sûreté
de pouvoir analyser un objet qu'il considère comme abouti.
Jamais il ne semble se poser la question de la légitimité
de cette approche : il la postule comme licite d'emblée.
Quelque part, il oublie qu'il n'est pas un témoin neutre
et objectif, il oublie qu'il n'incarne pas l'objectivité
parce qu'il est phénoménologue, il cache son narcissisme
profond derrière une théorie qui est censée
le rendre l'égal de Dieu[1].
Pourtant, des craquelures existent dans sa carapace et montrent
une incohérence de positionnement assez étrange. Foucault
éprouve le besoin de se positionner envers les courants de
pensée de l'histoire de France, de choisir le classicisme
contre le romantisme. On pourrait commencer à entrevoir dans
cette démarche une quête d'identité très
profonde, construite sur des questionnements envers ceux qui l'ont
influencé, ou ceux à qui, justement, il en veut d'avoir
spolié l'esprit français tel qu'il le considère.
Comment peut-on à la fois se situer dans une tradition de
pensée, penser à son rattachement à une école,
et analyser le passé comme un ensemble d'objets morts, donc
d'objets sans écho sur le présent ? Comment peut-on
vouloir s'objectiver, se sortir de l'histoire tout en en sentant
attaché à cette histoire ?
Un autre exemple est la lutte de Foucault contre la notion d'auteur,
à laquelle je préfère de loin l'ironie littéraire
d'un Borges, plus au fait de création que de jugement. Car
quand Borges dit qu'il n'y a pas d'auteur véritable, que
tout a été écrit, il s'inscrit dans une tradition
du passé collectif commun, de l'inconscient collectif, une
tradition du mythe par exemple, qui nous tisse depuis plus de deux
millénaires (et sur lequel les écrits pendant les
années 60 furent nombreux quoique peut-être un peu
plus superficiels qu'on ne veut bien le dire). Borges considère
que nos influences sont telles que nous n'inventons rien. De plus,
l'œuvre littéraire est pour lui vivante au point qu'il
lit et relit perpétuellement Les Mille et Une Nuits par exemple,
y trouvant chaque fois des choses nouvelles, reflets de ses propres
évolutions personnelles. Le passé est donc bel et
bien vivant pour lui : le passé est vivant en lui. Foucault,
au contraire, défend la vision d'objets littéraires
morts que l'on peut analyser intellectuellement et froidement en
dépit de leur auteur et, pis que tout, en dépit de
soi-même. En un sens, dans les mots Borges et Foucault disent
la même chose mais leur message est totalement opposé.
Le premier parle de la richesse de l'histoire de l'humanité
tandis que le second utilise le phénomène sans le
creuser, de l'extérieur. Foucault s'illustre dans une foi
envers une théorie de l'intellect pur. En cela, Foucault
est un digne représentant de l'école de pensée
phénoménologique française, et d'une texture
sociale basée sur des courants en quête de reconnaissance
: Foucault semble oublier le sentiment humain, dans la littérature
comme dans l'homme.
Les doctrines de Foucault posent donc des questions qui peuvent
apparaître quelque part comme viciées. Pour reprendre
des interrogations de Kant en les tempérant par des questions
posées posées par Jung, la première des questions
que devrait se poser le philosophe est : suis-je légitimé
à parler ? Puis-je penser ? Et que puis-je penser ? Puis-je
tout intellectualiser ? Puis-je comprendre le passé et les
autres ? Ne suis-je pas tissé d'idées et d'influences,
de sentiments ? Quand je me sens révolté, est-ce de
ma révolte personnelle par rapport à des choses qui
me concernent directement, ou d'une tendance à la révolte,
apprise au sein de mon milieu ? Quand je suis révolté,
ai-je vraiment des choses contre lesquelles me battre à part
des représentations du monde qu'on m'inculqua, qui sont des
objets intellectuels dont j'ai du mal à estimer la pertinence
et la véracité ?
Car, derrière cette démarche, Foucault parle des
choses mortes pour vouloir en tirer une vérité, pour
postuler qu'il cherche la vérité. Mais quels arguments
lui font croire qu'il pourra obtenir cette vérité,
en considérant justement, artificiellement de l'extérieur,
des phénomènes associés à des objets
qu'il juge comme étant morts alors qu'ils sont vivants, même
en lui et d'abord en lui ? Foucault semble avoir des tendances au
refoulement complet et généralisé, refoulement
qui s'illustre dans une doctrine de la lutte, très en vogue
à son époque, et dans la croyance de la toute puissance
de l'homme phénoménologique au sein de son siècle.
C'est pourquoi Foucault peut donner l'impression de ne rien dire
de très nouveau, d'avoir un «héritage»
très nébuleux. Tous peuvent s'en proclamer pour quoi
que ce soit sans que la filiation soit remise en question. Car,
s'il est de bon ton d'être héritier de Foucault, cette
étiquette ne recouvre aucune réalité concrète
; elle semble même appartenir aux concepts creux. Foucault
a rassemblé une œuvre polymorphe qui suinte les bonnes
intentions, car elle est peut être interprétée
comme s'appuyant fondamentalement sur une volonté de vengeance
par rapport à la société. Peut-être le
mal-être de Foucault s'est-il projeté sur la société
et sur ses systèmes imparfaits. Car Foucault a toujours le
beau jeu, celui du diagnostic de l'homme du XXème, jamais
celui de l'acteur philosophique qui propose des modèles en
pâture aux intellectuels.
Quelque part, selon moi, Foucault ré-interprète l'existentialisme
en prenant la névrose inéluctable de Sartre du côté
de l'action contestataire. Si Sartre dépeignait la dépression
névrotique comme la destinée de l'homme, la grande
angoisse existentielle comme sa vérité le poussant
à l'inaction ou à l'action politique, Foucault projette
sa grande angoisse existentialiste sur le monde en un avatar poussant
à la contestation. Vivre en société, c'est
contester, quitte à contester sans conceptualiser, quitte
à être dans l'erreur. C'est le summum de la non recherche
de soi, c'est le summum de l'être social, c'est le summum
de la soumission aux idées et à l'intellect. Quelque
part, c'est aussi le summum de la soumission à l'inconscient
collectif, à la loi du paraître pour plaire, à
la recherche effrénée de reconnaissance sociale, au
phénomène non expliqué, pris de manière
brut, à la loi du singulier contre le général,
à la peur ou la haine de l'abstraction, au refus de l'inconscient
et de la psychologie, au jugement facile, aux idées pré-conçues,
à la manipulation et à l'endoctrinement des groupes
contestataires. Sommes-nous sortis de cette époque ? Je ne
le crois pas.
Car aucun garde fou n'est proposé par Foucault, aucune doctrine
du doute. Seulement une certitude de la puissance infinie de son
intellect sur les objets morts, de l'existence d'une vérité
de ces objets morts que seul lui peut prétendre à
comprendre avec son regard d'homme du XXème (médecine
et droit par exemple avec d'innombrables arguments contestables
ou consternants).
Le poids de son influence est encore là - je dirais presque
malheureusement - et il pèse sur notre société
française comme un secret névrotique construit dans
la plus grande intelligence et avec la plus grande méthode.
Pour sortir de l'esprit négatif de notre société,
il faudra un jour critiquer Foucault.
Foucault et la psychanalyse en tant que pouvoir
Foucault a vraiment fait du mal à notre société
et à la psychanalyse. Cela est peut-être explicable
par son parcours personnel. Foucault voit la psychanalyse comme
un pouvoir au sens punitif parce qu'en substance, il recadre les
gens et les ramène dans le droit chemin social. La première
fois que j'ai lu cette analyse, il y a des années, j'avoue
que j'ai été un peu perplexe, ne sachant pas quoi
en penser. Quelque part, j'ai adopté l'attitude agnostique
face à cette phrase. Je ne comprenais pas pourquoi Foucault
allait chercher des analyses pareilles.
Les années aidant, je suis revenu sur cette idée
du psychanalyste, flic de l'esprit. Cette idée saugrenue
peut être expliquée par deux choses : la fréquentation
d'un mauvais psychanalyste par Foucault, ou la méconnaissance
complète du modèle psychanalytique par Foucault, ce
qui est plus grave. Car, il suffit de lire Freud pour voir que Freud
fait en sorte de soigner les gens. Les gens qui viennent le voir
se trouvent libérés de poids qui étaient les
leurs, sans que la société n'intervienne comme modèle,
sans qu'il y ait recadrage. Jung pousse encore plus loin cette logique
en développant et structurant le processus d'individuation.
Jung conclut que l'engagement social d'une personne individuée
est alors laissée à son libre choix, choix libre justement
parce qu'elle est individuée. Il n'y a donc pas de pouvoir
du psychanalyste au niveau social. Il y a, pour faire ce métier,
un altruisme et une empathie obligatoires, comme celles, théoriques,
du médecin.
Foucault est donc dans le contre-sens, à moins que son expérience
personnelle ne l'ait mis face à un psychanalyste ayant tenté,
par exemple, de le ramener dans le chemin de l'hétérosexualité
(je crois que seule une expérience comme cela pourrait justifier
de telles assimilations). Tout comme Sartre, en refusant la psychanalyse,
Foucault généralise son expérience personnelle
au reste du monde et tombe dans le plus bateau des pièges
interprétatifs.
Mais tout le monde n'est pas Kant.
Foucault et l'archéologie du savoir
Cet article fait suite à un article sur Foucault et le passé
mort publié sur ce même site voilà quelques
mois. D'une manière générale, relire Foucault
est selon moi plein d'enseignements sur la façon dont le
monde intellectuel français pense aujourd'hui. Ceci n'est
pas tout à fait un compliment, et je crois que l'on peut
trouver dans l'approche de Foucault des éléments indéniables
qui expliquent des glissements vers des routes cloisonnées
et hermétiques.
La démarche archéologique
Foucault, au travers de sa démarche archéologique,
cherche pourquoi le passé nous a légué des
visions, des mots, des systèmes, et pourquoi ces systèmes
étaient ce qu'ils étaient plutôt qu'autre chose.
En ce sens, il n'y a pas chez Foucault de volonté de s'inscrire
dans une tradition épistémologique, ni même
philosophique, mais d'inventer une nouvelle perspective de l'étude
historique du savoir. En un sens, on pourrait dire que Foucault
bâtit une méthode phénoménologique de
l'étude du passé, ayant pour principal objectif de
savoir comment le sujet s'est constitué ; c'est-à-dire
comment l'homme est devenu objet d'étude pour l'homme, comment
le sujet est devenu un objet pour le sujet.
Il y a dans cette démarche, indubitablement, quelque chose
de nouveau dans la mesure où c'est une tentative d'approche
multidimensionnelle du passé au travers de résultats
qui peuvent être issus des différentes sous catégories
de l'histoire : histoire des sociétés, des religions,
de la philosophie, des sciences, de l'économie, de la médecine,
etc. Cette approche intervient, par ailleurs, en pleine période
structuraliste, période dans laquelle l'ensemble des sciences
humaines se posait comme question la fondation de leur matière.
En ce sens, cette démarche est une des seules tentatives
de grande ampleur pour légitimer cette fondations des sciences
humaines par l'exemple. On pourrait même nommer un peu hâtivement
la démarche de Foucault de «sociologie du passé».
A l'inverse, on peut dire de cette démarche qu'elle est
méthodologiquement très risquée, car il est
difficile pour un seul homme d'avoir une capacité de synthèse
telle qu'il peut embrasser sous ses champs de compétences
la totalité de ces dimensions historiques.
L'obsession du vrai
Car, à la lecture de Foucault, on peut souvent se demander
quel est le véritable objet de l'étude. L'étude
n'a pas pour but d'être une histoire généralisée
de la pensée, mais plutôt une histoire de ce que la
pensée était à un certain moment et pourquoi,
à ce moment, elle n'était pas différente. Car,
un des buts de Foucault était de découvrir les liaisons
entre les structures sociétales et la vérité
telle qu'elle était dans la société, cela au
travers de l'analyse des pratiques autour de la folie, de la sexualité,
etc.
Il est, je crois, assez dangereux de mêler une approche phénoménologique
avec une approche de la vérité. Car, au sein de l'approche
phénoménologique, les phénomènes sont
pris pour ce qu'ils sont. Certes, en théorie, cette collection
de phénomènes permet d'établir une conceptualisation
peut-être plus juste que celle couramment admise, même
si, souvent, cette collection se limite au niveau de la collection
et ne permet pas la conceptualisation, voire la refuse[2]. La conceptualisation
est pourtant la seule manière scientifique de lier entre
eux des phénomènes disparates selon l'une de leurs
dimensions communes, la seule façon d'approcher la réalité
en sortant de la collection de faits singuliers. Quelque part, et
n'en déplaisent aux phénoménologues, les hommes
ne pensent que le concept, très rarement le phénomène
singulier. Par voie de conséquence, le phénomène
est déjà souvent un concept ; alors même que
nous voudrions le considérer comme singulier, il est chargé
d'un poids sémantique relatif aux « classes»
auxquelles il appartient[3]. La démarche phénoménologique
est par conséquent dangereuse dans le fait d'établir
des collections de phénomènes dont le niveau conceptuel
peut être tout à fait varié, et donc de proposer
une lecture « plate » d'un savoir hiérarchisé
par la pensée.
Il est clair que ces arguments en faveur de la conceptualisation
ne doivent pas laisser oublier que les concepts existants sont les
premières entités de l'esprit que nous devons critiquer
pour faire de la philosophie. Un concept, du fait qu'il puisse évoquer
à des personnes différentes des sens différents
ne peut servir de base à la construction d'une théorie.
Il faut, si l'on veut s'approcher d'une discipline de type scientifique,
expliciter quel sens nous associons au concept afin d'en lever la
potentielle charge émotionnelle ou les sens historiques dont
le philosophe peut ne pas avoir besoin. Il s'agit de définir
précisément l'usage que l'on fait des concepts afin
de penser sur la ligne que l'on s'est choisie.
Or, Foucault part du principe que les phénomènes
que le passé lui donne en pâture sont la vision d'une
vérité de l'époque. Il y a là un axiome
d'une dangerosité extrême, car qui nous prouve que
la vision d'une époque est la vérité de cette
époque. Pis que cela, comment pouvoir affirmer sérieusement
que le concept de vérité soit suffisant pour étiqueter
une série de phénomènes plutôt qu'une
autre. Il y a là une erreur logique fondamentale très
étonnante. Depuis les Grecs anciens, on sait que la vérité
est relative et les débats philosophiques des grands maîtres
de philosophie est là pour prouver que la vérité
universelle semble ne pas exister (sinon dans le concept de dieu,
mais c'est un autre débat).
Au lieu de cela, Foucault cherche les vérités de
l'époque en supposant d'une part que lui, homme du XXème
siècle, il soit en mesure de les trouver alors que même
les historiens les plus brillants sont très prudents à
cet égard, et en supposant, chose beaucoup plus étrange
qu'elles existent.
Dès lors, la démarche cesse de plaire car l'acceptation
de ces deux dimensions du même axiome rend le raisonnement
quelque peu naïf et induit des résultats qui sont souvent
à la limite de la trivialité.
Une histoire des lieux communs ?
Nous pourrions citer la démarche parallèle de Jung
qui, s'il tente aussi d'établir une histoire du sujet en
tant qu'il devient objet de sa propre interrogation, aborde la question
d'une toute autre façon. Jung tente de recomposer un certain
inconscient collectif et prend un nombre considérable de
pincettes et de garde-fous théoriques afin de ne pas tomber
dans l'absurde psychanalyse des personnages du passé. Il
tente de retraduire, quand il le peut, des constantes psychologiques
d'une certaine civilisation et il en étudie les symboles,
notamment au travers des notions de religion, de spiritualité
et de rôle dans une société très collective
et très peu basée sur l'individu au sens où
on entend le mot aujourd'hui[4].
L'approche de Foucault est résolument anti-psychologique,
et pourtant elle cherche au travers des «vérités
de l'époque» à toucher cet inconscient collectif.
Le vrai problème de la méthode de Foucault pourrait
donc être de construire avec la notion de vérité
un objet d'étude qui n'existe pas.
Car Jung, pour sa part, différencie ce qui est inconscient
collectif de ce qui est lieu commun, sachant que ce qui est lieu
commun peut être phénomène. Il suffit de regarder
un peu autour de nous les manifestations sociales dominantes pour
regarder quelle représentation nous avons de notre société
: si nous gardions les plus importantes d'entre elles à un
instant t, nous n'aurions qu'une vision absurde et biaisé
de la société, avec des vérités d'une
partialité incroyable, immédiate. Si l'on agrémente
à cette représentation fractionnaire, voire arbitraire,
l'axiome de vérité, nous sommes prêts à
dire n'importe quoi sur la société : nous sommes dans
une démarche de légitimation de la pensée par
la conjecture.
C'est la grande ironie des fondements théoriques de l'archéologie
du savoir : introduire le concept de vérité pour légitimer
la conjecture, et donc légitimer le travail des sciences
humaines tel qu'il est, trop souvent encore à l'époque
de Foucault, et non fonder les sciences telles qu'elles devraient
être.
Conclusion
Porte ouverte à n'importe quel glissement de sens non argumenté,
poser la notion de vérité dans une archéologie
des faits du passé nous invite à une représentation
grossière, et tragique de notre passé, qui par extension
nous invite à représenter de manière grossière
et tragique notre présent. Loin est l'enivrement prometteur
de la méthode exposée au début de cet article
: le sujet. Où est donc le sujet ? Comment s'est-il construit
?
En refusant la représentation classique, Foucault nous montre
une représentation phénoménologique qui se
donne les armes de la corrélation par usage de la conjecture
(nous y reviendrons dans d'autres articles sur la notion de pouvoir
ou l'étude de la folie). Foucault est un mythe qui vacille
et dont les influences guident encore une partie de notre pensée
française.
Notes
1. Alors que même chez Husserl ou Heidegger, l'en-soi de
l'objet reste souvent inaccessible à l'analyse phénoménologique.
2. Cf. A propos de l'existentialisme.
3. Cf. le concept creux et l'affectivité des concepts.
4. Cf. Métamorphose de l'âme et de ses symboles.
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